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LES
EXPÉDITIONS
CHINE ET DE COCHINCÏÏINE
PARIS. — IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET C''
Rue de Kleurus, 9
LES
EXPÉDITIONS
DE
CHINE
ET DE
COCHINCHINE
D'après les Documents officiels
PAB LE BARON
DE BAZANCOLRT
DEUXIEME PARTIE
PARIS
AMYOT, ÉDITEUR, 8, RUE DE LA PAIX
M DCCC LXII
Reproduction inturdite — Droits de traduction résarvss
DS
LETTRE
DU GÉNÉRAL DE MONTAUBAN
AU
BARON DE BAZANCOURT
Monsieur le Baron,
Je vous remercie de l'envoi de votre livre, sur
l'Expédition de Chine, que j'ai lu avec le plus vif
intérêt.
Le récit que vous faites de cette campagne, dont
j'ai eu l'honneur d'être le Commandant en chef, est
d'une exactitude complète.
Appuyé sur des pièces officielles qui lui don-
nent un cachet d'authenticité indiscutable, il ser-
vira à rectifier bien des erreurs qui se sont glissées
1 662725
-^«iîSiS VIII (^^s^<3^
dans d'autres narrations sur le même sujet et qui
ont dénaturé certains faits importants de cette
campagne.
Votre livre dit la vérité claire et précise en de-
hors de toute appréciation personnelle, et je suis
heureux, monsieur le Baron, de vous donner ce
témoignage de son entière exactitude.
Agréez, etc.
Le général de division ex-commandant en chef
de l'expédition.,
Signé ; C. de Montauban.
Le précieux témoignage que renferme cette lettre nous a paru trop
important pour ne pas le publier en tête de cet ouvrage.
Cette approbation si flatteuse du général commandant en chef l'ex-
pédition de Chine donne au livre que nous publions cette inatta(iuable
authenticité qui a déjà assuré le succès des précédents ouvrages du
baron de Bazancourt, sur nos guerres en Crimée et en Italie.
{Note de l'éditeur.)
Q_Q^~^C^
LIVRE PREMIER
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
I. — L'i cunduite déloyale du gouvernement chinois à
l'emboucliure du Peïho dans la journée du 25 juin était
un outrage sanglant pour les armes alliées, en même
temps qu'elle constituait une violation flagrante du traité
signé à Tien-tsin l'année précédente. — Une des clauses
essentielles de ce traité portait, en effet, que les ratifi-
cations ordinaires seraient échangées à Pé-king.
Dans l'exposé de la situation de l'empire (année 1861),
le gouvernement français dit :
« Cette conduite annonçait en outre, de la part du gou-
vernement chinois, l'intention de s'affranchir du traité
de Tien-tsin et de contester aux deux puissances alliées
les avantages qu'elles avaient obtenus. L'approbation
donnée par l'empereur de Chine aux autorités de Ta-kou
ne pouvait laisser aucun doute : il était manifeste qu'il
fallait, ou renoncer aux résultats d'une première expé-
dition, ou se préparer, par un envoi de forces plus im-
posantes, à faire sentir au gouvernement chinois tout
4 CAMPAGNE DE CHINE.
le danger de Jiianquer au respect des convenlioiis di-
plomatiques. »
Si le fait lui-mùme de l'échec du IVi ho n'avait pas
suffi pour déterminer l'empereur Napoléon III à envoyer
un corps expéditionnaire en Chine, des considérations
importantes, tirées de l'ensemble de notre situation dans
cet extrême Orient, eussent amené cette grave résolu-
lion. L'atlcinte portée au prestige de nos armes pou-
vait avoir un retentissement fatal au Japon. — Laisser
impunément violer le traité de Tien-lsin n'était-ce pas
allaiblir l'autorité de celui de Yeddo qui, pour la pre-
mière fois, nous ouvrait un accès dans l'empire du Ja-
pon? .Notre influence ébranlée en Chine, compromettait
aussi l'expédition poursuivie en Cochinchine avec le con-
cours de l'Espagne. — L'autorité incontoslécdelaforce.la
puissance d'une armée victorieuse sont, dans ces con-
trées lointaines, le seul argument qui puisse faire plier
l'orgueil et dompter le profond dédain de ces peuples
étrangers à notre civilisation. S'il était important de leur
montrer que nous n'étions pas des barbares, comme il
leur plaisait de nous appeler, il fallait aussi leur prouver
que les nations occidentales étaient des nations puissantes
et souveraines.
Une nouvelle expédition fut donc décidée par le gou-
vernement de S. M. Napoléon III d'accord avec le gou-
vernement de Sa Majesté Britannique.
II. — Mais avant d'en commencer le récit, il est im-
portanf de faire connaître dans tous leurs détails les évé-
LIVKE I, CHAPIThi: I. 5
iicmenls du Peïho, qui amenèrent de nouveau dans les
mers de la Chine les armes de la France et de l'Angle-
terre.
Après bien des notes échangées avec le gouvernement
chinois, dont la diplomatie évasive échappait sans cesse
à la réalisation des promesses les plus solennelles, une
dernière note du commissaire impérial Kwei-liang et de
son collègue adressée à M. Bruce, ministre anglais, de-
vait faire supposer aux deux ministres des nations
alliées, chargés de la ratification des traités à Pé-king,
que les hautes autorités chinoises ne cherchaient plus
enfin à mettre obstacle à cette ratification.
a M. Bruce pourra bien certainement arriver à sa
destination à l'époque désignée (disait la note des
envoyés chinois); avec les relations pacifiques établies
maintenant entre les deux nations, bien certainement
rien ne sera fait qui ne soit conforme aux clauses du
traité. Les envoyés prient donc M. Bruce de mettre
toute défiance de côté à ce sujet : il ne doit point con-
server la moindre inquiétude.... Sa mission étant une
mission pacifique, la manière dont il sera traité par le
gouvernement delà Chine ne manquera pas d'être en tous
points des plus courtoises; et c'est le désir sincère des
envoyés que des relations d'amitié puissent, à dater de
ce moment, être consolidées, et que de chaque côté on
voie renaître la confiance dans une justice et une bonne
foi réciproques. »
m. — La diplomatie chinoise n'avait pourtant pas dit
6 CAMPAGNE DE CHINE.
son dernier mot; et si, dans sa pensée, elle ne pouvait
plus se soustraire aux engagements qu'elle avait pris,
elle voulait encore suivre la voie dangereuse de son arro-
gant orgueil, et enlever à l'arrivée des représentants euro-
péens à Pé-king, toute solennité et surtout toute marque
extérieure d'une déférence, dont la manifestation envers
des étrangers les humiliait profondément.
En se rappelant les précédentes ambassades qui avaient,
à diverses époques, tenté vainement de pénétrer dans
l'intérieur du Céleste-Empire, on voit que les différends
les plus sérieux ont toujours eu pour point de départ des
questions d'étiquette et le refus permanent du gouver-
nement chinois de traiter sur un pied d'égalité avec les
nations européennes (1).
Il avait été convenu entre M. de Bourboulon, ministre
de France, l'amiral llope et le ministre anglais, M. Bruce,
que l'amiral Hope précéderait de quelques jours, à l'em-
bouchure du Peïlio, les bâtiments français et entrerait
immédiatement en communication avec les hautes auto-
rités chinoises, pour assurer aux plénipotentiaires la
possibilité de remonter librement la rivière jusqu'à Tien-
tsin et ensuite les moyens de se rendre sans relard à
Pé-king.
IV. — La corvette le Duchayla (2) commandée par le
(1) Voir la première partie de cet ouvrage, p. 14 et suivantes.
(2) Le Duchayla, p^rli de France le 8 août 1858, s'était rendu direc-
tement à Djeddah pour appuyer Tenquète faite par une commission
anglo-franco-turque et obtenir réparation -des massacres commis
LIVRE I, CHAPITRE I. 7
capitaine de frégate Tricault, devait transporter le mi-
nistre de France à Tien-tsin. Le Norzagaray, aviso à va-
peur, avait été mis également à la disposition du com-
mandant Tricault. — Cet officier après avoir débarqué
à Tourane un effectif de deux cents hommes et un ma-
tériel de guerre important, était venu, d'après les nou-
velles instructions qu'il avait reçues, se mettre à la dis-
position de M. de Bourboulon.
Le 7 juin, il arrivait de Macao à Shang-liai ayant à son
bord le ministre de France ainsi que le personnel de la
légation. — Le 16, il quittait Shang-liai et arrivait le 20
au soir devant le Peïlio, où était mouillée la flottille an-
glaise depuis le 17 du même mois.
Que s'était-il passé et quel avait été le résultat du mes-
sage envoyé par le ministre anglais aux autorités chi-
noises? — M. Bruce entre dans de très-grands détails à
ce sujet dans sa dépêche au comte de Malmesbury.
Tout ce qui se rattache à cet événement est d'une très-
grande importance; il est nécessaire que l'exactitude des
faits dénaturés dans plusieurs écrits, et surtout dans
les pièces diplomatiques émanées de la cour de Pé-king
soit nettement établie, non sur des appréciations indivi-
contre les chrétiens et du meurtre de son agent consulaire. — Après
avoir rempli sa mission et assisté, le 12 janvier 1859, à l'exécution
des principaux coupables, décapités devant les drapeaux français et
anglais, le commandant Tricault avait fait route pour Suez. Là, il
avait embarqué 200 hommes, ainsi qu'un matériel considérable de
guerre pour la Cochinchine, et après avoir pris part pendant quelque
temps aux opérations militaires de Tourane, il avait reçu l'ordre de
se rendre auprès de M. de Bourboulon, chargé d'aller ratifier à Pé-
king le traité de Tien-tsin fait l'année précédente.
8 CAMPAGiNK DE CHlMi.
duelles, mais sur les documents officiels, qui seuls ont
une valeur réelle et ont servi de base aux résolutions
ultérieures des gouvernements alliés. — Nous suivrons
ainsi pas à pas, pendant tout le cours de ce récit, la
marche des négociations diplomatiques et celle des
opérations militaires qui amenèrent enfin les heureux
résultats du traité de paix et de commerce, signé à
Pé-king par les hauts plénipotentiaires de France et
d'Angleterre.
De semblables écrits, s'ils veulent peser de quelque
poids dans l'histoire à venir, doivent être à chaque page
étayés sur des documents sérieux, et les éléments qui les
composent doivent être puisés à des sources incontes-
tables.
y. — Quatre jours après avoir reçu la lettre du haut
mandarin Kwei-liang, en date du 12 juin 1859, le mi-
nistre plénipotentiaire anglais, M. Bruce, quitta Woo-sung
pour aller dans le nord ; il prit avec lui le Coromandcl
en remorque, afin d'avoir un navire non armé pour re-
monter la rivière.
a En arrivant aux îles de Sha-luy-teen (écrit-il dans
une dépêche), lieu de rendez-vous convenu avec l'amiral,
je n'y ai plus trouvé l'escadre et je me suis dirigé vers
l'embouchure du Peïho, le 20 juin, endroit où les na-
vires étaient rassemblés, l'amiral ayant expédié les ca-
nonnières de l'autre côté de la barre, par suite de la
;srosse mer qui l'égnait au dehors.
« L'amiral Tlope arriva aux îles Sha-luy-teen le 16, et
LIVRE I, CHAPITRE I. 9
quitta le moiiillngc le même jour à bord du Fury, sou-
tenu par deux canonnières, pour annoncer l'arrivée des
ministres d'Angleterre et de France aux autorités du pays,
à l'embouchure de la rivière. Le Fury et les canonnières
mouillèrent de l'autre côté de la barre, et le comman-
dant Commerell, assisté de M. Mongan interprète, passa
la barre dans une embarcation du Fury, pour remettre
le message. Une bande armée qui se trouvait sur le ri-
vage ne leur permit pas de débarquer, et quand le ca-
pitaine Commerell demanda à avoir une entrevue avec
les autorités, on lui déclara qu'il n'en existait aucune en
cet endroit soit civile soit militaire, que les estacadcs
faites dans la rivière avaient été construites par les ha-
bitants, à leurs propres frais, qu'elles avaient été élevées,
non pas contre nous, mais bien contre les rebelles, et
que la garnison consistait seulement en milice. Celui qui
portait ainsi la parole et se disait ingénieur ou préposé
aux travaux, s'offrit cependant à porter un messsage à
Ticn-tsin et à en rapporter la réponse.
« Eu apprenant ce qui venait de se passer, l'amiral
Hope envoya de nouveau le capitaine Commerell, pré-
venir de l'arrivée des ministres et enjoindre d'ouvrir
un passage dans le délai de trois jours, afin de permettre
aux représentants alliés de remonter la rivière jusqu'à
Tien-tsin.
« A cela on répondit que l'on avait envoyé un mes-
sager à Tien-tsin, pour annoncer notre venue et qu'un
passage serait ouvert dans le délai exigé. L'amiral Hope
retourna alors à Sha-liiv-tcen.
10 CAMPAG?ÎE DE CHINE.
« Le 18, l'escadre partit pour le Pcïho et les canon-
nières mouillèrent en dedans de la barre, afin d'être à
l'abri de la grosse mer qui régnait en dehors ; le 20, jour
de mon arrivée, l'amiral Hope s'avança vers les forts,
afln de voir ce qu'on avait fait pour nous ouvrir un pas-
sage et remettre une lettre qu'il adressait à l'intendant
de Tien-tsin. Dans cette lettre, l'amiral annonçait que
l'escadre resterait au mouillage pendant notre visite à
Pé-king, et il demandait que l'on établît un marché pour
la vente de provisions fraîches ; il demandait aussi que
des dispositions fussent prises pour recevoir à terre un
nombre d'officiers et de soldats, tel que cela ne pût in-
quiéter les habitants de Ta-kou.
« Les mêmes gens descendirent au rivage et s'oppo-
sèrent au débarquement des envoyés; des menaces de
toute nature accueillirent M. Mongan quand il sauta à
terre. Ces hommes déclarèrent de nouveau qu'aucune
autorité n'était présente, assurant qu'ils étaient de la
milice, agissant sous leur propre responsabilité. Loin
d'avoir travaillé à ouvrir une vole praticable, ils avaient
au contraire fermé tous les passages, et quand on leur
reprocha leur manque de parole, ils nièrent avoir jamais
consenti à enlever les barrages.
a Pour donner plus de poids à leur assertion de l'ab-
sence de toute autorité, ils n'arborèrent aucun pavillon
sur les forts, et aucun soldat ne fut visible pendant tout
le temps que l'escadre resta en vue. »
YI. — Telle est, d'après M. Bruce lui-même, la rcla-
LIVRE I, CHAPITRE I. Il
tion des faits survenus devant le Peïho avant l'arrivée
de M. de Bourboulon ministre de France.
Les Chinois, loin d'avoir écarté ou détruit les obstacles
qui interceptaient le passage du Peïho, obstacles créés,
avaient-ils dit, contre les rebelles et non contre les al-
liés, les avaient au contraire augmentés. L'amiral Hope
le constata, et ce fait seul suffisait pour lui démontrer
clairement le parti pris d'empêcher les ministres de
France et d'Angleterre de franchir la passe du fleuve
pour remonter à Tien-tsin. Aussi, après cette dernière
et inutile tentative, il se retira en faisant répéter de nou-
veau à ces autorités invisibles, que l'intention bien ar-
rêtée des ministres plénipotentiaires était de se rendre,
sans délai, à Tien-tsin par le Peïho.
Le soir de ce môme jour, à dix heures, le Duchayla
mouillait à l'embouchure du fleuve, où le Norzagaray
l'avait précédé de quelques heures.
Si la position était critique, du moins elle était nette-
ment tranchée et ne pouvait laisser aucun doute sur le
mauvais vouloir des autorités chinoises, en contradiction
si flagrante avec les assurances données par Kwei-liang
et ses collègues à M. Bruce, la veille de son départ de
Shang-hai. — Deux partis opposés, on le savait, parta-
geaient le grand conseil à la cour de Pé-king; l'un désirait
la paix avec les nations européennes, l'autre poussait à
la guerre et à la rupture des traités. Les journaux de
Pé-king avaient annoncé ouvertement que pendant les
mois qui venaient de s'écouler, les ouvrages qui défen-
daient l'entrée du Peïho avaient été considérablement
12 CAMPAGNE DE CH1>E.
augmentés, et que Saiiko-li-tsin prince mogol , qui
était à la tùte du parti de la guerre, avait reçu le com-
mandement de ce district.
VII.— a Le temps pressait (écrit à ce sujet M. de Bour-
i)Oulon;, pour que nous pussions être rendus à Pé-king
dans les délais fixés, et si nous nous laissions arrêter,
non plus par des ruses diplomatiques, mais par des ob-
stacles matériels mis en traversde notre clioniin, si nous
permettions au gouvernement chinois , au moment
d'inaugurer et de mettre en vigueur les nouveaux trai-
tés, de se soustraire par la menace d'une résistance ou-
verte, à la première de ses obligations, ••dans quelle
position nous trouverions-nous pour procéder à la mise
à exécution dos autres stipulations de ces mêmes trai-
tés, et établir les nouvelles relations à Pé-kijig sur un
pied digne des nations que nous représentions? »
Si, depuis plus d'une année, tous les actes de la di-
plomatie chinoise n'avaient pas été marqués au sceau de
la duplicité et de la plus insigne mauvaise foi, on aurait
pu hésiter à porter une aussi grave accusation contre
ce gouvernement. Mais il n'y avait pas à douter que son
but, en échappant par do nouvelles réticences aux con-
ventions stipulées, était de porter atteinte à la dignité des
nations alliées et, sinon les entraîner dans un guet-apens
(connue ils essayèrent de le faire le 18 septembre de
l'année suivante), du moins, do les placer en apparence,
aux yeux du peuple chinois, dans une position d'infé-
riorité qui salislït son orgueil traditionnel.
LIVRE 1, CHAPITRE I. 13
Une lettre tardive adressée à M. Bruce cherchait à
éluder la question par de nouveaux atermoiements, en
faisant savoir aux ministres alliés qu'ils eussent à quitter
le Peiho et à se rendre à Pe-tang, où des commissaires
impériaux, assnrail-on, seraient prêts à les recevoir et à
leur procurer les moyens de se diriger par cette voie
vers la capitale du Céleste-Empire.
VIII. — Les ministres dans leur correspondance diplo-
matique, n'avaient jamais caché leur projet bien arrêté
de se rendre à Ticn-tsin par le Peïho et de là, avec une
escorte d'honneur, dans la capitale; Kwei-liang en était
instruit depuis longtemps. Et loin de faire savoir que ce
chemin était fermé, les commissaires impériaux chinois
annonçaient que nous trouverions à l'entrée de la rivière
de Tien-tsin, un haut fonctionnaire pour conduire les mi-
nistres alliés à Pé-king.
Fallait-il aujourd'hui, après ce nouveau manque de foi
et devant un procédé injurieux, aussi bien dans le fond
que dans la forme, faire rétrograder les deux pavillons
des nations alliées, ou bien maintenir son droit et, regar-
dant ces nouveaux faits comme une rupture des traités
existants, recourir à la force pour se frayer de nouveau
un passage jusqu'à Tien-tsin^?
(!) M. de Bourboulon, dans une seconde dépêche, datée du 30 juillet
1859, spécifie avec une grande netteté la position diins laquelle se
trouvaient les Chinois vis-à-vis les puissances alliées, et établit la
base des faits contre lesquels quelques dénégations se sont élevées.
14 CAMPAGNE DE CHINE.
C'est sur celle dcM'uière résolulion qiiedevaienlse pro-
noncer les deux plénipolenliaires. — Ils n'hésilèrenl pas,
et firent savoir à l'amiral Hope que dans la nouvelle si-
iLialioii où ils se trouvaient placés, ils croyaient dcvoii'
se faire ouvrir, môme par la force, les portes du Peïho
et continuer leur marche vers la capitale.
L'amiral, de son côté, était persuadé que si l'intimida-
tion ne suffisait pas pour paralyser les forts, une courte
canonnade en aurait facilement raison. — Il iniisait cette
conviction dans tous les faits militaires qui s'étaient
passés l'année précédente, soit devant Canton, soit de-
vant le Peïho même.
IX. — On a accusé l'amiral d'imprudence après le
résultat défavorahlc de la journée du 25 juin, mais qu'au-
rait-on pensé de lui, si, redoutant la résistance d'ennemis
si facilement vaincus quelques mois auparavant, il avait
accepté cette nouvelle injure et baissé la tête devant l'of-
fensante injonction des autorités chinoises? — Les forces
navales qu'il avait à sa disposition, bien que restreintes,
devaient lui paraître suflisanlcs; car par le fait même des
obstacles à combattre et de l'étroit chenal dans lequel il
fallait s'engager, un plus grand nombre de navires était
inutile.
Si l'on admettait un seul instant riiypolhèse, que ces
ouvrages d'un si formidable développement fussent ré-
gulièrement défendus par une artillerie bien servie et
bien dirigée, tous les navires, quel qu'eût été leur nom-
bre, arrêtes par les cstacadcs sous des feux croisés,
LIVRE I, CHAPITRE I. 15
devaient être foudroyés, un à un, avant d'avoir pu Itriser
les barrages et franchir la passe, — Il fallait, pour se
rendre maître des forts, les attaquer à revers en dé-
barquant sur la côte, soit au nord soit au sud. Mais
aux yeux de l'amiral anglais, ces batteries si redou-
tables en apparence, n'étaient que des épouvantails dé-
garnis de défenseurs, et il ne douta pas un instant du
succès.
Nous n'avons pas ici à défendre le commandant des
forces navales britanniques contre les attaques auxquelles
il a été en butte, mais quelque graves que soient dans
ces contrées lointaines et en face de ce peuple orgueil-
leux les conséquences d'un échec que souvent ne ra-
chètent pas dix victoires, nous croyons qu'il était im-
possible de retourner honorablement en arrière et
d'accepter cette atteinte manifeste à la dignité des deux
nations.
L'amiral anglais se prépara donc à exécuter les réso-
lutions arrêtées par les représentants de la Fi'ance et de
l'Angleterre, et que ceux-ci lui avaient communiquées
ofdciellement.
X. — Il fut décidé que l'entrée du fleuve serait forcée
malgré les forts et les estacades qui la défendaient.
Les grands navires sont mouillés à sept milles en-
viron de l'embouchure du Peïlio (1). Le groupe principal
(1) Rapport du commandant Tricaulf.
L'ensemble des navires alliés se composait de :
1 9 navires anglais dont 8 frégates, corvettes ou transports. — 2 grandes
16 CAMPAGNE DE CHINE.
des canonnières el des polits l)àlimenls est en dedans de
la barre, hors de la portée des forts.
Le 21 juin, l'amiral anglais, qui avait offert avec une
grande courtoisie au commandantTricaii II de l'accompii-
gnerdans l'exploration qu'il projetait, alla lui-même re-
connaître les abords du fleuve et le développement des
défenses élevées pour en proléger les approches. « Ces for-
tifications (dit le commandant Tricault dans son rapport),
entièrement construites en argile durcie, sont beau-
coup plus considérables qu'elles n'étaient Tannée der-
nière. Leur développement est établi des deux côtés
du chenal d'entrée et sur un tournant en amont, il pré-
sente à l'assaillant des feux de flanc très-rapprochés et
des feux d'enfilade pouvant devenir irrésistibles, s'ils
sont persistants el bien dirigés.
« Tous les forts, sortes de lignes bastionnées garnies
de cavaliers formant de dislance en distance une seconde
rangée de feux, sont protégés contre un assaut par une
enceinte de fossés double ou triple cl surtout par une
vase molle s'étendanl depuis les fossés jiisi|u'à la mer.
Le nombre des embrasures dirigées vers l'entrée du fleuve
et pouvant convenir à de gros canons, est de soixante
environ ; mais toutes ces embrasures sont masquées par
des nattes; les forts ainsi que leurs alentours semblent
déserts.
canonnières: Nemrod et Cormorant. — 9 petites: Kcstrel, Janus,
Banterer, Lee, Plover, Forester, Haughty, Starling, Opossum.
2 navires français: Duchayla, corvette; Sor^agaray, aviso de
noltille.
LIVRE I, CHAPITRE I. 17
a Un courant alteignant jusqu'à quatre nœuds dans
un chenal élroit, compliquait la manœuvre des navires,
et le passage était obstrué par trois estacades établies à
distance l'une de l'autre et toutes trois d'une force con-
sidérable » (1).
Cet accroissement de défenses à l'entrée du Peïho
montrait évidemment que le gouvernement cbinois
n'avait pas au fond de sa pensée les sentiments paci-
fiques et conciliateurs que lui prêtaient les envoyés né-
gociateurs du Pe-tchi-li.
Vis-à-vis toute autre nation que la nation chinoise,
ces ouvrages de défense eussent donné à réfléchir à l'a-
miral Hope et l'eussent fait hésiter à se lancer dans une
semblable entreprise. Mais l'amiral était tellement con-
vaincu de l'inefficacité des feux de ces forts, que son plan
était de travailler sous les canons ennemis à briser les
barrages, et de se frayer ainsi un passage à travers les
estacades.
t
(1) Rapport du commandant Tricault.
a La première estacade en venant du large, se composait de chevaux
de frise en fer de la grosseur du bras, espacés de 6 à 7 mètres, soli-
dement établis, et présentait à l'assaillant une série de pointes
acérées.
« La deuxième était formée d'une succession d'énormes blocs de
bois reliés entre eux par des chaînes.
a. La troisième présentait un massif de piloiis réunis par des tra-
verses, occupant, dans le sens du courant, une largeur de 40 mètres.
a Un passage large de 8 raèties environ, avait été ménagé dans cette
dernière estacade, mais il formait un coude, était garni de chevaux
de frise en fer vis-à-vis du tournant, et paraissait impraticable au-
trement que par de légers bateaux manœuvres à la main. »
Il 2
18 CAMPAGNE DE CHINE.
Tous les bàliincnls auxquels leur tirant d'eau permet-
tait d'approcher se préparèrent donc à combattre; ils
étaient au nombre de onze, sans compter l'aviso à vapeur
le Norzagaray^ le seul bâtiment français qui fût là pour
prendre part à la lutte et porter sous le feu des batteries
ennemies le pavillon de la France. L'armement propre
de ce bâtiment, aviso du plus léger échantillon, et placé
sous le commandement du lieutenant de vaisseau Lespès,
consistait en deux canons, l'un de 12 à pivot, placé sur le
gaillard d'avant, l'autre d'un plus petit calibre placé sur
le pont. — Le commandant Tricault fit ajouter à cet
armement trois obusiers de montagne installés sur affûts
d'embarcation.
XL — Le 23 juin, les deux grandes canonnières an-
glaises Nemrod et Cormomnt, profilant d'une grande ma-
rée, franchirent la barre, le Norzagaray la franchit en
même temps.
La journée du 24 devait être consacrée à prendre les
dernières dispositions de détail.
Six cents soldats de marine anglais, et un nombre égal
de matelots sont embarqués sur les petites canonnières,
ou dans des canots qu'elles remorquent. — Ces canon-
nières, au nombre de neuf, font route de grand matin
vers la rivière; elles seules peuvent passer la barre à
toutes marées. — Des jonques mouillées à distance con-
venable des forts, ont été préparées pom- [recevoir le
corps de débarquement, afin de laisser les canonnières
entièrement dégagées et prêtes pour le combat.
LIVRE I, CHAPITRE I. 19
L'amiral anglais a mis à la disposition du comman-
dant Tricault le Plover pour amener la compagnie de
débarquement et les canots du Duchayla, car cet officier
énergique qui s'était déjà si brillamment distingué pen-
dant la campagne de Crimée voulait, quelque restreint
que fût le nombre des hommes qu'il pouvait présenter
au combat, tenir sa place au feu et prendre part à la lutte
qui allait s'engager (1). Le Plover le transporta avec ses
hommes à bord du. Norzagaraij, mouillé depuis la veille
en dedans de la barre.
Pendant la nuit, des embarcations profitant de l'obs-
curité qui les enveloppe, nagent en silence vers les es-
tacades, pour tenter de frayer le passage aux bâtiments
qui doivent, le lendemain, entrer en action. Elles re-
connaissent qu'il suffira d'enlever un des chevaux de
frise dans un seul endroit de la première estacade pour
la traverser. — Peut-être quelques barils explosifs pour-
ront-ils faire sauter la seconde? Et cette opération est
tentée. Quelques bouts de chame sont en effet brisés,
mais l'estacade reste fermée. La lune, en se levant, vint
dévoiler à l'ennemi la présence de ces embarcations,
un des forts lança quelques boulets, et elles durent s'é^
(1) Ce faible corps de débarquement comportait un personnel de
§6 hommes, savoir :
64 hommes marchant sous les ordres du lieutenant de vaisseau Cla-
verie et sous ceux des aspirants Bary et Viguier;
6 hommes consacrés au service des blessés, dirigés par M. Léon
chirurgien de 2' classe ;
16 hommes dans les canots commandés par les aspirants Brindejonc
et Parfait.
20 CAMPAGNE DE CHINE.
loigncr, no pouvant continuer leurs tentatives, que ne
protégeaient plus les ombres de la nuit.
XII. — Le 25, à (juatre heures du matin, les canon-
nières se mettent en mouvement pour prendre devant
les forts les positions qui leur ont été désignées. Elles
doivent former une ligne d'embossage, dont la tète sera
Irès-voisine de la première estacade.
Le Plover et l'Opossum ne participent pas à ce mouve-
ment. — Ces deux bâtiments resteront libres pour se
porter où le besoin les appellera.
Les canonnières durent déployer de grands efforts
pour exécuter Irur mouvement, car dans celte passe
élroite, quelque habileté que déployassent leurs com-
mandants, ils ne purent éviter des échouages et dés
abordages qui retardèrent leur marche. — A une heure
après-midi seulement, elles ont pris position, sans avoir
été un seul instant inquiétées par le feu des foils, qui
sont restés spectateurs inoffensifs et silencieux.
L'amiral a mis son pavillon sur le Plover. — Le capi-
taine de fi'égate français, M. ïricault, a réclamé l'iion-
•-neur de rester auprès de l'amiral Ilope pendant le com-
bat, afin d'être à porlée de connaîU'c ses ordres et
d'apprécier par lui-même le moment où il devra jeter à
terre son petit corps de débarquement, dont il prendra»
le commandement direct.
La ligne d'embossage est formée. — L'amiral veut
■/rayer, lui-même, le passage, et avoir, comme chef,
Tbonnour des premiers coups. Le silence complet que
LIVRE I, CHAPITRE I. 21
continuent à garder les forts, dont les pièces restent
tontes masquées et qui semblent entièrement dégarnis
de défenseurs , donne plus que jamais à l'amiral la
conviction que toutes ces batteries, au premier abord
si menaçantes, n'avaient pour but que d'intimider les
bâtiments qui voudraient tenter de forcer le passage. —
Ce silence si étrange avait quelque chose de solennel,
qui impressionnait vivement tous les cœurs résolument
préparés aux mâles émotions du combat.
XIII. — Le Plover et ropossuni viennent se placer en
tète de la ligne; leur avant louche la première esla-
cade.
Sur l'ordre de l'amiral, l'Opossum s'avance et saisit
avec une chaîne l'un des chevaux de frise de l'estacade.
— Pendant près de vingt minutes, il marche sur son
gouvernail en avant, en arrière, à droite et à gauche.
Enfm, à force de secousses réitérées en tout sens, et
après les plus énergiques efforts, ce bâtiment parvient
à arracher un des pieux en fer, qu'il entraîne avec lui.
— L'Opossum franchit aussitôt l'estacade dans laquelle il
vient ainsi de pratiquer un étroit passage. Le Plover suit
sa trace, beaupré sur poupe ; ces deux bâtiments sont si
rapprochés l'un de l'autre, qu'on les dirait enchaînés en-
semble; tous deux arrivent à la seconde estacadc, si-
tuée à trois cents mètres plus haut. — Les forts sont
toujours silencieux, les batteries masquées, les remparts
déserts.
L'amiral ne doute plus du succès; sur son visage
£2 CAMPAGNE DE CHINE.
rayonne le triomphe de voir ses prévisions se réa-
liser.
Mais à peine ces deux canonnières ont-elles laissé
tomber leur ancre, que le feu croisé de tous les forts
s'ouvre à la fois avec une spontanéité d'exécution et un
ensemble, dont les Chinois n'avaient jamais jusqu'a-
lors donné d'exemple. — Les ouvrages les plus «éloi-
gnés, séparés les uns des autres par la rivière, ont
aussi réuni leur tir qui s'abat sur les deux canonnières
avec une grande précision ; le pont de ces deux bâti-
ments est presque aussitôt couvert de morts et de mou-
rants.
L'amiral s'est placé sur le ronfle étroit de la cuisine
du Plovcr: c'est l'endroit le plus élevé ; il a fait clouer
sa carte devant lui; près de lui se tient le commandant
Tricault.
Devant cet orage subit de projectiles qui mutile les
deux équipages, l'amiral anglais reste impassible; pas
un muscle de son visage ne s'est altéré. — Il suit d'un
regard attentif toutes les phases de cette lutte meurtrière,
qui change en un désastre cette certitude de victoire qui
souriait, tout à l'heure encore, sur son visage radieux.
Lui-même est blessé à la hanche par un éclat de fer et
bienlôtson pantalon blanc est couvert de sang. Mais, tou-
jours impassible, il ne quitte pas des yeux celte scène de
mort qui couche un à un à ses pieds ses plus intrépides
marins. Seulement un instant il tourne légèrement la
tète vers le commandant Tricault qui, monté sur une
barrique, se tient auprès de lui. — « Amiral, répond
LIVRE I, CHAPITRE I. 23
le commandant à celte interrogation muette, nous ne
forcerons pas la passe, la latte est impossible. Voyez au-
tour de vous. «
XIV. — En ce moment le spectacle qu'offrait le pont du
Plover était affreux. Les morts elles blessés encombrent
la canonnière au milieu des débris de toute nature, et
leurs derniers gémissements se perdent dans le bruit
assourdissant de la canonnade. — Autour de la pièce de
68 placée à l'avant, est entassé un monceau de cbair hu-
maine. Cette pièce, dont les servants ont déjà été renou-
velés plusieurs fois, tant le tir de l'ennemi est précis et
régulier, est littéralement baignée dans le sang de ses dé-
fenseurs. — Le doute n'est plus permis sur l'issue d'un
combat aussi inégal.
L'amiral, toujours à la même place, conserve le même
sang-froid. — Le commandant du Plover, le lieutenant
Rason, s'approche de lui ; il vient lui dire que tout son
monde est hors de combat et qu'il est impossible de tenir
plus longtemps dans une semblable position.
Pendant que le capitaine parlait, l'amiral Hope regar-
dait attentivement avec sa lorgnette un des forts les plus
rapprochés.
<c — Capitaine , répondit-il froidement en étendant le
bras vers ce fort, il y a là-bas une pièce qui nous fait
beaucoup de mal, il faut la démonter. »
Ce furent les seules paroles qu'il prononça.
Le capitaine Rason, jeune et intrépide marin qui
avait déployé, depuis le commencement du combat, une
24 CAMPAGNE DE CHINE.
énergie sans Ogale s'éloigne pour lenler encore d'exé-
cuter ce dernier ordre; mais, à peine a-t-il fait quelques
pas, (pi'iin ])ouiel lui eniporle la tète. — Lu boulot vient
aussi briser la chaîne diiFlover, qui dérive aussitôt en
arrière. Cette canonnière est complètement désem-
parée.
En passant devant V Opossum ^ qui, moins maltraité, se
mainlicnt encore dans sa i)Osilion, h: Pluver pai'vient à
s'accrocher à lui, et l'amiral Ilope s'élance sur ce bâti-
ment avec le commandant Tricault. Mais au moment où
il veut monter sur le poste élevé qu'il avait déjà choisi
sur le Plover, il est renversé sur le pont et a une côte en-
l'oncée. Chacun en le voyant étendu à teri-e le croit
frappé mortellement; mais l'amiral reprend bientôt
connaissance, et repoussant les soins que le chirurgien
veut lui donner, il reste debout sur le pont, assistant à
celte scène de désastre avec un courage que rien ne peut
ébranler; on dirait qu'il cherche ohstinément la mort qui
ne veut pas l'alteindre.
Tous les coups de l'ennemi se sont concentrés sur l'O-
possum, qui hientùt dérive à son tour jusqu'à la queue
de la ligne d'embossage, auprès du yorzanaray.
XV. — L'amiral souffre cruellement de ses deux bles-
sures, à peine s'il peut se soutenir; mais sa volonté mo-
rale est plus forte que ses souffrances: il veut parcourir
la hgne des bâtiments, questionner chacun d'eux et
planter son pavillon, là où le feu est le plus vif et le
danger le plus grand. S'il a perdu l'espoir de vaincre,
LIVRE I, CHAPITRE I. 25
il n'a pas perdu celui de combattre jusqu'au dernier
moment pour l'honneur des armes de l'Anglelerre.
En vain on l'entoure , en vain on cherche à le faire re-
noncera son projet dans l'état de faiblesse où il se trouve;
il demande une embarcation ; — ropossum n'en a plus.
Le connnandant Tricault lui offre sa baleinière, qu'il
hèle aussitôt; on y transporte l'amiral qu'il faut sou-
tenir ; car, épuisé par le sang qu'il perd, il peut à peine
marcher; la baleinière, gagnant avec peine contre le
jusant, remonte lentemsnt la ligne d'embossage : — le
commandant Tricault tient la barie ; l'amiral n'a plus
auprès de lui que son secrétaire, M. Ahsby, les officiers
attachés à son- état-major sont hors de combat ou en
mission.
La baleinière longe chaque bâtiment; sur celui-ci on
demande des hommes, sur celui-là des munitions, mais
tous ardents à la lutte et peu soucieux de l'inégalité du
combat évidente à tous les yeux, reçoivent leur chef
avec cette réponse si caractéristique : — œ all's ivell, sir. »
L'amiral est ainsi arrivé jusqu'au Cormorant, qui tient
la tête de la ligne, et sur lequel se sont réunis tous les
feux de l'ennemi. — C'est sur ce bâtiment qu'il veut en-
core hisser son pavillon. Là seulement, il consent à faire
panser ses blessures sur le pont même du navire.
XYl. — a Dès les premiers moments du combat (écrit
le commandant Tricault) l'échec était certain. On ne
luttait plus que pour l'honneur des armes, et c'était
chose magnifique à voir que celte poignée de petites ca-
26 CAMPAGNE DE CHINE.
nonnièrcs se gênant les unes les autres, mais soutenant
et maîtrisant môme sur certains points, des feux qui se
croisent en tous sens et partent de remparts invulné-
rables. »
« Bien que j'aie déjà pris part (ajoute-il) à de vigou-
reuses canonnades avec des chances diverses, je n'ai
rien vu de plus émouvant que cette lutte inégale, ni rien
de plus noble que la manière dont elle a été supportée.»
L'amiral a fait appeler près de lui le capitaine de
vaisseau le plus ancien, le commandant Sliadwell, pour
être à même , si les forces viennent à lui manquer, de
lui transmettre le commandement.
Le capitaine Vansiltard, qui commandait une division
de canonnières, arrive à bord du Cormorant; ses jambes
sont couvertes de vase jusqu'à la hauteur du genou. Cet
officier vient dire à l'amiral qu'il a sondé le terrain
sur la rive droite; la vase, bien que profonde, n'est
pas impraticable et peut permettre un débarquement
avec des hommes déterminés. — Le combat est devenu
impossible avec les navires sous le feu incessant des
forts; il propose de prendre l'un d'eux d'assaut. — Dans
tous les cœurs fatigués d'une lutte immobile, cette
pensée énergique a un écho. — Elle est noble et belle
par son audace même et par les dangers qu'il faut af-
fronter. — L'assaut est décidé.
A ce moment le commodore américain , M. Tattnall ,
accoste le Cormorant sous un feu qui semble à chaque
instant redoubler d'intensité ; un boulet brise le tableau
de son embarcation et tue le patron ; le commodore, qui
LIVRE I, CHAPITRE I. 27
s'apprêlait à se hisser à bord de la canonnière anglaise ,
est renversé par le choc, mais fort heureusement sans être
blessé. — Quelques instants après, M. Tattnall est sur le
pont du Cormorant; il vient exprimer à l'amiral toute
son indignation de la conduite déloyale des autorités
chinoises, et offrir les soldats de marine qui sont à bord
de son petit vapeur, le Toeï-Wan. Lié par ses instruc-
tions qui lui commandaient la neutralité, le commodore
s'en dégageait enfin, pensant qu'il était de son honneur
et de son devoir de protester contre des faits coupables,
dont il ne voulait pas rester plus longtemps spectateur
impassif. — L'amiral Hope remercie M. Tattnall de sa
démarche, mais n'accepte pas cette otîre tardive de coo-
pération.
Cependant le Toci-Wan tint à honneur d'aller cher-
cher les canots anglais qui portaient les compagnies de
débarquement, et il les remorqua jusqu'à la plage, sous
le feu de l'ennemi,
XVII. — Il est environ six heures du soir; le com-
mandant Tricault quitte, pour la première fois de la
journée, l'amiral anglais et fait disposer les hommes et
les canots du Duchayla. — Tout est bientôt prêt pour le
débarquement; mais les compagnies anglaises sont
beaucoup plus loin, sur les jonques. Aussitôt que les
embarcations qui les transportent arrivent à la hauteur
du Norzagaray, le commandant Vansiltart qui est à leur
tète, salue le commandant français par un hurrah qui
lui est chaleureusement rendu.
28 CAMPAGNE OE CHINE.
Les alliés s'avancent de coiiceit vers le banc de vase,
il l'endroit choisi par le commandant anglais pour tenler
le débarquement. — Gênés par des pilotis qui encombrent
lerivaycjes canots ne peuvent aller s'échouer. Le temps
presse, car le jour commence à tirer à sa fin ; il est sept
heures et demie, et les forts lancent des volées de mitraille
qui déjà ont atteint quelques hommes. Une prompte et
énergique résolution est la seule voie de salut, la seule
chance possible encore de succès. Les chefs donnent
l'exemple, et s'élancent lesi)remiers dans l'eau. Parfois,
celte eau est profonde, et quelques hommes n'atteignent
la rive qu'àla nage. — Le banc vaseux sur lequel il faut
marcher, pendant une distance de quatre ou cinq cents
mètres, est entièrement à découvert et sous le feu tou-
jours croissant des Cliinois; aussi, la route que sui-
vent ces audacieuses compagnies est jalonnée de morts
et de blessés qu'il faut laisser, hélas! là où ils tombent,
pour continuer la marche on avant.
Le brave commandant Tricault n'a que soixante-quatre
hommes avec lui ; mais ce petit groupe résolu fiiit d'hé-
roïques efforts pour traverser la nappe fangeuse qui, à
chaque instant, se dérobe sous ses pas. Le fort que l'on
cherche à atteindre , est celui qui horde l'enlrée du
fleuve sur la rive méridionale, offrant avec ses trois ca-
valiers un développement considérable. — Le point de
direction est le cavaher extérieur.
XVin. — Il faut avoir assisté à cette scène terrible
pour s'en faire une idée exacte. — A chaque instant, les
LIVRE I, CHAPITRE I. 29
difficultés de la marche redoublent ; tantôt les hommes
enfoncent à mi-jani])es dans la vase amollie ; tantôt les
pieds rencontrent tout à coup un terrain plus solide, qui
presque aussitôt les abandonne. — Des boulets, des
balles, des flèches, de la mitraille, partent sans cesse
des remparts. Il n'est point possible, dans ces terrains
mouvants, de conserver aucun ordre de marche, et bien-
tôt les hommes, selon le degré de leur force s'espacent
par groupes séparés les uns des autres. Mutilés par les
projectiles ennemis, ils avancent péniblement et cher-
chent à se rallier aux cris de leurs chefs, dont la voix les
appelle et les ranime. — C'est ainsi que ces compagnies
arrivent enfin, mais par lambeaux, devant le premier
fossé.
Là on s'arrête, on se regarde, on se compte, et ceux
dont les armes, pendant la traversée du fleuve, n'ont
pas été mises hors de service, répondent par une fusil-
lade de quelques instants au feu qui les assaille. — Ce
premier fossé n'a point d'eau, il est facilement franchi;
mais à très-petite distance de celui-là, se trouve un se-
cond très-large et très- profond ; l'eau y a été mainte-
nue, sans doute au moyen d'une écluse. Quelques
hommes se jettent à la nage et le traversent, d'autres
se servent d'une échelle de bambous déjà brisée pour
atteindre le glacis du fossé qui touche les murailles et
offre un certain abri contre les projectiles. La nuit est
entièrement venue, et bien peu sont parvenus jusqu'au
pied des remparts, dont les Chinois garnissent tumul-
tueusement la crête, en jetant des cris de menace et de
30 CAMPAGNE DE CHINE.
déli à celle poignée d'hommes isolés que leurs armes
mêmes ne peuvent plus défendre.
Le commandant Tricault a autour de lui quelques-uns
de ses marins, il cherche à rallier au milieu de Tobscurilé
ceux de ses compagnons qui ont pu arriver jusqu'aux
murailles. Bientôt il est rejoint par un groupe de ma-
telots du Duchayla, avec lequel sont le lieutenant de vais-
seau Claverie, l'aspirant volontaire Viguier, el l'aspirant
de deuxième classe Bary, qui est presque aussilùt frappe
d'une balle dans le flanc (1). — Une cinquantaine d'hom-
mes environ composent la force totale des alliés réunis
au pied du rempart.
Le commander Ilealh commande le groupe anglais,
car le colonel Lémon et les capitaines Yansilfart et
Shaduell ont été grièvement blessés, dès le début du
débarquement.
XIX. — Les artifices que lancent les Chinois pour
diriger leurs coups éclairent la plaine par intervalles et
montrent combien est petit le nombre des assaillants. A
chaque instant la position devient plus critique. — Sans
armes, car les cartouches sont mouillées et ne peuvent
servir, sans échelles, sans aucun moyen d'attaque, com-
ment ces quelques combattants perdus au milieu de la
nuit, et que nul renfort ne viendra soutenir, iront-ils
tenter l'assaut contre ces parapets d'argile desséchée
(\) L'aspirant Bary mourut à Shang-faai des suites de cette blessure,
1« 22 juiUJ^t.
LIVRE I, CHAPITRE I. 31
sur lesquels les boulets des canonnières n'ont produit
aucun éboulement.
Cependant, le commandant Tricault et le comman-
der Heath ne peuvent se décider à abandonner une po-
sition, prix de si cruels efforts ; ils appellent à eux les
restes des compagnies dont ils espèrent toujours la venue,
et qu'ont forcément disséminées les difficultés du terrain.
Mais leur voix couverte par le bruit du canon et par la
fusillade reste sans écho. — Après une attente inutile, il
ne leur reste plus qu'à ordonner la retraite et à la sur-
veiller pour qu'elle se fasse en bon ordre, sans laisser de
blessés derrière soi.
Au moment où le commandant Tricault vient de fran-
chir de nouveau le dernier fossé, une balle lui traverse
le bras gauche.
XX. — Pour rejoindre le rivage, de plus grandes dif-
ficultés attendaient encore les braves marins qui ve-
naient d'accompUr cet acte stérile d'audacieux courage.
— Pendant les quelques heures qui se sont écoulées,
la mer a monté, et l'eau couvre presque entièrement
et à une certaine hauteur celte plaine fangeuse qu'ils
ont traversée en quittant les canots ; l'obscurité est pro-
fonde, les groupes se resserrent pour ne pas s'égarer
dans cette marche périlleuse.
Le rembarquement fut long et pénible par suite de la
rangée de pilotis qui gênait les manœuvres des embar-
cations et les empêchait d'approcher du rivage; il dura
une grande partie de la nuit, et présenta de sérieuses
32 CAMPAGNK DE CHINE.
diflicultés, surtout pour le transport des blessés. — « Ce
inouveincnt de marée monlanle a eu d'afl'reuses consé-
quences(éci'it le coniniandaiil Tricaull, en terminant son
rapport) ; non-seuleinent les cadavres qui n'avaient pas
été retirés au premier moment sont restés sur le ter-
rain, mais encore tous les blessés liors d'état d'appeler
à leur secours ou de se soulever eux-mêmes, ont été
infailliblement noyés. »
Les pertes en hommes et en bâtiments étaient grandes.
Le Cormoran!, qui avait tenu pendant toute la journée la
tête de la ligne d'embossage, et qui s'était défendu dans
cette lutle inégale avec une inébranlable énergie, avait été
affreusement mutilé par l'artilleiic des forts; il coulait bas
pendant la soirée, ainsi que quatre anti'es canonnières
anglaises. Sur ces cinq bâtiments, trois devaient entière-
ment périr, Plovcr, Lee et Cormorant; les deux autres pu-
rent être relevés. — L'aiiiiial anglais (itacbevcrla destruc-
tion de ceux pour lesquels tons les efforts de sauvetage
étaient restés inutiles. Les Anglais comptaient plus de
quatre cents bommcs tués ou blessés, parmi lesquels un
grand noml)re d'ofticiers. — Quant à nous, nous avions
plus (lu cinquième de noire petit eflV-ctif hors de combat.
XXL — La journée du 25 juin était un désastre ; mais
il faut l'ajouter, un désastre dans lequel l'honneur des
armes était sauf. L'amiral llope avait montré une fois
de plus cette énergie indomptable et ce sang-froid dans
le commandement qui en font un des premiers marins
de l'Anqleterre.
LIVRE I, CHAPITRE I. 33
Si cet amiral n'avait eu avec lui qu'un seul bâtiment,
comme le commandant Tricault (1), sa ligne de con-
duite était inévitablemenl tracée par les événements eux-
mêmes, il lui eût fallu retourner en arrière ; mais par
suite de la résolution prise par les deux minisires plé-
nipotentiaires de se porter en avant, l'hésitation, avec
le nombre de canonnières qu'il avait sous la main, lui
eût été reprochée comme un acte de faiblesse inqua-
lifiable en face de semblables ennemis. Les nécessités
de la situation diplomatique, les antécédents de la guerre
de Chine, la puissance même des moyens dont il dis-
posait, tout lui faisait un devoir de ne pas s'arrêter de-
vant les obstacles matériels que l'on jetait inopinément
devant lui.
Mais ce nouvel acte d'hostilités de la part du gouver-
nement chinois remettait tout en question ; la situation
n'était plus la même, et le sang répandu devant le Peïlio
exigeait une éclatante réparation. — Aussi, les deux mi-
nistres alliés pensèrent qu'il était de leur devoir de se
retirer et d'attendre de nouvelles instructions relatives
aux tristes faits qui venaient de se passer.
XXII. — a En présence d'une situation aussi tranchée
(écrivait au ministre des affaires étrangères M. de Boar-
boulon), nous avons pensé , mon collègue d'Angleterre
(1) La corvette Diichayla ne pouvait, par suite de son fort tirant
d'eau, entrer dans le fleuve et remonter à Tien-tsin.— C'était le petit
aviso à vapeur Nor;:agaray qui devait mener à Tien-tsin le représen-
tant de la France, M. de Bourboulon.
34 CAMPAGNE DE CHINE.
et moi, qu'il ne pourrait être que compromctt.int pour
la diynilé des gouvernements que nous représentons, de
demander des explications quelconques à un gouver-
nement qui se jouait ainsi des engagements les plus so-
lennels, et ne craignait pas, pour se soustraire à l'ohliga-
lion de les remplir, de recourir à de Iraîtreuses hostilités;
qu'il ne nous restait par conséquent, qu'A nous retirer,
à attendre, dans une attitude deréserve de manière à l'in-
quiéter sur les suites de sa victoire, les communications
qu'il pourra nous adresser, et à laisser à nos gouverne-
ments respectifs le soin de prendre les mesures que les
circonstances leur paraîtront réclamer (1). »
De son côlé, M. Bruce, ministre plénipotentiaire d'An-
gleterre, écrivait à la même date, au comte de Malmes-
bury.
a L'amiral Hope m'ayant informé que les forces, sous
ton commandement, n'élaicnt point suffisantrs pour
ouvrir un passage et remonter la rivière, M. de Bour-
boulon et moi convinrent qu'il fallait considérer notre
mission à Pé-king comme terminée quant à présent, et
que nous devions nous retirer à Shang-hai. »
Tel est le récit exact des faits qui se passèrent à l'en-
trée du Poïlio, le 25 juin 1859, et qui eurent en France
et en Angleterre un si triste retentissement.
Les deux cabinets de Paris et de Londres comprirent
toute la gravité d'une semblable situation en face de ce
(1) Dépèche du 30 juin 1859.
LIVRE I, CHAPITRE I. 35
gouvernement, dont tant de revers successifs n'avaient
pu arrêter les indignes subterfuges et la diplomatie dé-
loyale. — Il fallait frapper un grand coup, si nous ne
voulions pas voir s'éteindre et disparaître à jamais toute
notre influence dans ces contrées lointaines.
CHAPITRE II.
XXIIL — Le traité de Tien-tsin, déchiré par les canons
chinois à l'embouchure du Peïho demandait une écla-
tante réparation. — Aussi le ministre des affaires étran-
gères en France écrivait, à la date du 24 septembre 1859,
à M. de Bourboulon, ministre plénipotentiaire en Chine :
« Le gouvernement de Sa Majesté a décidé d'inïliger
aux Chinois le châtiment exigé par une violation aussi
éclatante des règles les plus essentielles du droit inter-
national. »
L'échec du Peïho avait pris en Chine des proportions
considérables. — La gazette de Pé-king regorgeaitde pro-
clamations incendiaires contre ces peuples imprudents et
aveugles qui avaient osé entrer en lutte avec le puissant
empereur du Céleste-Empire.
Une seconde campagne en Chine fut résolue, de con-
cert avec les Anglais, — L'empereur Napoléon III appela
36 CAMPAGNE DE CHINE.
le général Cousin de Monlauban au commandement en
chef de celte nouvelle expédition.
Dix mille hommes étaient mis sous ses ordres (1).
Le général de Montauhan, chef énergique, soldat
intrépide, saura justifier la liante confiance dont l'ho-
nore l'Empereur. Les pouvoirs les plus étendus lui sont
concédés; il jjrendra le titre de : Counnandant en chef
des forces de terre et de mer (2), et pourra nommer
aux vacances qui se produiront dans le corps expédi-
tionnaire, jusqu'au grade de colonel inclusivement. Les
nominations de lieutenant-colonel et de colonel devront
être ratifiées par l'Empereur. — Le général de Montau-
han pourra également décerner des médailles militaires
(1) COMPOSITION DU CADRE d'ÉTAT-MAJùR
DU CORPS EXPÉDITIONNAIRE.
Commandant en chef des forces de terre et de mer, le général Cou-
sin de Montauban;
Chef de la P-' brigade d'infanterie, le général Jamin , commandant
en second rexpédilion.
Chef de la 2' brigade d'infanterie, le général Collineau ;
Chef d'état-major général , le lieulenant-colonel Schmitz;
Officiers attachés à l'état-major général :
Lieutenant-colonel Dupin, chef du service topographique ;
Le chef d'escadron d'é:at-major Campenon; — le capitaine d'état-
major de Cools; — le capitaine d'état major Ciianoine; le sous-inten-
dant militaire Dubut.
Chef du génie, colonel Déroulède.
Chef de l'arlillerie, colonel de Benlzmann, commandant cinq bat-
teries et le parc du siège.
101" de ligne, colonel Pouget; — 102' de ligne, colonel O'.Malley ;
— 2' bataillon de chasseurs à pied, commandant Guillol de la Poterie.
Infanterie de marine, colonel de Vassoigne.
Escadron de cavalerie, capitaine Mocquart.
(2) Décret du 13 novembre 18ô9.
LIVRE I, CHAl'ITIŒ II. 37
et des croix de chevalier et d'officier de la Légion d'hon-
neur.
Déjà le maréchal Randon, ministre de la guerre, règle
tous les détails relatifs à l'organisation de ce nouveau
corps, et dirige sur Toulon, Brest, Lorient et Cherhourg
les troupes qui doivent être embarquées.
XXIV. — De son côté, le général Cousin de Montaubaii
s'eutoure des renseignements qui peuvent asseoir sur
une base sérieuse ses appréciations, et l'aider à combiner
les premières opérations militaires qu'il doit diriger en
chef dans ces parages lointains. Il interroge, il étudie,
il calcule, il médite; car il faut, dès le début, frapper un
grand coup pour abaisser l'orgueil de ce peuple si
aveugle dans sa confiance et dans ses dédains, il faut
effacer par d'éclatantes victoires le souvenir de la jour-
née du 25 juin, dont le retentissement a couru comme un
écho triomphal à traver ces vaste empire.
Le général de Montauban, investi, nous l'avons dit,
du commandement des forces de terre et de mer, écrit
de Paris au contre-amiral Page pour lui communiquer
les projets que lui ont suscités les renseignements qu'il
a déjà pu recueillir.
Le contre-amiral Page a remplacé le vice-amiral Ri-
gault de Genouilly dans le commandement des mers de
Chine. — Le général le charge d'étudier, avec l'expérience
acquise d'un séjour déjà long dans ces contrées, quel
serait le point le plus favorable pour l'installation des
troupes près du théâtre des opérations futures.
38 CAMPAGNE DE CHINE.
« Les véritables chemins en Chine (lui écrivait-il), sont
les canaux, cl les fleuves (juc ces canaux relient entre
eux. La marine est donc, selon toute probabililé, appe-
lée à jouer un grand lùle dans les opérations militaires.
Il faut perdre le moins de temps possible et se mettre
en route très-promptcment pour arriver à l'embouchure
du Peïho; car plus on agira rapidement, moins on aura
de chances contraires à redouter. »
XXV. — Au moment où le nouveau commandant en
chef s'apprêtait à partir, les opinions étaient très-par-
tagées sur la résistance probable que devait rencontrer
je corps expéditionnaire dans le cours de cette nouvelle
expédition. — Les uns, s'exagéranl la portée réelle du
succès que les Chinois avaient obtenu au Peilio sur les
forces anglaises, croyaient que les forts seraient oc-
cupés et défendus, comme ils pourraient l'être par des
troupes européennes; d'autres, trop confiants au con-
traire, prétendaient qu'aux premiers coups de canon,
ces timides défenseurs prendraient aussitôt la fuite.
Ces opinions extrêmes et contradictoires se présentent
souvent, lorsqu'il s'agit d'une entreprise quelle qu'elle
soit; rarement l'esprit reste dans un juste milieu d'ap-
préciation. — Nous avons vu en Crimée, pendant le
siège si pénible de Sébastopol, les découragements ex-
cessifs succéder d;ms certains esprits à la confiance
souvent la phis exagérée. — 11 fallait évidemment pour
celle nouvelle expédition se méfier des exagérations,
et guidé par une sage prudence, prendre les mesures
LIVRE I, CHAPITRE II. 39
habituelles à la guerre. Dans ces pays lointains, si par-
fois les succès sont faciles, le moindre revers acquiert
aussi une influence fatale, et les avantages d'une année
de victoires peuvent être détruits en un jour.
Tien-tsin est le premier point vers lequel se dirigera
l'armée alliée. — Les instructions données au général en
chef portent : qu'il sera peut-être nécessaire, pour en
imposer au gouvernement chinois, de pousser une pointe
jusqu'à Pé-king, capitale de l'empire. C'était un acte mi-
htaire d'une très-grande portée, par son audace même,
pour peu que l'on considère le petit nombre des forces
alliées, en face de la population seule de cette ville, portée
à deux millions d'habitants.
XXVI.— Le 19 novembre 1859, le nouveau comman-
dant en chef adresse de Paris à sa petite armée son pre-
mier ordre du jour :
a Votre tâche est grande, dit-il, et belle à remplir;
mais le succès est assuré par votre dévouement à l'Em-
pereur et à la France. Un jour, en rentrant dans la
mère patrie, vous direz avec orgueil à vos conci-
toyens que vous avez porté le drapeau national dans
des contrées où la Rome immortelle, au temps de
sa grandeur, n'a jamais songé à faire pénétrer ses
légions.
« Sa Majesté, en m'accordant l'honneur de vous com-
mander en chef, me fait une haute faveur dont je ne
pourrai mieux lui témoigner ma reconnaissance qu'en
40 CAMPAGNE DE CHINE.
m'occupant de pourvoir à tous vos besoins avec une sol-
licitude constante.
Œ Vienne le jour du combat, et vous pourrez compter
sur moi comme je compte sur vous : nous assure-
rons la victoire aux cris de : Vive l'Empereur! vive la
France ! »
Que Dieu veille sur cette petite armée qui traverse
l'es mers et va à cinq mille lieues du sol natal venger
les droits sacrés du christianisme et de la civili-
sation.
XXVII. — Le 12 janvier 1860, à sept heures du ma-
tin, le général de Montauban s'embarque sur la Pan-
thère, bàlimenl de la Compagnie orientale.
Il est accompagné de son état-major particulier : le
chef d'escadron Deschiens, premier aide de camp; le ca-
pitaine de Bouille, deuxième aide de camp; le capitaine
de Montauban, officier d'ordonnance. — Le chef d'état-
major généi'al, lieutenant-colonel Scbmitz; le capitaine
de Cools, attaché à l'état-major général ; le colonel
de Hentzmann, commandant l'artillerie, et M. Dubut,
sous-intendant militaire de première classe, chef du
service administratif, ont pris passage sur le même
bâtiment.
Le 15 janvier, à six heures du malin, la Panthère
touchait à .Malle.
En traversant le détroit de Bonifacio , le général a
pu saluer le monument funèbic élevé à la mémoire des
LIVRE I, CHAPITRE II. 41
naufragés de la Scmillanle, cruel sinistre qui avait en-
glouti sous les flots tant de vaillants soldats (1).
Le général de Montauban, après différentes relâches
à Ceylan, à Paulo-penang et à Singapour, où il est reçu
par les autorités anglaises avec tous les honneurs dus
à un commandant en chef, entre en rade de Hong-kong
le 26 février, à huit heures du matin.
XXYIII. — A peine son arrivée a-t-elle été signalée,
que le contre-amiral Page se rend à bord du Gange, qui
a pris le général de Montauban à Ceylan, pour le trans-
porter à Hong-kong.
Le contre-amiral Page arrive de Cochinchine. Il a eu
plusieurs engagements sérieux avec les Annamites. —
Dans l'un de ces engagements, le chef du génie, le co-
lonel Dupré Deroulède, a été coupé en deux par un
boulet sur le pont de laNémcsis,\wès de l'amiral Page.—
En tout temps la mort de ce vaillant officier eût été une
perte vivement sentie par l'armée, mais dans les cir-
constances présentes, ce triste événement est plus dou-
loureux encore, car le colonel Dupré Deroulède, nommé
chef du génie du nouveau corps expéditionnaire, laisse
vacant, par sa mort, un poste important dans lequel il
était appelé à rendre les plus utiles services. — C'est le
lieutenant-colonel Livet qui le remplacera.
L'amiral Page apprend au général de Montauban qu'il
avait été décidé, à la suite d'une conférence tenue avec
(1) Voir, Campagne de Crimée, etc.
42 CAUPAGNE DE CHINE.
l'amiral anglais Hope, que l'île de Chusan serait occupée.
Le nouveau commandant en chef croit devoir ajourner la
solution définitive de celle question jusqu'à sa prochaine
entrevue avec l'amiral anglais; les renseignements qu'il
a recueillis ne sont pas de nature à faire tomber son
choix sur l'île de Chusan pour y concentrer ses troupes.
— Chusan, en elïet, est très-rapproché de Shang-hai,
et Tché-fou semble offrir des avantages bien supérieurs,
comme point intermédiaire entre cette ville et le
Peiho.
Les bâtiments qui doivent apporter à Hong-kong les
troupes expédilionnaires auront évidemment à leur bord
un certain nombre de malades, après une si longue et
si pénible tiaversée; aut^si le général se préoccupe-t-il
sérieusement de l'installation des hôpitaux. Hong-kong
et Shang-hai sont insalubres; il est de toute nécessité de
continuer à Macao l'établissement de l'hôpital général
où devront être évacués les malades et les blessés venant
du nord de la Chine.
XXIX. — Après avoir passé la matinée du 29 à Macao,
le général en chef se dirige vers la rivière de Canton, oîi
le capitaine de vaisseau d'Aboville exerce le commande-
ment supérieur des forces fiançaises.
Grâce au service de surveillance et de police très-sé-
vèrement constitué, la ville de Canton est tranquille et
calme. La circulation des officiers français et anglais
dans les rues ne semble même plus un objet de curio-
sité pour les Chinois; mais il ne faut pas se le dissimu-
LIVRE 1, CHAPITRE II. 43
1er, dans l'élat actuel des choses, ce calme et cette tran-
quillité, résultat des mesures rigoureuses qui régissent
la police intérieure de la ville, sont plus apparents que
réels. — Les derniers événements ont ravivé les espé-
rances.— Évidemment la crainte seule maintient encore
la population prête à se soulever en masse, si le sort des
armes nous était contraire. Des assassinats partiels sur
quelques hommes isolés révèlent, de temps à autre,
celte dangereuse situation, dont il faut sans cesse se
préoccuper. Le gouvernement chinois a mis à prix la
tète des barhares étrangers : celle du commandant en
chef est évaluée à cinquante mille taels; chaque grade
est coté, chaque tête a sa valeur.
Le 3 mars, le général est de retour à Hong-kong, et,
dès le lendemain, il a une longue conférence avec
l'amiral Hope et l'amiral Page. Mais en l'absence du
général Grant, qui commande les forces de terre bri-
tanniques, il était impossible de prendre aucune résolu-
tion définitive. On se contenta donc de jeter les bases de
plusieurs projetsimportanls, « et ce ne fut pas sans dis-
cussion (écrit le général), car notre entrevue a duré cinq
heures. »
L'occupation de Chusan aura lieu, aussitôt que des
forces suffisantes seront arrivées ou disponibles.
XXX. — Le lendemain, le général de Montauban quitta
Hong-kong pour se rendre à Shanghai, qu'il n'atteignit
que le 12 au soir, après une traversée très-difficile. Le
général déploie la plus grande activité et surveille lui-
44 CAMPAGNE DE CHINE.
mÔRicrinstallaliou des divers services qui doivent fonc-
tionner dans celle ville, afin qu'aucun retard n'enli'ave
la mise en campagne des troupes qui vont successive-
ment lui parvenir.
La marine est chargée défaire une reconnaissance dans
le golfe du Pé-tchi-li et de déterminer le lieu propre au
rassemblement général des forces pour l'attaque des
forts du Peïho, dont lesTartares ont beaucoup augmenté,
dit-on , les défenses et le nombre des défenseurs. Le
contre-amiral Page, auquel le commandant en chef a
communiqué ses projets et ses plans pour le début des
opérations militaires, doit, pendant son absence mo-
mentanée de Hong-kong, le représenter dans les con-
férences avec nos alliés et mettre ces projets d'accord
avec ceux de l'amiral llope et du général Grant.
Dès son arrivée à Shang-hai, le général de Montauban
s'est empressé de s'informer des achats des chevaux
et des mulets destinés au transport et au service de
rartillerie. — Un marché avait été passé pour cet objet
entre le gouvernement français et une maison de com-
merce de Shang-hai ; mais cette affaire importante
n'avait encore obtenu aucun résultat sérieux, et il deve-
nait à peu près impossible de se procurer en Chine les
ressources nécessaires pour l'expédition, tant à cause
de la rareté des chevaux dans la province, que par suite
des ordres donnés par les autorités du pays.
Afin de s'entourer des renseignements les plus précis
sur cette question délicate et diflicile, le général institue
une commission provisoire de remonte, que préside le
LIVRE I. lHaPITRE II. 45
colonel d'artillerie Benizmann ; elle est coQiposée des
capitaines d'artillerie Desmarquais, de Cools de l'élat-
niajor, et du capitaine de cavalerie Cli. de Monlauban.
Sur la demande de cette commission, un nouveau mar-
ché est passé pour la fourniture de cinq cents chevaiLX ou
mulets pris au Japon; le prix est fixé à cent piastres par
cheval. Les capitaines de Cools et de Monlauhan sont
envoyés pour surveiller et activer cette opération, dont
l'accomplissement rencontrera peut-être aussi au Japon
de notables difficultés.
Il était important de commencer les hostiUtés vers le
mois de mai ou de juin, pour n'être pas ex posé à rencon-
trer les mauvais temps, pendant la durée probable de
l'expédition.
XXXI. — Une dernière démarche de concihation a
été tentée d'un commun accord par les ministres de France
et d'Angleterre auprès de la cour de Pé-king, et MM. de
Bourboulon et Bruce ont envoyé collectivement l'u/zi-
matum des puissances alliées (1). — Cette pièce diplo-
matique qui précise nettement les demandes dont la
(1) Ultimatum adressé par M. de Bourhoulon, ministre de France,
au cahinel dePé-Tiing. sous le couvert du commissaire impérial, vice-
roi des deux Kiang.
Shang-hai, le 9 mars 1860.
Le soussigné, envoyé extraordioaire et ministre plénipotentiaire
de S. M. l'Empereur des Français, ayant rendu compte à son gouver-
nement de la réception qui lui a été faite au mois de juillet dernier à
l'embouchure de la rivière de Tien-lsin , lorsqu" après avoir dûment
notifié à S. Exe. le principal secrétaire d'État de la Chine, son inten-
46 CAMPAGNE DE CHINE.
coniplèle ^alisfaction pourra seule empèclier le renou-
velleinent des hostilités, a été expédiée le 8 mars. — Le
gouvernement chinois devra faire parvenir sa réponse
avant le 8 avril, pour dernier délai. — Il est peu pro-
bable que cette réponse soit favorable, ou du moins
franche et catégorique. — La cour de Pé-king ne man-
quera pas de revenir sur le passé et de se livrer à cet
égard à une discussion évasive et sans résultat; mais
maintenant que la détermination d'une action militaire
imposante a été prise, maintenant que la France et l'An-
gleterre ont envoyé à travers les mers des soldats prêts
à combattre, il faut que la question pendante entre le
tion de se rendre à la capitale pour y effectuer l'échange des ratiti-
cations du traité conclu à Tiea-tsin l'année précédente . conformément
à la c ause finale du il traité, il s'y est présenté pour accomplir sa
mission, a reçu l'ordre du gouvernement de S M. l'Empereur des
Français, d'aircsser au ministre secrétaire d'É at, les demandes et
les déclarations suivantes, comme les conditions expresses qu'il met
au maintien de la bonne harmonie entre les deux empires.
1° Le cabinet de Pe-king, pari orgace du principal secrétaire d'État
de la Chine, adressera au soussigné, comme représentant de S. M.
l'Empereur des Français, dans une lettre ofùcielle, des excuses for-
melles, pour l'attaque dont le pavillon de la marine impériale fran-
çaise, réuni à celui de S. M. la Reine de la Graude-Bretagne, a été
l'objet au mois de juin dernier devant Ta-kou.
2° Le principal secrétaire d'Éiat de la Chine donnera, au nom de
son souverain, au soussigné, l'assurance que lorsqu'il se rendra à la
capitale pour l'échange des ratifications du traité, il pouna arriver
sans obstncle j squ'à Tien-tsin , à bord d'un navire de guerre fran-
çais, et que les autorités chinoises prendront ensuite les mesures né-
cessaires pour que le soussigné et sa suite soient conduits avec les
honneurs convenable? de Tiea-tsin à Pé-king.
3' Le gouvernement de l'empereur de la Chine déclarera, dans sa
réponse à li présente notification, qu'il est prêt à échaiger à Pe-king
les raiincations du traité conclu à Tien-tsin, le 27 juin 18.58. entre
S. Exe. le baron Gros, commissaire extraordinaire de S. M l'Empereur
LIVRE I, CHAPITRE II. 47
Céleste-Empire et les puissances occidentales soit radi-
calement tranchée, et que le gouveciiement ne puisse,
sous un prétexte futile , ramener un état de choses
désormais impossible.
L'Europe civilisatrice frappe aux portes de la Chine,
au moment où les désordres mortels de l'administra-
tion intérieure livre reni[)ire à la décadence et aux san-
glants épisodes des guerres intestines.
Ces désordres qui ont éclaté depuis l'avènement au
trône du nouveau souverain, prennent chaque jour un
plus grand développement , et les rebelles devenus
audacieux et sanguinaires, épouvantent les districts
des Français, et LL. Exe. les plénipotentiaires chinois Kweï-Liang
et Houa-Cha-Na. De son côté, le gouvernement de S. M. 1 Empereur
des Français déclare, par l'organe du sousî-igné , son représentant,
qu'il n'a plus désormais à invoquer, dans la question de <a. résidence
de son ministre à Pé-king , autre chose que les clausesdes traités, c'est-
à-dire qu'il reprend le droit de se prononcer, s'il le juge convenable,
pour un séjour permanent de sa légation dans cette capitale, du mo-
ment que Sa Majesté Britannique n'étant plus liée par l'arrangement
consenti par S. Exe. lord Ejgin avec les commissaires chinois, a re-
pris lui-même le droit de reclamer, sur ce point, l'exécution pleine
et entière de son traiié.
4° Le gouvernement chinois s'engagera à payer à celui de S. M.
l'Empereur des Français, une indemnité proportionnée aux charges
que la nécessité où l'a mis la conduite de ce gouvernement d'envoyer
une seconde fois des Idrces navales et railitHires à une aussi grande
distance, a fait de nouveau peser sur le trésor français..
5° Le soussigné, enfin, a reçu l'ordre de notifier au gouvernement
de S. M. l'Empereur de la Chine, qu'il lui e^t accorde un déldi de
trente jours, à compter de la remise de la présente notification, pour
accepter sans réserves les conditions ci dessus énoncées, à l'expira-
tion duquel délai, si le cabinet de Pé-king n'a pas fait parvenir son
acceptation formelle au sous.>>igné, son silence sera considéré comme
un refus.
A. DE BOURBOULOX.
48 CAMPAGNE DE CHINE.
dont ils s'eiiiparont par les scônos ilii plus alTieiix car-
nage.
Ainsi la nouvelle aniveà Shanj: liai iju'ils se sont eni-
part^s de Hang-tcheou, ville très-iinporlante du Tehing-
kiang, qui domine toute la vallée du fleuve. — De Hang-
telieouCou, ils menacent d'un côté Sou-tcheou et de
l'autre Ning-poo. — Ces événements ont jeté le plus grand
trouble à Sliang-hai, les haltilants épouvantés craignent
une invasion de ces cruels ennemis et s'enfuient déjà en
partie, les uns pour venir demander protection au sein
des concessions eui'opéennes, les autres pour se rendre
dans le nord. — Le Tao-taï de la ville est lui-même
dans la plus grande anxiété, car déjà bon nombre de
ces misérables sans aveu, qui ne vivent que de pillage,
se sont introduits dans la ville et disent appartenir au
parti des rebelles. Fort heureusement, les autorités chi-
noises apprennent que des forces considérables sont
réunies dans la province pour ftiire face à la rébellion et
que la ville de Hang-tcheou a été reprise.
Il est facile de comprendre quelle agilalion permanente
une semblable situation entretenait dans les espiits. —
La révolte au sein de l'empire et la guerre à ses portes.
XXXIL — Le contre-amiral Protêt a reconnu l'île de
Chusan dont l'occupation doit être le premier acte mili-
taire accompli par les troupes alliées, aussitôt qu'elles se-
ront réunies en nombre suffisant, car si l'ultimatum,
ainsi qu'on doit le supposer, est rejeté, le gouvernement
chinois peut susciter des soulèvements subits dans la po-
LIVRE I, CHAPITRE II. 49
pulalion de Canton, déjà sourdement agitée, et il ne se-
rait pas prudent d'enlever une partie de la garnison de
cette ville pour la porter iniinédiatenienl sur Cluisan.
D'après le rapport du contre-amiral Protêt, les iiahi-
tants de cette île, population Jiialli(;inx'usc à laquelle les
pirates enlèvent souvent le peu de ressources qu'elle
possède, y verraient avec plaisir le séjour des troupes
alliées dans l'espoir d'en retirer quelques profils. Mais les
renseignements recueillis portent à 2000 hommes la
garnison (400 Tarlares, 1600 milices), la résistance peut
être sérieuse et la prudence est impérieusement com-
mandée au début des opérations.
Le contre-amiral n'a pu accomplir encore la recon-
naissance qu'il devait diriger aussi dans le golfe de Pé-
tclii-li. Le général en chef lui adresse à ce sujet une
lettre détaillée qui précise les principaux points (pi'il im-
porte surtout d'étudier très-exactement dans ce pays
destiné à être avant peu, le théâtre d'opérations militaires
importantes (1).
(1) Quartier-général de Shanghai, le 30 mars 18G0.
Monsieur le contre-amiral ,
a 11 résulte d'un rapport que vous avez adressé à M. le contre-amiral
Page, le 21 mars courant, sur une mission dont il vous avait chargé,
qu'une partie seulement de celte mission a pu êlre accomplit.' : la re-
connaissance de l'île de Chusan , mais que 1 1 reconnaissance que
vous deviez faire au golfe de Pé-tchi-li, n'a pas eu lieu par suite de
circonstances provenant de la politique du gouvernement.
'I. C'est cette partie de vos premières inslruclions , monsieur le contre-
amiral, que cette lettre a pour but de vous faire terminer.
a M. l'amiral commandant les forces de mer anglaises en Chine a Lien
fait faire l'exploration d'une partie de la côte de Corée et du golfe Je
Pé-tchi-li, ainsi que de lacôtedeChang-toung, mais les rapports quo
II 4
50 CAMPAGNE DE CHINE.
Le Forbln doit èlre mis à sa disposition pour celle cx-
ploralioii qui doit comprendre le golfe du Pé-lchi-li et la
côte du Chang-toung. — Le capitaine d'élat-major de
Bouille, aide de camp du commandant en chef, accom-
pagneia le contre-amiral.
Le contre-amiral Page, qui doit être chargé de l'oc-
j'ai vus et que je vous ai communiqués, me paraissent incomplets:
j'ai lieu d'êlre convaincu que voire expérience de ces» sorles de mis-
sions me renseignera de la manière la plus exacte sur un pays qui
doit être sous peu le ihéàlre de nos opérations militaires.
« C'est surtout le point de débarquement au sud du Pei-ho, qu'il
importera essentiellement de déterminer.
a. L'embouchure de la rivière de Chi-kau ho est indiquée comme
pouvant être choisie-, cette embouchure est à environ vingt-cinq milles
des forts, et serait utilisée pour metMe à terre la troupe et les ani-
maux (le Irnn-porl: mais il faudrait chercher un point p us rajiproché
pour communiquer avec le camp que je compte établir devant les
forts. afin que les approvisionnements de ce camp puissent y parvenir
avec sécurité. On dit qu"il existe au sud du Peï-ho une crique à huit
milles seult-ment; il serait nécessaire de la reconnaître et de détermi-
ner si on pourrait facilement en apiirocber pour y mettre les approvi-
sionnements qui devront èlre transportés au camp.
«Quelle est la nature du fond de cette crique? — Existe-l-il un banc
de vase en avant, et quelle serait sa largeur entre le point le plus
près de la côte? — Par quels moyens pourrait-on franchir ce banc
de vase , soit à la marée basse , soit à la marée haute , suivant la soli-
dité qu'il présenterait?
M Plus au sud, y aurait-il un point intermédiaire entre celui-ci et
Chi kau? Et enfin, dans le jjjolfe. y aurait il uu point plus sûr que
Chi-kau-ho, propie à un débarquemenl? Dans le cas de l'affirmative,
quelle serait la dislance de celte rivière?
ail importe aussi desavoir, si les bâtiments peuvent approcher avec
sécurité de la côte, si les vents ou les courants le permettraient; ne
pourrait-on pas tenter de communiquer avec la population de cette
côte, et pressentir <iuelle sorte de relations on pourrait nouer avec
elle ? Quelles ressources on pourrait trouver pour l'armée sur toute cette
côle, et si elle e>t défendue sur quelques points? Enfin, ne négliger
aucun renseignement qui ait rapport à l'opération toujours assez
LIVRE I, CHAPITRE 11. 51
cupation de Chusan, est arrivé de son côlé à Shanghai où
il vient organiser les différents services de la marine pour
la première expédition dans le nord. Le général de
Monlauban lui a conféré le commandement des forées
difficile d'un débarquement d'une armée, et plus difficile encore sur
une côte aussi peu connue.
a II serait indispensable, dans le cours de cette reconnaissance dans
le golfe de Pé-tchi-li, de pouvoir se renseigner exacteniem sur le
nomhre des troupes, cavaliers et fantassins que le gouvernement chi-
nois peut opiioser à notre armée lorsqu'elle débarquera, à quelle natio-
nalité appartiendront ces troupes, et quels sont leur armement et leur
valeur miliiaire ; quels sont également la force et le nombre des dé-
fenseurs des forts du Peï-ho; comment ces forts sont armés: quelles
défenses nouvelles ont été faites du côté de la terre depuis la dernière
attaque- le village de Ta-kou est-il occupé par une force tartare ou
chinoise? Quelle est la dislance exacte jusqu'aux forts les plus voi-
sins? Le village est-il défendu, et quels sont les obstacles créés ?
tt Comment peut-on cheminer du point de déliarquement jusqu'à
Ta-kou? Li route est-elle bonne, ou coupée par l'ennemi? Pourrait-on
trouver du bois dans le pays pour combler les fossés, faire des fas-
cines ou gabionner? Tous ces renseignements seront a>sez difficiles à
se procurer, mais peut-être, à prix d'argent, pourrait-on parvenir à
engager quelques habitants à faire le métier d"espions: dans ce
cas, il faudrait en employer plusieurs, afin de pouvoir reconnaître
l'exactitude de leurs rapports en les contrôlant les uns par les
autres.
«Je ne puis encore, monsieur le contre-amiral, vous fixer d'une ma-
nière précise lépoque à laquelle vous devrez commencer votre mis-
sion: elle dépend de l'achèvement d s travaux entrepris sur l'aviso de
guerre le Forbin, qui sera mis à votre dispo>ition. J'ai cru cependant
devoir vous prévenir d'avance du service que j'attends de votre haute
intelligence, afin que vous puissiez, dès à présent, réunir les éléments
qui vous seront nécessaires pour le succès d'une entreprise à laquelle
j'attache la plus grande importance, et dont je vous trace sommaire-
ment les bases. »
Le général commandant en chef les fores
de terre et de mer en Chine.
Cousin de Montauban.
52 CAMPAGNE DE CHINE.
frai)çaiscs destinées à agir conjointement avec les for-
ces anglaises.
a Vous occuperez (disent ses instructions), dans les mô-
mes conditions que nos alliés et au même titre l'île de Cliu-
san. » — L'amiral anglais se propose d'établirdans cette
île sa hase d'opération. De notre part, cette occupation
n'a point le même but, c'est un acte de présence et non
un point de départ pour nos opérations militaires.
XXXIII. — Les nouvelles continuent à confirmer les
prévisions d'une forte résistance de la part des Chinois
dans les forts de Ta-kou ; leur confiance sans bornes re-
pose sur la grande (juanlité de troupes qu'ils ont réunies
au Peï-ho et portées à un nombre considérable. — Dans
la presqu'île de Hi-hai-men, pays important au nord de
l'einhoucliure du Yang-tse-kiang,les paysans ont détruit
plusieurs étahlissements.chréliens. — Il faut évidemment
se préparer à la guerre et faire tous ses efforts pour la
porter promptcment sur les lieux où les armes alliées onl
éprouvé un échec le 25 juin 1859.
Du reste, le mauvais vouloir des hautes autorités chi-
noises ne tarde i)as à se déclarer ouverlenienl. — La
réponse du cabinet de Pé-king à fullimatum des puis- .
sauces alliées est môme formulée d'une manière plus
nette et plus catégorique qu'on ne pouvait l'attendre des
habiludes évasives ùc la di|)lomalie chinoise. — Toutefois,
par une exception aux usages invariablement établis dans
les communications adressées de Pé-king aux autorités
provinciales, cette note que le vice-roi avait élé chargé
LIVRE I, CHAPITRE II. 53
de communiquer in extenso, n'était point basée sur un
décret impérial (1).
M. de Bourboulon, ministre de France en Chine, après
avoir conféré avec son colIÔAue d'Andeterre sur celle
(1) Ilcponse du caMnel de Pé-king à l'ultimatum du gouvernement
français, adressée sous forme de dépêche par le grand conseil à IIo,
gouverneur général des deux Kiang.
Pé-king, fin mars 1860.
Le grand Conseil a reçu hier la dépêche de Votre Excellence, trans-
mettant une lettre officielle de Bourboulon , envoyé français, qui ayant
été, à ce qu'il dit, empêché par les autorités chinoises (ie se rendre
à la capitale, lorsque, dans l'intention d'échanger les ratifications du
traité, il fut arrivé à l'emhouchure du Peï-ho dans le courant de la
cinquième lune de l'année dernière, demande le remboursement des
frais de la guerre et une indemnité pour l'attaque dont un de ses na-
vires aurait été l'objet. Le grand Conseil trouve que ce n'est pas la
Chine qui s'est montrée déloyale en cette occasion, car ce sont les
Anglais qui , au mépris des ordres que nous avions le droit de leur
donner, vinrent avec une armée à l'entrée du fleuve de Tien-tsin,
pour y détruire les obstacles préparés pour sa défense. Les Français
et les Américains ne se sont pas joints à eux: aussi les autorités du
port se sont-elles empressées d'envoyer auprès d'eux demander des in-
formations , et enjoindre à leurs navires de prendre la route de Peh-
tang pour se rendre à la capitale. Mais comme le navire français
était déjà parti, ce furent les Américains seuls qui vinrent de Peh-
tang échanger leur traité, la raison en était que les Français avaient
négligé de nous notifier officiellement qu'ils étaient arrivés à la suite
des Américains. D'ailleurs, après le départ des Français, Votre Ex-
cellence leur a fait savoir par une dépèche adressée à Shanghai, que
puisqu'ils ne s'étaient pas joints à l'attaque, ils pouvaient échanger
leur traité, pourvu qu'ils en exprimassent le désir et se rendissent, à
l'instar des Américains , à Peh-tang. Les archives en font foi.
Quant au paragraphe concernant le payement des dommages-inté-
rêts pour l'attaque et la destruction d'un navire, ainsi que d'une in-
demnité pour les frais de la guerre, puisque les Français n'ont pas
aidé les Anglais dans leurs hostilités contre les Chinois , comment
aurions-nous pu attaquer ou détruire leurs navires? Et si l'on parle
de dommages et intérêts ou indemnités de guerre, la Chine a dépensé
54 CAMPAGNE DE CHINE.
réponse empreinte comme toujours d'un ton d'arrogance
et de dédaigneuse supériorité, pensa qu'elle devait être
considérée comme un refus formel du gouvernement
chinois d'adhérer aux conditions contenues dans l'ulti-
matum. — Les deux ministres rédigèrent donc collecti-
vement le mémorandum suivant :
MÉMORANDUM.
«Les soussignés, Envoyés extraordinaires, s'étanl com-
muniqué mutuellement les documents émanés du Con-
seil général de l'empire chinois qui leur ont été transmis
ofticiellement par le Commissaire impérial Yice-Roi des
assurément .pendant ces dernières années millions sur millions en vue
de la guerre, et s'il s'a;;issait de remboursements réciproqies, ce qu'on
pourrait réclamer de la Chine n'atteindrait certes pas la moitié de
ce qui lui serait dû à elle.
D'ailleurs la France ayant sollicité l'année dernière avec instance
rassimilation, pour le payement des droit> à 'Jai-ouan et autre port,
de soucomm rce à celui des Américains le grand Empereur, toujours
plein de compassion pour les étrangers, ne les traitant qu'avec une
libérale humanité, et n'ayant que de la so.lic tude pour le commerce,
jia pas voulu tenir compte de ce que 'e traité français n'avait pis été
échangé, et a daigné étendre aux Français les avant ges concédés aux
Américains. N'était-ce pas les traiter avec générosité? Et voici que les
Français, au lieu d'en être reconnaissants, parlent au contraire, d'ex-
cuses, attaques, dommage.^ el intérêts et indemnité de guerre, s'avi-
sant encore dans leurs dépêches d'indiquer le dernier terme des délais
à cet effet , toutes choses assurément ausà extravagantes qu'inouïes et
déraisonnables.
Pour ce qui regarde le paragraphe relatif à la résidence permanente
àPé-king. le Conseil trouve que le traité français n'en dit pas un mot;
car r.irticle 2 stipule seulement : que dans le cas où une autre puis-
sance inscrirait dans son trai é qu'elle enverrait des ambassadeurs ou
envoyés pour ré>ider dans notre capitale, la France pourrait égale-
ment en faire autant. Or, l'Angleterre ayant fait l'année dernière les
LIVRE I, CHAPITRE U. 55
Ueux-Kiang, en réponse aux ultimatum de leurs gouver-
nements respectifs qui ont été notifiés au cabinet de Pé-
king le 9 du mois dernier, sont demeurés d'accord que
ces réponses, par cela même qu'elles ne contenaient rien
rien qui pût être considéré comme une acceptation, con-
stituaient un refus formel des demandes du gouverne-
ment de Sa Majesté l'Empereur des Français et de celui
de Sa Majesté Britannique posées dans lesdits ultimatum,
outre que le ton très-peu satisfaisant dans lequel elles
sont conçues écartait, pour le moment, toute possibilité
d'un arrangement pacifique par la voie des négociations,
c Les soussignés sont convenus, en conséquence, qu'il
ne leur restait, conformément à leurs instructions, qu'à
instances les plus pressantes à ce sujet, il lui fut répondu catégorique-
inent par les commissaires impé iaux Koueî et autres que cela était
impossible, les Français n'ont donc en aucune façon à s'occuper de
cette pffaire.
Reste leur demande d'être autorisés à venir au Nord pour échanger
les ratifications de leur traité.
Et il e>t à dire à cet égard que si les Français veulent se soumettre
à ce que Votre Excellence entre en négociaiion avec eux à Shanghai,
au sujet de ce qui, dans le traité, doit avoir son plein et entier effet,
ils pourront évidemment y être autorisés après que tout aura été con-
venu et quil n'y aura plus d'objection de part ni d'autre, n'amenant
bien entendu, avec eux, aux termes du traité, que peu de monde et
pas de bâtiments de guerre. Dans ce cas, la Chine ne manquera pas
de les traiter convenablement, pourvu encore qu'ils prennent la route
de Peh-tang.
Mais s'ils viennent avec des navires de guerre, et s'ils se présentent
devant Ta-kou , c'est qu'ils n'auront pas l'iniention sincère d'échanger
les ratifications de leur traité, mais seront mus au contraire par de
mauvais sentimt^nts Aussi . pour éviter que cela ne donne lieu à des
sou|içons, à de l'iniraiiié et à d'autres inconvénients semblables, est-
il nécessaire que Votre Excellence fasse pleinement connaître ce qui
précède à l'envoyé de France.
56 CAMPAGNE DK CHINE.
remctirc aux commandants en clicf des forces de terre
et de mer, françaises et anglaises, en Chine, le soin de
concerter les mesures coercitives, qui, suivant la marche
tracée par les instructions des deux gouvernements, leur
paraîtraient les plus à propos pour contraindre le gou-
vernement chinois à observer ses engagements et à don-
ner aux Puissances alliées les réparations que sa conduite
déloyale dans les événements du mois de juin de l'année
dernière a si amplement motivées.
Shangliai, 4 avril 18G0.
a A. DE BOURBOULON.
« F. W. A. Bruce. »
XXXIV. — Il faut ajouter que la pièce diplomatique
émanée du gouvernement chinois avait été adressée sous
forme de dépèche au gouverneur général Ho, au lieu de
l'être directement aux ministres alliés, en réponse à leur
ultimatum; ce fait constituait une preuve nouvelle de
l'arrogance hautaine avec laquelle la cour de Pé-king
prétendait traiter les puissances européennes et leurs
représentants. — M. de Bourboulon écrivit donc, en ou-
tre, au Gouverneur géiiéial des Deux-Kiang pour consta-
ter à ses yeux en termes nets et sévères ce nouveau
manque d'égards, et le prier de porter à la connaissance
du grand Conseil son juste mécontentement.
Voici sa lettre :
Shanghai, 11 avril 1860.
« Le soussigné a l'honneur d'accuser réception au gou-
verneur général des Deux-Kiang de la dépêche que Son
LIVRE I, CHAPITIIE II. 57
Excellence lui a transmise tout récemment, porlant la
date du 5 courant, et lui communiquant la réponse faite
par le cabinet de Pé-king à l'ultimatum du gouvernement
impérial de France. Celte réponse n'étant pas une accep-
tation pure et simple dudit ultimatum, le soussigné re-
grette d'avoir à annoncer au gouverneur des Deux-Kiang
qu'il la considère comme un refus catégorique, de la part
du gouvernement chinois, de toute satisfaction pour une
longue série de griefs dont la France a à lui demander
le redressement, justifiant à l'avance toutes les mesures
que le soussigné, dans la poursuite de celte juste répara-
tion, jugera le mieux appropriées à cet effet. Il y a d'ail-
leurs un fait qui, à part ce refus, suffirait à lui seul pour
rendre uupossible tout arrangement pacifique du diffé-
rend qui nous divise. Ce fait, c'est l'oubli constant de la
part du cabinet de Pé-king des égards et de la courtoisie
dus au liaut représentant de l'un des plus puissants em-
pires du monde. Le soussigné ne saurait admettre, en
effet, qu'en s'adressant au premier ministre de la Chine,
comme il l'a fait pour lui transmettre l'ultimatum de son
gouvernement, il n'en reçoive pas une réponse directe;
c'est un procédé, répété du reste déjà plusieurs fois, qui
ne témoigne que de l'arrogance, et ce ton est inexplica-
ble dans la position respective oij se trouvent la France
et la Chine. Le soussigné s'empresse d'en informer le
gouverneur général des Deux-Kiang elle prie de vouloir
bien porter ce qui précède à la connaissance du cabinet
de Pé-king. »
« A. DE COURBOULON. »
58 CAMPAGNE DK CHINK.
XXXV. — Suivant les instructions de S. E. le ministre
des Affaires étrangères de France{l), notre représentant
fit ensuite savoir par une lettre, en date du 16 avril, au
général de Montauban, commandant en chef les forces
déterre et de mer en Chine, que, par suite de la réponse
négative du cabinet de Pé-king aux demandes adressées
parla France, il ne restait plus qu'à faire appel à l'action
militaire, et qu'il remettait tous ses pouvoirs entre les
mains du commandant en chef.
M. Bruce, ministre d'Angleterre, adressa la même com-
munication à l'amiral Hopc et au général Grant.
« Mon premier soin (écrit le général de Montauban au
Ministre de la guerre, à la même date du 16 avril), a été
de réunir les deux ministres, M. le général en chef Grant
elles contre-amiraux Page et Jones (ce dernier rempla-
çant l'amiral Hope, resté à Hong-kong), [)Our établir,
préalablement aux opérations militaires, certains points
qu'il me semblait nécessaire de fixer.
« Il était important de s'entendre sur le sens des in-
structions données aux commandants supérieurs des
forces britanniques et au ministre, M. Bruce. »
Le premier point de ces instructions était l'application
d'un blocus et la suppression du cabotage, à partir du
Yang-tse-kiang jusqu'au golfe du Pe-tcbili et du Le-ao-
tong.
tt Ces mesures (écrit le général en chef), sans utilité
pour nos opérations militaires, pouvaient jeter dans l'in-
(1) Dépêche du 30 décemLre 1859. à M. de Boiirbouloii.
LIVRE I, CHAPITRE II. 59
téricur du pays plus de cent mille marins chinois sans
travail et, par suite, disposés à troubler partout l'ordre
que nous cherchions à maintenir.
Œ II existait une telle urgence à s'écarter des instruc-
tions du cabinet anglais que, malgré leur précision, nous
avons entraîné l'avis unanime des chefs et du ministre
anglais qui, du reste, avait fait un mémorandum pour
son gouvernement, afin de lui exposer tous les dangers
que pourraient occasionner, pour le commerce européen
et la sécurité des personnes, l'application du blocus et la
suppression du cabotage du Yang-tse-kiang jusqu'aux
golfes du Pe-tchili et du Le-ao-tong.
« Il a donc été arrêté qu'aucune démonstration hos-
tile n'aurait lieu vis-à-vis des populations paisibles, et
que les communications ou manifestes de guerre se-
raient adressées directement au gouvernement chi-
nois. Cette manière d'agir laissera les populations chir
noises dans un état de neutralité complète dans les
opérations que nous dirigerons contre le gouvernement,
tant est grande leur apathie pour tout ce qui ne touche
pas directement leur intérêt personnel ou l'état de leur
famille. »
XXXVI. — Du reste, les intentions du gouvernement
français, dans le cas où la guerre par le rejet de l'ulli-
malum deviendrait de nouveau inévitable avec la Chine,
étiiient nettement définies dans une dépêche du ministre
des Affaires étrangères.
a II est (écrivait le ministre), une dernière démarche
60 CAMPAGNE DE CHINE.
qu'il vous appartiendra de faire lorsque l'ouverture des
hostilités aura été décidée. Cette démarche consistera
dans la publication d'un manifeste que vous adresserez
au peuple chinois, dans le but de l'édifier sur les motifs
qui auront déterminé l'état de guerre.
« Vous rappellerez dans cette pièce que M. le baron
Gros avait signé à Tien-tsin une convention à Inquelle
l'empereur de la Chine avait donné son assentiment et
dont les ratifications devaient s'échanger à Pé-king; que
cependant, lorsque vous vous ôtes présenté amicalement
au i*eï-ho, pour vous diriger dans ce but vers la capi-
tale du Céleste-Empire, vous avez été, contre toute
attente, mis dans l'impossibilité de le fiiire, en même
temps qu'on outrageait le pavillon français; qu'ayant à
la suite d'actes aussi indignes, réclamé les excuses con-
venables et l'exécution par l'empereur de la Chine d'en-
gagements solennels, vos justes demandes n'ont éprouvé
que des refus, comme celles de même nature présentées
au nom de Sa Majesté Britannique.
« Vous ajouterez qu'en conséquence vous êtes chargé
d'obtenir du gouvernement chinois, par la force, et tout
en évitant d'ailleurs, autant que possible, d'interrompre
les relations que le commerce étranger entretient avec
les populations paisibles de la Chine, les réparations que
la conduite du cabinet de iȎ-king nous oblige d'exiger de
lui, l'accomplissement des engagements contractés par
l'Empereur elle payement d'une indemnité qui dédom-
mage le gouvernement fr-inçais des sacrifices de toute
nature fjuelui aura coûté l'expédition. M. ISnice |)ubliera
LIVRE I, CHAPITRE II. 61
un manifeste semblable au nom du gouvernement de
Sa Majesté Britannique.
« La déclaration que contiendra votre manifeste rela-
tivement à notre désir de ne faire porter, autant que pos-
sible, que sur le gouvernement chinois le châtiment
qu'appelle sa conduite, et de continuer à vivre en bonne
intelligence avec les populations elles-mêmes sur les
points de l'empire où elles ne nous donnent pas de
griefs, est en harmonie avec le plan de campagne arrêté
entre les gouvernements aUiés. Les opérations de guerre
projetées ne doivent affecter, en eflét, que les parages
placés au nord du Yang-tse-kiang, et ce ne serait que
si des incidents nouveaux ou des motifs sérieux et légi-
times en amenaient la nécessité, que les commandants
des forces alliées élargiraient le cercle de leurs opéra-
tions. »
XXXYII. — Le général de Monta uban vient de rece-
voir la nouvelle que S. M. l'empereur Napoléon III a
ordonné l'envoi d'un vice-amiral désigné au commande-
ment en cbef des forces navales françaises dans les mers
de la Chine. — Par suite de celte nouvelle décision, le
général de Montauban prendra le titre de Commandant
en chef de V Expédition de Chine.
Cette résolution, inspirée par la posilion de l'amiral
Hope vis-à-vis du général Cirant, munis tous deux de
connnandemcMils nettement délinis, était une néces>ité
créée par le fait même d'une guerre entreprise en coinnnm
avec des alliés, mais elle ne partageait pas le comman-
62 CAMPAGNE UE CHINE.
dément en chef relativement aux opérations à enlie-
prendrepour l'expédition projetée. Les instructions don-
nées à l'amiral étaient claires et précises: il devait
apporter son concours au général de iMonlaiiban toutes
les fois que celui-ci jugerait à propos de le lui demander,
et, si pour des raisons purement navales l'amiral se
croyait dans la nécessité de le refuser, il devait exposer
parécrit au commandant en chef les raisons de son refus.
Aussi celte nouvelle position faite à la marine lui don-
nait un chef direct, immédiat, qui, par l'élévalion de son
grade pouvait traiter d'égal à égal avec sir Hope GranI,
mais n'ôtail rien au commandement en chef de son unité
et n'exposait pas les opérations futures à des lenteurs
et à des entraves, conséquences inévitables des comman-
dements partagés.
Le 19 avril au matin, le vice-amiral Cbarner arrive à
Shangbai et prend possession de son commandement.
Les bâtiments qui portent les troupes et le matériel
étaient arrivés au cap de Bonne-Espérance, à la date du
23 au 25 février, à l'exception de deux transports, le Jura
etCIsère. — Après une relâche d'une moyenne de quinze
jours, ces bâtiments se sont dirigés les uns directement
sur Hong-kong, les autres ont passé par Singapour.
Dans le courant du mois de mai, les arrivages de
troupes seront, selon toute apparence, terminés, et le
général en chef pourra, dès lors, commencer ses pre-
miers mouvements de concentration.
Les forces anglaises se montent à 12 263 hommes, —
sur ce nombre on compte 1298 cavaliers.
LIVRE I, CHAPITRE H. 63
Le corps expéditionnaire français ne compte que
6 790 hommes, comme effectif de troupes.
XXXVIII. — Pour ne pas retarder l'occupation de
Chusan, le général de Montauban s'est décidé à appeler
200 hommes de la garnison de Canton ; le contre-amiral
Page, auquel est confié le commandement de cette pe-
tite expédition, est parti de Woo-sung, port de Shang-
hai, le 19 avril à 9 h. du matin sur le Duchayla. — Le 20,
à 7 heures du matin, il mouillait en rade de Kîng-tang
où il trouvait les canonnières l'Alarme et r Avalanche qui
l'avaient précédé.
Le 20, au soir le Saigon amenait à ce mouillage les deux
compagnies venues de Canton. — Kins-lang est le lieu de
rendez- vous. Le même soir, arrivent les troupes anglaises
au nombre de 1000 hommes environ.
Le contre-amiral Page, le contre-amiral Jones et le géné-
ral anglais décident que l'expédition fera route le lende-
main pour Chusan. La flottille alliée mouillera d'abord
dans le sud des îles Rawan et sommera la ville de se rendre .
— Si elle refuse, l'attaque commencera immédiatement.
Le 21, à 5 heures du matin, les deux amiraux alliés se
mettent en marche : la petite escadre française tient la
tête. Tous les bâtiments défilent devant les forts qui défen-
dent la radedeTching-hai, capitale des îles. Pas un coup
de canon ne part de ces forts; ils sont désarmés. Les bâ-
timents jettent l'ancre et deux embarcations portant les
officiers parlementaires des deux nations abordent à
terre et somment les autorités du pays de livrer l'ile aux
64 CAMPAGNE DE CHINE.
alliés. Celles-ci n'opposent aucune résistance, disant :
qu'elles ne pouvaient défendre l'île contre des forces aussi
considérables de terre et de mer.
La convention donlétaicnt portcursles officiers parle-
mentaires l'ut aussi toi signée et les troupes débarquées sans
relard. — Les Français occupèrent les forts de Tanbill, et
les Anglais l'ancienne caserne anglaise située sur la plage.
Le lieutenant colonel Martin des Pallières, de l'infan-
terie de marine, est chargé du commandement supérieur
des troupes françaises, M. de Méritens, attaché à la léga-
tion de France, est nommé commissaire.
XXXIX. — Dès le lendemain, tout le pays était tran-
quille et les pouvoirs alliés fonctionnaient sans entrave.
Une proclamation, placardée dans tous les carrefours et
sur les places publiques de Ting-hai, avait fait savoir
aux habitants qu'ils pouvaient se livrer en toute sécurité
à leur commerce sous la protection des alliés.
Du reste, le fait suivant qui se passa à l'occasion de notre
installation dans riic de Chusan vint de nouveau donner
la mesure des sentiments de patriotisme dont les popu-
lations chinoises sont animées. — A peine Chusan fut-il
occupé, qu'une députalion envoyée deXing-Po, ville con-
sidérable du continent, exprima aux alliés combien il
était re.urctiabli; iju'ils n'eussent point choisi de préfé-
rence leur ville, dont les ressources de toute nature
étaient bien supciieures à celles de Chusan (1).
(1) Dépèche du général commandant en chef à S. E le Ministre de
la guerre, 26 avril 1860.
LIVRE I, CHAPITRE II. 65
L'administration de l'empire cliinois est si tristement
organisée, le pouvoir est si faible, si corrompu, si dis-
crédité, que les populations paisibles et laborieuses des
provinces craignent à tout instant de se voir livrées à
la merci des bandes de pillards qui répandent partout
impunément le désordre. — Là où sont les Européens,
régnent l'ordre et la tranquillité.
La rade de Chusan est un très-grand lac fermé de tous
côtés par des montagnes et des îles; elle est ainsi abritée
de tous les vents. Placée dans l'embouchure du Yang-
Ise-kiang dans la mer Jaune, elle offre des passes
bonnes et faciles à défendre. — L'île entière se compose
de dix-huit districts — le chiffre de sa population dé-
passe 200 000 habitants.
Sous le double point de vue commercial et politique,
son importance est supériem^e à celle de Hong-kong, et
nul doute que les Anglais ne convoitent ardemment la
possession de celte île où déjà ils s'étaient établis au-
trefois.
XL. — Le partage des établissements destinés à l'oc-
cupation fut fait sur le pied d'égalité complète ; — car il
avait été bien stipulé entre les commandants en chef que
notre infériorité numérique momentanée ne devait, en
aucun cas, entrer en ligne de compte dans la répartition.
Par les soins de l'amiral Page, les troupes campées
en dehors de la ville dans les meilleures conditions dé-
sirables, occupent militairement les forts du nord-est,
elles sont logées dans une immense pagode à mi-côte
II 5
66 CAMPAGNE DE CHINE.
d'une colline parfaitement bois6c cl à proximité cTuiie
source d'eau excellente.
Deux commissaires français et deux commissaires an-
glais sont nommés pour la police de la ville.
« Ces quatre commissaires (écrit-on de Gliusan) , de-
meurent ensemble. C'est un prétoire commun, et toutes
leurs relations avec l'autorité cjiinoise sont également
établies d'accord.
«Ils en réfèrent, pour toutes les décisions impor-
tantes, aux commandants supérieurs. Ces commissai-
res ont sous leur direction la police, pour la sécurité
de la ville ; cette police se compose de 20 hommes de
chaque force alliée commandée par un officier, cha-
que police a son quartier sur lequel elle doit veiller.
L'autorité chinoise a fourni un même nombre d'agents
qui fonctionnent conjointement avec les deux polices
des alliés. — Tout marche très-bien en vertu d'instruc-
tions particulières données à chaque commissaire, en
attendant un règlement définif arrêté par les comman-
dants en chef. •>
XLI. — L'amiral Protêt est de retour de sa reconnais-
sance dans le nord de la Chine. — Contrarié par un vent
très-violent et par une mer mauvaise, il a cependant
exploré les différents mouillage du golfe de Pe-tchili et
recherché les endroits les plus favorables à un débar-
quement.
L'amiral a visité Wti-ha-weï, qui pourrait servir au
besoin de point de débarquement. Son mouillage est
LIVRE I, CHAPITRE II. 67
bon et abriterait 40 bâtiments au moins. — De là il s'est
rendu à Tché-fou.
« Le pays (écrit cet amiral), est parfaitement disposé
pour un campement, fût-il de 2S 000 hommes. Il y a
de l'eau et du bois suffisamment. On y trouve plusieurs
mouillages dont la tenue est excellente. Yis-à-vis la
presqu'île de Tché-fou, dans le sud-quart-sud-ouest, k
quatre ou cinq milles de distance, tout près de la partie
sud de l'isthme, est la ville de Yen-taï, de 50 000 habi-
tants, plus quatre villages assez considérables, deux à
l'est et deux à l'ouest. Cette ville est abritée des vents de
l'ouest par des montagnes assez élevées dont les versants
sont cultivés ; elle est construite dans une plaine sur le
bord de la mer. Le pays est très-riche. »
L'amiral a aussi exploré le mouillage des îles Mia-tao.
Il est bon ; mais ce point, sans ressources et sans in-
fluence, n'offre que l'avantage d'être plus rapproché du
Peï-ho que Tché-fou.
Sur la côte, entre les rivières de Tchi-ho et du Peï-ho,
on pourrait débarquer; mais les troupes auraient à
parcourir, en dehors des embarcations à marée basse,
3500 mètres dont 1000 environ sur la vase molle, pour
arriver jusqu'à la plaine où l'on pourrait camper.
L'amiral, pris par le mauvais temps, n'a pu reconnaître
Tchi-ho. — Il a aperçu seulement à travers la brume les
forts du Peï-ho qui lui ont paru en très-bon état.
Cette exploration sommaire, qui devait être complétée
plus tard dans son ensemble, comprenait les abords de
la côte, depuis le cap Chang-toung qui forme l'extrême
68 CAMPAG.NE DE CHINE,
pointe dans la mer .laiine.— Le contre-amiral avait seu-
lement visité la baie Liu-shun et celle ïa-lien-liouan où
pourraient venir mouiller 100 bâtiments de guerre à l'a-
bri de tous les vents.
XLII. — L'arrivée des troupes commence à s'effec-
tuer.
Deux bâtiments de ti'ansporf, V Enlrèprenan.tc et la Ga-
ronne, ont mouillé le 1" mai dans la rade de Woo-soung.
Le général Jamin, commandant en second de l'expédi-
tion, est sur le premier de ces navires qui amène 1012
lionunes du 101*= régiment. — La Garonne en trans-
porte 713(1).
Le général de Montauban donna aussitôt des ordres
pour que les deux bâtiments ti'ans[)ortas£ent ces troupes
à Tché-fou qu'il avait choisi comme point de rassem-
blement général du corps expéditionnaire. Les ren-
seignements nouveaux apportés par le contre-ami-
ral Protêt sur les conditions favorables de salubrité et de
campement qu'offrirait ce point de débarquement, fai-
saient vivement désirer au commandant en chef d'y en-
voyer sans relard ces troupes fatiguées par les rudes
épreuves d'une longue traversée, pour qu'elles pussent,
avant le commencement des opérations projetées, y
trouver un repos nécessaire.
Mais le 10 mai, au moment où les bâtiments allaient
(1) Pendant la traversée, V Entreprenante avait perdu trois capo-
raux et six soldats ;— la Garonne avait débarqué son effectif au complet.
LIVRE I, CHAPITRE II. 69
prendre la mer, le ministre d'Angleterre, M. Bruce, \int
prier le général en chef français de suspendre ce départ,
afin qu'il s'effectuât collectivement avec celui des An-
glais.
« Les deux drapeaux alliés ont flotté ensemble sur
les forts de Ting-hai (dit M.Bruce au général de Mon-
tauban) ; il est juste que les troupes anglaises marchent
parallèlement aux troupes françaises dans le Nord. »
Le général de Montauban, jaloux de montrer en toute
occasion quel prix il attachait à un accord parfait avec
ses alliés dans les opérations militaires, n'hésista pas à
obtempérer à cette demande. Mais, préoccupé de la si-
tuation insalubre de ses troupes dans la rade de Woo-
song, il écrivit au général Grant pour lui faire part de
ses projets d'installation à Tché-fou et le prier, dans
l'intérêt de la santé des troupes nouvellement arrivées,
de lui faire savoir, par le retour du môme courrier, si
son intention était d'occuper ce point conjointement avec
lui, au lieu de s'étabhr à Ta-lien-houan, ainsi qu'il l'a-
vait précédemment décidé. — Le général français en-
voyait au général anglais une copie des plans et du
rapport de la dernière reconnaissance de Tché-fou.
XLin. — Quelques jours après (16 mai), le lieutenant-
colonel SchmitZjChef d'état-major général, porteur d'une
nouvelle lettre du général en chef français au général
Grant, partait de Woo-sung pour Hong-kong avec le com-
mandant Laffon-Ladebat , chef d'état-major de la ma-
rine ; tous deux avaient mission de voir l'amiral Hope
70 CAMPAGNE DE CHINE.
et le général Grant pour arrêter, d'accord avec les deux
commandants en chef, une date très-prochaine à l'instal-
lation des troupes dans la presqu'île de Tché-fou.
Les deux chefs d'état-major se rendirent d'abord au-
près de l'amiral Hope.
Aussitôt qu'ils lui curent exposé l'objet do leur mis-
sion, l'amiral anglais déclara : qu'il croyait le général
de Monlaubau déjà dans le nord de la Chine avec une
partie de ses troupes ; aussi avait-il appris avec un grand
étonnemcnt, par la lettre adressée an général Grant, que
ce départ avait été retardé. La démarche de M. Bruce
était toute personnelle et n'avait nullement été concertée
avec les commandants en chef anglais. Quant à lui, il ne
voyait aucun inconvénient au mouvement projeté par
les Français sm' Tché-fou , et remerciait très-cordiale-
ment le commandant en chef français du sentiment de
bon accord qui lui avait fait suspendre son départ.
« — J'écris à l'amiral Charner, ajoula-l-il, pour lui
faire savoir que vers le 10 juin la plus grande partie
des troupes anglaises sera installée à Ta-lien-houan. »
En effet, le mouvement des troupes était déjà com-
mencé, et le transport qui se faisait par bâtiments à
voiles devait mettre' (la mousson du S. 0. n'étant pas
encore arrivée), une vingtaine de jours pour se rendre
à destination.
Le général en chef, sir Hope Grant, fut plus exphcite
encore que son collègue de la marine ; il parut très-con-
trarié de cet incident auquel il n'avait pris aucune part,
et du retard apporté ainsi à l'envoi des premières trou-
LIVRE 1, CHAPITRE II. 71
pes françaises à Tché-fou, retard qui pouvait exercer une
influence fâcheuse sur la santé des liommes. Il répéta à
plusieurs reprises : « — J'avais, dans une conversation
particulière, laissé toute latitude au général, à cet égard.»
a Ainsi (écrivait le colonel Schmitz en terminant son
rapport au général en chef), vous pouvez envoyer vos
troupes à Tché-fou quand vous voudrez et dans les con-
ditions que vous jugerez convenables. Pendant que vous
opérerez votre mouvement sur ce point, les Anglais opé-
reront le leur sur Ta-lien-houan et vous occuperez
Tclié-fou seul, de même que les troupes anglaises occu-
peront seules le point choisi.
« Le général Grant part le 30 mai de Hong-kong pour
se rendre à Shanghai et s'entretenir avec vous au sujet
des opérations ultérieures. L'amiral Hope donne le même
rendez-vous à l'amiral Charner. »
XLIV. — Au moment où le colonel Schmilz allait
partir pour rejoindre le général de Montauban, il apprit
que le transport riscre, qui apportait une cargaison con-
sidérable en harnachements de chevaux , souliers et vê-
tements de toute nature, avait échoué, le 17 mai, dans le
port d'Amoy. L'arrivée de ce bâtiment était impatiem-
ment attendue, aussi le chef d'état-major général n'hésita
pas à se diriger immédiatement vers Amoy, pour trans-
porter sur son bâtiment tout ce qui pourrait être sauvé
de la cargaison de riscre.
« Rien n'est plus navrant ( écrit le colonel), que le
spectacle de ce beau bâtiment dont l'arrière est complé-
72 CAMPAGNE DE CHINE.
Icincnl submergé jusqu'à la cheminée de l;i machine.
Comme la mer est haute, toutes les cales sont envahies
par l'eau, et les objets de l'intérieur surnagent au milieu
de débris de toute espèce; le pont est arraclié de toutes
parts, et il faut attendre la basse mer pour pouvoir tra-
vailler jusqu'au fond des cales.
« A quelques encablures de Clsrrc, il existe une île ro-
cheuse sur laquelle on transporte toutes les caisses que
l'on arrache une par une à la mer qui, par sa pression
énorme, en brise une partie.»
Les harnachements de l'artillerie sortis de l'eau et tous
les souliers et guêtres de cuir furent mis à bord du bâ-
timent qui avait amené le chef d'élat-inajor général, et
le colonel repartit aussitôt pour Shanghai.
XLV. — Mais l'Angleterre ne pouvait perdre de vue
ses intérêts commerciaux si considérables dans ces con-
trées lointaines. Malgré tous ses préparatifs de guerre,
■elle conserve l'espoir de renouer des relations pacifi-
• ques qui, tout en donnant à son honneur une juste satis-
faction , assureraient l'avenir de son commerce sérieu-
sement compromis par une guerre véritable. L'Angleterre
espère toujours que le Céleste-Empire sera intimidé,
dès le début, et qu'après un premier succès, la diplo-
matie pourra reprendre son rôle et aplanir les dernières
'Jtf/icultés. — Aussi s'est-clle décidée à envoyer de nou-
veau en Chine lord Elgin, chargé de pleins pouvoirs.
La France dut faire, de son côté, un nouvel appel à
la haute expérience du baron Gros et le charger d'une
LIVRE I, CHAPITRE II. 73
mission semblable avec les mêmes pouvoirs que ceux
accordés au plénipotentiaire anglais.
« Les circonslances dans lesquelles le cabinet de Lon-
dres remettait à un de ses membres le règlement de la
question de Chine (écrivait à ce sujet le ministre des
Affaires étrangères de France) nous obligeaient évidem-
ment de désigner un plénipotentiaire extraordinaire qui
fût en état de traiter avec le gouvernement cbinois sur
un pied d'égalité avec lord Elgin, et le choix du baron
Gros était dès lors tout naturellement indiqué. »
Le général de Montauban fut instruit de cette décision
des gouvernements alliés, au moment où tout se prépa-
rait jjour l'installation de ses troupes à Tché-fou.
Dans l'ignorance des instructions dont Leurs Excel-
lences seraient porteurs, l'action militaire des comman-
dants en chef se trouvait momentanément paralysée,
mais ceux-ci n'en continuèrent pas moins activement à
organiser leur prochaine entrée en campagne. — Il n'é-
tait pas douteux, en effet, que les hauts plénipoten-
tiaires, déjà instruits des manœuvres de la diplomalie
chinoise par les négociations stériles et les événements
de l'année précédente, n'appréciassent la gravité de la
situation, après le rejet insolent de l'ultimatun) par la
cour de Pé-king et ne laissassent un libre cours aux opé-
rations militaires qui pouvaient seules obtenir à la fois
réparation et satisfaction du gouvernement chinois.
XLVI. — Il ne fallait pas se le dissimuler; la diplo-
malie ne pouvait plus honorablement tenter de renouer
74 CAMPAGNE DE CHINE.
les négociations interrompues, en face de ce dédaigneux
aveuglement qui prenait chaque jour des proportions
plus offensantes. Un succès éclatant et incontestable était
nécessaire pour effacer l'échec du Peï-ho; sans cela, le
nouveau traité de paix serait signé sur le sol mouvant
de l'orgueil chinois et violé, môme avant sa ratification
à Pé-king. — Le passé avait apporté avec lui un trop
grave enseignement pour n'être pas pris en sérieuse
considération.
En effet, c'était avant que les deux cabinets de France
et d'Angleterre eussent eu connaissance du rejet de
l'ultimatum que le baron Gros avait été chargé de se
rendre une seconde fois en Chine, en qualité d'ambassa-
deur extraordinaire et de liant commissaire.
Le 21 avril 1860, le ministre des Affaires étrangères,
M. Thouvenel, adressait au baron Gros une dépêche
dans laquelle il lui détaillait les événements importants
qui avaient décidé le gouvernement de l'Empereur à faire
de nouveau appel à sa haute expérience et à son dé-
vouement. — II devait s'entendre et agir de concert
avec lord Elgin, désigné par le gouvernement britanni-
que pour remplir une mission analogue.
« Aucune démarche (écrivait le ministre), n'a été faite
par le gouvernement chinois auprès des ministres de
France et d'Angleterre pour témoigner du regret des
fâcheuses circonstances qui avaient mis obstacle à l'é-
change des ratifications des traités de Tien-tsin, l'empe-
reur Thin - Toung a môme officiellement approuvé
l'attaque dirigée contre les forces alliées à Ta-kou. Quoi-
LIVRE l, CHAPITRE II. 75
qu'il semble résulter de certaines informations que le
gouvernement chinois, ne voyant pas sans inquiétude
l'approche d'hostiUtés nouvelles, serait disposé à exécu-
ter loyalement les traités, il ne l'a cependant manifesté
par aucune communication officielle qui pût être prise
en considération, et il s'occupe de préparatifs de dé-
fense qui n'indiquent guère un vif désir de rechercher
un accommodement pacifique.
«« M. de Bourboulon a dû, conformément aux instruc-
tions qui lui sont parvenues, se concerter avec sir Bruce
pour adresser en commun un ultimatum au gouverne-
ment chinois.
« Je ne saurais préjuger quel aura été sur le cabinet
de Pé-king l'effet de cette démarche décisive , mais en
quelque état que vous trouviez les affaires, l'Empereur
ne doute pas que vous puissiez employer efficacement
vos efforts pour amener un dénoûment satisfaisant des
complications pendantes.
« Yos rapports antérieurs avec les fonctionnaires les
plus élevés du Céleste-Empire, votre connaissance toute
spéciale du traité dont il s'agit aujourd'hui d'assurer la
prompte exécution, vous seront d'une aide puissante
dans les négociations nouvelles que vous aurez à pour-
suivre , et vous permettront sans doute de faire accepter
plus facilement au gouvernement chinois des conseils
de prudence et de modération (1). »
(1) Dépêche de S. E. le ministre des Affaires étrangères à S. E. le
baron Gros, 21 avril 1860.
76 CAMPAGNE DE CHINE.
XLYIl. — A son arrivée en Chine, le baron Gros devait
trouver la réponse dn gouvernement chinois aux espé-
rances oljslinées de conciliation et de bon accord des
ministres de France et d'Angleterre. Instruit lui-même,
par rexpcricnce du passé, sur l'orgueil intraitable et sur
la duplicité de la diplomatie chinoise, il allait acquérir
la triste conviction qu'il n'était plus possible (pour nous
servir des expressions énergiques du général de Mon-
tauban) de traiter avec ce semblant de gouvernement,
autrement que par le canon.
Ainsi, nous l'avons dit, tout se prépare avec activité et
énergie, afm qu'aucun retard ne puisse entraver l'action
militaire des forces alliées, et que la prise des forts de
Ta-kou, qui sans aucun doute tomberont rapidement en
notre pouvoir, poi'te à Pé-king même l'annonce de notre
marche sur la capitale de l'empire.
CHAPITRE III.
XLVIII. — Déjà le général Jamin a installé à Tché-fou
les premières troupes arrivées, et en attendant les nou-
veaux transports annoncés qui doivent amener à Hong-
kong l'effectif aa complet du corps expéditionnaire, il
prépare et organise les établissements des différents
LIVRE I, CHAPITRE III. 77
corps. — Tché-fouest un campement favorable sons tous
les rapports; l'air y est salubre, l'eau bonne et abon-
dante.
D'un autre côté, les efforts de la commission envoyée
au Japon ont enfin, après bien des obstacles et des diffi-
cultés, été couronnés de succès. Elle annonce la pro-
chaine arrivée de 1200 chevaux qui seront affectés au
service de l'artillerie , à celui du train et aux officiers
qui ont droit à être montés. — Le prix moyen des che-
vaux achetés au Japon est de 35 piastres, la traversée
en sus.
Les inquiétudes causées par les mouvements des re-
belles aux environs de Shanghai sont venues aussi
ajouter une complication aux difficultés matérielles de la
situation, difficultés, retards, obstacles contre lesquels
il faut lutter avec les plus persévérants efforts. La pro-
clamafion des alliés adressée à la population de Shang-
hai a déjà porté ses fruits et calmé la terreur qui s'était
emparée d'elle.
Il est curieux d'étudier les phases et la physionomie
de cette étrange position qui érige en auxiliaires du gou-
vernement chinois ceux-là même qui lui ont déclaré la
guerre et luttent depuis plus d'une année contre son ar-
rogance et son orgueilleux aveuglement. — Abandon-
nées par un gouvernement sans force et sans influence
morale, minées par les sanglants désordres de la guerre
civile, c'est vers nous que se tournent avec des prières les
hautes autorités chinoises pour sauver du pillage et du
massacre une de leurs provinces les plus riches et les
78 CAMPAGNE DE CHINE.
plus commerciales. Combien loin il y a de la lettre du
Tao-laï de Shanghai au style habituel des mandarins ! —
La ville et ses environs n'ont rien à redouter, ils seront
protégés par les armes alliées contre toute attaque des
rebelles, aussi bien que les possessions européennes.
Cette position qui fait tourner en partie au profit du
gouvernement chinois les troupes de la France et de
l'Angleterre, au moment où les deux nations s'arment
contre lui pour venger une insulte et la violation d'un
traité, est un fait assez anomal dans l'histoire des guer-
res, pour mériter d'être signalé.
XLIX. — Ainsi le 26 mai, le Tao-taï fait demander une
entrevue au général en chef français, afin de s'entendre
avec lui sur les moyens de défense de la ville. — Comme
nos alliés doivent également concourir à cette défense, le
général de Monlauban fait prévenir le général Grant de
l'entrevue qui lui a été demandée et qu'il n'a pas cru
devoir refuser.
A midi, heure indiquée, le Tao-taï se présente accom-
pagné d'un autre mandarin; il apporte avec lui un plan
de Shanghai et de ses environs, afin d'indiquer quels
seront les points importants à défendre.
« Ces points (écrit le général) combinés par les Chinois
comme nœuds de communicafion entre les rivières et la
route de Shanghai à Sou-tcheou indiquent de certaines
idées militaires. Le Tao-taï Ou a la réputation d'un
homme habile et énergique, ou plutôt comprend et
apprécie mieux les Européens et leur supériorité par suite
LIVRE I, CHAPITRE 111. 79
de ses relations suivies avec eux. Il a la physionomie
intelligente, empreinte même d'un certain cachet de
douceur qui contraste étrangement avec les faits qui
viennent de se passer, quelques heures auparavant. »
Ce mandarin venait en effet de faire trancher douze
têtes, sans procès, sans condamnation , par le fait de sa
seule volonté. — Il avait appris qu'à deux lieues de la
ville, quelques rehelles s'étaient établis dans une pagode ;
aussitôt il les fait cerner, les prend tous et donne ordre
de les décapiter sur l'heure. — En Chine de pareils or-
dres s'exécutent avec la plus ponctuelle et la plus scru-
puleuse exactitude. — La justice, on le voit, y est expé-
dilive. Ces prisonniers étaient, il est vrai, des rebelles en
guerre ouverte avec le gouvernement de l'Empereur.
Il fut convenu dans cette entrevue que des dispositions
seraient prises immédiatement dans l'intérêt de la ville
et des possessions européennes. — Le lieutenant-colonel
Favre, de l'infanterie de marine, fut chargé de l'exé-
cution de ces mesures.
Le général de Montauban voulait d'abord l'installer à
Tsing-poo, mais il y renonça par suite des dispositions
pleines de méfiance des habitants et d'une nouvelle ré-
solution prise par les Anglais de n'occuper qu'un poste
beaucoup en arrière de celui qui avait été précédemment
déterminé; le général en chef français donna donc or-
dre à ses troupes de ne pas dépasser leSi-ka-we; de ce
point elles pouvaient couvrir solidement Shanghai et
protéger l'établissement des frères jésuites dans celte
localité. Une occupation plus avancée ne sera ordonnée,
80 CAMPAGNE DE CHINE.
que si les entreprises ultérieures des rebelles la rendent
nécessaire.
L. — Cependant les nouvelles de l'intérieur prenaient
chaque jour un plus grand caractère de gravité; elles
délenninèrent le Tao-laï de Shanghai à une seconde
déînarchc près des commandants en chef et livrèrent la
population de la ville à une terreur indescriptible.
La ville de Sou-tcheou était, disait-on, tombée au
pouvoir des révoltés; on ajoutait même qu'ils s'étaient
emparés deTia-king, à huit lieues environ de Shanghai,
et qu'ils y mettaient tout à feu et à sang.
« J'envoyai des espions (écrit le général de Montau-
ban, le 8 juin), et voici la véritable position des choses.
a Les rebelles forment (juatre bandes distinctes, sous
les ordres de deux chefs qui s'intitulent les lieutenants
de Taï-sing-bouang, le prétendu Empereur de la dyna"^-
tie des Mings.
« Ces quatre bannières sont noire, rouge, j;mne et
blanche, et chacune d'elles a son rôle à remplir.
« La bannière noire est chargée de tuer.
a La bannière rouge d'incendier.
« La bannière blanche de prendre des vivres pour les
quatre bannières.
« La bannière jaune de s'emparer de l'argent pour
pourvoir à la solde des autres bannières.
<' Cette espèce d'ordre dans le pillage et dans le meur-
tre suppose bien évidemment des chefs, mais on ne croit
LIVKE I, CHAPITRK III. 81
nullement à l'existence d'un empereur des rebelles qui
ne forment plus aujourd'hui qu'une jacquerie. — La
frayeur est telle parmi les Chinois, à la nouvelle de leur
approche, que, malgré toutes les mesures de précaution
que nous avons prises et la connaissance qu'ils ont de
notre supériorité, tous les habilants de Shang-haï ont
émigré pour se retirer de l'autre côté du fleuve ou dans
des jonques, sur lesquelles ils ont entassé leurs effets
les plus précieux. — Je n'ai jamais vu pareil spectacle. —
Le Wam-poo était couvert de sampans ou barques du
pays. Des meubles, des lits et des tables remplissaient
ces barques où s'étaient réfugiées des familles entières.
«En vain des proclamations ont été affichéesdanslaville,
rien n'a pu diminuer cette panique, en sorte que Shang-
haï est aujourd'hui une ville déserte et abandonnée.
« Cependant, sur la demande du Tao-taï, et de con-
cert avec les ministres de France et d'Angleterre, j'ai or-
ganisé un plan de défense accepté par le commandant
militaire anglais.
« Nous avon« occupé trois points dans la campagne de
Shang-haï, distant d'une demi-lieue, qui nous servent de
points avancés, et cette mesure a rassuré les paysans
des différents villages voisins qui alimentent la ville et
les concessions européennes. Ces trois points sont les
nœuds des routes qui aboutissent à la ville dont j'ai fait
occuper des positions par les Anglais et par nous. — J'ai
exigé du Tao-laï qu'il fît approprier aux frais de la ville
toutes les pagodes que nous occupons, au nombre de
trois pour nous et trois pour les Anglais.
II 6
82 CAMPAGNE DE CHINE.
« D'après les dernières nouvelles que j'ai reçues hier,
j'espère que les habitants de Shang-haï reviendront dans
leurs demeures, j'ai été informé que les rebelles, après
avoir prisWoo-si, ville considérable, se sont dirigés sur
Sou-lcheou; dans celle dernière ville, que l'on prélend
contenir deux millions d'habitants, deux partis se sont
formés, l'un pour recevoir les rebelles, l'autie pour se
défendre dans la ville.
« Après une lutte dans laquelle aurait succombé le
parti favorable aux rebelles, un général du nom de Leuk-
Koe-Liang, parent de Koe-Liang qui a défendu Nankm
et qui est mort, se serait mis à la tète des troupes im-
périales qu'il aurait ralliées en les payant de leur arriéré,
au moyen d'une contribution volontaire acceptée par les
habitants.
. « Ce Leuk-Koe-Liang a écrit à l'Empereur qu'il répon-
dait de la ville sur sa tète, s'il voulait lui laisser le com-
mandement dont il s'est emparé. — Tel est l'état actuel
de cette ville, dont les faubourgs ont été brûlés.
<r Du reste les nouvelles sont à ce point contradictoires
que celles du lendemain ne ressemblent souvent pas à
celles de la veille. »
Telle était, d'après les renseignements les plus dignes
de foi, la véritable situation au milieu de cette démorali-
sation générale.
« Je joue un singulier rôle (ajoutait en terminant le
général en chef), appelé que je suis à combattre le gou-
vernement chinois : à chaque instant les autorités chi-
LIVRE I, CHAPITRE III. 83
noises de la province de Shang-haï viennent réclamer
mon appui contre les révoltés. »
LI. — Un missionnaire jésuite de l'importante ville de
Sou-tcheou arriva quelques jours après à Shang-haï. Il était
avéré que la malheureuse ville avait été pillée à la fois
par les rebelles et par les impériaux réunis aux rebelles.
— Toute la province depuis l'embouchure du Yang-lse-
kiang est en leur pouvoir, à l'exception d'une ou deux
villes. Il règne le plus affreux désordre dans ce pays
livré à l'anarchie la plus complète.
Ces bandes deviennent chaque jour plus audacieuses,
600 hommes des troupes alliées et 4 pièces d'artillerie
occupent le gros village de Shan-hoo, à deux lieues
de Shang-haï, à la jonction des routes de Shang-haï et de
Woo-sung.
Le vice-roi Ho et le chef de la justice de la province
sont arrivés Shang-haï, où ils viennent chercher un re-
fuge. — Ces deux hauts personnages font demander au
général en chef français une entrevue, mais celui-ci la
refuse nettement.
« — Si c'est une visite de courtoisie, leur fait-il répon-
dre, notre position réciproque ne nous permet pas d'en-
tamer de semblables relations; s'il s'agit des affaires po-
litiques ou de négociations à entamer, S. M. l'Empereur
des Français envoie ici un ambassadeur porteur de ses
volontés. C'est avec ce plénipotentiaire que les hauts
mandarins chinois auront à traiter. »
« On ne peut (écrivait le général en chef à cette épc-
84 CAMPAGNE DE CHINE.
que), se faire une idée exacte de la disjonction de toutes
les pièces qui constituent le gouvernement chinois. Il
faut être sur les lieux mômes pour croire à une sem])lable
décomposition. »
Le moment est en tout point favorable pour frapper
un coup décisif et amener enfin à merci la cour de Pé-king,
si ignorante à coup sûr de la réalité des désordres san-
glants qui déchirent en lambeaux l'Empire fatalement
ébranlé dans sa base.
LU, — Les préparatifs de l'expédition dans le Nord se
continuent avec activité, les bâtiments arrivent. — Les
liommes et le matériel débarquent. Bientôt le général
en chef aura entièrement sous sa main tous ses moyens
d'action, et sera prêt à entrer en campagne.
Malheureusement un triste événement vint encore
susciter de nouveaux embarras. — La Reine des clippers
transport français, échoua aux abords de Macao, près du
point oîi s'était perdu, peu auparavant, un bàliment de
S. M. Britannique, /('/?o/f/^/(. — Les retards et les pertes que
causait cet échouage étaient très-pénibles, car ce trans-
port amenait des troupes d'artillerie et du génie avec un
matériel considérable, plus une grande quantité d'objets
de campement, d'hôpital, et d'habillement, très-néces-
saires à l'expédition projetée.
Ce beau navire était mouillé le 29 mai, près des îles
Ladrones, retenu par les vents contraires, quand, tout à
coup, le 3 juin, vers deux heures de l'après-midi, le feu
.se déclara dans la cambuse de distribution, par suite de
LIVRE I, CHAPITRE III. 85
l'explosion du charnier à cau-dc-vic. Le cambusicr était
imprudemment entré avec une bougie allumée , au lieu
de se servir de sa lanterne, ce qui occasionna l'explosion.
Après plusieurs heures d'inutiles travaux pour se rendre
maître du feu, le capitaine de la Reine des Clippers quitta
le mouillage desLadrones, et parvint à échouer le navire
à la pointe de l'île, près Macao. — Il était alors six heures
du soir.
Le sauvetage des hommes commença vers neuf heures ;
à dix heures et demie tout le monde était à terre , moins
25 hommes que le capitaine d'artillerie Dispot avait gardés
avec lui pour arroser continuellement les voiles qui ser-
vaient au calfeutrage de toutes les issues. — Le feu n'était
point éteint. — Le capitaine Dispot descendit à terre , à
minuit, sur les instances du capitaine du bâtiment, qui
fit embarquer sous ses yeux tous ses marins, voulant
être le dernier à quitter son navire. Cette perte était
dans les circonstances présentes doublement regrettable ;
elle retardait forcément un arrivage impatiemment
attendu, et privait le corps expéditionnaire d'un de ses
transports les plus considérables.
LIIL — Le 14 juin, le général deMontauban expédie à
Tche-fou un premier convoi de 114 chevaux venus du
Japon. — Dès que les grands transports qui ont, de leur
côté, amené des troupes, seront redevenus disponibles,
ils reprendront la même route avec chacun 250 chevaux
au moins.
C'est un total de 700 chevaux environ qui seront dé-
86 CAMPAGNE DE CHINE,
barques à Tche-fou, vers le 27 juillet. Le général en chef
compte, le 2 juillet, quitter de sa personne Shang-haï
avec son état-jnajor; le commandement supérieur de
cette ville sera confié au colonel Favre, officier aussi
énergique qu'intelligent.
Le général doit se concerter une dernière fois avec ses
alliés sur le plan définitif d'attaque des forts du Peï lio;
les Anglais voudraient que ce fût par Peh-tang; mais
ils semblent se ranger à l'avis du général de Montauban
et se décider à attaquer par Ta-kou. Il paraît que le chef
tarlare San-Ko-li-Tsin a augmenté les défenses de plu-
sieurs côtés, et créé, dit-on, des obstacles nouveaux par
l'inondation.
Le 16 juin, une première conférence a lieu entre le
commandant en chef du corps expéditionnaire français,
l'amiral Cliai-ner, l'amiral Hope et le général Gi'ant.
Le 18, dans la soirée, les quatre commandants en chef
se réunissent chez le général de Montauban en conseil
cle guerre. Les dispositions définitives doivent y être
arrêtées. — Les avis étaient partagés sur le plan d'atta-
que concernant les forts du Pei ho.
Le général de Montauban , s'appuyant sur les documents
énmnés des explorations faites à diverses reprises et prin-
cipalement sur celle du commandant anglais Bylhsea,
proposait que l'on débarquât à la fois dans le nord et
dans le sud du Peï-ho, pour occuper les forts de la rive
gauche par Peh-tang, pendant qu'on attaquerait d'un
autre côté les forts de la rive droite par Sin-ko. D'après
les informations recueillies et le rapport du contre-
LIVRE I, CHAPITRE III. 87
amiral Protêt, on pourrait débarquer à Sin-ko, à sept
ou huit lieues environ du dernier fort de la rive droite.
— On savait même par des documents envoyés par
Mgr Mouly, évêque du Pe-lclii-li, que le principal fort
n'était pas défendu à la gorge, et que l'accumulation
des défenses était tournée du côté de la mer, les Chinois
étant convaincus qu'on opérerait le débarquement après
avoir forcé l'entrée du Peï ho.
Le général Grant et l'amiral Hope demandaient que
l'on débarquât seulement dans le nord, objectant qu'il
n'y avait point au sud du Peï ho de lieu de débarque-
ment offrant des conditions aussi favorables sous tous
les rapports que dans la rivière de Peh-tang; il crai-
gnait surtout la difficulté des communications.
LIV. — Cependant, l'amiral Hope reconnaissait lui-
même la justesse des appréciations émises par le général
en chef français, car plusieurs mois avant celte réunion
(20 sept. 1859), il écrivait dans un rapport au secrétaire
de l'amirauté : « La seule objection au débarquement
sur le côté nord de la rivière du Peï ho, c'est que le
principal fort est sur le côté sud ; par conséquent, dans
le cas de débarquement au sud, la réduction du fort le
plus considérable entraînerait probablement celle du
fort plus faible de l'autre côté, avec peu ou point de
résistance, tandis que le résultat est tout contraire dans
l'hypothèse inverse. »
La discussion dura près de quatre heures, et le gé-
néral français fut assez heureux pour faire prévaloir
88 CAMPAGNE DE CHINE.
le plan qu'il avait proposé depuis longlcmps cl dont il
exposa les motifs avec précision. — Les chefs auxquels
étaient confiées les destinées de cette grave cxiiédilion
et riiuiuieur des armes alliées, donnèrent, dès le début,
à celle discussion ce caractère élevé qui la grandit en
mellant de côté toutes les petites questions de vain
amour-propre et de fausse personnalité.
Le conseil de guerre arrêta trois points relalifs à la
direction des premières opérations :
1° Le commandant en chef français débarquera avec
les forces françaises dans les environs de Sin-ko, et sir
Ilope Grant, avec les forces anglaises, opérera de son
côté un débarquement sur la rive gauche de Pch-tang.
— Ces deux points indiqués pouvaient toutefois èlie
modifiés, si des reconnaissances postérieures faites par
la marine en démontraient la nécessité ;
2° Le débarquement aura lieu le 15 juillet, ou à une
date postérieure aussi rapi)rochée que possible, m;us ([ui
ne devra pas dépasser le 21 juillet ;
3° Dix jours avant l'époque définitivement fixée, les
commandants en chef se concerteront pour assigner
un rendez-vous aux flottes alliées, aliii «luo les deux dra-
peaux paraissent sinuiltanémcnl de\ant les forts du
Pei-ho.
LY. — a Lue quatrième question a été disculée (dit !e
procès-verbal de la séance du 18 juin), relative à la
présence dans les eaux de Shang-hai d'un assez g-rand
nombre de jonques étrangères à la localité et armées
LIVRE I, CHAPITRE Jll. 89
en guerre. Ces jonques inquiélanl beaucoup la popula-
tion, 11 a é[è convenu, sur la demande du Tao-taï
lui-même, que l'on prendrait des mesures pour empê-
cher ces jonques de porter le trouble dans les conces-
sions européennes et parmi la population de la ville et
des faubourgs (1). »
Celte décision était très-importante, car la présence
de ces jonques montées par des gens à très-juste titre
suspects, inspirait une grande terreur à la population
et devait laisser supposer des projets cachés contre
Shang-haï. Le général de Montauban insista très-vive-
ment pour que l'expulsion de ces jonques eût lieu sans
retard, et, en effet, la décision du conseil reçut, dès
le lendemain malin, son exécution. — Cette mesure
salutaire était un acte capital d'autorité et purgeait la
rivière de ce ramassis de bâtiments qui précédaient
toujours l'arrivée des rebelles dans chaque ville désignée
par ces misérables pour être pillée et mise à feu et à
sang.
Le 2 juillet, à sept heures du matin, le général de
(1) Extrait du procès-verbal du 18 juin 1860.
« A cet effet, il a été arrêté qu'une commission composée du consul
de chaque nation ou d'un agent consulaire , d'un officier de la marine
anglaise, d'un officier de la mai'ine française, désignés par MM. les
amiraux et de deux mandarins choisis par le Tao-taï, serait chargée
de l'exploration des jonques placées dans les eaux de Shang-haï, dé-
signerait celles qui doivent être désarmées immédiatement et expul-
sées, ainsi que celles qui sur la demande des autorités chinoises ne
seraient pas désarmées , mais également chassées avec défense , sous
peine de confiscation, de reparaître dans ces mêmes eaux.
a Fait à Shang-haï, 18 juin 18C0. »
90 CAMPAGNE Dl- CHINE.
Montauban (juiltait Shang-haï à bord du l-'nrbin, pour se
rendre à Tclie-fou. Le commandant en cbcf emmenait
avec lui un de ses aides de camp, le conniiandant Des-
diienls el le capitaine de Monlauban, ainsi que le sous-
lieutenant de Clauzade, ses officiers d'ordonnance.
Le cbef d'état-major général ne devait partir que trois
jours plus tard, pour surveiller l'exécution des diverses
dispositions ordonnées par le général en cbef, avant
son départ.
LVL — Ce que nous appelons Tcbe-fou n'est que
l'istbme sur lequel s'est établi notre camp, au fond de
la baie que ferme un groupe d'îlots. A Irès-pelite dis-
tance se trouve un village, ou plutôt une petite ville, qui
s'appelle Yen-tai ; elle est peu importante, car elle ne
compte que dix à douze mille babitants. — Tout près,
on aperçoit une autre petite ville du nom de Ki-Leu-
Loo, entourée d'une muraille en terre avec des portes
en pierres de taille. A l'arrivée des Français, la popula-
tion de ces localités s'était enfuie avec terreur; mais
bientôt elle revint peu à peu babiter ses foyers déserts,
enbardic par nos proclamations pacifiques, et surtout
par quelques exemples sévères sur des pillards chinois
qui avaient profité du désordre de cette fuite précipitée
pour saccager les maisons abondonnées.
Du reste, toutes nos relations sont surtout avec la
ville de Yen-tai, et, par l'intermédiaire de ses habitants,
avec les autres villages de l'intérieur, jusqu'à la ville de
Teng-tcheou, chef-lieu de la pro\ince du Chang-toug.
LIVRE I, CHAPITRE JII. 91
— La confiance la pins absolue a succédé à la terreur
et à la méfiance qui nous avaient accueillis.
A son arrivée, le général trouva à Yen-taï un marché
régulièrement établi. Chaque jour, de cinq heures du
matin à quatre heures du soir, des marchands de toute
sorte affluent sur la place affectée à ce marché, qui
est très-abondamment pourvu. Les Chinois s'entendent
fort bien avec nos soldats, quoiqu'ils parlent une langue
différente de la leur. Tous les marchés se font par signes,
et c'est une chose curieuse de voir les marchands chi-
nois débattre le prix de leurs marchandises avec cette
rapacité qui appartient en propre à ces sortes de mar-
chés sur place. — Il serait vraiment inutile qu'ils se
comprissent, peut-être s'entendraient -ils beaucoup
moins.
Les ressources que fournit le pays sont très-abon-
dantes, et le Chinois, fort industrieux de sa nature, s'in-
génie chaque jour pour varier sa machandise et surexci-
ter le goût des acheteurs.
LYIL — En outre de cette facilité pour les ressources
alimentaires qui entretenait le soldat dans un excellent
état de santé, le pays pouvait fournir bon nombre de mu-
lets d'une belle espèce, très-aptes à être employés au ser-
vice des batteries de montagne. — Le prix moyen de ces
mulets peut être évalué à 40 piastres, 230 francs environ.
Les chevaux dont la commission avait fait acquisition
dans le Japon parurent dans le commencement devoir
offrir de grandes difficultés pour le dressage ; ils étaient
92 CAMPAGNE DE CHINE.
sauvages, et celle sauvagerie était quelquefois poussée
jusqu'à la férocité; mais bientôt ils s'habituèrent aux
hommes qui les soignaient; semblables en cela aux
chevaux d'Afrique, ils s'assouplirent très- facilement, et
attelés aux pièces d'artillerie, ils se prêtèrent sans résis-
tance aucune à toutes les manœuvres. — Cet heureux ré-
sultat, si vite obtenu, fait le plus grand honneur au co-
lonel de Benlzmann, commandant en chef de l'artillerie,
qui ne cessa, au milieu des dinicultés sans nombre qu'il
rencontrait, de déployer les plus énergiques et les plus
persévérants elTorts.
LVIII. — Le général Grant eût désiré opérer un débar-
quement immédiat à Peh-tang, avant la réunion des deux
flottes aux mouillages désignés dans le conseil de guerre
tenu le 18 juin entre les commandants en chef. — Mais
le Peh-tang est situé à deux lieues et demie du Peï ho, et
l'occupation prématurée de ce point par les forces anglai-
ses, constituait un véritable commencement d'hostilités.
Ce Riit isolé, accompli avant l'époque fixée, n'avait
aucune influence heureuse sur l'avenir des actions de
guerre projetées ; elle en .détruisait au contraire l'en-
semble, puisque les Anglais devaient débarquer à Peh-
tang, pendant que les Français opéreraient leur débai-
quement dans le sud des forts du Peï ho. — Il n'y avait
donc aucune raison pour que le général de .Montauban,
dont le corps expéditionnaire était déjà d'un effectif res-
treint, l'affaiblît en acceptant l'offre de général Grant
d'adjoindre aux troupes biùtanniques une petite force
LIVRE I, CHAPITRE IH. 93
française, unif|uement pour satisfaire aux instructions
très-précises données aux commandants en chef.
Ces instructions, en effet, disaient : <t qu'il ne pouvait
être question en aucun cas d'une arrivée séparée dans
les eaux du Peï-ho de l'un ou de l'autre pavillon des
deux puissances alliées. » Quelque regret qu'éprouvât le
général de Montauban de ne point accéder au désir de
son collègue, il ne put que s'en référer à ces instruc-
tions réciproques et au plan général arrêté et approuvé
en conseil de guerre ; mais jaloux d'entretenir toujours
d'excellentes relations avec ses alliés, 11 chargea le colo-
nel Folley , placé auprès de lui , comme commissaire
du gouvernement anglais, de porter sa réponse au gé-
néral Granî, et d'y ajouter des explications verbales.
LIX. — Le général Grant vint avec son étal- major au
quartier général français le 10 juillet. Lord Elgin l'ac-
compagnait. Sans doute, le général en chef et l'ambas-
sadeur anglais, en même temps qu'ils rendaient une vi-
site de courtoisie au général de Montauban, désiraient
voir par eux-mêmes où en étaient les préparatifs du
corps expéditionnaire français.
Le général ne larda pas à tomber d'accord avec son
collègue sur l'inutililé de l'occupation d'un point plus
rapproché du Pcï-ho, avant l'époque déterminée pour le
commencement des hostilités.
Invité par le général de Montauban à passer en revue le
corps expéditionnaire français, il put se convaincre par
lui-même que nous étions en mesure d'agir, et que le re-
94 CAMPAGNE DE CHINE.
fus d'adhérer à sa demande n'était nullement motivé par
le retard apporté à nos préparatifs de guerre. — Notre
artillerie attelée de chevaux japonais attira surtout son at-
tention par la précision et la netteté de ses manœuvres.
Les musiques des régiments saluaient le passage du
commandant en chef anglais, et du haut plénipotentiaire,
en jouant l'air national, God suve the Queen.
Avant de quitter le camp, le général Grant fit promet-
tre au général de Montauhan de venir le visiter, voulant
aussi, disait-il, lui montrer les troupes de S. M. britan-
nique sous les armes et prêtes à entrer en campagne.
LX. — Dans cette même journée, il fut arrêté d'un
commun accord que, le 20 juillet, le général de Mon-
taubaii écrirait à son collègue d'Angleterre pour déter-
miner le jour précis auquel la flotte française et tous les
transports pourraient être réunis au golfe du Pe-tclii-li,
dans les positions respectives précédemment arrêtées.
11 ne restait plus à décider que le pomt de débarque-
ment au sud des forts de Ta-kou. — L'amiral Charner
pensait que le meilleur endroit serait sur un banc de
vase dure à huit milles au-dessous des forts.
Une dernière reconnaissance fut chargée d'indiquer
avec netteté le lieu le plus favorable et quels obstacles
seraient à surmonter au moment du débarquement. —
Le rapport de l'amiral Protêt, qui avait servi de base
aux résolutions arrêtées dans le conseil du 18 juin, ser-
vait également de point de départ à cette nouvelle ex-
ploration.
LIVRE I, CHAPITRE III. 95
LXI. — Deux bâtiments, le Saigon et l'Alon-Prah, re-
çurent l'ordre de se tenir prêts à appareiller dans la
nuit du 11 au 12. — M. Bourgois, capitaine de vaisseau du
Dupcrré, et le lieutenant-colonel Schmitz, étaient chargés
de diriger cette dernière et importante opération. Le
lieutenant-colonel Dupin, le capitaine de frégate Du Quilio,
le capitaine Forster et l'enseigne de vaisseau Vermot,
furent désignés pour les accompagner. Mais une brume
très-intense retarda jusqu'au 12, à cinq heures du ma-
lin, le départ des deux navires.
Le résultat de cette reconnaissance changea complète-
ment le plan précédemment arrêté, par lequel le corps
expéditionnaire français débarquait au sud des forts du
Peï ho. Car la conclusion du rapport signé par les oflî-
ciers explorateurs en déclarait l'impossibilité de la façon
la plus absolue.
« Un débarquement vers la partie sud du Peï-ho
(disait ce rapport), avec obligation pour la marine d'ap-
provisionner le corps expéditionnaire, nous paraît radi-
calement impraticable : la discussion ne peut même pas
en être établie. »
Cet incident imprévu retardait forcément le départ,
et rendait indispensable une nouvelle réunion entre les
commandants en chef. — Nous croyons intéressant d'en-
trer dans les détails de cette reconnaissance, qui boule-
versa, au moment de leur mise à exécution, les projets
des généraux en chef.
LXIL — Ce fut le 14 juillet au matin seulement, que
96 CAMPAGNE DE CHINE.
les navires explorateurs, après avoir tenté une petite
pointe dans le voisinage de Si-kou, vinrent mouiller
par 36" 40" de latitude, 118" 15" de longitude, sur un
point également éloigné de tous les points de la côte
ouest du golfe de Pe-tchili (20 milles environ). — On
se prépara à exécuter la nuit suivante l'opération pro-
jetée; elle devait employer trois embarcations du Saigon'
et la baleinière de VAlon-Prah , montées par trente
hommes, dont seize devaient descendre à terre, tandis
que les autres resteraient en réserve à la garde des em-
barcations.
« La baleinière de VAIon-Prah (dit le rapport) était
montée par le commandant Bourgois et le lieutenant-
colonel Sdimilz, chef d'état-major général, un canot du
5fl/i;o?? par le capitaine de frégate Du QuiIio,aide de camp
du vicc-amii'al Cliarner et par le lieutonant-coloncl
Dupin, une embarcation de ce mcnie navire par le ca-
pitaine d'élat-major Forster et l'enseigne de vaisseau
A^ermot; entin un canot du Saigon, monté par un offi-
cier de ce bâtiment, devait rester mouMlé au large pour
veiller à la sûreté de la retraite, sans courir jamais le
risque d'échouer.
<rA sept heures du soir, les deuxnaviresappareillèrent
et vinrent mouiller, à dix heures et demie, à 7 milles du
point où l'expédition devait débarquer. Les canots vin-
rent s'amarrer à l'jinière de VAIon-Prah, qui bientôt se
mit en marche avec lenteur et se dirigea à l'O. N. 0.,
pour mouiller aussi près de terre que possible, en se ré-
glant sur les résultats de la sonde. — Vers une heure du
LIVRE I, CHAPITRE III. 97
matin, on trouvait quatorze pieds d'eau, — on était à
mi-jusant. — Les embarcations poussèrent. La nuit était
claire, la mer très-calme.
a En quittant VAlon-Prah, les embarcations mar-
chaient de front : celle du commandant et du chef d'état-
major général au milieu, les deux autres à distance de
voix, la 4'" dite de réserve en arrière du centre, à
100 mètres.
« Après une demi-heure de marche dans cet ordre,
les profondeurs, qui diminuaient déjà précédemment
d'une manière continue, devinrent sensibles à la gaffe,
quelques minutes après à l'aviron.
« Ce fut alors que l'on put avoir la certitude que sur
tout ce nouveau parcours, par des fonds de 3 pieds, le
sol était dur comme de la pierre; quelques coups d'aviron
encore, et nous espérions trouver la terre. — Mais la
mer descendait, nous fûmes obligés de nous arrêter à
la profondeur de 2 pieds , et quittant nos embarca-
tions, nous sautâmes dans l'eau, marchant en bataille;
les ofticiers en tète, une petite réserve était réunie à
l'arrière.
a Le sol couvert par l'eau était ferme, résistant, il eût
pu su[)porter le roulement des plus gros fardeaux ; la
terre elle-même cependant ne se présentait pas. Après
20 minutes de marche dans ces conditions, le sol cou-
vert de grandes nappes d'eau à fleur de terre, devint
mou, glissant, collant, glaiseux, et nous avons continué
au milieu de ces immenses lacs, sans pouvoir rencontrer
la fin de ces flaques dormantes. — Pensant que nous
II 7
98 CAMPAGNE DE CHINE.
avions fait fausse route depuis notre sortie des canots,
nous revînmes aux embarcations pour nous diriger
dans le Sud-Ouest.
LXIII. — « Il était trois heures du matin, la lumière pâle
delà lune glissait sur l'eau, et nous n'apercevions au-
cune trace de terre réelle. —Tout à coup nous crûmes
la toucher, nous entendîmes des cris de Chinois et les
matelots s'élancèrent à leur poursuite; le commandant
Bourgois se mit à la tète de ces hommes, en entrant
dans l'eau avec eux.
aLaterreétait encore un leurre.L'ombrequise projetait
était celle d'un vaste réseau de filets perpendiculaires,
au niveau de l'eau et formant un immense barrage. Le
chef d'état-major général resta à cette hmite et rallia
la réserve.
Œ Le commandant Bourgois continua la marche, tou-
jours dans l'eau, au milieu des terres vaseuses. — Le
jour commençait à poindre, nous pûmes alors recon-
naître que cette côte est garnie de pêcheries d'un péri-
mètre extrêmement grand.
e Dans la direction de la marche du commandant,
à 4000 mètres de l'endroit, où les canots étaient échoués,
s'élevait une sorte de plateau, comme une grande
pièce de fortification noyée au milieu de ces lacs sans
fin.
« Le commandant Bourgois reconnut avec le colonel
Dii[)in que c'était un village, élevé sur des amas de vases
et préservé de l'inondation par une différence de niveau,
LIVRE I, CHAPITRE III. 99
d'environ 20 mètres. Le terrain, pour y arriver, était en-
core plus mauvais que celui reconnu précédemment.
Des vases molles de 2 à 3 pieds de profondeur, recou-
vrant probablement un fond de sable, comme celui des
abords de la plage, défendent les abords de ce village.
«Plus loin on joignait la limite des marées ordinaires
et l'on trouvait des vases durcies, dont la croûte exté-
rieure, très-glissante, rendait la marche des piétons ex-
trêmement difficile; on arrivait ainsi à portée de fusil
d'une éminence en forme de port, percée même d'embra-
sures, et dominée par un mât de pavillon, qui, au dire
des Chinois interrogés, renferme la population de pê-
cheurs qui travaillent sur ce rivage; ils ont formé en
écartant la vase une petite allée, à contre-bas, sorte de
rigole, où un homme peut à peine passer de front; elle
est remplie d'eau, même à basse mer.
« Le jour s'étant levé, la prudence commandait de ne
pas pousser plus loin une reconnaissance qui avait
mené déjà à près de 4000 mètres des embarcations.
Des coups de canons se faisaient entendre dans la direc-
tion du Peï ho.
« La reconnaissance revint dans la direction de la
plage.
LXIV. — « A sept heures un quart du matin, on re-
montait dans les embarcations ; une demi-heure après
on était à bord de VAlon-Prah, mouillé à environ
2000 mètres, par un fond égal à son tirant d'eau (la mer
étant arrivée au plus bas).
100 campagm: de chine.
« On monta dans la mâture pour examiner l'horizon:
nous avions devant nous le dévcloppemenl de la côte,
depuis les forts de Peï ho, jusqu'à une distance d'environ
15 milles, dans le S. 0. de ces forts.
« On apercevait sur la ligne de terres peu élevées qui
bordaient l'horizon et la côte, cinq villages exactement
conformes à celui rcconim. — Entre ces villages et la
mer s'étendait une bande de terres à demi noyées, où
des pécheurs avaient tendu leurs filets et qui paraissaient
semblables en tout à celles parcourues le malin avec tant
de peine.
« En général, on peut dire que le fond de ce terrain
est bien du sable, connue l'indique la carte anglaise du
major Fisher, mais qu'il est recouvert par une couche
de vase très-légère, à la b;iisse de basse mer, et dont la
|iro(bndeur, au contraire, est voisine d'un mètre près de
la baisse de haute mer.
« L'étendue en largeur de cette zone vaseuse, qui dé-
fend les abords de la côte, ne doit pas être évaluée à moins
de 3000 mètres sur tous les points qu'on embrassait du
regard, du haut de la mâture de VAIon-Prah.
« Nous rejoignîmes le Saigon mouillé par 23 pieds
d'eau à près d'une heure et demie de marche de canot de
VAlon-Prah; deux heures après, VAlon-Prah repartit avec
l'étal-major de l'expédition, dans le but d'examiner de
près, à la haute mer, la zone de côtes qu'on avait pour
mission d'étudier.
« Le Saigon devait suivre, en se tenant au large, prêt
à porter au besoin assistance à VAlon-Prah.
LIVRE I, CHAPITRE III. 101
Le rapport des explorateurs se terminait ainsi :
« Si le débarquement doit s'opérer dans le sud du
Peï ho, le lieu le plus favorable est le premier village à
6 milles dans le sud de la rive droite ; mais le grand
éloignement des navires obligés de se tenir à 6 milles en
mer, les distances à parcourir dans les terrains submer-
gés, rendent cette opération impraticable d'une manière
continue.
a Dans ces conditions, un débarquement vers la par-
lie sud du Peï iio, avec obligation pour la marine d'ap-
provisionner le corps expéditionnaire, nous paraît radi-
calement impra!icable ; la discussion ne peut même pas
en être établie.
« Nous considérons cependant que si on attaque les
forts du Peï ho par la rive gauche et par la mer, on pour-
rait envoyer au moment décisif 1500 hommes d'élite,
débarquer au village le plus au nord avec une batterie
de montagne à dos de mulet, et que ces hommes pour-
raient peut-être, par un coup de main, prendre les forts
à revers, en s'emparant du village de Ta-kou ; mais ce
ne peut être là qu'une expédition de deux ou trois jours,
tentée avec des hommes sans sacs et sans établissement
qui nécessite de gros ravitaillements. »
LXy. — On voit à quel point les officiers chargés de
cette importante exploration se prononcèrent nettement
dans le sens d'une impossibilité absolue.
Le 19 juillet, il y eut donc une nouvelle conférence
entre les amii-aux et les généraux en chef, nialheureu-
102 CAMPAGNE DE CHINE.
sèment les Anglais qui, d'après la convention arrêtée au
conseil, devaient faire reconnaître la partie nord du
golfe, pendant que les Français feraient reconnaître
la partie sud, n'avaient dirigé aucune nouvelle explora-
tion de ce côté (1).
Cependant le temps était précieux, et de plus longs re-
tards pouvaient devenir très-préjudiciables; on résolut
de s'en tenir aux anciens rapports du commandant du
génie anglais Fischer et du capitaine Bythsea, ces rap-
ports déclaraient un débarquement facilement praticable
par une bande de sable, à l'entrée de la rive gauche du
Pehtang ho ; il fut donc convenu que la réunion des deux
flottes aurait lieu, pour dernier délai, le 28 à un excel-
lent mouillage en dedans des bancs de Sha-luy-teen, et
que le 29 les Français enverraient reconnaître s'il existait
des obstacles dans la rivière du Peh-tang; dans ce der-
nier cas, on débarquerait sur les bancs de sable. — Dans
le cas contraire, on enlèverait de vive force les forts de
Peh-tang.
Le général de Montauban ne partageait pas entière-
ment ce dernier avis; selon lui, il serait préférable de
mettre l'expédition à terre hors de la portée des forts, de
les tourner et de les attaquer par la gorge où ils sont
peu défendus (2).
LXVI. — Le baron Gros et lord Elgin sont arrivés, les
(1) Dépêche du général en chef au ministre de la guerre, 23 juillet
1860.
(2) Dépèche du général en chef au ministre de la guerre, 23 juillet
1860, Tche-Fou.
LIVRE I, CHAPITRE III. 103
deux ambassadeurs ont assisté au conseil, tenu le 19, et ont
déclaré qu'ils n'accepteraient aucune négociation avant
que les forts du Peï ho fussent tombés sous les coups des
canons alliés. — C'est seulement à Ticn-tsin qu'ils con-
sentiront à traiter avec le gouvernement chinois.
Cependant la rébellion continue ses ravages dans l'in-
térieur de l'Empire et menace chaque jour davantage
d'une anarchie complète ce malheureux pays. Les me-
sures que nous avons prises arrêtent bien les progrès
des révoltés aux environs de Shang-haï, mais l'intérieur
de la province est dans le plus triste état qui se puisse
imaginer.
Avant de quitter les deux Kiang, où le pouvoir insur-
rectionnel remplace presque partout le pouvoir impé-
rial, le Vice-roi a adressé, dit-on, un placet à l'Empereur,
pour lui exposer la gravité toujours croissante de la situa-
tion. — Une traduction de ce curieux document est
apporté au général de Montauban. Est-il véritablement
émané du Vice-roi ? et si ce mandarin a eu le courage
d'exposer ainsi aux yeux du Souverain la cruelle vérité,
cet écrit est-il parvenu jusqu'au trône de l'Empereur, que
des ministres coupables entourent d'un voile épais? —
Peut-être, est-ce un nouveau stratagème pour nous faire
croire à des dispositions conciliantes et retarder encore
le commencement des hostilités.
Les hautes autorités chinoises de Shang-haï affirment
que ce rapport est bien l'œuvre du Vice-roi et qu'il
a été envoyé à Pé-king.
Nous en extrayons quelques passages qui peignent avec
104 CAMPAGNE DE CHINE.
(les couleurs bien sombres mais vraies la désorganisa-
tion qui s'étend de loules paris.
LXVII. — IIo Kwci-tsing, vice-roi des deux Kiang et
A\'ang-yu-ling, gouverneur général de Tclié-Riang à
genoux exposent :
« Que les affaires militaires étant entièrement ruinées,
le iMidi et le Xord se trouvent en danger; il est urgent
qu'on fasse tous ses efforts pour conclure le traité de
paix avec les Européens. On pourra, seulement ainsi,
détourner un double danger de la part des Européens
et des rebelles.
a Ce placet est dressé de commun accord par les deux
susdits mandarins; ils supplient Sa Majesté de leur ac-
corder celte grâce pour détourner le péril qui menace.
Ils implorent l'altenlion de Sa Majesté.
« La ville de Sou-tcheou est perdue. La grande admi-
nistration est désorganisée. Quand moi, Ho Kvvei-lsing,
je vins à Sbang-liaï selon vos ordres pour traiter les af-
faires, j'informai Sa Majesté de l'état des choses. Main-
tenant nous croyons que la décomposition de la grande
armée de Nan-king est venue de ce que le généralissime
Ho-chun, ayant mis sa confiance en des hommes indi-
gnes, était détesté par l'armée. — Le général Tsan-koh-
liang était désolé de ne pouvoir pas agir selon ses bons
^lésirs. Ce général a perdu la vie dans un combat près
^e Tan-yang. A sa mort, l'armée a été débandée et mise
en déroute à la seule vue des rebelles. Le général Ho-
çhun, voyant la démoralisation des soldats et ne pouvant
LIVRE I, CHAPITRE III. 105
plus les rallier, se donna lui-même la mort avant le dé-
sastre. L'armée, restée sans chefs, s'est dispersée et tout
le matériel est resté entre les mains des rebelles. En
moins d'un mois, la position est devenue des plus déplo-
rables. Jamais on n'a vu de semblables catastrophes....
« En supposant qu'il vienne des troupes à notre se-
cours, comment les nourrir?
<c C'est pour cela que Su Yu-jin, gouverneur du Riang-
sou , quand Sou-tcheou était en danger et n'ayant pas
d'autres moyens, écrivit en toute hâte au trésorier géné-
ral de la province et à Wu-Hù, intendant du circuit de
Susung, pour réclamer le secours des troupes françaises
et anglaises. En outre, à la demande des principaux ci-
toyens, il chargea Wu-Yiin, gouverneur par intérim de
Sou-tcheou, de porter cette dépêche et de presser l'affaire.
Mais Wu-Yûn était à peine arrivé à Shang-haï que Sou-
tcheou était pris. Moi, Ho Kwei-tsing, j'étais sur une bar-
que. Le Tao-taï m'envoya un bateau pour me presser
d'aller à Shang-haï. J'y arrivai le 17 au soir. Le 20, je
visitai le ministre plénipotentiaire anglais, M. Bruce,
pour le prier d'empêcher l'expédition du Nord. — Il me
répondit que l'on ne pouvait rien traiter et arièlcr à
Shang-haï, etc. Le secrétaire du ministre français me fit
à peu près la môme réponse.
a Des navires de guerre de ces deux royaumes arri-
vent continuellement et se dirigent vers le littoral du
Shan-toung; ainsi leurs opérations commenceront inces-
samment, sans qu'on puisse obtenir un délai.
« Nous considérons que la Chine a été en relations
106 CAMPAGNE DE CHINE.
commerciales avec la France et l'Angleterre, restant tou-
jours en paix, pendant près de vingt ans. Le commerce
entre les Chinois et les étrangers est utile aux uns et
aux autres, et cet état d'hostilité est nuisible à tous. La
guerre une fois commencée, on s'en ressentira partout,
et les calamités qu'elle engendre ne finiront peut-être
jamais....
« Si nous ne sommes pas encore en pleine dissolu-
tion, c'est seulement parce qu'on espère que le traité de
paix sera bientôt conclu et qu'on pourra emprunter des
troupes pour exterminer les rebelles. Si cet espoir nous
manque aussi , il n'est pas nécessaire que les rebelles
arrivent, pour que la situation soit désespérée. — En
cachant cet état de choses, nous serions encore plus
coupables pour avoir trompé le gouvernement , et ce
crime ne pourrait même pas être expié par dix mille
morts. Ainsi nous pensons qu'à présent il n'y a pas
d'autres moyens de salut qu'une prompte paix. La
France et l'Angleterre oubliant leurs anciens griefs
pourraient nous aider, et dans le Midi comme dans le
Nord les affaires pourraient se relever. Jour et nuit nous
pensons que si la paix est conclue, on peut rétablir la
tranquillité.
a Maintenant nous implorons votre indulgence, afin
que. Votre Majesté sortant des règles ordinaires, approuve
entièrement les articles du traité conclu àTien-tsinavec
la France et l'Angleterre et les quatre articles proposés
ensuite. Pour ce qui regarde l'entrée des ambassadeurs
àPé-king pour l'échange des traités, s'il plaît à A'otre
LIVRE I, CHAPITRE 111. 107
Majesté de l'ordonner, Si-Hué partirait par la voie de mer
pour le Nord, pour arranger cette importante affaire.
« Nous attendons avec une crainte respectueuse les
ordres de Votre Majesté. Nous avons écrit ce placet de
commun accord et nous l'envoyons par le courrier le
plus rapide.
a Nous vous supplions de l'examiner.
« Nous vous informons avec respect.
«ExpédiélalO'année, Ie24dela4''lune(13juinl860).»
LXVIII. — Nous avons transcrit ce document, parce
qu'il a été officiellement envoyé au général de Montauban
par les autorités de Shang-haï ; mais malgré leurs assu-
rances réitérées, il est bien difficile de croire que le
vice-roi des deux Kiang et le gouverneur général de
Tche-kiang aient osé adresser à l'Empereur une sem-
blable communication.
Enfin rien ne doit plus retarder l'expédition des ar-
mées alliées. L'ordre de départ a été annoncé par le
général en chef, pour le 26 juillet. — Depuis le 20,
l'embarquement des chevaux et du matériel de guerre
est commencé.
a Je laisse à Tche-fou environ 250 hommes (écrit au
ministre de la guerre le général en chef) (1), soit ouvriers
d'administration, soit convalescents et coolies, pour re-
cevoir et nous expédier les approvisionnements que j'ai
fait réunir sur ce point pour être transportés à Tien-
Ci) Dépêche du 23 juillet 1860.
108 CAMPAGNE DE CHINE.
tsin, des que la voie sera ouverte. Un chef' de bataillon
(le commandant Dela|)lane du 101') conserve le com-
mandement supérieur. J'ai fait faii'e une coupure sur la
partie la plus étroite de la presqu'île. — Le génie y a
pratiqué un fossé avec un parapet, travail, du reste su-
perflu en raison des mœurs paisibles des habitants. Ja-
mais on ne rencontre un seul Chinois armé même d'un
bâton. De très-bonnes relations sont établies avec eux,
elles sont basées sur kur intérêt, et notre départ sera
vivement regretté. »
LXIX. — Il est facile de comprendre avec quelle joie
fut accueillie la nouvelle tant désirée du départ. De tous
côtés on entendait les chants des soldats; et à leurs re-
freins militaires, répétés en chœurs, se joignaient des
plaisanteries à l'égard des Chinois. Par tout le camp,
c'était une animation incessante, un mouvement joyeux,
un tumulte qui donnait un aspect magi(iue à cette col-
line sur laquelle resplendissait un soleil éblouissant.
— Jamais ce pauvre village de Yen-taï n'avait vu un
semblable spectacle ; toute la population accourue vou-
lait aider nos soldats dans ses préparatifs de départ.
Quand l'ordre du général en chef fut connu dans les
hôpitaux , les malades, oubliant leurs souffrances, vou-
laient, malgré les instances des médecins, reprendre
leurs armes et rentrer à leur rang. — Comment s'op-
poser à cette mâle et noble émulation? — Il ne resta
dans les hôpitaux que ceux dont la maladie avait entière-
ment épuisé les forces et qui ne purent se soulever de
LIVRE I, CHAPITRE III. i09
]eur lit de douleur. Une chaleur accablante faisait ruis-
seler de sueur tous les fronts et brisait souvent les forces
des plus robustes; mais l'armée allait entrer en cam-
pagne; elle quittait l'immobilité d'un campement sur
une colline inoffensive pour les grandes émotions des
combats et des champs de bataille. — Combien elle
était impatiente de se mesurer avec cette armée tar-
îarc qui devait, disait-on, défendre à outrance les
abords de la capitale du Céleste-Empire, et se ruer en
nuées innombrables sur les imprudents Européens qui
osaient se croire les égaux des puissants empereurs de
la Chine !
LXX.— La France est une nation guerrière. Le bruit
d'une bataille l'enivre et la transporte. — Et puis, ce petit
corps d'armée avait la foi en soi-même, il avait confiance
en ses chefs qui avaient surmonté tous les obstacles avec
une si énergique persévérance.
A moins d'avoir sérieusement étudié le mécanisme
compliqué d'une administration mihtaire qui doit tout
prévoir et parer à tout au moment d'une entrée en cam-
pagne, il est bien difficile de se faire une idée exacte des
détails innombrables qui s'y rattachent et des empêche-
ments dont un chef habile et prévoyant doit triompher.
Ces difficultés réelles, inévitables pour toute armée en
mouvement, s'accumulent à chaque pas, lorsqu'il s'agit
d'une entreprise qui jette ainsi sur une côte lointaine
quelques milliers de combattants. — Ainsi il avait fallu
compter avec les retards, avec la mer qui brisait sur des
110 CAMPAGNE DE CHINE.
écueils les navires impatiemment attendus et privait su-
bitement le corps expéditionnaire de ressources sur les-
quelles il devait compter. Mais la France allait défendre
la grande cause de la civilisation et Dieu veillait sur cette
petite année si loin du sol natal.
« J'ai bien peu de monde comparativement aux An-
glais (écrivait le général en chef); et dans l'attaque des
forts du Peï ho, je ne pourrai guère présenter plus de
6000 combattants, y compris l'artillerie; ce sera environ
5000 baïonnettes, mais la confiance de tous et le désir
de prouver à l'Empereur et à la France que nous sommes
dignes de la mission que nous avons reçue seront notre
meilleure force. — Dieu fera le reste. »
LXXI. — L'embarquement des troupes est complète-
ment terminé. Son effectif se compose de 8314 hommes,
avec un matériel de 1200 chevaux, 12 pièces de 12
rayées, 12 pièces de 4 rayées, 4 pièces de montagne.
Le 25 juillet, à trois heures de l'après-midi, le général
de Montauban , commandant en chef, arrive à bord du
Forbin, qui a été mis, par l'amiral Charncr, à sa disposi-
tion.— La flotte française présente un aspect magnifique;
vingt-deux bâtiments rangés avec ordre, balancent leurs
hautes mâtures comme une forêt agitée par le vent.
Lorsque le signal du départ apparaît au gi-and mât du
vaisseau amiral, une immense acclamation sort à la fois
de toutes les poitrines, et ce cri de : vive l'Empereur!
qui précède toujours nos soldats auxcombats, court do
navire en navire.
LIVRE I, CHAPITRE III. 111
Tous ont répondu au signal et la flotte se met en marche
sur trois colonnes.
A la tête de celle du centre est l'amiral Charner; le
contre-amiral Page dirige celle de droite ; le contre-amiral
Protêt celle de gauche; un grand nombre de jonques
chinoises est remorqué par les vapeurs. Sur les ponts
encombrés des bâtiments reluisent les baïonnettes, et
les musiques des régiments se répondent comme des
échos harmonieux.
Bientôt la flotte ne forme plus qu'une masse confuse,
et ceux qui restent à la garde de Tche-fou, saluent leurs
frères d'armes qui s'éloignent , et envoient avec tristesse
un dernier adieu à l'escadre, qui disparaît déjà dans les
brumes de l'horizon.
LXXII. — Ce règne dotera les annales de la France
guerrière de grands et mémorables souvenirs.
En six années que de victoires sur tous les points du
globe! — En 1855, notre drapeau victorieux flotte sur les
murs renversés de Sébastopol, en combattant la Russie.
— En 1859, c'est du sommet des hauteurs de Solférino
que la France dicte ses lois à l'Autriche vaincue. — Dans
quelques mois ce sera sous les murs mêmes de Pé-king
que notre glorieuse épée abaissera l'orgueil héréditaire
des empereurs de la Chine.
Belles épopées militaires qui viennent ajouter de
jeunes gloires aux vieilles gloires des siècles passés!
Le 28, après une heureuse traversée, l'escadre fran-
112 CAMPAGNE DE CHINE.
(;aisc au grand complet cntrail dans le golfe de IVh-lang,
et mouillait à douze milles environ de la passe (1).
Le général de Monlauhan ordonna aussitôt une re-
connaissance dans la rivière de Peh-tang; celle rivière
est fort peu connue, et le commandant en chef ne veut
point courir le risque d'être arrêté par des obstacles
imprévus.
Le lieutenant-colonel Dupin, le lieutenant de vaisseau
de Lamarck et le capitaine d'état-iViajor Forsier sont
chargés de cette dernière reconnaissance, qui doit éclai-
rer la roule dans laquelle s'engagera, le lendemain peut-
être, le corps expéditionnaire allié.
Dès que la nuit fut venue, ces officiers, emmenant
avec eux seize matelots, partirent en ayant soin de gar-
der le plus grand silence pour ne point attirer l'attention
de l'ennemi. — Les deux embarcations remontèrent
trois milles dans le Peh-tang et ne trouvèrent que des
pêcheries. A celte dislance, les officiers entrèrent dans
l'eau et cherchèrent à aborder la rive droite du fleuve.
Mais ils rencontrèrent de grandes difficultés, à peu
près semblables à celles qui s'étaient présentées aux
explorateurs de la rive sud du Pei ho. Après avoir
marché deux cents mètres environ sur un fond de glaise,
avec de l'eau à mi-jambe, ils trouvèrent une croûte
vaseuse, entièrement découverte à marée basse, et
sur laquelle on peut marcher en enfonçant seulement
jusqu'à la cheville. — Il faut traverser 300 mètres
(1) Dépèche du "2 août 18G0.
LIVRE 1, CHAPITRE III. 113
sur ce terrain fangeux, pour atteindre la terre ferme.
Même à marée haute la passe du Peh-tang n'a que
dix pieds de profondeur; les canonnières peuvent donc
seules la franchir. — Telles sont les indications précises
qui résultent de cette reconnaissance.
LXXIII. — Les canonnières anglaises rejoignh^ent le
gros de l'escadre le 29 seulement dans la soirée.
Le lendemain, la mer devint si mauvaise, qu'il fut
impossible aux troupes de quitter les bâtiments. Le 31,
le gros temps continua, mais la mer commença à se
calmer. — Le général de Montauban n'avait à bord pour
ses chevaux que des ressources très-restreintes, aussi
insista-t-il vivement auprès de la marine pour le débar-
quement.
Enfin le 1"' août le temps étant redevenu proportionnel-
lement bon, le débarquement commença au lever du
jour. Les bâtiments à vapeur légers, tirant moinsde neuf
pieds, purent prendre à la remorque les canots et les jon-
ques qui portaient 2000 hommes, une batterie de 4, la
batterie de montagne, une section du génie, une section
d'ambulance et 200 coolies. — Par suite d'une convention
entre les deux généraux en chef, les Anglais avaient
embarqué le même nombre d'hommes, moins l'artillerie.
Les canonnières atteignirent la barre en bon ordre et
la franchirent à midi et demi , heure de la plus haute
marée. Lorsque ces bâtiments légers furent arrivés au
point déterminé par le colonel Dupin et parle capitaine
Forster dans leur dernière exploration (en face d'une
Il 8
114 CAMPAGNE DE CHINE.
hutte de pêcheurs), ils jetèrent l'ancre, et le général de
Montauban se rendit aussitôt avec l'amiral Cliarner à
bord de la canonnière où se trouvait l'amiral Hope et le
général Grant. — Au delà des 500 mètres, qu'il fallait
traverser dans les terrains vaseux, entièrement recou-
verts d'eau par la marée haute, on apercevait distincte-
ment le pays plat sur lequel les deux corps expédition-
naires devaient prendre pied. — Les forts qui défendaient
les deux rives duPeh-tang ho se voyaient distinctement,
ainsi que plusieurs villages considérables, dont les con-
structions en terre semblaient dénoter la pauvreté. —
Au milieu de ces villages, peu éloignés les uns des au-
tres, on distinguait celui de Peh-tang-tchen, qui com-
munique avec le Peï ho au moyen d'une chaussée de 6
à 7 mètres de largeur. — Celte chaussée domine la
plaine d'environ un mètre et demi. — Deux forts s'é-
lèvent sur les rives du Peh-lang ho. Le fort de droite ren-
ferme deux cavaliers, dont chacun a trois embrasures
armées de canons, qui peuvent battre l'entrée du fleuve;
une longue courtine , armée également de pièces d'ar-
tillerie, relie les cavaliers. Le fort de la rive gauche,
situé un peu en arrière, a moins d'importance; ses
canons peuvent battre aussi le passage, mais avec moins
d'efficacité.
LXXiy . — Lorsque le général de Montauban et l'amiral
Charner montèrent à bord du bâtiment qui avait trans-
porté les deux commandants en chef anglais, il était trois
heures, et si on voulait profiter de la journée pour opé-
LIVRE J, CHAPITRE III. 115
rer le débarquement et établir convenablement les trou-
pes, les minutes étaient précieuses. — Aussi l'entrclien
entre les amiraux et les généraux fut court. — Le général
Grant proposa d'abord d'attendre l'heure de la marée
basse (six heures du soit), mais il existait entre la chaus-
sée et le village Peh-tang-tchen un pont de communica-
tion sur un canal attenant, et l'on avait vu très-distincte-
ment, à l'aide de la longue-vue, des cavaliers tarlares
aller et venir sur la chaussée. Si ces cavaliers avaient la
pensée de détruire ce pont, ils nous mettaient dans un
grand embarras, car l'établissement de ponts volants eût
été très-difficile dans ces terrains vaseux où, selon toute
apparence, les chevaux ne pourraient avancer qu'avec
la plus grande difficulté. Il fallait donc quelque difficik
et pénible que dût être la marche des troupes, par suite
de la marée haute, ne pas retarder leur mise à terre. —
Ce dernier avis, appuyé parla majorité, fut adopté,
et il fut convenu que 400 hommes de troupes des deux
nations se jetteraient à l'eau à quatre heures et demie,
pour gagner le terrain solide aussi rapidement qu'il se-
rait possible.
A minuit les amiraux devaient , avec les canonnières
seulement, remonter le Peh-tang ho, passer sous le feu
des forts et venir mouiller à un point qui leur permît de
prendre ces forts à revers, peudant que les deux colon-
nes française et anglaise, avec les deux batteries d'artil-
lerie française, suivraient la chaussée et les prendraient
d'écharpe.— Tel était le plan d'attaque rapidement conçu
et qui devait être rapidement exécuté , si l'on ne voulait
1J6 CAMPAGNE DE CHINE.
pns voir surgir tout à coup quelque obstacle imprévu
qui en euipèchùl l'exécution.
LXXV. — Le général de Monlauban était tellement
préoccupé de cette pensée, qu'il se jeta aussitôt dans une
embarcation avec le lieutenant-colonel Dupin, qui avait
fait la reconnaissance, le capitaine de Montauban, son
oflicier d'ordonnance, et le brigadier Irisson des sp.ibis.
Cette embarcation filant de toute la rapidité de ses avi-
rons, courut vers le rivage où bientôt elle échoua, et le
général s'élança le premier dans la mer, ayant de l'eau
jusqu'au genou. Les canots qui portaient le bataillon de
chasseurs à pied avaient reçu l'ordre de sui\ro celui du
général en chef.
De son côté, le général Grant arrivait avec les Anglais,
et bientôt la plage, inondée encore par les eaux de la
marée haute, fut couverte de soldats qui s'excitaient à
l'envi dans celte marche pénible et aventureuse, où par-
fois chaque homme avait de l'eau jusqu'à la ceinture. —
Ce fut un étrange et superbe spectacle qui dut grande-
ment étonner les Tartares, que celui de cette mullitude
armée qui, semblable aux flots de la tempête, avan-
çait vers eux.
Pendant une heure et demie, chefs et soldats luttèrent
avec énergie sur ce sol mouvant qui parfois se dérobait
tout à coup sous leurs pieds; car malheureusement,
dans beaucoup d'endroits, les terrains n'offraient pas
la solidité qu'avait annoncé le colonel Dupin. — En-
fin on atteignit la terre ferme que nos soldats ne
LIVRE I, CHAPITRE III. 117
devaient plus quitter avant d'avoir vengé , par la
chute des forts du Pei ho, l'insulte feite aux pavillons
alliés.
Aussitôt que le général eut reconnu par kii-nièmc
que le débarquement pouvait s'effectuer sans danger
pour les troupes, il envoya un de ses aides de camp
porter l'ordre aux généraux Jamin et Collineau de dé-
barquer avec leur brigade et de venir le rejoindre sur
des points qu'il leur assignait.
Ces deux chefs, actifs et entreprenants, attendaient
impatiemment cet ordre. Bientôt toutes les troupes arri-
vèrent en bon ordre; mais la batterie de montagne put
seule atteindre la terre. En vain artilleurs et chevaux
firent des efforts surhumains, il fut impossible de faire
avancer dans la vase les batteries de 4 qui avaient été
débarquées. Les roues enfonçaient à moitié, et les che-
vaux s'abattaient sans pouvoir avancer d'un pas.
LXXVI. — « En touchant cette terre si difficile à abor-
der (écrit le général de Montauban), nos hommes furent
électrisés, et le cri de : vive l'Empereur! sortit avec en-
thousiasme de chaque poitrine. Tout était oublié, et les
Anglais répondaient par des hourras à nos cris de con-
quête (1).
Le général de Montauban envoya aussitôt le chef de
bataillon Guillot de la Poterie occuper avec ses chas-
seurs la chaussée et le pont qui servaient de communi-
(1) Correspondance du 1 août.
118 CAMPAGNE DE CHINE.
cation. Ce détachement rencontra encore des espaces
vaseux couverts d'eau. Les cavaliers tartares, qui avaient
observé tous nos mouvements sans essayer de les gêner,
se retiraient lentement à mesure que nos colonnes
avançaient; ils étaient armés de carquois et de flèches.
Lorsqu'ils virent la chaussée occupée, ils s'éloignèrent
définitivement dans la direction du Peï ho.
La deuxième brigade, sous les ordres du général Col-
lineau, vint camper à quelque distance de la première.
Les Anglais tenaient la droite. — 200 hommes de cha-
que armée reçurent l'ordre de se porter sur le pont de
communication de la chaussée au village , pour empê-
cher toute tentative que l'ennemi aurait pu faire, pen-
dant la nuit, pour détruire ce passage important. — Il
était dix heures du soir lorsque les troupes eurent, cha-
cune de son côté, établi leur camp. — Le réveil devait
être sonné à trois heures du matin.
Le lieutenant-colonel Dupin, profitant de la position
avancée qu'il occupait et des ténèbres de la nuit, prit
quelques hommes avec lui , traversa le village de Peh-
tang que les patrouilles avaient primitivement reconnu,
et se dirigea vers le fort séparé du village par un large
fossé et par un mur crénelé, la communication était éta-
bhe au moyen d'un pont jeté sur le fossé. — On ne voyait
aucune sentinelle; tout était silencieux et faisait présu-
mer que le fort avait été abandonné par ses défenseurs.
C'est en effet ce qui était. — Le colonel Dupin continua
d'avancer vers les tentes encore dressées sur le terre-
plein et les traces toutes récentes d'un campement indi-
LIVRE I, CHAPITRE III. 119
quaient que l'ennemi venait à peine de s'éloigner. — Les
seuls canons que l'on trouva étaient en bois cerclés
de fer.
Le colonel s'empressa de retourner au camp pour in-
struire le général de Montauban de cet incident. — Il
était alors deux heures du matin.
LXXVIL — Un semblable abandon, sans la moindre
tentative de défense, était étrange et s'accordait peu avec
les rapports journaliers des espions sur la volonté bien
arrêtée des Chinois d'opposer la plus vive résistance à
notre marche ; la présence surtout de ces canons inof-
fensifs placés aux embrasures, pour simuler des canons
véritables, faisait supposer un plan combiné à l'avance.
Le général de Montauban, que les guerres d'Afrique
avaient habitué aux ruses et aux embûches perpétuelles
des Arabes, craignit avec raison que ce départ précipité ne
cachât quelque piège, et fit aussitôt porter l'ordre au com-
mandant du génie Dupouet de se rendre avec une com-
pagnie de sapeurs au point indiqué par le colonel Du-
pin et d'examiner avec le plus grand soin si le fort ne
serait pas miné. — Les recherches ne tardèrent pas, en
effet, à être couronnées de succès, et les sapeurs décou-
vrirent six emplacements de mines. Sous chacun d'eux,
les Chinois avaient placé six bombes du plus fort caUbre ;
ces bombes, armées à leur partie supérieure de deux
batteries à pierre, comme celles de nos anciens fusils,
étaient au ras du sol sous un plancher recouvert de
terre qui, basculant au moindre contact, faisait jouer
120 CAMPAGNE DE CHINE.
le ressort des ])alteries et dclcriiiiiiait l'explosion. —
Celte découverte montrait que les Chinois auraient sans
nul doute, dans beaucoup d'autres circonstances, recours
à la ruse, et engageait le général en chef à ne marcher
qu'avec une extrême prudence.
A quatre heures et demie, les troupes quittaient le
hivac. — A cinq heures , elles entraient dans le l'oit,
de concert avec les Anglais , et en prenaient pos-
session.
LXXYIII. — La flotte était à l'ancre au point indiqué,
sans avoir rencontré, de son côté, sur sa route aucun
obstacle.
Peh-tang, gros bourg de 30 000 âmes environ, avait
été abandonné par toutes les autorités; une partie des
habitants s'étaient enfuis, tant la terreur que leur cau-
sait notre approche était grande ; ceux qui étaient restés
dans le village vinrent à nous avec les signes de la plus
grande épouvante. — Sans doute les mandarins, pour faire
le vide autour de nous, nous avaient représentés comme
des barbares avides de sang et de pillage. A mesure que
l'on se rapproche du Nord , les populations sont plus
sauvages ou plus craintives; le contact avec le commerce
étranger n'a pas adouci leur nature première. Aussi les
ressources de cette localité étaient nulles; il fallait
même remonter la rivière à une distance de quatre
lieues pour se procurer de l'eau potable. — Les bateaux
qui étaient chargés d'alimenter d'eau ce gros bourg
avaient tous disparu.
LIVRE I, CHAPITRE 111. 121
Le général de Monlauban était cependant forcé de
séjourner à Peh-tang le temps nécessaire au débarque-
ment de ses dernières troupes. — C'était là le point de
rassemblement général ; et une fois son petit corps d'ar-
mée réuni à terre, il lui fallait prendre toutes ses me-
sures pour marcber vigoureusement sur les forts du
Peï bo, éloignés de trois ou quatre lieues tout au plus,
et en combiner l'allaque avec les Anglais.
Les cavaliers tartares que l'on avait aperçus au mo-
ment du débarquement indiquaient que l'ennemi ne
devait pas être loin. — La chaussée, notre seule voie de
communication, était, disait-on, encombrée d'obstacles
de toute nature, en dehors même des difficultés naturelles
qu'offraient déjà les terrains vaseux baignés par des
inondations per^jétuelles.
LXXIX. — En attendant la réunion complète des
troupes, les deux corps expéditionnaires s'éclairent
avec soin et envoient de tous côtés des reconnais-
sances.
Dans la journée du 2 août, un groupe de cavaliers
tartares s'avança audacieusement sur la levée qui con-
duit de Peli-tang au Peï ho, et resia assez longtemps
en observation. Ces cavaliers faisaient évidemment partie
du camp qui avait été signalé. Aussi les généraux en
chef, voulant s'assurer de l'importance de ce camp, de
sa composition et des travaux qui en défendaient les
approches, résolurent d'envoyer, dès le lendemain, une
reconnaissance dans cette direction.
122 CAMPAGNE DE CHINE.
Le général Collincau, qui en avait reçu le comman-
dement , emmenait avec lui mille hommes d'infante-
rie française. Mille hommes d'infanterie anglaise de-
vaient marcher sous les ordres du brigadier Sutton
avec deux obusiers de montagne et une compagnie
de génie.
A quatre heures du matin, les troupes partent de Peh-
tang, le général CoUineau en tète, et s'avancent sur la
chaussée.
Plusieurs heures se passèrent sans que la colonne
d'exploration fût inquiétée. Tout à coup elle se trouva
en vue d'un gros de cavaliers tartares au nombre
de deux à trois cents environ et de troupes d'infan-
terie, qui paraissaient occuper un camp retranché
d'une certaine étendue. — Ce camp se trouvait par
sa position à 8 kilomètres environ de Peh-tang et à
1200 mètres au plus du point de jonction delà route
de ce bourg avec celles qui conduisent à Tien-tsin et
au Peï ho.
Le général continua sa marche, et les vedettes tar-
tares se replièrent sur le gros de cavalerie ennemie.
Bientôt une fusillade s'engagea, et une batterie de gin-
galls placée sur la face du camp qui regarde la chaus-
sée par laquelle nous avancions, se mit à tirer avec opi-
niâtreté dans notre direction et nous blessa quelques
hommes ; le général fil aussitôt mettre en position la
section de batterie de montagne qu'il avait emmenée
avec lui , et envoya des boulets dans le camp en-
nemi.
LIVRE I, CHAPITRE III. 123
LXXX. — Le bruit de la canonnade se faisait en-
tendre au camp allié, et le général de Montauban, in-
quiet de la proportion qu'elle semblait prendre, se trans-
porta au sommet du fort qui domine la plaine. — A
l'aide d'une longue-vue, il se rendit parfaitement compte
qu'une action sérieuse n'était pas engagée ; mais comme
les forts de la rive gauche du Peï ho se trouvaient assez
rapprochés du lieu où l'ennemi avait été rencontré, il
monta aussitôt à cheval, et prenant avec lui une autre
section d'artillerie de montagne et une compagnie
d'infanterie, il se rendit en toute hâte sur le terrain de
l'action.
Le général Collineau , avec l'énergie et l'intelli-
gence qui le distinguaient à un si haut point, après
avoir pris toutes ses dispositions contre l'éventualité
d'une attaque sérieuse, avait continué d'avancer abonne
portée.
Le but que l'on voulait atteindre était rempli, car le
général CoUineau devait simplement reconnaître le
camp retranché qui avait été signalé et déterminer son
importance. — Après avoir chassé l'armée tartare de
ses avant-postes, et l'avoir forcée à se replier dans l'in-
térieur du camp , ce général resta en présence de l'en-
nemi tout le temps nécessaire, pour bien constater aux
yeux des Tartares qu'il était prêt à accepter un combat
sérieux, puis il reprit la route de Peh-tang et ramena ses
troupes à leur campement.
LXXXL — La direction qu'avaient suivie les cavaliers
124 CAMPAGNE DE CHINE.
larlares en se retirant devait faire supposer rexislencc
d'autres camps sur la route de Tieu-tsin et sur celle du
Peï lio. — Derrière les positions qui venaient d'èlre re-
connues, on apercevait un village assez tort.
La cavalerie tarlare paraît bien montée; les hommes,
semblables en cela aux goums arabes, manient leurs che-
vaux avec dextérité ; on avait vu des chefs diriger leurs
mo«veme!its. — Leur armement, du icste, est primitif
et se compose en grande partie d'arcs et de flèches,
dont ils se servent, dit-on, avec une grande habileté ;
quelques-uns pourtant étaient armés de fusils, ce qu'in-
diquaient les petits flocolis de fumée que l'on voyait de
temps à autre s'élever au milieu d'eux. — Cette cava-
lerie devait-elle dans un combat opposer une résistance
sérieuse? C'est ce qu'il était assez diflicile de pré-
juger à première vue. Pour le moment elle était très-
utilement employée au service d'avant-postes, et per-
sonne ne pouvait sortir de Peh-tang , sans que les
vedettes de ces avant-postes n'en avertissent aussitôt par
des signaux qui pouvaient être vus de très-loin.
Il n'eût pas été sans utilité de faire sans plus tarder
ime nouvelle reconnaissance sur la route qui se dirige
vers Tien-lsin, afin de savoir ce que l'on pouvait avoir à
craindre de ce côté; il était important surtout de quitter
au plus vite ces terrains marécageux où l'on se trouvait,
à marée haute, entouré par les eaux de mer, et que des
pluies torrentielles très- fréquentes rendent plus impra-
ticables encore. — Mais l'on ne pouvait songer à pro-
noncer un mouvement sérieux en avant, tant que la
LIVRE I, CHAPITRE 111. 125
cavalerie anglaise n'aurait pas été débarquée. Celte ca-
valerie est très-belle, et le général Grant ne veut rien
entreprendre avant son arrivée.
Les troupes anglaises, nous l'avons souvent dit, sont
remarquables et très-bien commandées ; mais il faut
bien des choses pour les mettre en mouvement. — On
l'avait vu eu Crimée; les mêmes embarras se repré-
sentaient en Chine. La quantité énorme de bagages et
d'hommes non combattants que cette armée traîne tou-
jours après soi l'immobilise forcément à cerlains mo-
ments, et lui enlève parfois cette décision de mouve-
ments et cette promptitude si nécessaire à la guerre,
la condamnant ainsi à une force d'inertie indépendante
de la volonté des chefs.
LXXXIL — L'état sanilairedes corps expéditionnaires,
jusque-là satisfaisant, pouvait souffrir d'un séjour pro-
longé dans ces marais infects, devenus plus insalubres
encore par la concentration d'un aussi grand nombre
de troupes, et par les grandes difficultés qui existaient
pour se procure)- de l'eau potable. En avançant dans la
direction du Pei ho, le terrain se relève sensiblement;
une riche végétation et de grands et beaux arbres dont
les branches chargées de feuillage étendent au loin leur
ombre sur des plaines cultivées , remplacent l'aspect
triste et morne de celle plage vaseuse. Eti outre l'éta-
blissement des camps tartares, dans un rayon assez
rapproché, ne laissait aucun doute sur les ressources
de première nécessité que l'on devait y rencontrer. —
126 CAMPAGNE DE CHINE.
Les pluies vinrent encore apporter de nouveaux relards
en rendant les routes impraticables, il fallut donc for-
cément attendre que les terrains inondés se raffermissent
un peu.
L'ordre de départ est donné pour le 12 août.
Les petites reconnaissances envoyées pour éclairer la
route que nous devions suivre ont signalé une assez
grande agitation dans le camg retranché que le général
Collineau avait canonné pendant quelques heures dans
la journée du 7.
Au lever du jour, l'armée alliée se met en marche.
Une batterie d'artillerie , la cavalerie et mille fan-
tassins , sous le commandement du général Napier,
se dirigent, parla route de Tien-tsin, à droite de la
chaussée.
Une autre colonne anglaise, précédée d'une avant-
garde commandée par le général Stavcley, suit afissi
avec la colonne française cette chaussée, large de 6 à
7 mètres au plus, jusqu'à un point de bifurcation, où les
deux corps alliés doivent se diviser : les Anglais se di-
rigeant à droite, — les Français continuant à tenir la
gauche de la position. — A une distance de 1000 mè-
tres environ du camp retranché contre lequel on mar-
chait, les terrains autour de la chaussée cessaient d'être
inondés et, devenus plus fermes, permettaient de s'y
déployer.
LXXXin. — Vers neuf heures, la cavalerie anglaise
rencontra les cavahers tartares campés en avant du village
LIVRE I, CHAPITRE III. 127
de Sin-ko. Ces cavaliers se présentèrent de front assez
audacieusement en dehors des retranchements, et cher-
chant à séparer la colonne de l'extrême droite de celle
du centre, chargèrent avec impétuosité la cavalerie an-
glaise. Malgré une vive fusillade elle feu très-nourri de
plusieurs pièces de canon, ils avancèrent à une distance
de 100 mèlres; mais plusieurs chevaux et cavaliers tués
ou blessés jetèrent le désordre dans leurs rangs, et ils
s'éloignèrent bientôt avec autant de précipitation qu'ils
étaient venus.
Du côté que devait attaquer le corps français, la résis-
tance ne fut pas plus sérieuse, et après quelques coups
de canon, le camp de Sin-ko fut enlevé. Quand on y
entra, il était désert; les combattants avaient disparu :
on ne trouva que des cadavres d'hommes et de chevaux
tués par les projectiles de l'artillerie. — Ce retranche-
ment était un ouvrage de campagne en terre précédé
d'un fossé plein d'eau qui en défendait les approches.
— Le village de Sin-ko, qui se trouve en arrière, est
un bourg de peu d'importance, fort sale intérieurement,
comme presque tous les villages du nord de la Chine. Il
se compose de maisons bâties en terre ; mais chacune
d'elle à peu près possède un jardin très-bien cultivé
où croissent des fruits et des légumes de toute es-
pèce. — C'est la seule richesse de ces pauvres habitants,
richesse qu'ils trouvent au sein de la terre et qu'ils
payent de leur travail de chaque jour.
Il y avait fort heureusement en abondance du four-
rage de très-bonne qualité ; quelques prises de chevaux
128 CAMPAGNE DE CHINE.
et de mulets remplacèrent les perles faites pendant la
traversée.
Mais ce qui étonna le plus, ce fut la découverte d'un
mont de piété a rempli, écrit-on, d'une immense quan-
tité d'effels parfaitement en ordre avec des éliquetles
sur chaque objet. » Au milieu des effets déposés, il
y avait dos hahillements assez riches, et ce qui s'ex-
plique diflicilement, trois ou quatre cents vêtements
fourrés en peau de moutons, la plupart neufs. L'inten-
dance s'en empara pour les affecter aux hommes de
service , pendant l'hiver, si rude dans le nord de la
Chine.
Les troupes anglaises s'élabliient dans le camp re-
tranché. — Le corps français hivaqua dans la grande
plaine qui s'étend à droite et à gauche de la chaussée,
plaine humide, entremêlée de marais remplis d'eau sau-
màlre, terrains d'une vase plus durcie que celle qui
couvre les abords do Poh-tang, mais perpétuellement
boueux malgré les rayons ardents du soleil.
LXXXIV. — L'armée alliée se trouvait donc ainsi in-
stallée autour du village situé en amont de toutes les
défenses de la rive gaucho du Poi ho. — Sans nul doute
les fuyards s'étaient retirés dans le village de Tang-ko,
village fortifié, dont les défenses, très-sérieuses et très-
bien entendues, aflectaient la forme d'un parallélogramme
irrégulier, offrant sur ses grandes faces un développe-
ment de 1500 à 1600 mètres environ. Le tracé le fer-
mait complètement et permettait le flanquement des
LIVRE I, CHAPITRE 111. 129
faces. Deux voies conduisaient à ce grand camp retran-
jhé défendu , assurait-on , par des forces d'infanterie
considérables et par une nombreuse artillerie. — L'une
de ces voies longeait le Peï-lio et tournait par la gauche
l'ouvrage que nous voulions enlever; — l'autre, qui
était la continuation de la chaussée par laquelle l'ar-
mée alliée s'était avancée le 12, l'abordait de front. Mais
les deux côtés de cette chaussée, noyés par les alluvions
du fleuve, ne permettaient aucun déploiement, soit d'in-
fanterie, soit d'artillerie.
Le général de Montauban , voulant s'assurer par lui-
même de la position exacte et des dispositions de la dé-
fense, dirigea en personne une reconnaissance par la
chaussée, et avança jusqu'à 1200 mètres environ du
front de l'ouvrage. — La cavalerie tartare échappée la
veille du camp de Sin-ko, bivaquait en avant et sous
le canon des travaux défensifs. — Le général fit mettre
une batterie en position sur la chaussée pour déloger ces
cavaliers; mais en apercevant le mouvement de l'artille-
rie, ceux-ci pénétrèrent rapidement dans l'intérieur des
retranchements, qui restaient silencieux, quoique nous
fussions à bonne portée de leurs pièces. — Quelques vo-
lées furent lancées contre ces forts, pour savoir de quel
côté ils ripo?teraient et apprécier à la fois la portée de
leur feu et la justesse de leur tir. — En effet, la gauche
des forts tira fort peu, et ses coups étaient insignifiants;
les Chinois cherchaient à prendre la chaussée d'enfi-
lade, tandis que la face droite, dans tout son développe-
ment, la prenait en écharpe.
II 9
130 CAMPAGNE DE CHINE.
Le général Grant et ramiral Hope vinrent rejoindre
le général Montauban en tète de la colonne , où il se
tenait pour observer le tir de l'artillerie chinoise , et il
fut décidé que l'on attaquerait cet ouvrage, dès le lende-
main, 14 août.
Le terrain était bien reconnu ; la voie qui longeait
la rive gauche même du Peï-ho était préférable en
tous points, bien qu'elle fût coupée par de nom-
breux canaux et qu'elle dût présenter des difficultés
réelles à la marche des troupes et surtout à celle de
l'artillerie.
LXXXV. — Les commandants en chef, après cette
exploration, rentrèrent au camp pour arrêter un plan
définitif, et prendre les dispositions relatives à l'attaque
du lendemain. L'armée alliée marchera en colonne par
bataillons en masse, le terrain marécageux entre le fleuve
et la chaussée ne permettant pas un grand développe-
ment. — Afin d'éviter tout ce qui pourrait, pendant la
durée de l'expédition , troubler le bon accord si utile
qui existait entre les commandants en chef des deux
nations, il a été arrêté, dès le début de la campagne,
que chacun, à tour de rôle, choisirait dans l'ordre de
marche des attaques combinées le terrain qu'il voudrait
occuper.
Le général Grant choisit la droite. — Ainsi l'armée
anglaise, appuyant sa droite au Peï-ho, descendait
parallèlement au fleuve , tandis que les deux brigades
d'infanterie française des généraux Jamin et Gollineau
LIVRE I, CHAPITRE III. 131
avançaient en colonnes serrées à sa gauche et à la même
hauteur.
Les deux artilleries marchaient à 500 mètres envi-
ron en avant, précédées par une avant-garde qui éclai-
rait la route. — L'artillerie française était soutenue
par une colonne d'attaque composée de 200 marins de
débarquement, d'une compagnie de sapeurs du génie
munie d'échelles que portaient des coolies, d'une com-
pagnie d'infanterie de marine et d'une compagnie du
deuxième bataillon de chasseurs à pied (1). Des canaux
nombreux coupent la plaine que traverse le corps fran-
çais, mais les pontonniers jettent aussitôt des ponts et
exécutent si rapidement ce travail plusieurs fois répété,
que les troupes n'éprouvent aucun retard.
LXXXVI. — A 1500 mètres des retranchements en-
nemis, notre artillerie ouvre son feu ; elle se compose
de dix pièces de 4 (les deux dernières pièces de la
deuxième batterie étaient sur la chaussée), de six pièces
d'obusiers de montagne et de la batterie des fuséens.
Comme nous tenions la gauche de l'attaque , nous
avions à enlever la face de l'ouvrage qui regarde le
couchant.
Il est .huit heures du matin, les forts répondent éner-
^giquement, mais leur tir est si mal dirigé et si inoffensif
que le colonel de Benlzmann rapproche presque aussi-
tôt sa ligne. Les forts continuent à tirer sans plus de
(1) Dépêche du 15 août au ministre de la guerre.
132 CAMPAGNE DE CHINE.
succès ; leurs projectiles arrivent à peine jusqu'à nous.
Les deux pièces placées en batterie sur la chaussée
avaient suivi le mouvement; elles avaient reçu mission
de détruire les défenses situées à l'extrémité de cette
chaussée ; car c'est sur ce point que doit plus tard se
diriger la colonne d'attaque. — Bientôt notre artillerie
s'est rapprochée jusqu'à 400 mètres. Quelques hommes
sont mis hors de combat, mais nos boulets ont très-
grandement endommagé la face de l'ouvrage qu'ils con-
trebattent.
Le moment est venu de donner l'assaut. Le général
de Montauban , après s'être entendu avec son collègue
de l'armée anglaise, fait rapprocher toute son infante-
rie , et donne ordre au chef d'état-major général , le
lieutenant-colonel Schmilz, de former en colonnes d'at-
taque les colonnes d'avant- garde, et d'enlever à leur tête
les retranchements ennemis. — Le colonel, malade à Peh-
-lang depuis plusieurs jours, n'avait pas voulu laisser à
un autre l'honneur qui lui revenait de marcher à la tête
des colonnes d'assaut, et était accouru au moment du
■départ pour prendre part au combat.
Aussitôt qu'il a reçu l'ordre du général en chef, il
s'élance avec ses troupes et atteint rapidement le bord
du fossé qui protège l'ouvrage ennemi. — Du haut du
mur crénelé, les Chinois commencent une assez vive
fiit'illade. Le génie accourt et établit à la hâte un pont de
madriers; mais le colonel s'est déjà jeté dans le fossé
sous le feu de l'ennemi. Ce fossé est tellement profond,
que ce brave officier est sur le point d'y périr; deux ca-
LIVRE I, CHAPITRE III. 133
pitaines d'état-major, MM. Chanoine et Guerrier, s'é-
lancent à leur tour pour porter aide au colonel, et tous
trois atteignent bientôt l'autre bord.
LXXXVII. — Ce noble exemple est aussitôt suivi, et
pendant qu'une partie des troupes traverse le fossé à la
nage, l'autre encombre les ponts qui ploient sous le
nombre des combattants. — Les échelles sont dressées,
et pendant que les portes du fort sont brisées à coups
de hache, les remparts sont couronnés de tous côtés par
nos troupes. — Le premier et en présence de toute l'ar-
mée, le colonel Schmitz a planté sur leur sommet le
drapeau de la France; l'ouvrage est envahi, et ses dé-
fenseurs fuient en désordre dans la direction du Pei-
ho; leur terreur est telle qu'ils ne pensent même pas à
détruire derrière eux le pont qui sert de communication
avec un dernier fort, le fort de Yu-kia-pou.
Pendant que ces faits se passaient sur la gauche de
l'armée alliée, les Anglais tournaient l'ouvrage ennemi
par le côté qui touche au fleuve, et, favorisés par la
marée basse , ils ne tardèrent pas à l'occuper. — Cette
face , protégée par le Pei-lio , n'était point entourée de
fossés.
a Bon nombre de cadavres abandonnés sur le point
où ils avaient été atteints (écrit le général de Montau-
ban au ministre, 18 août 1860), environ cent autres
trouvés dans les maisons abandonnées du village, les
corps de quelques mandarins d'un rang assez élevé
qui s'étaient ouvert la gorge au moment de la fuite de
134 CAMPAGNE DE CHINE.
leurs troupes, attestaient les pertes sérieuses de l'ennemi
et témoignaient des ravages produits par notre artillerie
rayée. »
Les Chinois s'étaient défendus avec opiniâtreté jus-
qu'au moment où ils avaient vu nos colonnes d'assaut
gravir leurs remparts. Port heureusement le feu inces-
sant de leur mousquelerie, avait été très-mal dirigé;
aussi nos pertes n'étaient pas en proportion de la résis-
tance que nous avions rencontrée.
CHAPITRE IV.
LXXXVIIT. — Ces deux succès consécutifs inauguraient
bien la campagne, et devaient donner grandement à ré-
fléchir aux chefs de l'armée chinoise sur la suite des
opérations militaires.
Évidemment toutes les forces qui occupaient ces
deux camps retranchés avaient reflué vers les forts
du Peï-ho, centre principal de la défense. Mais à
1 500 mètres environ des points que nous venions d'en-
lever à l'ennemi , il y avait une troisième position for-
tifiée, vers laquelle couraient en désordre, en proie à la
plus évidente démoralisation, les cavaliers lartares et
les troupes chinoises. — Il était facile de voir que dans
LIVRE I, CHAPITRE IV. 135
leur fuite précipitée, ils n'obéissaient plus à aucun
ordre , et que la terreur les jetait çà et là dans toutes les
directions. Il eût été à désirer que l'on marchât immé-
diatement sur ce troisième camp retranché (Yu-kia-pou),
le dernier de la rive gauche avant les deux forts; sa
prise eût achevé la déroute complète de cette partie de
l'armée chinoise. Le général de Montauban envoya un
de ses aides de camp proposer au général Grant de se
porter en avant pour s'emparer de celte position ; il était
alors onze heures du matin. Le général anglais, crai-
gnant que cette marche forcée ne fatiguât outre mesure
ses troupes, n'accepta point cette proposition. — Les
troupes alliées s'arrêtèrent donc là, et s'établirent dans
la nouvelle position conquise.
LXXXIX. — L'enlèvement du dernier camp retranché
de la rive gauche n'avait d'importance réelle que par
son exécution immédiate , et par la terreur salutaire
que ces trois victoires successives , eussent imprimée
à l'ennemi qui avait cru pouvoir, par l'établissement
de ces camps rétranchés, arrêter la marche des corps
alHés.
Du moment que l'attaque en était remise, elle de-
venait inutile dans la pensée du général de Montauban,
car ce dernier camp, ainsi que les forts de la rive
gauche, devaient nécessairement abandonner toute résis-
tance lorsque ceux de la rive droite , dans lesquels les
Chinois avaient concentré leur véritable défense, se-
raient tombés en notre pouvoir; ces forts, par leur posi-
136 CAMPAGNE DE CHINE.
lion, dominaient les autres, et étaient bien les derniers
remparts de la puissance chinoise sur le Pei-ho. — Le
général de Montauban proposa donc au général Grant,
qui l'accepta, de négliger les défenses de la rive gauche
pour attaquer celles de la rive droite, devant lesquelles,
le 25 juin de l'année précédente, l'amiral Ilope avait él6
arrêté, à rentrée du fleuve.
Présageant dans sa pensée le succès des armées al-
liées, le commandant en chef français écrivait alors au
minisire de la guerre (15 août 1860) : «Nous faisons
construire un pont qui nous permettra de passer sous
huit jours de l'autre côté du Pcï-ho. — Nous n'aurons
plus qu'une lieue à faii'c pour arriver auprès des forts
de la rive droite , et le seul obstacle que nous trouve-
rons sera un camp de 6 ou 8000 Tartares que nous en-
lèverons. Il ne nous restera ensuite qu'à abattre les forts
de droite , et à nous rendre à Tien-tsin. »
Pendant les quelques jours que nécessitait la con-
struction du pont, on s'occupa activement d'approvi-
sionner le camp de Sin-ko, afin d'être en mesure de
transporter promplement les vivres sur l'autre côté du
fleuve.
XC. — Dans cette guerre, où l'ennemi ne pouvait
pas opposer aux armées aUiécs de forces réellement
dangereuses, la grande difficulté consistait à pourvoir à
tous les besoins , sans avoir à sa disposition des moyens
suffisants. Il était indispensable, malgré le nombre res-
treint des combattants, de laisser quelques troupes dans
LIVRE J, CHAPITRE IV. 137
les différents camps, pour proléger l'arrivée des convois,
jusqu'au jour où l'enlèvement des forts assurerait le
libre passage du Ptï-ho et permellruit à nos bâtiments
légers de nous servir de magasins. — Il fallait agir ré-
solument, et cependant ne pas s'exposer à un échec qui
pouvait, quelque minime qu'il fût, avoir une influence
funeste pour le prestige de nos armes.
XCI. — Déjà le gouverneur de la province, après
l'enlèvement rapide des deux camps retranchés , avait
envoyé, dans la journée du 14, un parlementaire, por-
teur de lettres pour le baron Gros et pour lord Elgin ;
les habitants des villages environnants avaient fait sup-
plier les commandants en chef de mettre fin à ce cruel
état de guerre ; mais les ambassadeurs avaient ferme-
ment résolu qu'ils n'accepteraient aucune proposition
de paix, avant la prise des forts du Pei-ho.
Des lettres trouvées dans les papiers du mandarin chi-
nois de Sin-ko ont été apportées à lord Elgin ; ces lettres
envoyées de Pé-king contiennent des instructions très-
détaillées pour châtier les audacieux barbares qui osent
affronter la juste colère du grand Empereur. Entre autres
détails curieux, on y trouva la mise à prix des différents
chefs européens : la tète des ministres plénipoten-
tiaires valait 1500 taels, c'est-à-dire 12 000 fr. — Celle
des généraux en chef n'était portée qu'à 1000 taels,
8000 fr.
a J'ordonne, disait l'empereur de la Chine, à tous
mes sujets, miliciens et cultivateurs, habitants des
138 CAMPAGNE DE CHINE.
villes et des campagnes , Chinois ou Tartares , de les dé-
truire connue des anini;iux malfaisants. »
XGII. — Le général de Montauban, préoccupé d'éta-
blir sans retard un point de communication avec la
rive droite, envoya le colonel du génie Livet, avec ordre
de déblayer le terrain et d'assurerla position des tra-
vailleurs qu'il voulait jeter de ce côté. Le colonel
poussera en avant une vigoureuse reconnaissance pour
explorer les pays environnants. — Des jonques et des bar-
ques prises aux Chinois servent à effectuer le passage
des troupes qui se composent du 1" bataillon du 101* de
ligne. L'ennemi avait l'avantage d'un terrain très-favo-
rable ; car les terres coupées par de petits coteaux sont
en outre semées de vignes et d'arbres de toute espèce
et de tumuli nombreux, abris naturels, derrière lesquels
les Chinois se cachent et entretiennent une vive fusillade,
fort heureusement très-mal dirigée; ils ont même mis
en ligne plusieurs pièces de canon. Au milieu de tous
ces jardins et de ces plantations, l'attaque est difficile;
il faut déloger successivement l'ennemi de chaque
massif.
Le général en chef, instruit du caractère sérieux que
prenait cet engagement, fit passer le fleuve au 2*= batail-
lon de chasseurs commandé par M. de la Poterie. Ce
renfort permit au colonel Livet de prendre une vigou-
reuse offensive. — Los chasseurs, lancés à la poursuite
des Tartares qui se dispersent par groupes dans les hal-
liers, les poursuivent la baïonnette dans les reins et les
LIVRE I, CHAPITRE IV. 139
mettent en fuite. Bientôt on les voit courir en désordre
au travers d'une grande plaine qui précède le village de
Sin-ko, laissant en notre possession non-seulement la
plus grande partie des pièces qu'ils ont amenées, mais
aussi une batterie de canons et de gingalls qui avait été
établie près des jardins, sur la plage même, pour battre
de ses feux la rive gauche. Les chasseurs continuent
leur marche au pas de course et s'emparent du village
de Sia-o-leantz, excellente tête de pont pour protéger
nos opérations futures.
XCIII. — La nuit était venue et tout était silencieux,
lorsque les lueurs sinistres d'un vaste incendie suivies de
nombreuses détonations vinrent troubler ce silence et
cette obscurité. Les troupes chinoises, placées en avant-
garde pour s'opposer à notre passage, brûlaient leurs
approvisionnements et faisaient sauter les poudrières,
avant d'évacuer leurs positions et de se replier sur les
ouvrages importants qui défendent l'entrée du fleuve.
— Ce ne devait pas être sans un grand regret que l'ar-
mée ennemie nous laissait ainsi prendre pied sur la rive
droite du Peï-ho, lorsque déjà nous nous étions établis
sur la rive gauche.
Le 19, le général Jamin traversait à son tour le
Peï-ho avec sa brigade et consolidait notre établisse-
ment dans le village de Sia-o-leantz, en y campant avec
toutes les troupes placées sous ses ordres.
Le général Granl, sollicité par l'amiral Hope qui avait
à cœur de venger l'échec de l'année précédente, revenait
140 CAMPAGNE DE CHINE.
sur l'assenlinient qu'il avait donué primitivement au
plan du général en chef français, et demandait avec
instance que l'on continuât l'attaque des forts de la rive
gauche. En efîet, ces forts une fois au pouvoir des alliés,
les canonnières pouvaient venir s'appuyer au-dessous
d'eux cl prendre leur part dans l'action générale, en
canonnanl les ouvrages de la rive droite.
XCIV. — Deux plans se trouvaient donc en présence.
Le général de Montauban disait :
a La continuation des attaques de la rive gauche est
sans nécessité et peut nous faire perdre inutilement du
monde. La prise de ces forts, stratégiquement parlant,
ne doit point amener la reddition des forts de la rive
droite; leur abandon, s'il a lieu sans coup férir par les
Cliinois, doit être regardé comme un de ces cas fortuits,
résultat d'une impression subite de terreur, et nullement
comme une conséquence logique, en face de l'accrois-
sement considérable apporté à ces ouvrages par l'ennemi.
« En outre, les Chinois ne nous voyant pas concentrer
nos forces sur les points où nous travaillons h établir
une communication entre les deux rives peuvent y en-
voyer un grand nombre de troupes et inquiéter, compro-
mettre même sérieusement ces travaux. — Au contraire,
en nous emparant des forts de la rive droite, qui do-
minent par leur position ceux de la rive gauche, non-
seulement l'ennemi ne peut plus essayer de les défen-
dre, mais le gros de l'armée chinoise voit sa ligne de
retraite sur Tien-tsin, interceptée. »
LIVRE I, CHAPITRE IV. 141
Le général Grant voulait, au contraire, ainsi que nous
l'avons dit, continuer l'attaque successive des défenses de
la rive gauche, parce qu'il les supposait, disait-il, moins
bien défendues. — Leur possession assurait, selon lui,
l'attaque des forts de la rive droite, car on pouvait alors
établir de l'artillerie sur la plage nord, et battre ces forts
vigoureusement, en même temps que les troupes les
attaqueraient par derrière. L'amiral Hope et lord Elgin
appuyèrent vivement ce second plan d'attaque proposé
par le général en chef anglais. Du reste si cette opéra-
tion sur la rive gauche n'avait pas d'utilité stratégique,
elle offrait l'avantage de mettre à profit le temps qui était
encore nécessaire à l'achèvement des travaux de commu-
nication avec la rive droite et ne laissait point l'ennemi
en repos. — Elle fut donc décidée en conseil.
XCy. — Toutefois, l'établissement solide qu'avait
formé le général Jamin dans le village de Sia-o-leantz
sur la rive droite, conservait son importance ; il mena-
çait l'armée tartare , et son artillerie en contre-battant
par terre les forts du sud, les empêchait de prendre
de tlanc nos colonnes d'attaque sur la rive nord, —
Par ordre du commandant en chef, le général Ja-
min fit, le 20 août, une reconnaissance, dans le but d'é-
clairer les débouchés en avant de son front; il ne
larda pas à rencontrer des ouvrages fortement occupés
et dut s'arrêter devant un feu d'artillerie de gros ca-
libre.
a II me fut alors démontré (écrit au ministre de la
142 CAMPAGNE DE CHINE.
guerre le général de Monlauban) (1), que sur celle rive,
comme sur la rive gauche, il étail impossible d'aborder
les ibrls, sans avoir enlevé un grand camp retranché
seml)lablc à celui de Tang-ko pris par nous le 14.
« Dès ce momenl, la disposition de l'ensemble des
ouvrages chinois m'élail clairement connue. Sur chaque
rive, à l'embouchure dePtï-ho, un fort énorme ballant,
la mer et les approches des estacades; en amont, un autre
fort couvrant de feu les premiers cl enfilant le fleuve;
enfin pour protéger tout le système du côté de la terre,
un vaste camp retranché situé à la limite de la terre
ferme et des lagunes.
« La position de la brigade Jamin sur la rive droite
couvrait mon point de passage et avait pour effet de me-
nacer la seule ligne qui restât à l'ennemi. »
Il fut décidé que l'attaque du fort le plus rapproché
de Tang-ko sur la rive gauche, aurait lieu le 21. — La
brigade du général Collineau et celle du général Napier
furent désignées pour celle opération.
Les canonnières des deux flottes avaient mission, pen-
dant l'attaque des troupes alliées, de couvrir de boulets,
avec leurs pièces à longue portée, le fort de la rive gauche,
situé en aval de celui que l'on devait enlever dans la
journée du 21.
XCYL — L'amiral Charner, qui était en grande rade
à l'entrée du Pé-tchi-li, reçut du général de Monlauban
(1) Dépêche du 24 août 1860, camp de Sin-ko.
LIVRE I, CHAPITRE IV. 143
avis de l'attaque résolue et de la part que la marine
pourrait prendre dans l'action projetée.
« J'avais (écrit l'amiral au ministre de la marine) (I)
recherché depuis plusieurs jours sur les lieux la meil-
leure position à donner à nos canonnières pour battre
les forts, sans inquiéter dans leurs mouvements les co-
lonnes assaillantes. Le point qui me parut le mieux sa-
tisfaire à ces conditions se trouvait situé sur la rive
gauche du Peï-ho, mais il n'était accessible qu'aux bâti-
ments d'un faible tirant d'eau tel que nos petites canon-
nières en fer.
« J'avais alors quatre de ces bâtiments à ma disposi-
tion, et le 20 août, à deux heures de l'après-midi, je leur
donnai l'ordre d'aller mouiller sur les bancs de vase
molle que j'avais fait baliser. Le contre-amiral Page prit
le commandement de ce groupe ; — je fis route à la même
heure vers l'embouchure du Peï-ho avec les grandes
canonnières, qui mouillèrent à six heures du soir, en
dedans de la barre du fleuve, à environ un mille des
forts du sud. »
De son côté, le même soir, le général Collineau allait
bivaquer avec ses troupes au camp de Tang-ko. —
11 emmenait avec lui une compagnie du génie sous les
ordres du lieutenant-colonel Dupouët, le 1" bataillon
du 102" de ligne avec son colonel O'Malley et deux
bataillons d'infanterie de marine, auxquels devaient se
joindre le lendemain, dès le point du jour, une batterie
(1) Dépêche du 23 août 1860'.
144 CAMPAGNE DE CHINE.
de 12 rayée, un délnchemcnl de pontonniers sons le
comniaiidoment du colonel FouUon Grandchamps, une
section d'ambulance et des coolies commandés par le
lieutenant de vaisseau Rouvière.
XCVII. — Le général, aussitôt son arrivée au bivac,
se mit en rapport avec son collègue anglais pour arrê-
ter, de concert avec lui, les derniires dispositions de
détail. — C'était aux Français à choisir cette fois la po-
sition qu'ils voulaient occuper, et il fut convenu qu'ils
prendraient la droite ; les troupes anglaises tenaient
donc la gauche de l'attaque.
Le général Collineau devait s'avancer par les deux
chaussées établies sur les terrains noyés par les inon-
dations, obstacles naturels qui protégeaient les appro-
ches des forts. Le génie, profilant de la nuit, combla
une large coupure qui interceptait le passage sur la
chaussée de droite et établit plusieurs travaux pour
faciliter la marche des colonnes. — Le fort de Yu-
kia-pou et un des forts delà rive droite ne cessèrent pas,
pendant toute la unit, de battre la plaine de leurs bou-
lets; en outre, des gerbes de feux d'artifices venaient
par intervalles jeter sur les travaux des lueurs subites.
Fort heureusement, les terrains qu'occupaient les tiavail-
leurs se trouvaient en dehors de la ligne habituelle du
tir des pièces ennemies, et leur feu ne nous fit essuyer
aucune perte.
XCA'III. — Au point du jour, la brigade du général Col-
LIVRE I, CHAPITRE IV. 145
lineau déboucha par les deux chaussées et marcha en
s'appuyant au fleuve ; — nous attaquions la droite du
fort.
A six heures du matin, l'artillerie alliée placée à
1500 mètres de distance environ, commence à canon-
ner le premier fort qui avait un parapet crénelé, dont
chaque embrasure était armée d'une pièce de canon. Ce
fort répond vigoureusement, secondé par les batteries
de la rive droite qui nous prennent d'écharpe, et par
d'autres batteries élevées à l'entrée du village de Sin-ko.
Aussi, le général Collineau, après avoir mis deux de ses
pièces en position devant le fleuve, a placé les quatre
autres sur la rive même du Peï ho, pour contre-battre
de ce côté les feux ennemis.
Le tir des alliés sûrement dirigé, ne tarda pas à pro-
duire des dégâts considérables. Vers sept heures, deux
explosions successives se font entendre ; ce sont deux
poudrières qui sautent, lançant au loin des débris en-
flammés, l'une dans le fort de face, l'autre dans le fort
de gauche très-éloigné de nos attaques, mais sous le
feu de nos canonnières. Deux nuages épais de fumée
enveloppent ces deux ouvrages et les dérobent pendant
un instant à nos regards.
Trois compagnies du 102* se sont avancées résolu-
ment; abritées par un petit épaulement, efles attendent
l'ordre de se lancer à l'assaut. — L'artillerie s'est rap-
prochée à une distance de 600 mètres environ.
Le capitaine Lesergeant d'Hendecourt, aide de camp
du général Collineau, est chargé d'aller reconnaître les
II 10
146 CAMPAGNE DE CHINE.
obstacles qui défendent les approclies de l'ouvrage en-
nemi. Trois fossés pleins d'eau traversent un terrain
fangeux; on ne peut les aborder que par deux voies
très-étroites. Dans les intervalles qui séparent les fossés
entre eux, les Chinois ont placé plusieurs rangées de
pieux croisés et profondément enfoncés en terre (l).
XCIX. — Une fois le terrain bien reconnu , le gé-
néral Collineau fait prévenir son collègue le général Na-
pier, qu'il croit le moment venu de lancer les colonnes
d'allaque.
Une compagnie de voltigeurs du 102" se déploie en
tirailleurs en avant de notre front, suivie de près par la
4* compagnie du 1" bataillon, à la tête de laquelle s'est
mis le colonel O'Malley. Les coolies qui portent les
échelles marchent avec une section du génie, sous les
ordres du capitaine Bovet. — L'ennemi commence
aussitôt contre les assaillants un feu violent de mous-
quelerie et de gingalls qui couvre de balles le ter-
rain que l'on doit traverser pour arriver au premier
fossé.
A la violence de ce feu, il est facile de comprendre que
les Chinois ont préparé d'énergiques moyens de défense,
et qu'ils ne céderont pas facilement la place. Le passage
est difficile, et l'ennemi redouble d'énergie pour nous
arrêter. Ce fossé est si rapproché des remparts que les
troupes essuient des pertes sensibles ; mais les projecti-
(1) Dépêche du général en chef au ministre de la guerre, 24 août
1860. Camp de Sin-ko.
LIVRE I, CHAPITRE IV. 147
les de toute nature qui se succèdent avec une rapidité
toujours croissante n'arrêtent pas leur élan. — Les coo-
lies ont essayé de placer des échelles en travers du
fossé, plusieurs sont mortellement frappés, les autres
hésitent, et quelques échelles sont abandonnées; une
nouvelle section du génie accourt sur le terrain et se
met à l'œuvre ; car tout autour de la chaussée étroite sur
laquelle se pressent nos soldats et leurs chefs impa-
tients d'atteindre les remparts, s'étendent des terrains
inabordables, couverts d'eau et de fange.
Enfin le fossé est franchi; le terre-plein est hérissé de
pieux de bambous durcis au feu qui forment une épaisse
palissade ; — c'est à grand peine que ces pieux bri-
sés, pour ainsi dire, un à un, nous livrent un passage,
mais cette lutte contre les obstacles accumulés devant
les remparts, a lieu toujours sous le feu de l'ennemi.
Et les officiers qui ont donné les premiers l'exemple du
courage et de l'énergie, sont presque tous hors de com-
bat, le lieutenant Grandperrier est tombé à la tête des
hommes qu'il commande.
C. — Le lieutenant- colonel Diipin et le capitaine
d'état-major Foerster qui ont été mis sous le comman-
dement du général Collineau, reçoivent l'ordre d'aller
s'assurer de la position réelle des troupes engagées.
Le capitaine Foerster revient; il rend compte de la ré-
sistance qu'éprouvent les colonnes d'attaque, et des
pertes qu'elles ont subies sous le feu ennemi.
Le moment est décisif; le général tenait sous sa main
148 CAMPAGNE DE CHINE.
trois compagnies d'infanterie de marine , il se met à
leur lôle et les lance au pas de course.
Plusieurs échelles ont ét6 dressées le long des rem-
parts; mais les Tarlares et les troupes chinoises qui
avaient l'année précédente si facilement a])andonné le?
murs de Canton, luttent cette fois en désespérés; il
semhle que leurs chefs comprennent qu'ils défendent
leurs derniers remparts sur le Veï ho. — Dans ce mo-
ment de suprême défense, sentant, pour ainsi dire,
monter jusqu'à eux le souffle haletant de leurs ennemis,
ils appellent à leur aide tout ce qu'ils trouvent sous leurs
mains; ils accablent les assaillants d'une nuée de flèches,
et cherchent à percer avec de longues piques ceux qui
apparaissent au sommet des échelles, ou à les écra-
ser en faisant rouler sur eux des houlets jetés à la main.
Le commandant Testard et le lieutenant de vaisseau
Rouvière se sont élancés les premiers, l'ennemi lente
de renverser les échelles; il parvient môme à en tirer
une à lui par les créneaux. — d'est une lutte corps à
corps. Le lieutenant Rouvière est culbuté par un bou-
let, jeté du haut de la muraille, mais bientôt il reprend
connaissance, et gravit de nouveau le rempart.
La drapeau de la France flotte entin au sommet des
riiurailles. Le lieutenant-colonel Uupin a pénétré dans
l'intérieur du fort, à la tète de quelques hommes, dont
le nombre se grossit bientôt. Parmi eux, est le jeune
maréchal des logis Blanquet Duchayla, qui tombe tra-
versé par plusieurs balles à la fois. — Le combat n'est
par terminé; les Tartares, les meilleures tioupes de
LIVRE I, CHAPITRE IV. 149
l'Empire, veulent encore résister et défendre le terrain
pied à pied. Entassés dans un espace restreint, ils cher-
chent à nous empêcher de pénétrer plus avant ; mais
nos soldats s'élancent sur eux à la haïonnette, et les re-
foulent énergiquement.
CI. — De leur côté, les Anglais envahissent bientôt
aussi le fort, et plantent après nous sur les créneaux
conquis, leur drapeau national.
Les assiégés enveloppés ainsi de tous côtés, ne cher-
chent plus leur salut que dans la rapidité de la fuite.
On les voit s'élancer éperdus, et se jeter du haut des pa-
rapets, ou disparaître par toutes les issues; nos halles
les poursuivent, et jonchent le sol de cadavres, en de-
hors du fort : quelques-uns de ces malheureux restent
accrochés sur les pointes acérées des pieux qui dé-
fendaient l'approche des remparts, et y trouvent une
mort affreuse.
Certes, jamais l'armée chinoise depuis que nous la
combattions, n'avait si vaillamment et si rudement ré-
sisté.
« Dans cette attaque (écrit le général au ministre) (!},
les Chinois ont perdu plus de 1000 hommes tués, soit
dans le fort même, soit en fuyant dans la campagne le
long du fleuve, pour atteindre le dernier fort de la
rive gauche. La terre était couverte de leurs cadavres.
J'ignore le nombre des blessés ; il a dû être considéra-
(1) Dépêche particulière du 23 août 1860.
150 CAMPAGNE DE CHINE.
ble, si l'on peut en juger par tous ceux qu'ils ont em-
portés en fuyant.
» Mais nos pertes étaient sérieuses et cruelles. Le
lieutenant Grandperrier des voltigeurs au 102, le ma-
réchal des logis Duchayla, ont été frappés mortellement,
les lieutenants Balme ci Porto, et l'adjudant sous-of(icier
Luncl, du 102% sont grièvement blessés. — Sur huit
officiers des deux compagnies du 102% deux seulement
ont été épargnés par le feu ; la seule compagnie de vol-
tigeurs compte 62 hommes tués ou blessés. »
CIL — Pour compléter la victoire, et profiter du
désordre que la prise de ce fort important devait avoir
jeté dans l'armée ennemie, les généraux en chef décidè-
rent que dans la seconde journée on attaquerait le se-
cond fort, vers lequel on avait vu se diriger les Tartares
en fuite.
Pendant le temps nécessaire aux dispositions à prendre
pour cette nouvelle attaque, le lieutenant-colonel Du-
pin, chef du service topographique, reçut l'ordre de
prendre avec lui une cinquantaine d'hommes, et d'aller
reconnaître les abords de cet ouvrage, éloigné de
douze à quatorze cents mètres environ du premier.
La chaussée se continuait et servait de communication.
Trois fossés remplis d'eau, dont le dernier était creusé
au pied môme des remparts, profég-eaient les approches
du fort. — Les intervalles qui séparaient ces fossés
étaient couverts d'abatis et de palissades. Si les rem-
parts étaient bien défendus, l'attaque rencontrerait de
LIVRE I, CHAPITRE IV. 151
grandes difficultés, et nous coûterait peut-être beau-
coup de monde. Il était pourtant probable que l'on
pourrait tourner ces obstacles, et trouver un passage
plus facile du côté du fleuve, dans la direction qu'avaient
prise les fuyards.
Pendant que cette reconnaissance s'exécutait, l'ennemi
fit un feu assez suivi de gingalls, et tira quelques coups
de canon.
cm. — Les colonnes alliées se préparaient donc à mar-
cher, lorsque l'on vit tout à coup flotter des drapeaux
blancs sur le sommet des remparts, le lieutenant-co-
lonel Dupin, et le capitaine Grant, aide de camp du
général en chef anglais, se dirigèrent aussitôt vers le
fort avec M. Parkes, qui servait d'interprète. — Ils al-
laient atteindre le premier fossé, lorsqu'ils aperçurent
une barque portant les parlementaires ennemis, et se
dirigeant vers le point où ils s'étaient arrêtés. Ces par-
lementaires, mandarins d'ordre inférieur, demandèrent
à remettre des lettres pour les ambassadeurs, disant
qu'elles contenaient l'autorisation aux alliés, d'entrer
dans le Peï ho, à la condition que les hostilités seraient
suspendues.
Les olficiers français et anglais, répondirent qu'une
semblable proposition était dérisoire, que du reste, les
ambassadeurs n'étaient pas au camp, et que l'on ne
pouvait leur remettre cette dépêche. « La seule pro-
position acceptable, ajoutèrent-ils, était la reddition
pure et simple des forts, et nous venons par ordre des
152 CAMPAGNE DE CHINE.
conimandants cmi cliel, vous lairo somnialion de les li-
vrer.
« Ils soiil bien armés, répondirent les mandarins, et
seront défendus avec la môme ténacité que l'a été le pie-
mier. »
Les parlementaires alliés retom-nèrent alors auprès de
leurs chefs respectifs, et leur tirent part de l'entretien
qu'ils venaient d'avoir. *
Le général de Montauban voulait se mettre immédia-
tement en marche, et attaquer le second fort, mais le gé-
néral Grant lui fit observer qu'il lui fallait deux heures
pour faire manger ses hommes, et il fut décidé que les
ofticiers parlementaires retourneraient auprès des man-
darins, et leur diraient que si dans deux heures, pour
tout délai, les forts n'étaient pas rendus sans condi-
tion, le feu recommencerait.
Les ofticiers parlementaires alliés, durent pour ac-
i.'omplir leur nouvelle mission passer sur la rive droite
du fleuve, où cette fois ils furent reçus par un chef tar-
lare d'un grade élevé. Ce chef proposa une suspension
d'armes pour faire parvenir la dépèche de leur gou-
vernement aux ambassadeurs des deux nations, et en
recevoir la réponse. Mais à ces nouveaux attermoie-
ments qui n'avaient aucun caractère sérieux, il fut ré-
pondu : a Dans deux heures les forts rendus ou pris.
— Soit donc, dit avec hauteur le chef tartare, nous
avons des canons et de la poudre, nous vous attendons.»
CIV. — Le combat menaçait d'être sérieux, caries co-
lonnes d'attaque devaient marcher sous le feu des forts
LIVRE I, CHAPITRE IV. 153
de la rive droite. Aussi le général de Montauban, profi-
lant des deux heures qui lui restaient avant l'attaque, fit
venir toute son artillerie pour tenir en respect ces forts
qui pouvaient à un moment donné gêner sérieusement
les mouvements de ses troupes.
Par son ordre, le colonel de Bentzmann amène sur le
terrain deux batteries de 4, la seconde batterie de 12,
et la section de fuséens. — Les pièces de 4 canonneront
le second fort de la rive gauche; — celles de 12 pren-
nent position avec les fuséens sur les rives du Peï ho,
pour contre-battre le grand fort de la rive droite.
A deux heures les ouvrages ennemis ne s'étant point
rendus, les alliés se remirent en marche, — les Fran-
çais, tenant toujours la droite, se développaient dans les
terrains entre la chaussée et le Peï ho.
Le commandant en chef est en tète de la colonne avec
son état-major et le général Collineau, qui a eu dans le
précédent combat son épaulette traversée par une balle.
Les troupes qui ont combattu le matin forment la réserve.
CV. — Pendant que l'infanterie de marine, déployée
en tirailleurs, cherche un passage le long du fleuve, nos
troupes s'avancent directement sur le fort ; — l'artillerie
est prête à ouvrir son feu , aussitôt que l'ennemi aura
commencé le sien. — Mais les forts restent silencieux,
pas un coup de canon n'est tiré des embrasures, pas une
balle ne part du sommet des remparts; ce silence a
quelque chose d'étrange. — Quel peut être le projet des
Chinois? Yeulent-ils nous laisser approcher jusqu'au pied
154 CAMPAGNE DE CHINE.
des murailles pour nous accabler tout à coup d'une
nuée de projectiles, et nous envelop]»er de mitraille? Le
général de Montauban redoute quelque embûche, et
envoie en avant une compagnie de génie qui doit s'as-
surer que le fort et ses approches ne sont pas minées.
Les troupes avancent toujours en bon ordre. — Déjà
elles ont atteint le premier fossé, — la section du génie
place les échelles; le général GoUineau s'y hasarde le
premier avec ce courage intrépide, dont il avait déjà
donné tant de preuves sur les champs de bataille de
Crimée. — Derrière lui toutes les troupes ont franchi
rapidement ce premier obstacle. — Les abatis sont ren-
versés, le passage est libre jusqu'au second fossé, et le
fort reste toujours silencieux, comme s'il eût été su-
bitement abandonné par tous ses défenseurs. — Ainsi
que le premier, le second fossé est bientôt franchi; ce
second ouvrage est armé d'une artillerie formidable et
a sur ses cavaliers des pièces du plus gros calibre. Au
moment où chefs et soldais ont atteint le pied des rem-
parts et rivalisent d'ardeur pour monter à l'escalade,
ils aperçoivent les compagnies d'infanterie de marine et
du génie, qui déjà ont pénétré dans le fort par les
issues qui donnent sur le fleuve et qu'elles ont trouvées
ouvertes.
CVI — Un spectacle étrange s'offrit alors; sur le
revêtement intérieur des faces opposées sont groupés
immobiles près de 3000 Tartares. — Devant eux leurs
armes sont jetées à terre ou réunies en faisceaux.
LIVRK I, CHAPITRE IV. 155
La physionomie de ces malheureux exprime la terreur.
Le général de Montauban demande leur chef. « Ils
n'en ont pas, » répondent-ils.
Le général Grant qui a pénétré dans le fort par la
gauche a bientôt rejoint son collègue français. — Dans
le même moment, trois Chinois ne portant aucun in-
signe d'un rang élevé se présentent; ils viennent dire
que le général en chef ayant été tué dans l'attaque du
premier fort, les troupes ne peuvent plus combattre;
car nul, sans un ordre spécial de l'Empereur, ne doit et
n'ose s'emparer du commandement et en assumer la
lourde responsabilité. « Du reste, ajoutent-ils, le pre-
mier fort n'ayant pu résister à l'assaut qui lui avait été
livré , celui-là aurait en vain essayé de se défendre. —
Les troupes se rendent donc à discrétion , et demandent
à être envoyées saines et sauves sur la rive droite. »
Les généraux alliés répondent qu'elles seront toutes
rendues à la liberté; mais que d'abord deux officiers an-
glais et deux officiers français iront demander au Vice-
roi, qui est de l'autre côté du fleuve, la remise des
défenses du sud.
Le chef d'escadron Campenon, et le capitaine de
Gools furent chargés de cette mission. M. Parkes, que sa
connaissance approfondie de la langue chinoise rendait
très-utile dans toutes ces négociations, accompagnait
les officiers anglais désignés.
La reddition si inattendue de ce fort, que les ouvrages
de la rive droite auraient pu si efficacement protéger et
soutenir, montrait à quel point la démoralisation s'é-
156 CAMPAGNE DK CHINE.
tait emparée de l'armée ennemie, et taisait supposer
que le vice-roi du Pc-tchi-li , comprenant l'inutilité
d'une résistance stérile, ne tenterait pas plus longtemps
de nous barrer le passage.
CYII. — Une jonque transporta rapidement les of-
ficiers parlementaires sur la rive droite.
" Arrivés sur l'autre rive (écrit le général de Mon-
tauhan au ministre de la guerre, dans sa correspondance
du 23 août), les officiers tentèrent de pénétrer dans le
premier fort, mais ils eu furent écartés par im man-
daiin militaire, qui lit lever devant eux les ponts-levis.
« En ce moment, un autre mandarin porteur de
dépêches pour les généraux alliés se présentait à eux.
Ces dépêches ouvertes, sur-le-champ, et traduites par
M. Parkes, de l'armée anglaise, offrait l'abandon aux
alliés des forts conquis le matin, et l'ouverture du Pci ho
aux escadres, mais réservait aux Chinois les forts et les
ouvrages de la rive droite. »
On le voit, à chaque pas en avant de nos troupes vic-
torieuses le cercle des concessions s'agrandissait, mais
c'était par lambeaux que les Chinois semblaient se les
arracher à eux-mêmes, voulant sans doute conserver
ainsi les allures d'une transaction, pour cacher leur
rapide défaite aux yeux du souverain, bercé depuis si
longtemps par les illusions d'un facile triomphe.
Mais ces nouvelles propositions furent repoussées
comme l'avaient été celles faites quelques heures aupa-
ravant. Le mandarin qui [lortait cette dépêche n'avait
LIVRE I. CHAPITRE IV. 157
aucune mission pour en discuter ou en modifier le con-
tenu, aussi les officiers parlementaires résolurent d'aller
trouver le A'ice-roi lui-même, dans son yamoun de
Ta-kou.
Selon l'habitude du gouvernement chinois, le Yice-roi,
gouverneur général du Pe-tchi-Ii , tenta de mettre les
envoyés alliés en présence de mandarins insignifiants,
mais ils déclarèrent que c'était au Vice-roi lui-même
qu'ils voulaient parler, et que s'ils n'étaient point admis
devant lui sans retard, ils retourneraient à leur camp,
où l'ordre de continuer l'attaque des forts serait im-
médiatement donné.
CYIIÎ. — Le Vice-roi ne put se dérober plus long-
temps à uiie insistance si nettement accentuée, et ks
parlementaires furent enfin introduits. Ce haut digni-
taiie, vieillard trèb-âgé, avait une cinquantaine de man-
darins de différents grades, rangés autour de lui. Il
accueillit très-affablemeat les envoyés, se servant vis-
à-vis d'eux des e.xpiesbions les plus courtoises; mais il
se montra, tout d'abord, inébranlable dans sa réso-
lution.
« Il pouvait bien , disait-il, rendre libre l'entrée du
Peï ho, mais il ne consentirait jamais à la reddition des
foris de la rive droite. »
Une discussion très-longue s'engagea à ce sujet . et
plusieurs fuis, devant celte persistance opiniâtre contre
laquelle venaient se bi'iser tuus kurs arguments, les
ofiiciers parlementaires remotitèrent à cheval, rendant
158 CAMPAGNE DE CHINE.
le Vice-roi responsable des malheurs qu'entraîneraient de
nouveaux combats pour les populations nombreuses de
la rive droite. — Mais au moment où ils s'éloignaient, le
Vice-roi les faisait rappeler, et essayait par de nou-
veaux raisonnements à tourner la question, pour dimi-
nuer le poids des cruels sacrifices auxquels il sentait
bien qu'il ne pouvait plus échapper. Son visage, profon-
dément attristé, exprimait plus peut-être que ses paroles
la douleur qu'il ressentait d'en être réduit à une aussi
fatale extrémité.
Enfin il céda, demandant l'autorisation de faire re-
chercher le corps du général en chef tué dans le com-
bat du matin; cette autorisation lui fut aussitôt accordée.
GIX. — Il était neuf heures du soir, et les offi-
ciers, partirent emportant avec eux les conditions de
la reddition des forts, signées de la main même du
Vice-roi.
Ces conditions étaient :
« Que tous les forts de la rive sud (droite), avec les
canons et munitions de guerre , ainsi que tous les camps
retranchés, seraient remis entre les mains des com-
mandants en chef.
« Que des ofliciers tartares seraient délégués pour
indiquer l'emplacement de toutes les mines qui existaient
dans les forts et de toutes les défenses cachées placées
dans la rivière du Peï ho. »
Les parlementaires atteignirent leur camp respectif
assez avant dans la nuit , et le général Granl envoya le
LIVRE I, CHAPITRE IV. 159
lendemain, de Irès-grand matin, au général de Montauban
une traduction exacte de la convention (1); il annonçait
en même temps au commandant en chef français, que
le vice-roi Hang-Fuh devait se rendre dans la matinée au
fort extérieur du sud, pour mettre à exécution la red-
dition qu'il avait consentie. — Le général Napier fut dési-
gné par le général Grant pour se rencontrer avec le gou-
verneur général du Pe-tchi-li. Le général de Montauban
délégua pour la même mission un officier supérieur.
ex. — Ainsi, après quelques heures de combat,
(1) Le soussigné, Hang-Fuh, vice-roi de la province de Pe-tchi-li,
adresse la comnaunication suivante aux commandants en chef français
et anglais (anglais et français) des forces militaires et navales (navales
et militaires).
Le cinquième jour du présent mois (21 août), les honorables com-
mandants en chef ont attaqué les forts par terre et par mer, et ont
pris les forts situés sur la rive nord. Ce succès prouve la puissance
des troupes des honorables commandants en chef, et l'armée chinoise
étant vaincue, fait sa soumission. Cette armée s'étant, en conséquence,
retirée de tous les forts de la rive sud, consent maintenant à remettre
entre les mains des honorables commandants en chef tous ces forts
avec leurs engins de guerre de toute nature, ainsi que tous les camps
fortifiés ou retranchements.
Le soussigné s'engage de plus à déléguer des officiers qui indique-
ront aux envoyés des commandants en chef la position de toutes les
mines q\ii existent dans les forts , et de toutes les défenses secrètes
placées dans la rivière, afin qu'il ne puisse arriver aucun malheur
aux honorables alliés. Il est entendu que la reddition des forts , aussitôt
qu'elle sera effectuée, sera suivie delà cessation des hostilités dans
celte localité, et aussi que les habitants ne souffriront aucun dom-
mage et seront protégés efficacement, tant dans leurs biens que dans
leurs personnes.
Une communication nécessaire, datée du cinquième jour du septième
mois de la dixième année du règne de Heen-Fung.
(Traduit du chinois en anglais, par M. Par'Kes.)
160 CAMPAGNE DE CHINE.
nous étions restés maîtres do ces défenses formida-
bles accumulées pendant toute une année jiar les Chi-
* nois pour nous intercepter le passage du l\ï lio. Les
barrages et les estacades élevés à l'entrée du fleuve
tombaient d'eux-mêmes devant nos bâtiments: — la
route de Tien-tsin était libre de nouveau.
Enveloppées de tous côtés par l'armée de terre et par
l'armée de mer, les troupes chinoises, privées de leur
général en chef, furent saisies d'un complet découra-
gement. Elles compru'ent que ce cercle de fer et de feu
qui les enserrait, allait se refermer derrière elles et
leur intercepter la retraite. En e{l"( t, la brigade Jamin,
formée en bataille sur la rive droite, attendait le mo-
ment opportun d'entrer en action. La marine, de son
côté , n'était pas restée inactive.
CXI. — Disons le rôle qu'elle avait joué.
La veille, l'amiral Charner avait donné ordre au contre-
amiral Page de prendre un groupe de quatre peiiles
canonnières en fer, les seules qu'il eût à sa di>posiiion,
et d'aller mouiller sur la rive gauche du Vci lio, sur les
bancs de vase" molle bali-és les jours précédents. L'ami-
ral, conunandant en chef, emmenait avec lui à l'em-
bouchure du lleuve les grandes canonnières, qui jetèrent
l'ancre à six heures du soir, en dedans de la barre, à
un nulle environ des forts du sud. — Les batteries
chinoises n'avaient pas inquiété les mou\e/iicnls du nos
bâtiments, mais, vers le soir, l'ennemi lança des ma-
chines incendiaires, qui tirent explosion à une petite
LIVRE I, CHAPITRE IV. 161
distance des navires, sans toulefois leur causer aucun
dommage.
Le 21 , aussitôt que les armées alliées se furent
mises en marche, les petites canonnières, sous les
ordres de l'amiral Page, ouvrirent leur feu contre le
fort du littoral conjointement avec quatre canonnières
anglaises.
La marine par sa présence et par son action, avait com-
plété un ensemble d'attaque et, ainsi que nous l'avons
dit plus haut , montré aux défenseurs des forts qu'ils
étaient enveloppés de toutes parts.
CXII. — La journée du 21 août mettait en notre pos-
session un matériel formidable d'artillerie.
« Nous avons trouvé (écrivait au ministre de la guerre
le général de Montauban) 518 pièces de canon, savoir '
gros calibre en bronze, 65 pièces, — ancien petit calibre-
53 ; — en fonte, gros calibre, 133 pièces ; — petit calibre,
277; — plus, une bombe à feu de 1 mètre de diamètre
à la culasse et de 6,27 d'âme. Nous avions établi la
convention, le général en chef anglais et moi, que les
pièces seraient partagées, mais j'ai cru entrer dans les
vues du gouvernement de l'Empereur en exceptant de
ce partage les pièces, en petit nombre du reste, perdues
par l'armée anglaise à la première attaque des forts, en
juin 1859.
« C'est, ajoutait le général en chef, au général GoUineau ,
soldat intrépide, qu'est due une grande partie des derniers
succès obtenus. Je n'ai pas besoin de faire ressortir les
II 11
162 CAMPAGNE DE CHINE.
brillantes qualités militaires de cet officier général. Le
colonel de Bentzmann a été en quelque sorte la cheville
ouvrière de l'expédition; rien n'a coûté à ce brave et
intelligent officier pour me seconder en toute circon-
stance. »
En raison du petit nombre de troupes engagées, nos
pertes étaient sérieuses : sur 400 hommes environ qui
avaient pris part à l'action, 140 avaient été mis hors de
combat. — Les Anglais avaient eu 17 officiers tués ou
blessés.
CXIIL — La reddition des défenses du Peï ho devait,
selon toute probabilité, surtout d'après les assurances du
gouverneur du Pe-tclii-li , terminer les opérations mili-
taires et amener la signature du traité de paix conclu
l'année précédente à Tien-tsin; aussi, le général de
Montauban fit-il immédiatement partir pour la France
le commandant Deschiens, son premier aide de camp;
le commandant était chargé de porter à l'Empereur le
traité de reddition des forts de Ta-kou.
Mais les événements devaient se compliquer encore
et nécessiter de nouveaux combats, aussi glorieux pour
nos armes que désastreux pour le Céleste-Empire.
L'embouchure du Peï ho, débarrassée des obstacles
que les Chinois y avaient accumulés, livrait, le lendemain
22 août, un libre passage aux flottes alliées. •
« Les estacades (écrit l'amiral Charner) méritent d'être
décrites. — On en comptait six. — C'ét.iit d'abord une
rangée de forts pieux en bois alignés à l'intérieur des
LIVRE I, CHAPITRE IV. 163
forts; puis un double barrage de piquets en fer, dont
chaque pièce, d'un poids énorme, profondément enfon-
cée dans le sol, ne laissait paraître que sa pointe aiguë
au moment de la basse mer. Quelques-unes de ces
pièces, de la grosseur d'une forte tige d'ancre, sont
estimées d'un poids de quinze à vingt tonneaux. —
Une troisième estacade était formée de cylindres flot-
tants reliés entre eux et fixés aux rives par de fortes
chaînes ; — la quatrième était on tous points sembla-
ble, pour la forme , à la seconde, mais composée de
pièces moins fortes ; enfin les deux dernières étaient
composées d'un assemblage de bateaux ou de madriers
rattachés par des chaînes et des câbles aboutissant aux
deux bords du fleuve, où les extrémités étaient soUde-
ment établies (1). »
CXIV. — L'amiral Hope, mécontent sans doute du
rôle secondaire qu'avait joué la marine dans les opéra-
tions du 21 août, et dans la reddition des forts, profita
de l'ouverture du Péï ho pour remonter cette rivière avec
trois canonnières , sans s'être entendu préalablement
avec aucun des commandants en chef alliés, ni même
avec son collègue de la marine, sur l'entreprise qu'il vou-
lait tenter, — Cette détermination, entièrement con-
traire aux instrucfions données à l'amiral anglais par
son gouvernement, pouvait, en outre, en engageant
ainsi le pavillon alhé sans forces suffisantes, avoir un rc-
(1) Dépêche au ministre de la marine, le 23 août 1860.
164 CAMPAGNE DE CHINE,
siillat fatal el amener un événeineiil désaslreux, comme
celui du Peï-ho, l'année précédente. Si les Chinois eussent
projeté de défendre l'entrée de Tien-tsiii, l'amiral Ilope
eût trouvé devant celle ville deux forts considérables ar-
més de canons de gros calibre, et croisant leurs feux sur
le fleuve. Fort heureusement, l'armée tarlare, frappée
de terreur, s'était retirée entre Tien-tsin el Pé-king.
La ville élait ouverte et n'éiait nullement préparée à
une action de guerre. Le général Graiit el lord Elgin,
en apprcnaiit le départ subit de l'amiral , parurent
fort surpris. — Sans nul doute, cet étonnement élait
sincère.
L'amiral Cliarner, aussitôt qu'il eut connaissance du
départ de son collègue, remonta rapidement le Peï ho
pour montrer à Tien-tsin le pavillon français en même
temps que le pavillon de l'Angleterre.
Ce petit incident n'eut heureusement pas d'autre suite ;
il élait insignifiant par ses résultats, mais il aurait pu
compromettre une position excellente et nous enlever
subitement tous les avantages des faits si heureusement
accomplis.
CXV. — Le 25 août, deux mille hommes, dont mille
de chacune des armées alliées, s'embarqua sur le Peï ho
pour gagner la ville de Tien-tsin; les deux généraux
en chef les accompagnaient. — Ils arrivèrent à Tien-
tsin le 26.
En apprenant que cette ville n'avait opposé aucune ré-
sistance, ils décidèrent d'un commun accord que, pour
LIVHE I, CHAPlTnii IV. 165
donner entière sécurité aux habitants inoffensifs, et évi-
ter les désordres toujours inévitables d'une occupation
intérieure, ils feraient camper leurs troupes extérieu-
rement.
a Nous avons choisi chacun (écrit le général de Mon-
lauban) l'un des grands forts de la rive droite et de la
rive gauche, et nous y avons installé nos troupes; les
miennes sont dans une excellente position sur la rive
gauche du fleuve, et elles sont abondamment pourvues
de tout ce qui leur est nécessaire (1). »
Ici se termine, pour quelques jours du moins, la pre-
mière période des opérations militaires des armées alliées
en Chine.
Les ambassadeurs de France et d'Angleterre avaient
déclaré qu'ils ne consentiraient h entamer de négocia-
tions pacifiques que dans la ville de Tien-tsin môme où,
l'année précédente, avaient été arrêtées et consenties
les conditions du traité. — Nous avons franchi le Peï ho,
nous occupons Tien-tsin, la diplomatie va donc re-
prendre son rôle, et tout doit faire présager que les
Cbinois, instruits enfin de leur impuissance par leur ra-
pide défaite, se décideront à sortir des dédales astucieux
de leur politique habituelle. Nos bâtiments et nos armées
sont au cœur du Céleste-Empire, et nos troupes déjà
victorieuses peuvent se porter rapidement sur la capi-
tale même, si la cour de Pékin persistait dans ses at-
termoiements interminables.
(1) Correspondance du 2 septembre. Quartier général de Tien-tsin.
166 CAMPAGNE DE CHINE.
L'avenir devait malliciircuscment prouver que la
trahison et la mauvaise foi n'avaient pas encore dit leur
dernier mot, armes tout aussi stériles dans les mains du
gouvernement chinois que l'avaient été les tentatives
de résistance de ses troupes impuissantes.
c::^c^or:^
LIVRE II
LIVRE IL
CHAPITRE PREMIER.
I. — Les alliés sont installés à Ticn-lsin. Le général de
Montaul3an, après s'être entendu sur toutes les mesures
d'installation et d'approvisionnement, est retourné au
camp de Sin-ko pour surveiller et organiser lui-même
le départ du restant de son petit corps d'armée. Les bâti-
ments légers de la division navale étaient en trop petit
nombre pour que le général pût songer à utiliser la voie
maritime; aussi, se décida-t-il à se rendre à Tien-lsin
par terre, en suivant la route le long du fleuve, malgré
une cbaleur accablante.
Afln d'éviter des encombrements qui eussent retardé
la marcbe des troupes dans ce pays à tout instant coupé
par des canaux, l'artillerie, conduite par le colonel de
Bentzmann, ne se mit en route que vingt-quatre heures
après l'infanterie.
Il avait été ordonné aux officiers de maintenir la dis-
cipline la plus sévère parmi leurs hommes, en traversant
170 CAMPAGNE DE CHINE.
les terrains cultivés et les jardins remplis de fruits el de
légumes. — Grâce à la surveillance extrême des chefs,
l'ordre ne cessa pas de régner, et partout le camp fut
approvisionné contre remboursement.
Parfois la route que suivait la colonne traversait des
terrains couverts de la plus riche culture ; puis, à cette
fertilité abondante succédaient des plaines sablonneuses
et d'une désolante aridité. — Aux aijords des viUages
souvent trcs-rapprochés les uns des autres, le pays re-
prenait tout à coup son aspect de fécondité : c'étaient
des champs de mais et de millet, et des plantations de
sorghos, dont les tiges élevées atteignent souvent une
hauteur de six à huit pieds; de temps à autre quelques
groupes d'arbres étendaient leur ombre bienfaisante sur
les troupes épuisées par la chaleur et brûlées par les
rayons ardents d'un soleil de feu.
II. — Le corps expéditionnaire au grand complet a
pris ses campements en dehors de Tien-tsin. — Les An-
glais occupent le fort delà rive droite, les Français celui
de la rive gauche.
Les deux généraux en chef ont établi leur quartier
général dans la ville même. Le général Montauban a
pour résidence le yamoun occupé l'année précédente
par les deux ambassadeurs.
Le général Grant et lord Elgin ont choisi une magni-
fique habitation sur la rive droite du fleuve.
Les nouvelles arrivées de Shang-haï engagèrent le gé-
néral de Montauban, malgré le petit nombre de troupes
LIVRE H, CHAPITRE I. 171
qu'il avait à sa disposition, à envoyer immédiatement sur
ce point 200 hommes d'infanterie de marine et une de-
mi-batterie de montagne , pour renforcer les troupes
laissées dans celte ville, sous les ordres du colonel Favre,
pour protéger, contre les entreprises des rebelles, les
possessions françaises. — Les rebelles, en effet, devenus
plus menaçants depuis notre départ, avaient attaqué
Shang-haï; bien qu'ils aient été repoussés avec des pertes
sérieuses, il était cependant important, dans la pré-
vision de tentatives nouvelles, d'augmenter le nombre
des troupes laissées à la garde de cette ville. — Le gé-
néral Grant envoya aussi, de son côté, un régiment pour
renforcer la garnison.
Ces faits partiels, résultat inévitable et logique du triste
état de décomposition et de démembrement dans lequel
se trouvait l'Empire chinois divisé en deux partis re-
doutables,* n'ont qu'un intérêt secondaire en face des
grands événements qui vont se passer au cœur même
du Céleste-Empire ; il suffit donc de les indiquer en
passant.
IIL — Nous n'entrerons pas dans de grands détails sur
Tien-tsin, dont nous avons longuement parlé dans la
première partie de ce travail (1), lors de la première ap-
parition, en 1858, des troupes alliées dans cette ville im-
portante.
Tien-tsin, nous l'avons dit, est le centre d'un com-
(1) Les expéditions de Chine et de Cochinchine ; I" partie, 1858.
172 CAMPAGNE DL CHINE.
merce immense. — C'est vers ce grand centre qu'af-
fluent, de toutes les parties de i'Empii-e, les approvi-
sonnements destinés à la capitale ; c'est là que le
grand canal impérial conduisant à Pé-king vient se
réunir au Peï ho. En occupant Tien-tsin les forces
alliées menaçaient donc le cœur de l'Empire; aussi,
c'était pour ce peuple dédaigneux un étrange spec-
tacle de voir des nations européennes se frayer un pas-
sage avec leurs flottes et leurs armées dans les eaux
de ce fleuve dont la navigation avait été jusqu'à ce
jour réputée impossible pour des bâtiments de guerre.
— Une partie des habitants de Tien-tsin avait aban-
donné ses maisons craignant que la ville ne fût livrée
au pillage. Les proclamations du gouverneur de la pro-
vince nous avaient représentés comme des barbares
avides de sang qui portaient partout la ruine et la dé-
vastation. — Aussi les ordres les plus sévères furent
donnés pour que les troupes, toutes, on le sait, campées
à l'extérieur, ne pénétrassent pas dans l'intérieur de la
ville, afin de rendre la confiance à cette population si
injustement épouvantée.
Du reste, les hostilités paraissaient toucher à leur fin.
Les nations loyales ne peuvent pas toujours soupçonner
la déloyauté et la perfidie, et les faits qui se produi-
sirent durent faire croire que le traité de Tien-tsin re-
cevrait enfin son accomplissement et sa ratification à
Pé-king, ainsi que les nouvelles clauses nécessitées par
les frais de guerre qu'avaient eu à supporter de nou-
veau les puissances alliées.
LIVRE H, CHAPITRE 1. ]73
IV. — En effet, deux hauts commissaires impériaux,
Kwei-lianget Ilang-fou, firent savoir aux ambassadeurs
qu'ils étaient prêts à arrêter les conventions définitives du
traité de paix et à terminer enfin les différends regret-
tables qui maintenaient en élat de guerre contre le Cé-
leste-Empire la France et l'Angleterre.
Celte communication élait en tous points d'accord, dans
la forme et dans le fond, avec la lettre adressée par le
gouverneur delà province aux ambassadeurs alliés, aus-
sitôt après la prise des forts de Ta-kou.
Ceux-ci agirent donc sans défiance et crurent, celle
fois encore, à la bonne foi des hauts mandataires du
gouvernement chinois. — Cette lettre, en effet, point de
départ important des négociations qui devaient de nou-
veau s'entamer, était très-précise et ne donnait aucune
place à l'équivoque; elle disait :
« Comme, le 4 de ce mois, les forces de terre et de mer
de votre noble Empire se sont emparées de nos ports de
défense intérieure ; vous avez prouvé parla votre grande
habileté dans l'art de la guerre, et nos troupes ont dû
s'avouer vaincues. Aussi celle dépêche est-elle écrite
pour faire savoir à Votre Excellence qu'il est inutile de
continuer la guerre, et que, relativement au traité conclu
il y a deux ans et aux clauses de l'ultimatum de cette
année, de hauts commissaires munis de pleins pouvoirs pour
résoudre les questions , sont déjà partis et arriveront cer-
tainement aujourd'hui (1). »
(1) Le gouverneur général du Pe-tchi-li au baron Gros.
174 CAMPAGNE DE CHINE.
V. — Kwei-liang et son collègue s'annoncèrent
comme étant ces hauts commissaires. Mais cette dé-
marche n'était qu'un stratagème, pour arrêter pendant
quelques jours la marche des alliés et permettre à l'ar-
mée tartare de se réunir sous le commandement du
fameux chef mogol Sang-ko-lin-sin , afin de couvrir
puissamment les approches de la capitale. — Sang-ko-
lin-sin voulait étahlir devant Pé-king deux grandes étapes
militaires, et l'une ou l'autre devait nous servir de tom-
beau. Ce chef, très-renommé parmi les Chinois, est
revêtu, comme les chefs circassiens, d'un caractère
moitié guerrier, moitié religieux. C'est le même qui,
l'année précédente , pendant les conférences de Ticn-
tsin, gardait la capitale avec un corps considérable de
troupes choisies. — Oncle de l'Empereur régnant, il
est le seul général qui ait réellement battu les rebelles,
lorsque, maîtres de Nan-king, ceux-ci tentèrent d'en-
vahir les provinces du Nord.
La nouvelle convention fut donc (comme l'écrit le ba-
ron Gros) négociée à l'amiable et confidentiellement, afin
de tout fixer rapidement. — Les pourparlers préalables
eurent lieu scion l'usage entre les secrétaires, les haut?
commissaires chinois ayant l'habitude de n'intervenir
personnellement qu'après tous les débats terminés, et
lorsque la rédaction des différentes clauses est arrêtée et
consentie de part et d'autre (1).
Tout fut donc discuté et convenu, ainsi que le nombre
(1) Yoy. la première partie.
LIVRE II, CHAPITRE I. 175
d'hommes qui devaient former une escorte d'honneur
et accompagner les ambassadeurs à Pé-king-.
VI. — Les Anglais, pour éblouir les Chinois, voulaient
que cette escorte fût considérable. — Cette exigence, si
elle créait certains embarras, avait sa valeur dans un
pays où le prestige de la force peut seul conserver quel-
que empire sur l'esprit d'un peuple et d'un gouverne-
ment orgueilleux.
Les généraux en chef étaient déjà prévenus de l'heu-
reuse issue des négociations, lorsque l'on découvrit que
les commissaires chinois n'avaient aucun droit pour
traiter, et qu'il leur fallait en référer à la cour de Pé-king,
avant de rien conclure définitivement. Celte nouvelle
preuve de fourberie était trop patente, pour qu'on ne de-
vinât pas le but caché d'un semblable stratagème.
« Lorsque nous avons demandé aux secrétaires chinois
( écrit le baron Gros au ministre des affaires étrangères)
que la veille, et pendant les visites d'étiquette , les pléni-
potentiaires se communiquassent respectivement leurs
pleins pouvoirs, un embarras visible s'est manifesté
parmi eux, et, pressés de questions, ils ont déclaré que
Kwei-hang, le premier dignitaire de l'Empire, nous avait
trompés lorsqu'il nous avait dit qu'il avait des pleins
pouvoirs, qu'il allait faire parvenir notre convention à
Pé-king, et demander que les pouvoirs nécessaires lui
fussent envoyés (1).
(1) Dépêche du 8 septembre 1860.
176 CAMPAGNE DE CHINE.
Le baron Gros voulut constater ce fait en présence de
Kw'ci-liang lui-môme, et, par son ordre, le lendemain
7 septembre, à huit beurcs du matin , le comte de Basiard ,
premier secrétaire d'ambassade, se rendait auprès du
vice-commissaire impérial Ileng-ki, qui avait accom-
pagné à Tien-tsin les deux hauts commissaires Kwei-
liang et Hang-fou; il lui demanda nettement s'il était
vrai, ainsi que les secrétaires chinois l'avaient dit la veille,
que Kwei-liang ne fût pas muni de pleins pouvoirs. Car
après les assurances données par Kwei-liang lui-même,
dans sa dépèche du 3 septembre, un semblable fait de-
venait inqualifiable. — Poussé dans sesderniers retran-
chements, Heng-ki avoua que c'était la vérité, enve-
loppant toujours de phrases mielleuses et de protestations
sans nombre cet aveu tardif.
YII. — Le comte de Bastard ne voulut pas que la posi-
tion pût donner lieu plus tard à la moindre équivoque,
et se rendit avec Heng-ki au yamoun habité par Kwei-
liang; il eut de grandes diflicuités à parvenu* jusqu'à ce
personnage, qui cherchait évidemment à se dérober à
cette entrevue: c'est un vieillard dont les forces semblent
brisées. L'excessif abattement qu'il montra devant l'en-
voyé français était peut-être encore une comédie jouée
en cette circonstance, pour empêcher de vives et sévères
explications, it Le mot de mise en scène est le seul que
je sache (écrit M. de Bastard) pour rendre la manière
dont il s'est présenté à moi. »
Kwei-liang, pressé aussi par les interpellations très-
LIVRE ]I, CHAPITRE I. 177
nettes qui lui étaient adressées , fut contraint d'avouer
qu'il n'avait pas de pleins pouvoirs, ajoutant qu'il allait
en demander immédiatement à Pé-king. — Dès lors, la
mission de M. de Bastard était terminée, il se retira, en
déclarant, au nom de l'ambassadeur, que les chefs de
l'armée avaient reçu l'ordre de reprendre leurs opéra-
lions militaires sans le moindre délai, et de les mener
avec la plus grande vigueur.
Aussitôt que M. de Bastard eut rendu compte au baron
Gros du résultat des démarches qu'il venait de faire ,
l'ambassadeur de France écrivit officiellement aux com-
missaires impériaux : « que ceux-ci ayant avancé un fait
entièrement contraire à la vérité, les négociations
qu'ils avaient entamées ne pouvaient conserver aucun
caractère sérieux.
'< Je retire dès à présent (ajoutait-il), les propositions
qui avaient été acceptées , me réservant le droit de les
rendre plus sévères pour le gouvernement chinois, si
àTung-chao, où je vais me rendre avec l'armée, les né-
gociations peuvent être reprises avec des commissaires
impériaux, munis des pleins pouvoirs nécessaires. »
Aucune communication des autorités chinoises ne
devait être acceptée avant l'arrivée des ambassadeurs à
Tung-chao.
Lord Elgin, parfaitement d'accord avec le baron Gros,
avait fait de son côté les mêmes communications.
Les commissaires répondirent pour demander que l'on
attendit encore trois jours à Tien-tsin ; « la réponse de
l'Empereur devant arriver dans ce délai, » disaient-ils.
11 12
178 CAMPAGNE DE CHINE.
YIII. — Il était évident, en réfléchissant aux faits qui
venaient de se passer, et à ce nouvel acte de duplicité et
de mauvaise foi si flagrant, que le but des Cliinois était
de laisser à leur armée , frappée de terreur par la prise
si rapide des forts deTa-kou, le temps de reprendre
haleine, en môme temps qu'ils constitueraient une dé-
fense solide devant Pé-king. En outre, parcesattermoie-
menls nouveaux et ces promesses illusoires, ils nous
faisaient perdre le temps ftivorable à une expédition, et
nous exposaient aux calamités de l'hiver très-rigoureux
dans ces climats. — Les ambassadeurs répondirent qu'ils
ne modifieraient en rien le plan de conduite qu'ils avaient
arrêté.
De leur côté, les généraux commandants en chef,
mstruits officiellement que l'action militaire devait re-
prendre son cours , se préparèrent à quitter le camp
de Tien-tsin , et à se porter en avant.
Le général de Montauban écrivait le 7 septembre au
baron Gros :
a Selon le désir que vous exprimez , je me suis entendu
avec mon collègue , le général en chef des forces britan-
niques, sur la reprise des opérations militaires, et voici
ce que nous avons arrêté :
« La partie de l'année anglaise qui doit marcher sur
Tung-chao, sera forte de 1000 hommes et d'une batterie
d'artillerie , elle quittera Tien-tsin demain soir pour aller
camper à une lieue en avant. — Dimanche , elle se mettra
en marche.
« J'ai trouvé convenable d'amener 3,000 hommes et
LIVRE II, CHAPITRE I. 179
deux batteries d'artillerie, qui partiront avec moi lundi
matin , de manière que les forces anglaises marchent à
une journée en avant de nous, pour ne pas nous gêner
réciproquement jusqu'à Tung-chao , où nous aurons à
nous réunir. — Si l'arrivée des forces alliées à Tung-
chao ne détermine pas la demande des plénipotentiaires
Chinois pour traiter de la paix , il sera nécessaire d'ap-
peler dans cette ville le restant de nos forces, moins
500 hommes que je laisserai à Tien-tsin, notre nouvelle
base d'opérations. »
IX. — Là, commençait la véritable campagne; là, de-
vaient commencer pour les commandants en chef chargés
delà responsabilité de cette petite armée, les inquiétudes
sérieuses et réelles ; car il fallait résolument se lancer
dans l'inconnu. — Quel pays allail-on parcourir? La
marche des troupes, celle des bagages et de l'artillerie
ne seraient-elles pas entravées par des obstacles et des
difficultés imprévus? Quelles ressources rencontrerait-
on pour l'installation et le ravitaillement du corps ex-
péditionnaire, la marine ne pouvant, à cause de l'abais-
sement des eaux, remonter le canal impérial. — Ces
éventualités matérielles pouvaient offrir des dangers
bien plus redoutables que les combats — qu'il faudrait
livrer.
Toutes ces considérations diverses se présentèrent
à la pensée des généraux, sur lesquels retombait le
poids des opérations militaires et de leurs conséquen-
ces; mais l'hésitation pouvait tout compromettre, et
180 CAMPAGNE UE CHINE.
iiiùme nous enlever les avanlngcs des succès déjà
obtenus.
Aussi la résolution prise de ne plus écouter les pro-
messes mensongères des Chinois, et de se porter en
avant, reçut-elle immédiatement son exécution.
X. — Les doniières correspondances, dont nous avons
pai'lé, entre ks ambassadeurs et les commissaires im-
périaux s'échangeaient le 7 ; — le 9,1a première colonne
se mettait en marche.
Les généraux avaient décidé que l'armée alliée s'avan-
cerait sur trois colonnes, partant chacune à un jour de
distance. — C'était aux Anglais à marcher les premiers.
Le général Grant partit donc avec 1000 bommes envi-
ron; lord Eigin l'accompagnait à cheviil.
La 2" colonne , avec laquelle était le général de Mon-
tauban , était ainsi composée : la brigade Jamin
(3000 hommes), deux batteries d'artillerie, une de 4 ,
une de 12; 50 artilleurs à cheval, 30 chasseurs à cheval
et 20 spahis. — Elle partit le lendemain.
Le baron Gros accompagnait cette colonne en palan-
quin; il emmenait avec lui deux membres de son
ambassade, à cheval.
La 3« colonne, commandée par sii' Jolm Michel,
comptait environ 2000 bommes.
XI. — La première étape est le gros village de Pou-
kao, à 17 kilomètres environ de Tien-tsin: il faut tra-
verser des plaines sablonneuses sur lesquelles le soleil
LIVRE II , CHAPITRE I. 181
darde ses rayons l)rû!ants. — L'air est embrasé, la chaleur
accablante. — De temps à autre des groupes de maisons
que leurs habitants effrayés ont abandonnées, avoisinent
la roule que suit la colonne. — Tantôt cette route longe
le Peï-ho, dont le cours sinueux se dérobe tout-à-coup,
tantôt elle est tracée au milieu des sorghos aux tiges
élevées. — Pas un souffle d'air ne pénètre dans ces taillis
épais.
Pou-kao , où doivent s'établir les premiers bivacs,
compte de 12 à 15,000 habitants environ. — Prise sans
doute à l'improviste, la population n'a pu déserter en-
tièrement le village. — Les troupes sont campées au
delà; l'état-major du général en chef et l'ambassade
française sont seuls logés dans l'intérieur.
A la tombée du jour, un violent orage s'abattit tout à
coup surle camp; au milieu du désordre qu'il occasionna,
les conducteurs des chariots chargés des vivres de l'ad-
ministration et des munitions de guerre purent, à la
faveur de la nuit, s'échapper avec leurs attelages, nous
laissant ainsi dans le plus grand embarras. Les vastes
champs de sorghos qui entouraient les campements pro-
tégèrent la désertion de ces hommes et empêchèrent de
découvrir leurs traces. L'état des routes devenues im-
praticables, joint à cet événement inattendu, empê-
chèrent de songer à continuer la route le lendemain.
Xn. — Dès que le général de Monlauban fut inslruil
de la fuite des conducteurs chinois, il donna ordre de
chercher à se procurer, par tous les moyens possibles, de
182 CAMPAGNE DE CHINE.
nouveaux mulets d'attel;ige, et très-inquiet de la position
dans laquelle il se trouvait par suite de cette désertion,
il parcourait lui-même à cheval les environs du camp
avec le colonel d'artillerie de Bentzmann.
Tous deux se trouvèrent bientôt devant un large cours
d'eau. — Des jonques de grande dimension étaient amar-
rées au rivage. Ce devait être évidemment le Peï-lio ou
un de ses affluents. — Le général interroge les patrons
de ces jonques.
« — Nous arrivons de Tung-chao, disent-ils, grande
ville à 4 lieues de Pé-king, où nous sommes allés porter
les approvisionnements de riz destinés à la capitale.
200 jonques environ de la plus grande dimension ont
fait le même trajet et vont descendre successivement le
Peï-ho jusqu'à Tien-tsin. »
Le général passe aussitôt un marché pour le compte
de l'administration, à raison de 2 piastres par jour,
et fait charger sur ces barques les approvisionnements
que contenaient les chariots abandonnés. Dans la même
journée, un convoi de cent jonques environ fut orga-
nisé, nombre suffisant pour nos munitions et nos vivres,
qui allaient ainsi arriver à destination dans les conditions
les plus favorables. — Ce convoi fut placé sous le com-
mandement du capitaine Gaillart de Blairville, des pon-
tonniers, qui rendirent en cette occasion des services
signalés.
Cette importante découverte faisait cesser les embarras
toujours inhérents à un transport par terre à traversun
pays inconnu, et assurait pour l'avenir à nos troupes un
LIVRE 11, CHAPITRE I. 183
facile ravitaillement, ainsi que des moyens sûrs et ra-
pides pour le renvoi de nos malades et de nos blessés à
Tien-tsin.
XIII. — Le 12, l'armée alliée se remit en marche pour
gagner Yang-tsun, où l'avant-garde arriva vers dix heures
du matin.
Des lambeaux de muraille éparses çà et là , et deux
portes monumentales élevées aux deux extrémités de ce
grand village , indiquent que c'était autrefois une ville
fortifiée. — Une longue rue traverse Yang-tsun dans
sa plus grande étendue. — Les camps furent établis dans
une vaste plaine.
Le matin du même jour, au moment du départ de Pou-
kao, le baron Gros avait reçu une nouvelle communi-
cation du gouvernement chinois, qui cherchait à renouer
le fil des négociations rompues à Tien-tsin.
Cette fois , ce n'est plus Kwei-liang ; il a joué son
rôle et est sacrifié à la marche forcée des événements.
— Cette communication est signée du Tsai, prince de la
famille impériale, adjudant de l'Empereur et de Muh,
président du bureau de la guerre.
« Nous avons, mon collègue et moi (écrit le prince
Tsai) reçu respectueusment les ordres de l'Empereur
qui daigne nous nommer ses plénipotentiaires. Nous
apprenons que Votre Excellance s'avance de Tien-tsin
avec des forces militaires. Puisque votre gouvernement
et celui de la Chine veulent conclure une paix éternelle
et s'entendre sur les clauses d'un traité, à quoi bon cette
184 CAMPAGNE DE CHINE.
marche milituire? Si vous faites avancer des troupes, ce
n'est plus la paix. Nous vous prions de faiie rentrer vos
troupes à Tien-tsin, afin de constater qu'il n'y a aucune
inimitié entre nous, et pour que nous puissions nous
rendre aussi à Tien-tsin, dans le but de négocier à
l'amiable et de conclure avec vous une paix durable, si
vous voulez traiter encore sur les bases déjà convenues,
nous qui différons de Kicei-liang, nous ne manquerons pas
à noire parole (i). »
Dans cette lettre, que nous trouvons inutile de repro-
duire en son entier, le prince appuyait en terminant sur
la crainte que cette marche des troupes n'amenât quelque
nouveau conflit qui deviendrait un obstacle aux arran-
gements si près de se conclure, et sur l'espérance qu'il
conservait de recevoir une réponse favorable. — Ill'at-
tendait à Ma-toua où il était arrivé avec son collègue.
XIV. — Le môme jour, en arrivant à Yang-tsun, le ba-
ron Gros lui répondait dans des termes fermes et précis.
« Le gouvernement chinois, écrivait-il, semble vouloir
^encore ne pas comprendre la position dans laquelle son
manque de loyauté l'a placé.
« Les hostilités commencées dans le golfe dePe-lchi-li
n'ont point été suspendues, parce que la Chine n'a
pas encore donné à la France les satisfactions qu'elle
demande; mais ces hostilités ont été un moment ralenties
(1) Dépêche du prince Tsai, de la famille impériale au titre de Y-
l'sin, au baron Gros. II septembre 18G0.
LIVRE II, CHAPITRE I. 185
de fait et non de droit, et par bienveillance pour le
gouvernement chinois, lorsqu'à Tien-tsin le soussigné
a cru pouvoir espérer que la paix allait être rétablie
sérieusement.
« Déçu dans ses espérances, le soussigné a dû activer
les hostilités, et si à son arrivée à Tung-chao, les
connnissaires impériaux accèdent enfin de bonne foi
aux demandes qui ont été faites, la paix sera rétablie,
les hostilités cesseront, et l'ambassadeur accompagné
seulement de l'escorte convenable à son rang, se rendra
pacifiquement à Pé-king- pour y procéder à l'échange des
ratifications du traité de Tien-tsin.
« Si, au contraire, le gouvernement chinois mécon-
naissant ses véritables intérêts, permettait que l'on
cherchât h entraver la marche des troupes qui se rendent
à Tung-chao , les hostilités continueraient au delà de
cette ville, et l'armée marcherait immédiatement sur
Pé-king.
« Que les nobles commissaires choisissent donc, ou In
paix à Tung-chao ou la guerre avec ses conséquences.
Le gouvernement chinois devrait comprendre qu'en der-
nier résultat, elles ne peuvent pas lui être favorables. »
oc Yaiig-tsun, 12 septembre 1860. »
XV. — Il est utile de préciser nettement les faits qui
précédèrent les événements du 18 septembre, dans la-
quelle trempèrent si honteusement les hauts commis-
saires impériaux. La connaissance exacte de ces docu-
ments diplomatiques, révèle la vérité tout entière, et
186 CAMPAGiNE DE CHLNE.
permet de suivre et d'apprécier les faits dont nous allons
retracer le récit dans leui's plus exacts détails ; ces dé-
tails mettent à nu la diplomatie chinoise appuyée sur la
duplicité et le mensonge, et que la force des armes pou-
vait seule réduire au silence.
La marche continua donc en avant, malgré les tenta-
tives des nouveaux mandarins.
Le 13, la petite armée campait à Kho-seyou, où elle
séjournait le 14. — Là, l'amhassadeur reçut une nou-
velle communication officielle de Tsai, prince d'Y'-
Tsin, et de son collègue Muh. — Cette dépêche est très-
importante dans sa teneur, car elle montre clairement,
en présence des fails qui se produisirent cinq jours plus
tard, combien le gouvernement chinois chercha jusqu'à
la fin à nous abuser et à endormir notre vigilance par
des démarches conciliatrices qui devaient aboutir à la
plus manifeste trahison.
Cette note se termine ainsi :
« Nous avons remarqué dans la dépêche que Votre
Excellence nous a écrite le 12 septembre, que son désir
était de s'avancer jusqu'à Tung-chao. Loin de nous op-
poser à ce que les intentions de A'^otre Excellence se réa-
lisent à ce sujet, nous voulons au contraire nous en-
tendre avec elle. — Si elle consent à faire camper son
armée dans les trois villages de Yang-tsun, Tchoun-tchou
et Rho-seyou, sans qu'elles avancent plus loin. Votre
Excellence suivant ce qui a été convenu à Tien-tsin, au
sujet de son voyage à Pé-king, pourra avec une suite
peu nombreuse et sans armes, venir à Tung-chao pour
LIVKE I], CHAPITRE I. 187
s'y entendre avec nous sur tous les articles de la con-
vention auxquels nous donnons notre assentiment, et
que nous pourrions établir, signer et sceller, avant que
A'otre Excellence ne se rendît dans la capitale pour y
procéder à l'échange de la ratification du traité. Ainsi
les retards seront évités et les autorités chinoises seront
chargées de procurer à Votre Excellence des charriots,
et tout ce qui sera nécessaire pour faciliter son voyage.
Nous la prions donc de vouloir bien nous faire connaître
le nombre de personnes qui l'accompagnent, afin que
tout soit prêt d'avance (1). »
XVI. — Les termes de cette communication des nou-
veaux commissaires impériaux étaient clairs et précis,
les troupes devaient s'arrêter à la hauteur des villages
indiqués, à six milles environ de Tung-chao, ville dans
laquelle les commissaires attendraient les ambassadeurs
pour signer la convention préparée à Tien-tsin (2). —
Une copie de cette communication à laquelle lesambassa-
(1) Les commissaires impériaux prince Tsai Y'tsin , elc..., au baron
Gros. 13 septembre 1860.
(2) Le général en chef de Montauban écrit à ce sujet au Ministre de
la guerre, dans sa dépêche en date du 19 septembre :
« Des communications diplomatiques ayant été de nouveau échan-
gées à Kho-seyou, ville située à environ trente kilomètres de Tung-
chao, les ambassadeurs firent savoir aux commandants en chef alliés
que tout était terminé; que, par suite d'une convention définitive,
les forces militaires s'arrêteraient à environ deux lieues de Teng-
cbeou . que les entrevues avec les commissaires impériaux auraient
lieu dans cette ville, et qu'enfin une escorte d'honneur accompa-
gnerait les ambassadeurs à Pé-king pour y échanger les ratifications.»
188 CAMPAGNE DE CHINE.
deurs avaitMil accédé, fut envoyée aux coinmandaiits en
chef, afin qu'ils se conformassent dans leurs opérations
militaires aux conventions arrêtées, et qu'ils établissent
leurs campements dans les limites indiquées par les
hauts commissaires chinois.
Ces comhiissaires ont-ils trempé dans l'horrihle guet-
apens préparé par l'armée chinoise, ou cette trahison
fut-elle l'œuvre de Sang-ko-linsin, commandant en chef
de l'armée tarlare. C'est un point difficile à apprécier,
et sur lequel les événements futurs pouvaient seuls jeter
quelque lumière; car ces mandarins civils avaient eu
soin de dire en commençant leur dépèche du 13 sep-
tembre.
« Nous devons vous déclarer que les troupes chinoises
qui tiennent garnison au nord de Klio-seyou n'obéissent
qu'à leurs chefs militaires, et que nous n'avons aucune
autorité sur elles. »
Toutefois, il est important de remarquer que le prince
Tsai était le gendre de Sang-ko-lin-sin, ce qui fait gran-
dement supposer que ces deux persoiuiages élevés, tous
deux membres de la famille impériale, s'étaient con-
certés entre eux.
XYII. — Mais quand on rapproche des divers inci-
dents de celte odieuse trahison, la confiance que les
hauts mandataires du gouvernement chinois voulaient
inspirer aux alliés par leurs paroles de paix et de con-
ciliation, ainsi que leur insistance, pour (jue les ambas-
sadeurs s'avançassent jusqu'à Tnng-cliao avec une suite
LIVRE II, CHAPITRE f. 189
peu nombreuse et sans armes, il est bien difficile de croire
que ces envoyés de l'Empereur soient restés complète-
ment étrangers aux événements qui devaient stigmatiser
à jamais la nation chinoise.
Sang-ko-lin-sin, on le savait, par les différents rapports
des espions, avait promis à son souverain d'exterminer
jusqu'au dernier homme l'armée des barbares, si elle
osait jamais s'aventurer jusqu'au sein du Céleste Empire,
et s'occupait activement h réunir devant la capitale des
forces imposantes, surtout en cavalerie, la cavalerie tar-
tare jouissant d'une très-grande renommée! — Il avait
espéré que les forts de Ta-kou, si formidablement armés
de longue main, arrêteraient l'ennemi assez longtemps
pour lui permettre d'appeler à lui les éléments considé-
rables de résistance qu'il voulait concentrer sous sa main.
La reddition subite des forts avait trompé son attente,
et il est évident que les bauts commissaires Kwei-liang
et ses collègues, désavoués et accusés plus tard par leurs
successeurs le prince Tsai et Muh, n'avaient agi ainsi
qu'ils l'avaient fait, que pour gagner du temps et retenir
le plus longtemps possible à Tien-tsin l'armée alliée, prêle
à s'avancer à marche forcée sur la capitale de l'Empire.
XYIII. — La volonté persistante des ambassadeurs
d'en finir sans délai et la découverte de l'insuffisance des
pouvoirs de Kwei-liang avaient déjoué ces nouveaux
plans, en suspendant le cours des négociations entamées.
Cependant il fallait à tout prix arrêter notre marche
en avant; aussi nous voyons de nouveaux mandarins
190 CAMPAGNE DE CHINE.
appartenant à l'ordre le plus élevé, dont l'un est issu de
la famille impériale, tenter de nouvelles démarches qui
ne réussissent pas. — C'est alors que la trahison devient
une dernière ressource à lacjuelle le gouvernement chi-
nois n'a pas honte de faire appel. La tète des ambassa-
deurs et des commandants en chef alliés n'est-elle pas
mise à [)rix ; tous les moyens, ainsi que le disaient les res-
crits impériaux, ne sont-ils pas justes et sacrés pour
exterminer les barbares Occidentaux qui osent pénétrer
au sein du grand empire de la Chine?
Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de lire le
manifeste adressé par l'Empereur à ses populations .
après la prise des forts de Ta-kou, sur le Peï-ho. On n'y
trouvera aucune trace des sentiments de conciliation
qu'aftichaient en termes si pompeux les commissaires
impériaux dans leurs communications officielles aux
ambassadeurs alliés.
XIX. — Ce manifeste, appréciant d'abord à son point
de vue la journée du 25 juin 1859, s'exprime ainsi :
c A peine les Barbares eurent-ils essayé de forcer le
passage de Ta-kou , qu'en un clin d'oeil tous les bâti-
ments furent coulés bas, et des milliers de cadavres flot-
tèrent sur les eaux pendant plus d'une lieue. Quelques-
uns étaient parvenus à s'échapper, et allèrent porter
chez eux la nouvelle de cette terrible punition. »
Puis il continue ainsi :
« Je croyais bien que cette leçon suffirait pour les
rendre plus circonspccis. Mais qui l'aurait cru! un an
LIVRE II, CHAPITRE I. 191
s'était à peine écoulé depuis la mémorable victoire de
nos armes, et les voici revenus plus nombreux et plus
arrogants que jamais !
« Profitant de la marée basse, Ils ont débarqué à Peh-
tang, et sont venus attaquer les formidables retranche-
ments de Ta-kou; mais, comme des barbares qu'ils sont,
ils les ont attaqués la nuit et par derrière. C'est ainsi
qu'ils ont pu surprendre nos miliciens, accoutumés à se
voir braver en face par un ennemi courageux et fier, mais
ne pouvant pas s'imaginer que tant de lâcheté et de per-
fidie fût mise en œuvre contre eux. Maintenant, enflés
par ce succès qui devrait les couvrir de honte, ils osent
marcher sur Tien-tsin; mais ma colère va les atteindre,
et pour eux il n'y aura pas de merci. Aussi, nous or-
donnons à tous nos sujets, miliciens et laboureurs, ha-
bitants des villes et des campagnes. Chinois ou Tartares,
de les détruire comme des animaux malfaisanis. Nous
ordonnons à tous nos mandarins et officiers, militaires et
civils, d'avoir à faire évacuer, par les populations sous
leurs ordres, toute ville ou bourgade vers laquelle ces
misérables étrangers feraient mine de se diriger. On
devra également détruire, par l'eau et par le feu, tous les
vivres et tous les approvisionnements que l'on serait
obligé d'abandonner. De cette façon, cette race maudite,
traquée par le fer et par la faim, périra bientôt, comme
les poissons d'un étang qu'on a mis à sec.
Donné à Huyen-mi-hu-hyen, le vingt-troisième jour
de la dixième lune de la neuvième année de notre
règne. »
192 CAMPAGNE DE CHINE.
XX. — Le général Collineau a rcgu l'ordre de re-
joindre le général en chef", en conservant à Tien-tsin,
sous les ordres du capitaine Théologuc, les troupes né-
cessaires à la garde du fort et des positions que nous
occupons eu dehors de la ville. — Pendant ce temps,
l'armée continue sa marche sur Tuug-chao.
Si l'on devait avec juste raison n'avoir qu'une con-
Jiance très-limitée dans les assurances pacifiques du
gouvernement chinois, la pensée des amhassadeurs et des
commandants en chef n'allait pas plus loin. — Cepen-
dant les traces visihlcs de campements considérables de
cavalerie indiquaient que l'armée ennemie était en cam-
pagne, et qu'elle se relirait pas à pas devant nos télés
de colonne.
On ne voulait point, par une suspicion qu'eussent
grandement motivée les actes précédents du gouverne-
ment, entraver les nouvelles négociations qui touchaient
àleur terme, elle général de Monlauhan se décida, ainsi
que son collègue de l'armée anglaise, à envoyer en avant
plusieurs officiers chargés de passer à Tung-chao des
marchés pour les approvisionnements, et convenir avec
les pléni[)olentiaires chinois des positions oîi devaient
s'établir les bivacs des deux armées.
Cette mesure était du resle devenue nécessaire par le
vide qui se faisait autour de l'armée alliée, partout où
elle passait. Dans les villages , les habitations étaient
fermées ; de tous côtés régnait un moi-ne silence, et la
vie semblait retirée de ce pays devenu subitement
désert.
LIVRE II, CHAPITRE II. 193
CHAPITRE II.
XXI. — Les officiers parlementaires quittèrent le cam|)
dans la matinée du 17 septembre.
Le général en chef avait désigné pour cette mission
le colonel Foullon de Grandchamps de l'artillerie, le
capitaine d'état-major Chanoine, le caïd Osman, sous-
lieulenant de spahis, MM. Duhut, sous-infendant mili-
taire, Ader et Gagey, compfables, et M. l'abbé Uuluc,
interprète. — Chacun des officiers était accompagné de
ses ordonnances, M. le baron Gros avait également
chargé M. de Bastard, secrétaire d'ambassade, de porter
aux plénipotentiaires chinois une dépêche à laquelle il
devait réclamer une prompte réponse; M. de Méritens,
interprète d'ambassade, devait suivre M. de Bastard.
M. d'Escayrac de Lauture, chef de la mission scienti-
fique en Chine, se joignit aux parlementaires ayant avec
lui son lettré et les ordonnances attachées à sa personne.
Les Anglais avaient envoyé le lieutenant-colonel Wa!-
ker, chef d'état-major de la cavalerie et le lieutenant An-
derson, avec 19 cavaliers indiens. — M. Bowlby, corres-
pondant du Times, s'était joint à M. de Normann, premier
II 13
194 CAMPAG.NE DK CHINE.
allaclié de légalioii, et M. Loch à M. ParKes, le consul
de Shang-liai, dont le long séjour en Chine et sa parfaite
connaissanee de la langue chinoise rendait en toute cir-
constance le concours si précieux.
XXII. — Le 17, à quatre heures du matin, le général
de Moiilaiiban leva le camp de Rho-seyou et, accompagné
de son état-major général, se dirigea surMatao, où il de-
vait établir ses nouveaux hivacs. Il emmenait avec lui
le général Jamin, commimdant 600 chasseurs à pied du
2'" baîaillon, une compagnie du génie, une compagnie
d'élite du 101' et du 102% une batterie de 4, en tout
1 100 Jiommes. Le reste de la brigade restait à Kho-seyou
avec une batterie de 12 pour y garder les approvision-
nements attendus à Tien-tsin.
A onze heures et demie, les troupes arrivèrent à Matao ;
elles trouvèrent, comme toujours, ce village abandonné
par ses habitants. Les traces des bivacs de la cavalerie
tartare étaient toutes récentes et indiquaient , par Icui'
étendue, un immense campement. — Il n'y avait pas à
en douter : la cavalerie qui gardait les abords de Tung-
chao se repliait lentement devant nous.
XXIII. — Pendant que nos troupes s'établissaient à
Matao, les envoyés français et anglais arrivaient àïung-
chao avec grande confiance, ainsi que le secrétaire d'am-
bassade, M. de Baslard, et son interprète, qui avaient
icjoint, en compagnie de M. d'Escayrac de Laulure, le
groupe des ofiiciers français. Pendant le trajel, rien
LIVRE II, CHAPITRE II. 195
n'avait pu éveiller leurs soupçons et leur taire suppo-
ser l'odieuse trahison dont ils devaient être victimes.
A quatre ou cinq mille mètres environ avant Tung-
chao, ils avaient bien aperçu sur leur gauche des tentes
tartares, et çà et là dans la campagne ou même sur les
routes qu'ils suivaient, quelques détachements de cava-
liers prenant des directions diverses; mais les soldats
qu'ils avaient rencontrés dans les villages ou en chemin
ne semblaient point se préoccuper de leur présence.
A l'entrée de Tung-chao, ils furent accueillis avec grand
empressement par divers mandarins qui leur offrirent de
les conduire dans l'intérieur de la ville. L'un d'eux mena
M.deBastard àun yamoun préparé à l'avance, pendant que
ses compagnons de route suivaient une autre direction.
De leur côté, les parlementaires anglais étaient égale-
ment arrivés. — Une population nombreuse se pressait
dnns les rues; elle n'avait dans son allure ou sur son
visage aucun caractère menaçant.
XXIV. — M. de Baslard fit sans retard demander au
prince Tsai une audience qui fut (ixée à quatre heures
du soir.
A quatre heures, en effet, l'envoyé de l'ambassadeur
de France fut introduit dans une salle où se trouvaient
les deux plénipotentiaires Tsai et Muh, entourés de man-
darins de différents ordres. — Muh semblait jouer en
cette circonstance un rôle entièrement secondaire, tandis
qu'au contraire le prince Tsai, par ses manières hautai-
nes envers son entourage, indiquait l'homme habitué à
196 CAMPAGNE DE CHINE.
voir ses moindres ordres exécutés sans réplique ; tous
ceux qui l'approchaient se tenaient dans une attitude
pleine de crainte et de respect.
Le prince prit connaissance de la dépèche dont était
porteur M. de Basiard et l'approuva en son entier;
la seule objection qu'il fit portait sur le nombre de mille
hommes qui devaient servir d'escorte à l'ambassadeur
pour se rendre à Pé-kinp:. La discussion fut assez longue
sur ce point, et Muh ri'y prit aucune part, se contentant
d'écouter avec une impassibilité apparente les paroles
transmises par les inter[)rèfes.
Enfin ce point fut accordé.
L'incident qui avait mis fin aux relations entamées
avec Kwei-liang, quelques jours auparavant, avait mon-
tré qu'il fallait avant tout être édifié sur la nature et
l'étendue des pouvoirs concédés aux nouveaux pléinpo-
tentiaires. — Aussi M. de Bastard, selon ses instructions,
demanda au prince Tsai s'il était, ainsi que son collègue,
muni de pleins pouvoirs. <t Le prince répondit affirma-
tivement (écrit M. de Bastard dans sa dépêche au baron
Gros), mais non sans avoir manifesté sa vive contrariété
d'être en butte à pareille question, lui qui, dit-il, n'avait
jamais menti, dont l'autorité était supérieure à celle de
tous les plénipotentiaires, et dont la signature avait la
même force que celle de l'Empereur. »
XXV. — Le projet de convention préparé à Tien-tsin
fut ensuite discuté pendant quelques instants, et le prince,
après des objections sans importance, déclara qu'il était
LIVRE II, CHAPITRE II. 197
prêt à tout signer. Il promit de faire prendre toutes les
dispositions nécessaires pour le voyage de l'ambassadeur
à Pé-king, comme pour rétablissement des marchés qui
devaient servir à l'approvisionnement de l'armée alliée;
cette armée devait camper en avantdeTchang-kia-ouang,
sur des points qui furent indiqués.
M. de Baslard, que le prince Tsai avait reçu avec la
plus grande courtoisie, se retira en demandant aux plé-
nipotentiaires chinois de vouloir bien lui faire trans-
mettre sans retard leur réponse officielle.
Cette réponse fut en effet apportée dans la nuit, et M, de
Bastard, ayant dès lors rempli sa mission, se prépara
à quitter Tung-chao , le lendemain matin à la pointe
du jour.
Les officiers français délégués par le général en chef
avaient aussi obtenu du mandarin gouverneur de la ville
la promesse formelle de l'établissement des marchés
destinés à fournir des vivres à l'armée.
Le 18, à la pointe du jour, M. de Bastard, accompagné
de M. de Méritens, quitta la ville. Un officier d'ordon-
nance du général de Montauban, le caïd Osman, qui la
veille avait fait roule avec M. de Bastard et le capitaine
d'état-major Chanoine, suivi de son ordonnance, parti-
rent en même temps. — Leur escorte se composait de
deux spahis.
11 ne restait plus dans la ville, du côté des Français,
(jue l'intendant Dubut, le colonel de Grandchamps, l'abbé
Duluc, les deux comptables Ader et Gagey et M. d'Es-
cayrac de Lauture.
198 CAMPAGNE DE CHINE.
XXVI. — Le môme jour, dans la iiiatince, les deux
armées devaient quitter leurs campements respectifs
près de Matao pour se rendre au bivac définitif ar-
rêté parles conventions, en avant de Tchang-kia-ouang.
Aussi une partie des officiers envoyés la veille avait mis-
sion de quitter cette ville, dès les premières lueurs du jour,
pour indiquer aux troupes en marche la limite où elles
devaient s'arrêter. — Le capitaine d'état-major Chanoine
prit donc les devants à la sortie de la ville, afin de re-
joindre au plus vite le général en chef de Montauhan et
lui donner à ce sujet les indications nécessaires.
Une heure auparavant, M. Parkes était aussi parti de
Tung-chao pour porter au général Grant les mêmes
renseignements (cinq heures et demi environ). Il avait
avec lui M. Loch, le colonel Walker et une escorte de
dragons de sicks. M. Parkes devait ensuite revenir à
Tung-chao, où l'attendaient M. de Normann, M. Bowlby
et le lieutenant Anderson.
L'aspect de ce pays, que le capitaine Chanoine avait
traversé la veille avec ses compagnons, était bien changé.
Ce n'était plus de petits groupes détachés soit d'infante-
rie, soit de cavalerie se dirigeant vers des points diffé-
rents : c'était une armée tout entière qui occupait la
campagne et se présentait entre Tchang-kia-ouang et
Matao en forces imposantes. — L'infanterie bordait la
roule, et la cavalerie manœuvrait pour s'établir en ba-
taille sur une chaussée, formant ainsi un arc de cercle
dont la convexité regardait Tchang-kia-ouang.
Ce mouvement considérable de troupes qui jetait des
LIVRE II, CHAPITRE II. 199
masses compactes sur le terrain même destiné au cam-
pement dn corps expéditionnaire anglo-français, avait
évidemment un but hostile et inexplicable. Le capitaine
Chanoine hâta le pas, pour prévenir au plus vite le gé-
néral en chef français de cet mcidenl si peu en harmonie
avec les assurances données , la veille encore, par les
plénipotentiaires chinois.
XXVII. — De leur côté, M.Parkes et ses compagnons,
étonnés de se trouver ainsi tout à coup au milieu de l'ar-
mée tartare, établie sur le terrain même que les troupes
alliées devaient occuper, s'étaient arrêtés pour se con-
sulter sur ce qu'il convenait de faire devant cette appa-
rence menaçante. — M. Parkes était trop habitué de lon-
gue date aux allures des Chinois et à leur duplicilé, pour
ne pas y voir l'indice certain d'une trahison ; songeant
à ses compatriotes restés à Tung-chao, il prit aussitôt
la décision de retourne r vers cette ville pour les protéger
par sa présence et demander énergiquement au prince
Tsai des explications sur ce qui se passait. La seule
chance qui restât était évidemment d'inspirer au prince
des craintes sérieuses sur les résultats d'une semblable
action et d'en assumer sur lui seul toute la re?ponsa-
bihté. — Il fut décidé que M. Loch continuerait au plus
vite sa route vers le camp pour avertir le général Grant,
et que le colonel Walker, avec six hommes d'escorte,
attendrait là où il était, le retour de M. Parkes, ou les
ordres du général en chef. — Telles furent les résolutions
nipidement arrêtées et mises aussitôt à exécution.
200 CAMPAGNE DE CHINE
M. Parkes reprit donc au galoi» le plus rapide de sou
cheval le chemin de Tung-chao, pendant ipic M. I^och
courait en toute hâte vers le camp anglais.
Sur la route, M. Parkes rencontre M. de liastard; il
s'arrête un instant.
« — Les Tarlares, lui dit-il, occupent en grand nombre
le terrain destiné à nos campements. Je les connais tro|)
pour ne pas redouter une trahison. J'ai fait prévenir le
général Grant et je cours à Tung-chao déclarer aux
plénipotentiaires chinois qu'ils sont responsables des évé-
nements qui peuvent survenir (1). »
Puis il continue sa course aventureuse au milieu d'en-
nemis dont le cercle formidable devait se refermer
sur lui.
XXYIII. — Voici maintenant ce qui se passait pendant
ce temps au camp des alliés.
L'armée anglaise, tenait ce jour là la tête de la colonne.
Les troupes parties de Malao le malin, avaient fait
deux heures de marche environ, lorsque le généra!
Grant lit prévenir le conuiiandant en chef français qu'il
apercevait devant lui un certain nombre de vedettes de
cavalerie ennemie, et que les positions vers lesquelles ils
se dirigeaient n'étaient pas encore évacuées par l'armée
tartare.
Le général de Montauban se rendit aussitôt auprès de
son collègue, et les deux généraux, constatant la pré-
(1) Dépêche de M. de Bastard au baron Gros. 18 septembre 1860.
LIVRE 11, CHAflïHE 11. 201
sence d'une troupe, dont ils ne pouvaient pour le moment
apprécier le nombre, décidèrent qu'il fallait s'arrêter là
ou se trouvait la tète de colonne anglaise.
Presque au même moment ils voient venir vers eux un
mandarin porté en palanquin et suivi d'une nombreuse
escorte. — Ce mandarin d'un rang très-élevé c'est Hang-
Ki; il demande à parler aux ambassadeurs. On lui ré-
pond qu'ils ne sont pas au camp : <i II venait, dit-il, pour
s'entendre avec Leurs Excellences sur quelques disposi-
tions de détail relatives à leur réception à Pé-king. » Vi-
vement interpellé sur la présence des troupes tarlares,
Hang-Ki paraît tort étonné et déclare que c'est sans
aucun doute le résultat d'un malentendu sur les posi-
tions réciproques à occuper. « — Du reste, ajoute-t-il, je
vais immédiatement faire savoir aux chefs de l'armée
qu'ils aient à se retirer sans retard. »
XXIX. — Les généraux acceptèrent cette explica-
tion. Quelques doutes qu'ils pussent conserver sur la
bonne foi de ce mandarin, ils ne voulaient pas com-
niencer eux-mêmes une attaque qui pourrait donner au
gouvernement chinois le droit de se plaindre; mais, tout
en attendant le résultat des promesses qui venaient de
leur être faites et le départ des troupes tartares, ils pri-
rent sans plus tarder des dispositions militaires pour
parer à tout événement, et se garder contre une sur-
prise que pouvaient peut-être préméditer les chefs de
l'armée ennemie.
Kn effet, les Tartares continuaient leur mouvement.
202 CAMPAGNE DE CHINE.
et (le tous côtés on apercevait la poussière soulevée par
les cavaliers; cependant un engagement ne paraissait
pas imminent.
Le général Grant offrit un escadron de sicks au gé-
néral de Montauban, qui n'avait avec lui que cinquante
cavaliers, et il fut convenu que les Français placés à la
droite de l'armée alliée, tourneraient les positions sur
la gauche de l'ennemi ; les Anglais devaient les attaquer
de front, aussitôt que les Fançais seraient arrivés à leur
hauteur.
oc Fort heureusement (écrit le général de Montauban),
conmie je n'avais qn'une foi très-médiocre dans les Chi-
nois, au lieu de très- peu de monde qu'ils demandaient
que nous prissions avec nous, j'en avais doublé le nom-
bre et amené deux batteries de 12 et de 4. »
XXX. — Il n'est pas sans importance d'entrer dans
quelques détails sur le terrain qui se développe devant
les deux corps expéditionnaires et qu'occupe l'armée en-
nemie. — Les dispositions de ce terrain, les hautes cul-
tures et les massifs d'arbres empochaient d'apprécier
exactement le nombre des troupes réunies sous les ordres
de Sang-ko-lin-sin, ainsi que les défenses élevées pour
protéger leurs positions et nous barrer le passage.
C'est une vaste plaine bordée par le canal qui pari de
Tchang-kia-ouang, pour rejoindre le Peï ho, dont les
eaux coulent derrière nous. Le pays est surtout l)oi^é aux
approches du canal et aux abords des habitations. — A
notre extrême droite vers le Peï ho, s'élève un petit vil-
LIVRE 11, CHAPITRK 11. 203
lage (Lio-lsang), entouré de cultures abondantes et de
vergers. Plus en avant vers le canal, un second village
(Léost), étend parallèlement au canal ses longues li-
gnes de maisons, dont une des extrémités s'en rapproche
sensiblement. — C'est dans ce village que s'est déployée
la cavalerie tartare formant un large cercle, dont la
gauche, soutenue par de fortes masses d'infanterie,
touche au village même de Lio-tsang : tandis que la
droite garnit la plaine, défendant les approches de deux
autres villages Khouat-tsun et Tchang-kia-ouang.
Tous les abords du canal sont garnis de nombreuses
batteries d'artillerie tartare ; quatre-vingt-quatre pièces
défendent cette ligne formidable soutenue par l'infan-
terie ; une batterie de dix-huit pièces protège en arrière
les approches du village Khouat-tsun.
XXXI. — La colonne anglaise placée en avant par son
ordre de marche, ainsi que nous l'avons dit, occupe la
plaine. Le général Grant dispose sa cavalerie en éche-
lons sur trois rangs, les deux premiers appuyant à droite
se composent des dragons de la reine, les deux derniers
des sicks. — L'infanterie est massée en arrière.
Le général de Montauban met en potence, à droite
des troupes anglaises, la brigade Jamin ; une batterie
de 4 est en position devant le village même de Lio-tsang
occupé par l'infanterie tartare, et couvert par une ligne
de tirailleurs disséminés aux alentours dans les terrains
cultivés. — A la droite de l'infanterie sont les sp.ihis
et les chasseurs, ainsi que l'escadron des sicks, que le
204 CAMPAI, Mi Dt CHINK.
général Granl a mis à la disposition du ^éiiéial en chef
français.
Le général de Monlauban surveille avec soin l'exécu-
tion de ses ordres. Avec le petit nombre de troupes qu'il
commande, les moindres détails de posilion acquièrent
une grande importance.
Pendant qu'il lait ainsi ses préparatifs d'attaque, le
capitaine Chanoine arrive au camp, et rend compte au
commandant en chef qu'il vient de traverser toute l'ar-
mée tarlare. — Fortement établie entre les alliés et
Tung-chao , elle occupe en nombre considérable les
positions en avant de notre tète de colonne ; son altitude
est hostile. Ariêté plusieurs fois dans sa marche, le ca-
pitaine a eu grand'peineà rejoindre le camp, et n'a pu
continuer sa roule qu'apiès être entré, grâce à sa con-
naissance de la langue chinoise, dans de nombreuses
explications avec les mandarins militaires, sur la mission
toute pacifique qu'il venait de remplir.
Peu après, arrivent aussi M. de P.astard et M. de Méri-
tens; ilsconlirmentdc; la façon la plus formelh; aux deux
généraux en chef le rapport du capitaine Chanoine. —
SeuIiMuent, ils n'ont rté l'objet d'aucune menace et ont
traversé les lignes ennemies, sans que chefs ou soldats
parussent faire la moindre attention h eux. Mais proba-
blement cette parliculaiité était due à la précaution qu'ils
avaient prise d'emmener un mandarin dont ils se tirent
accompagnei jusiju'en vue du camp.
L'officier d'administration Gagey «u'iive aussi bientôt
après, son rapport est en toul point semblable à celui du
LIVRE H, CHAPITRE IK 205
capitaine Chanoine siii- r.ittitiulc menaçante des lrou[)es
tartares :
« Plus de 15 000 cavaliers, dit-il, sont déployés dans
la plaine, où l'on aperçoit de grandes masses d'infanterie
rangées en bataille et la mèche allumée. « Nous étions
évidemment en présence d'une situation très-sérieuse
avec des forces minimes. Vouloir douter plus longtemps
eût été de l'aveuglement; l'ennemi comptait nous sur-
prendre en petit nombre et nous écraser. — Si les pro-
messes du mandarin Hang-Ki avaient été faites de
bonne foi, les troupes tartares opéreraient déjà leur
mouvement de retraite, pour dégager le terrain devant
nous, ainsi qu'il avait été convenu.
XXXII. — Mais quel était le sort des parlementaires
qui n'avaient pas encore rejoint l'armée alliée? ils sont
nombreux ; victimes sans nul doute de cette odieuse
trahison, ils ne seront pas protégés par leur caractère
sacré de parlementaires. — Un moyen restait peut-être
encore de les sauver: c'était de fondre impétueusement
sur cette armée qui tenterait en vain de nous barrer
le passage, et d'arriver en toute hâte à Tung-chao ,
avant même que les Chinois se doutassent de leur dé-
faite.
Le général de Montauban le proposa, mais le général
Grant craignit, au contraire, qu'en agissant ainsi on ne
vouât à une mort certaine les malheureux livrés à la
merci des Chinois.
Le général anglais veut attendre le retour de M. Par-
206 CAMPAGNE DE CHINE.
kes, car de son côté il a reçu de tristes renseignements
sur les intentions évidemment hostiles des Tarlares. —
M. Loch lui a appris le plan arrêté avec M. Parkcs, et la
position du colonel Walker laissé en observation au
milieu des rangs ennemis. Après avoir rempli sa mis-
sion, M. Loch est lui-même reparti pour ïung-chao. Le
général Grant connaît l'énergie et la persistance de vo-
lonté de M. Parkes, dont lord Elgin disait: « Il vaut à
lui seul toute une armée, » et il espère tout de sa dé-
marche auprès des hauts commissaires chinois. —
Une attaque prématurée ponri-ait faire échouer ces der-
nières tentatives. — On attend donc qu'un incident
nouveau vienne jeter quelque lumière sur ces sombres
secrets.
XXXIIL — L'heure est solennelle: chefs et soldats
attendent avec impatience que l'heure du combat vienne
les délivrer de cette incertitude qui les tient ainsi im-
mobiles. Ils sentent leur énergie scdoublei' par le danger
qui les menace, et comprennent que dans la position
(•titi(iue où les a placés la duplicité d'un ennemi déloyal,
il liuil lui arracher la victoire par un élan irrésistible.
Aussi chaque minute qui s'écoule est-elle pleine de fièvre
et d'anxiété.
Il est dix heures du matin.
Trois coups de canon suivis d'une décharge de mous-
queterie partent des rangs ennemis, et l'on aperçoit le
colonel Walker, accourant à toute bride vers le camp an-
jjlais avec les quelques soldats de son escorte.
LIVRE IJ, CHAPITRE II. 207
Une s'est-il donc passé ?
Après le dépari de M. Parkes, le colonel était resté
avec six hommes, attendant, on le sait, soil le retour du
consul anglais, soit des ordres du général Granl; très-
attentif à ce qui se passait autour de lui, il observait
les positions et les mouvements de l'ennemi, dont le but
évident était de nous envelopper. De la place qu'il avait
choisie, il découvrait parfaitement leurs longues lignes
de batteries et les masses d'infanterie qui s'étendaient
jusqu'au canal. Dans les premiers moments, il ne re-
marqua dans l'attitude des officiers aucun indice d'hos-
tilité; ceux-ci lui offrirent même de descendre de
chevalet d'entrer dans leur tente; — fort heureusement
le colonel n'accepta pas cette offre qui, sans nul doute,
cachait une arrière-pensée de trahison. — Peu à peu,
en effet, cette attitude inoffensive changea et prit un
caractère menaçant. — Des interpellations violentes
lui furent adressées, des groupes se formèrent autour
do lui pour lui barrer le passage. — Le colonel avait
ordonné à son escorte d'éviter avec soin toute collision
et, se tenant sur ses gardes, il attendait impatiemment.
A quelque distance de lui, il entendit bientôt un grand
tumulte ; des soldats chinois entouraient un officier fran-
çais, le menaçant par des gestes et des cris furieux. —
On sut depuis que c'était le comptable Ader. — Le co-
lonel Walker se porta à sa rencontre, et vit que cet
officier avait à la tête une large blessure, ses vêtements
étaient déchirés et couverts de sang; il soutenait avec une
rare énergie une lutte désespérée. Son ordonnance, le
:>08 CAMPAGNE DE CHINE.
soldai Aiizoïi, du 2' Ijulailloii de chasseurs à pied, roni-
batlait près de lui avec une bravoure sans égale, per-
çant de sa baïonnette tous ceux qui approchaient.
Le colonel Walker veut essayer de lui porter secours;
mais, avant qu'il ait pu approcher, il est lui-même en-
touré, ainsi que les hommes qui l'accompagnent; des sol-
dats se précipitent sur lui, lui arrachent son sabre et
cherchent à le renverser de son cheval. Pendant qu'il se
débat contj'e ses agresseurs, le compta])le Ader, que les
misérables ont désarmé el jeté à terre lui crie; « Courez
au camp porter la nouvelle de cette trahison. » — La ré-
sistance était impossible, car d'instants en instants, le
nombre des ennemis croissait et allait former im cercle
infranchissable; le colonel est lui-même gravement blessé
à la main droite; mais monté sur un excellent cheval, il
se lance résolument au milieu des soldats qui veulent
l'arrêter, les six hommes qui l'accompagnent iinilenl
son exemple et parviennent à se frayer un passage.
Les Chinois, furieux de voir cette proie leur échapjjer,
font un feu de niousquelerie sur ce petit groupe de ca-
valiers qui s'éloigne à toute bride, ils tirent aussi contre
lui (rois coups de canon.
Ce sont ces trois coups de canons qui viennent de
donner l'éveil dans le camp des alliés, qu'atteignait,
quelques secondes après, le colonel Walker; deux de ses
hommes seulement avaient été blessés. — A quelques
pas des avant-gardes, un cheval tomba mort.
XXXIY. — Le général de Montauban l'ait dire au gé-
LIVRE 11, CHAl-ITRE II. 209
néral Grant qu'il va commencer son mouvement et atta-
quer le village qui est devant lui. Il se met aussitôt à la
(ête de ses troupes et se dirige vers l'extrême droite du
village de Leost que l'eimemi occupe en force, et qu'en-
tourent de nombreux jardins, pendant que le général
Grant lance ses redoutables escadrons contre la cavalerie
tartare, déployée devant lui en un vaste fer à cheval. —
Surprise par cette attaque inattendue, celle-ci se replie
en désordre et n'attend pas le choc impétueux des sicks
et des dragons de la reine.
L'artillerie la poursuit de ses boulets jusqu'à ce qu'elle
ait disparu.
En avant des positions que doit enlever le général
de Montauban, les Chinois ont placé un grand nombre
de pièces ; mais notre petite colonne, protégée par des
massifs d'arbres, s'avance sans être aperçue, et appuyant
sur la droite, évite ainsi le feu de ces batteries. — Les
compagnies d'avant-garde se précipitent avec un élan
irrésistible, et chassant devant elles l'ennemi qui n'ose
les attendre corps à corps, elles tournent les dernières
maisons, pendant que le colonel Schmitz, à la tète du
S'' chasseurs, traverse le même village par la gauche;
l'artillerie que commande le colonel de Bentzmann
est avec lui.
Les pièces sont aussitôt mises en batterie sur une
position dominante et ouvrent un feu terrible contre
les masses compactes d'infanterie, que resserre de plus
en plus le général de Montauban dans sa marche
rapide. Prises ainsi de deux côtés, ces masses se re-
n 14
210 CAMPAGNE Dli CHINE.
pliiiit en désordre dans la direction de Kliaouat-lsun,
se répandant en désordre au milieu des arbres et des
hautes cultures; nos projectiles, habilement dirigés, et
les balles des chasseurs foudroient ces colonnes dés-
unies qui suivent pèle mêle la direction du canal.
XXXV. — Le commandant en chef a envoyé l'or-
dre au colonel Foley, auquel il a donné le commande-
ment de sa cavalerie, de se lancer sur les fuyards, et
lui-même, à la tête de son escorte, se jette sur les lignes
ennemies pour les débander.
Les chasseurs, les spahis et l'escadron des sicks,
placés en arrière, entre le village de Lio-tsang à leur
droite, et le village de Leost à leur gauche, poussent
droit devant eux et passant entre le village de Leost
et le canal qui descend au Peï lio ; ils doivent prendre
l'armée tarlarc par derrière, et la rejeter vigoureuse-
ment vers ses derniers points de défense, où elle espèi'e
se rallier sous la protection de son artillerie.
Les cavaliers doivent suivre un chemin creux que
surplombent de chaque côté des hauteurs boisées ;
ils s'y engagent résolument ; le colonel Foley et le ca-
pitaine Mocquart sont à leur tête, excitant par leur
exemple les hommes qu'ils commandent. — Parcelle
manœuvre rapidement exécutée, nos troupes se sont ap-
puyées au canal, et écrasent le flanc gauche de l'ennemi,
que les Anglais menacent et refoulent sur leur droite (l).
(1) Dans cette charge le colonel Foley a eu son cheval percé de
LIVRE II, CHAPITRE II. 211
XXXVI. — Mais le lieutenant de Damas est tombé
mortellement frappé, et presque au même moment le
sous-lieutenant Destremont est blessé. Plusieurs charges
brillantes et énergiques ont dégagé le terrain. — Les
colonels Pouget et Dupouët, pénètrent bientôt dans le
village avec les troupes qu'ils commandent.
Le mouvement se continue rapidement en avant.
Sur les pas de l'artillerie accourent une compagnie
du génie et les compagnies d'élite du 101" et du 102%
sous les ordres du colonel Pouget et du lieutenant-
colonel Dupouët.
Le colonel de Bentzmann, toujours soutenu par les
chasseurs à pied, suit le mouvement avec son artillerie
dont le feu heureux et précis ne cesse pas un seul in-
stant de foudroyer l'ennemi.
Le chemin qu'a suivi notre colonne est jonché des
cadavres que l'ennemi, dans sa fuite précipitée, n'a pu
selon son habitude, emporter avec lui.
Les Tartares n'essayent plus de se défendre, et n'o-
sent plus combattre. Ils fuient en désordre; une partie
court dans la direction du canal, l'autre cherche à
se dérober à une mort certaine, en se réfugiant dans
les terrains boisés qui l'entourent. La victoire nous ap-
partient sur tous les points. L'armée chinoise si sûre
d'un triomphe qu'elle espérait trouver dans sa trahison,
est en complète déroute.
trois balles; il a été, dit le général de Montauban dans son rapport,
d'une bravoure éclatante dans la charge fournie par les sicks.
212 CAMPAGNE Dli CHINE.
Lo frcMiéral do Monl.uiban r.iit .ilorsexrculcr Icloiig tlii
(•;im;i1 un iiioini'iiiciit touni.iiil (|iii enveloppe les Tar-
lares ponisuivis encoir. dans leur iciraiti? tmmil-
kieusc par les boulels de nos canons rayés. Nos tronpes,
élcclrisées par le succès, rivalisent d'ardeur et d'éner-
gie; elles oublient leurs faligues et ces longues heures
de combat, sous les rayons ardents d'un soleil de feu,
pour se lancer à la poursuite de l'ennemi dont les
colonnes désordonnées sont refoulées, pèle-mèle, sous
le canon des Anglais.
Là, encore, elles ont à subir des pertes considérables.
XXXYII. — Le général en chef continue toujours sa
marche devant lui, accompagné par son artillerie qui
profile de toutes les dispositions favorables du terrain
pour mettre ses pièces en batterie; il suit ainsi, pendant
plus de trois kilomètres, le bord du canal et rejoint
alors le centre des forces anglaises, retardées dans leui-
attaque.
De ce grand nombre de cavaliers et de fantassins, qui
le malin se déployaient audacieusement dans la plaine, il
ne reste plus que les morts et les blessés. — Les vivants
ont disparu.
Dans cette journée si brillante pour nos armes, et qui
était déjà un premier châtiment infligé à des traîtres, chefs
et soldats avaient compris tout ce que l'on attendait
d'eux, malgré la disproportion immense de nos forces
avec celles de l'ennemi. Les pertes pouvaient être éva-
luées à environ quinze cents hommes, quatre-vingt
LIVRE JI, CHAPITliE H. 213
pièces de canon, dont soixante en bronze restaient en
noire ponvoir, ainsi qu'nne grande quantité de drapeaux
et de gingalls.
« Je ne veux pas terminer mon rapport (écrivait le
général en chef au ministre), sans vous dire la glorieuse
satisfaction que j'ai éprouvée à diriger-celte poignée de
braves contre des forces conduites au combat par des
chefs perfides. — Un nouveau succès, pour nos armes, a
été la conséquence de la trahison et de la félonie du gou-
vernement chinois, qui nous avait attirés par des assu-
rances de paix auprès de la capitale, avec des forces
qu'il croyait insignifiantes. »
XXXVIII. — Au début de l'action, nos alliés avec
leurs canons Armstrong, très-favorablement placés sur
une élévation de terrain, avaient jeté le désordre dans la
cavalerie tartare ; une vigoureuse charge de cavalerie
commandée par le major Probyn avait dégagé tout le
terrain sur la gauche. Ce fut un heureux début, car la
cavalerie fartare eût pu considérablement nous inquiéter,
et sa disparition du champ de bataille jeta la démora-
lisation dans les masses d'infanterie privées ainsi d'un
soutien efficace. Mais la colonne d'infanterie anglaise
sous les ordres du général Mitchell, chargée d'attaquer
la droite de l'ennemi, rencontra des forces tartares si
compactes, qu'elle ne put opérer son mouvement, crai-
gnant d'èlre coupée du corps [)rincipal; et lorsque le gé-
néral put, à l'aide des canons qui lui furent envoyés,
déblayer le terrain, déjà les Français avaient achevé leur
2U CAMPAGNE DE CHINE.
mouvcmcMit cl dépassé sa hauteur. Le commandant en
chef fr-ançais dut même envoyer un de ses officiers
d'ordonnance prier le général anglais de cesser le feu
de son artillerie dont les boulets arrivaient dans sa di-
rection (1).
Il était près de deux heures lorsque les troupes,
harassées de fatigue, prirent position à Khaonat-tsun,
village éloigné de Tung-chao de sept kilomètres en-
viron (2).
Les Anglais s'établirent à quatre kilomètres plus haut
(1) Correspondance du général de Montauban*
(2) Ordre général sur la journée du 18 septembre 1860.
L'armée tartare tout entière, retranchée dans une position défendue
par un grand nombre de pièces de canon, a voulu s'opposer au pas-
sage d'une colonne franco-anglaise qui se rendait à Pé-king.
Ces hordes, amenées au combat par des chefs perfides, ont été dis-
persées en quelques heures.
L'histoire dira que deux mille Européens ont triomphé, par leur
courage, d'un ennemi défendant sa capitale avec des forces qui leur
étaient dix fois supérieures en nombre.
Le corps expéditionnaire apprendra avec joie cet immense succès.
Le général commandant en chef cite à l'ordre de l'armée les noms
des chefs de service qui ont pris part à ce combat, en les faisant
suivre de ceux des officiers et soldats dont la bravoure a été au-dessus
de tout éloge :
Le général Jamin, commandant en second l'expédition.
Le colonel Sclimitz, chef d'état-major général.
Le colonel de Bentzmann, commandant l'artillerie.
Le lieutenant-colonel D ipouët, commandant le génie par intérim.
État-Major (jtnéral.
Dp Bouille, chef d'escadron d'état-major.
Dp Montauban. capitaine, officier d'ordonnance du général com-
mandant en chef.
LIVRE n, CHAPITRE II. 215
au village de Tchaiig-kia-ouang, qu'ils livrèrent au pil-
lage. — Ce fut un étrange spectacle de voir, dans ce
village abandonné par ses habitants, accourir, pour es-
sayer de prendre part au pillage, les hordes de bandits
qui suivaient partout les traces de l'armée.
XXXIX. — Pendant que nous remportions sur les
Tartares cette victoire signalée, de tristes événements se
passaient à Tung-chao où le drapeau parlementaire
Artillerie.
Le capitaine Legardeur.
Le sous-lieutenant Carré (blessé).
Volant, maréchal des logis.
Thevenot, servant (blessé)
Mouat, servant (blessé).
Richard, servant (blessé).
Pontonniers.
Bédel, maréchal des logis (blessé d'un coup de sabre à la main).
Durieu, maître ouvrier.
Cavalerie.
Le lieutenant de Damas, tué en chargeant à la tête des premiers
cavaliers.
Le capitaine Mocquart, commandant le détachemeni.
Le sous-lieutenant Destremont (blessé).
Le maréchal des logis de Braux d'Anglure.
Le brigadier Bellechamps.
Les spahis Otman (blessé) et Mohamed-Oued-Da.
2° bataillon de chasseurs à pied.
Le commandant de la Poterie,
Les capitaines Blouet, Lafouge et de Paillot.
Le sapeur Tappet (blessé).
Le chasseur Troubat (blessé).
Le chasseur Ousouf (disparu).
216 CAMPAGNB DE CHINE.
(jlail impuissant à protéger ceux qui s'élaieul uiis sous
Sti sauvegarde. Parmi les personnes envoyées la veille
dans cette ville pour y remplir une mission toute paci-
fique, celles qui n'avaient point eu l'heureuse inspiration
de quitter Tung-chao, dès le point du jour, avaient été
lâchement arrêtées et garrottées avec la plus odieuse hru-
tahté. — Au nombre de celles-là était le consul Parkes.
M. Parkes, on lésait, avait pris la courageuse résolution
de retourner sur ses pas pour arracher ses compatiMOtes
à la captivité qui les menaçait ; le môme sort était ré-
servé à M. Loch qui avait dignement imité son exemple.
Il est facile de penser avec quelle anxiété l'armée at-
tendait des nouvelles de ces malheureux voués peut-être
par la cruauté de leurs ennemis aux plus afiVeux. sup-
101" de ligne.
Le colonel Pouget, qui a été remarqué de tous pour la vigueur qu'il
a imprimée à sa troupe,
Le commandant Blot.
Les capitaines Lian et Granier.
Le sergent-major Bosch.
Le sergent Allemand.
Pierre, grenadier (blessé grièvemenl).
10'2* de ligne.
Le capitaine Joly.
Le sous-lieulenant Martin de Bonsonge.
Bouillon, sergent.
Métayer grenadier.
Lefèvre, caporal.
Au bivac de Khouat-tsun, le 19 septembre 1860.
Le général commandant en clief.
De Montauban.
LIVRE II, CHAPITRE IL 217
plices. — Quelle influence exercerait sur les Chinois la
nouvelle subite de leur défaite : jetterait-elle la conster-
nation au milieu d'eux, ferait-elle comprendre aux auto-
rités chargées des négociations la vengeance terrible que
nous tirerions de cet infâme guet-apens? ou, n'écoutant
que sa colère, l'ennemi voudrait-il venger les désastres
de son armée sur les prisonniers livrés à sa merci?
La journée se passa dans la plus cruelle inquiétude,
tous les regards interrogeaient à l'horizon la route qui
conduisait de Tung-cbao au camp des alliés, espérant
découvrir quelque indice révélateur. — Hélas ! la nuit
vint sans nous apporter aucune nouvelle de nos mal-
heureux compatriotes. Il n'était pas douteux, d'après le
récit du colonel Walker, que l'officier français entouré
par les Chinois, blessé et renversé de son cheval, fût le
comptable de première cla?se Ader. — Ces renseigne-
ments étaient corroborés par le comptable Gagey, qui
par son ordre l'avait devancé et était parvenu à atteindre
l'avant-garde anglaise (1).
L'intendant militaire Dubut et le colonel Foullon Grand-
champs avaient dû quitter Tung-chao peu de temps
(l) Uapport du comptahle Gagey.
•
Notre chargement s'étant dérangé, et les embarras de la route nous
faisant craindre de ne pas arriver à huit heures précises à la porte du
village où nous devions rencontrer M. le capitaine Chanoine, chargé
de nous indiquer l'emplacement des magasins de l'administration
et de l'ambulance, M. Ader m'engagea à le devancer; je fis donc
mettre sur la voiture le chargement de ma mule, qui fut montée par
le soldat Berden, (jui la conduisait etqui m'accompagna en avant, en
forçant la marche de nos montures.
218 CxVMPAGNE Dli CHINE.
après, sans se douter du sort qui les attendait, et avaient
été sans nul doute également massacrés.
XL. — Dans une des reconnaissances exécutées le
19 et le 20 septembre, un soldat chinois fait prisonnier
raconta, que, le 18, plusieurs étrangers faits prisonniers
avaient été emmenés à Pé-king dans des chariots. — On
avait espéré que notre victoire si éclatante aurait dé-
terminé le gouvernement chinois à désavouer l'acte
de trahison de Tung-chao, mais cette espérance dut
s'évanouir. — M. Wade, interprète anglais, envoyé dans
la journée du 19 pour réclamer les prisonniers anglais
et français, n'avait rien obtenu, et s'était retiré en décla-
rant aux autorités chinoises que l'on attaquerait Pé-king,
si ces prisonniers n'étaient pas immédiatement ren-
voyés à leur camp respectif.
En face des faits qui venaient de s'accomplir et du
refus criminel des plénipotentiaires chinois qui tous
deux, à n'en pas douter, avaient trempé dans cet infâme
guet-apens, il ne restait phis qu'à marcher résolument
en avant.
Les deux journées qui s'étaient écoulées avaient été,
nous l'avons dit, employées à explorer le pays. Les
reconnaissances envoyées dans différentes directions
avaient appris aux généraux alliés qu'un nombre consi-
dérable de Tartares des bannières se rassemblait au-
dessus de Tung-chao. — C'était là qu'était réunie dans
de grands camps retranchés cette redoutable cavalerie
tartarc que nous avions un instant aperçue dans la
LIVRE II, CHAPITRE II. 219
journée du 18; elle était, ainsi que l'infanterie, sous
les ordres du fameux chef mogol Sang-ko-lin-sin, ce gé-
néral si renommé parmi les Chinois par ses victoires
sur les rebelles et que n'avaient pu faire disgracier ni
l'échec du Pcï ho, ni celui qu'il venait encore d'essuyer
tout récemment.
Les camps préparés de longue main et placés à che-
val sur la grande route de Pé-king révélaient une di-
rection énergique el habile; le combat livré deux jours
auparavant n'avait évidemment aucun caractère décisif
■ aux yeux des chefs militaires tartares. — C'était dans
la vaste plaine qui s'étend en avant du canal depuis
Tung-chao jusqu'au pont de Pa-li-kiao que le Sen-
Wang Sang-ko-lin-sin s'était établi dans une redoutable
position.
XLI. — On apprit plus tard par une correspondance qui
tomba entre les mains des alliés, que Sang-ko-lin-sin avait
écrit de Kho-seyou à l'Empereur pour lui faire savoir que
nous nous avancions de Tien-tsin vers la capitale avec
des forces si minimes qu'il n'y avait rien à craindre.
ot La position que j'ai choisie en avant de Tchang-kia-
ouang (disait-il) est très-forte et les nombreuses troupes
que je commande sont disposées de telle façon qu'il me
sera facile d'écraser les barbares , s'ils tentent d'aller
plus avant. » — La date de cette lettre indiquait qu'elle
avait été écrite dans le même moment où le prince Tsaï
el son collègue traitaient et donnaienfaux ambassadeurs
des assurances réitérées de paix.
220 CAWI'AGNE M. CHINE.
Les deux g^énéraux en chef ne doutèrenl point qu'une
grande bataille ne fût imminente ; ils résolurent de
prendre les devants et d'attaquer rcnnenii, drs le len-
demain. — Le général Collineau, accouru à marches
forcées avec toutes ses forces disponibles, avait rejoint
l'armée dans la journée du 19 septembre.
Le 20, dans la soirée, après avoir reçu tous les rensei-
gnements que l'on avait pu recueillir sur le développe-
ment des positions ennemies, le général de Monlauban
se rendit auprès du commandant en chef anglais pour
combiner a\ec lui le plan général des opérations du
lendemain.
Les ambassadeurs avaient entin ouvert les yeux sur
l'inefticacité des négociations diplomatiques, voile trom-
peur derrière lequel le gouvernement chinois avait ca-
ché jusqu'au dernier momentses préparatifs dedéfense.
La vraie véi'ité se taisait jour un peu tard })eut-ôtre, et
devait , en dehors des chances ordinaires de la guerre,
coûter la vie à quelques-uns des infortunés si traîtreu-
sement arrêtés dans la ville de Tung-chao.
Les dispositions de combat furent donc arrêtées de
commun accord avec le général Grant.
XLIL — a Nous avions, éciit le général de Montauban
au ministre de la gueirc (I), à cinq kilomètres en avant
(le nos bivacs ûc Tehang-kia-ouaug, la grande ville de
Tung-ehao de 400 Ouo âmes, qui est reliée à Pé-king
1. Dépèche du 21 septembre.
LIVRE H, CHAPITRE II. 221
par iiiin voir do douze kilomètres, ouvrage des an-
ciennes dynasties. C(>tle loule traverse, au village de
Pa-li-kiao et sur un grand pont de j)ierre, le canal (jui
joint le Peï ho à Pé-king. Nous résolûmes de négliger
Tung-chao , où il n'y avait plus un seul soldai, et de
nous porter sur ce pont que nous savions occupé, en
avant et en arrière, par les camps du Sen-Wang^. »
C'était à l'armée française , celte fois , à choisir son
ordre de marche et sa position d'attaque ; le général
de Montauban prit le pont de Pa-li-kiao, ce devait être
évidemment le point principal de la défense.
Ainsi, l'armée française devait s'avancer directement
vers ce pont, tandis que l'armée anglaise, déployée sur
sa gauche, chercherait un autre point de passage, en
prenant pour direction un petit pont de bois étroit et des-
tiné aux piétons. — Ce pont était à trois kilomètres envi-
ron plus à gauche. Mais il était évident que les deux
corps expéditionnaires restaient un peu dans l'inconnu,
malgré les renseignements recueillis la veille et l'avant-
veille, et sur l'exactitude desquels il n'était pas possible
de se fier entièrement. Les chefs ignoraient la roule
certaine qu'ils pourraient suivre et si des obstacles ma-
tériels ne viendraient pas entraver leur marche et sur-
tout intercepter le passage de leur artillerie, — C'étaient
là des considérations majeures dont il fallait accepter
les éventualités bonnes ou mauvaises.
Une résolution prompte et énergique était déjà un
gage de succès. — La journée du lendemain devait être
décisive. — L'armée tartare battue ne pourrait plus se
222 CAMPAGNl': DE CHINE.
relever de ce nouvel échec, et laisserait la grande route
qui conduit de Tung-chao à Pé-king, Sang-ko-lin-sin
était là, et si la cavalerie avait déserté le champ de ba-
taille de Tchang-kia-ouang, c'était pour nous attendre
sur son terrain dans une position que le chef tartare
jugeait inexpugnable; les nuées de ses cavaliers de-
vaient fouler les barbares aux pieds de leurs chevaux,
comme une vile poussière.
CHAPITRE III.
XLIII. ^Dans le camp des alliés, la nuit fut pleine
non d'anxiété mais de fièvre, de cette fièvre d'impa-
tience qui fait battre le cœur des plus nobles émotions,
la nuit vint couvrir de son voile les derniers prépara-
lits. — Si près de l'ennemi, toutes les mesures d'une
surveillance sévère avaient été prises pour éviter toute
surprise ; les sentinelles vigilantes épiaient le moindre
bruit; les grands-gardes étaient prêts à s'élancer au
premier signal. Toute la nuit, des patrouilles parcou-
rurent le camp , sillonnant dans leur marche régulière
les tentes endormies.
Dès que les premiers rayons du jour parurent, l'ar-
LIVRE II, CHAPITRE III. 223
niée alliée élait debout; les chefs de corps avaient reçu
leur ordre de marche et d'attaque. — Déjà les tentes sont
dépliées. — Les soldats ont pris le café. — Le signal du
départ est donné; il est cinq heures et demie du matin.
Le général de Montauban, passant en avant de l'armée
anglaise pour prendre la position où l'appelait son
tour de marche, laissa ses bagages sous la protection
de deux compagnies d'infanterie, dans un petit village
situé à une lieue en avant de Tchang-kia-ouang. — La
colonne française s'était avancée à dix kilomètres en-
viron au delà de Khaouat-tsun , et n'était plus séparée
de Pa-li-kiao que par une distance de trois kilomètres
au plus , lorsqu'elle aperçut les premières vedettes tar-
tares.
Les terrains , presque complètement boisés , inter-
ceptaient la vue de distance en distance. Des groupes
de maisons assez considérables , reliées entre elles par
des massifs épais où s'élevait un grand nombre de tom-
beaux, contribuaient encore à nous dérober les mouve-
ments de l'ennemi.
XLIV. — Des cavaliers sont lancés en avant pour
éclairer la route. La cavalerie tartare, que l'on ne pou-
vait encore apercevoir , déployée dans une immense
plaine, formait un grand arc de cercle au centre duquel
se trouvait Oua-koua-yé; aux alentours et derrière ce
village étaient échelonnées de grandes masses d'infan-
terie avec du canon. Le demi-cercle que formait cette
cavalerie, évaluée à 20 000 ou 25 000 hommes envi-
224 CAMPAGNE DE CHINE.
ron(l), élait puissaiiiniciil itmiIoitc'' aux deux ailes. — Le
Icnaiii avait élr liahilcim'iit clioisi pour livrer halaillo. —
Le village de Oua-koua-yé' élail un solide [toiiil d'appui
(jiii pouvait, au besoin, couvrir la retraite de la cavalerit;,
si celle-ci était torcée de se replier, et détendre les ap-
proches du grand pont de l'a-li-kiao, où l'ennemi avait
concentré, en arrière du canal, des forces d'infanterie
considérables.
Le générai de Montauban, qui tenait, nous l'avons
dit, la droite de l'armée alliée, a pris les premières dis-
positions de combat.
Le général CoUineau reçoit l'ordre de se porter en
avant. Cette petite colonne d'avant-garde se compose
d'une compagnie du génie, de deux compagnies de
chasseurs à pied, d'un détachement de pontonniers,
d'une batterie de quatre et de deux pelotons d'artilleurs
à cheval. Le général Collineau doit appuyer un peu à
gauche pour se tenir à bonne distance de l'aile droite
des Anglais. — Le commandant en chef suivait le mou-
vement avec le général Jamin, en se maintenant sur la
droite; il avait conservé le reste du bataillon de chas-
seurs à pied, les fuséens, la batterie de 12 et le lOP de
ligne.
XLV. — Menacée dans le centre de sa ligne, la cava-
lerie tai'tare , dont les massifs d'arbres nous dérobaient
les mouvements, s'ébranla tout à coup, et s'avança
1. Correspondance du général de Montauban au ministre de la
guerre, 22 septembre 1860.
LIVRE H, CHAPITRE III. 225
résolument en deux masses compactes, jusqu'à cinquante
mètres environ de la ligne des tirailleurs. — Les cava-
liers sont armés de lances et d'arcs, — Reçus par un feu
très-vif qui abat dès la première décharge un grand
nombre d'hommes et de chevaux, ils ne s'arrêtent pas;
de nouveaux escadrons accourent se joindre à eux, et
cette nuée de cavaliers, pleine d'une confiance redou-
table qu'augmente encore la supérioriîé si considé-
rable du nombre , cherche à écraser la faible avant-
garde que commande le général Collineau ; mais déjà
celui-ci a mis ses pièces en batterie et préparé ses fai-
bles troupes à recevoir fièrement l'ennemi. — Le colo-
nel Pouget est accouru et a rallié aussitôt les deux
compagnies de chasseurs détachées en tirailleurs, puis
il a rejoint au galop son régiment qui tient la droite.
La situation est grave et le danger imminent. — Cet ou-
ragan humain augmente et se décuple de minute en
jninute; il déborde en un instant toute notre ligne de
bataille avec des cris sauvages. A voir hommes et che-
vaux s'élancer ainsi, soulevant autour d'eux des nuages
de poussière, on eût dit qu'ils vont, sans s'arrêter, pas-
ser sur le corps de ces quelques combattahts qu'ils
menacent d'envelopper de toutes parfs; mais l'artillerie
tonne, et les boulets tracent de sanglants sillons dans ces
masses amoncelées et tumultueuses. — Les balles de
carabines renversent les premiers rangs, les baïon-
nettes étincelantes touchent presque les poitrails des
chevaux. Devant cette résistance inattendue, les Tar-
tares s'arrêtent, hésitent, et, se répandant sur leur droite,
II 15
226 CAMPAGNE DE CHINE.
CQmirie un lonenl subitement débordé, vont tourner
parla gauche le corps si réduit du général CoUineau,
Car le vide qui existait entre lui et les Anglais n'est pas
comblé, et le général Grant, au lieu de suivre sa marche
en avant, s'est jeté entièrement à gauche avec sa cava-
lerie et son artillerie , nous laissant ainsi entièrement à
découvert.
Ce changement au plan combiné entre les généraux
alliés failht être fatal, car le général Colliueau ne trouvant
plus de point d'appui, pouvait être écrasé.
XL VI. — Un violent feu d'artillerie s'est en même
temps ouvert contre notre droite, au moment où le com-
mandant en chef allait soutenir le général Colliueau
avec le reste de ses troupes; forcé de se défendre aussi,
il donne l'ordre au général Jamin de faire, de ce côté,
face au canon. — Pendant qu'il déploiera le bataillon
de chasseurs et placera les fuséens et le bataillon d'ar-
tillerie, le 101* avancera le plus promptement possible
pour renforcer la droite.
Mais le général Collincau est menacé de plus en plus ;
la cavalerie lartare, qui s'est aperçue des vides qui sé-
[larcnt les deux corps alliés, glissant sur le front de
bataille qu'elle voulait d'abord traverser, se développe,
par une manœuvre soudaine, sur ses deux ailes et s'é-
lance avec un redoublement d'énergie pour nous en-
tourer de toutes parts. — Enhardis par notre infériorité
numérique, les cavaliers poussent des cris sauvages pour
s'animer au combat, et brandissent leurs armes, en se
LIVRE II, CHAPITRE III. 227
courbant sur leurs chevaux donlils déchirent les flancs
avec leurs éperons aigus.
Il ne s'agit plus de s'occuper du canon qui retentit en
ce moment sur la droite, tant là le danger est immense,
il faut se resserrer pour briser dans son élan cette
charge impétueuse. — Le commandant Campenon, de
l'état-major général, a porté l'ordre au général Jamin de
se rabattre sur la gauche. — Mais, avant même que cet
ordie pût être exécuté, la cavalerie tartare s'est jetée à
la fois sur le centre, sur la gauche et sur la droite, sans
pouvoir parvenir à se frayer un passage. A gauche, le
général Collineau a tenu bon avec la petite poignée
d'hommes énergiques qu'il commande, et la batterie
Jamont froudroie presqu'à bout portant les escadrons
ennemis. — Au centre, ce sont les fuséens et les chas-
seurs à pied, appuyés par la batterie de 12, dont le tir,
dirigé avec une grande précision, fait de sanglants ra-
vages. — Adroite, le 101% disposé en carrés par l'in-
trépide colonel Pouget, attend l'ennemi avec sang-froid
et l'arrête par un feu nourri et meurtrier.
XLVIL — C'est en ce moment qu'apparut enfin la tête
de colonne anglaise qui entrait en ligne en reliant notre
gauche. En vain les chefs tartares s'élancent de nouveau
avec une grande intrépidité, jusque sur les baïonnettes
de nos soldats; les escadrons désunis ne continuent
plus le combat; immobiles, mais fiers, ils restent sous
le feu qui les décime, et se retirent lentement empor-
tant leurs morts et leurs blessés. L'arrivée des Anglais,
22K CAMPAGNE DE CHINK.
en ôlaiil luul t'S|)oir aux ca\aliei's tarlares de nous en-
velopi)('r, a dégagé la position un instant sérieusement
coniproinise.
Rassuré sur son aile gauche, le général de Montau-
ban peut alors conlinucr rapidement son mouvement sur
le pont de Pa-li-kiao, en enlevant Oua-koua-yé, où l'en-
nemi s'est solidement retranché.
Pendant que le général Goliineau marchera devant
lui, en appuyant adroite par un mouvement de rotation
pour gagner le canal et menacer en même temps la
droite du village, le général Jamin abordera ce village de
front, et, le traversant, se dirigera en ligne directe sur
le pont.
Ainsi la colonne Goliineau, tout en opérant son mou-
vement de conversion, prête, par une simultanéité de
mouvement , son appui à l'attaque du général Jamin ,
que dirige en personne le général en chef.
Nos troupes , électrisées par leur premier succès,
en voyant fuir devant elles celte cavalerie si redou-
tée dans tout l'Empire , se lancent au pas de course
dans la direction qui leur est indiquée. L'infanterie
ennemie massée aux abords, dedans et derrière le vil-
lage de Oua-koua-yé, s'apprête à défendre pied à pied
cette position. A notre approche, son artillerie com-
mence un feu violent. — Mais, comme toujours, son
point de mire est défectueux ; les boulets traversent l'es-
pace à une grande hauteur, et vont labourer loin de nous
les terrains déserts.
Le cri : En avant ! retentit sur toutfti .-x ligne ; le lOf,
LIVRE H, CHAPITRE lil. 229
que conduit loujours au feu son colonel , entre par la
droite, renversant tout ce qui s'oppose à son passage,
pendant que les chasseurs à pied envahissent la gauche
et prennent ainsi, dans un cercle de feu, les masses
éperdues qui se font tuer en essayant encore une dé-
fense inutile.
Alors, au milieu de ces colonnes, brisées à la fois
par les balles et par les baïonnettes, on vit des chefs
tartares s'avancer au milieu du feu, agitant des dra-
peaux pour rallier leurs combattants et les ramener
vers le pont où Sang-ko-lin-sin a déployé sa bannière ;
c'est là que ce général a organisé sa principale défense.
— C'est là le dernier rempart qu'il faut franchir poui'
marcher victorieusement sur la capitale.
XLVIII. — De son côté, le général Collineau a ren-
contré sur sa route un ensemble de bois touffus, remplis
de tombeaux. — Les Chinois ont disséminé derrière ces
abris naturels un grand nombre de tirailleurs qui ten-
tent de barrer le passage à celte colonne. Le général
les a bientôt refoulés, et continue rapidement sa marche
pour atteindre le canal. — Les deux brigades marchaient
donc à la même hauteur, refoulant les fuyards devant
elles.
Déjà toutes deux apercevaient le beau pont de Pa-li-
kiao, surmonté d'énormes statues et que l'infanterie,
disposée en arrière en masses profondes, s'apprête à dé-
fendre vigoureusement. — Tout le long du canal, sur
les berges opposées, couvertes de joncs élevés, sont en>-
230 . CAMPAGNE DE CHINE.
busqués des tirailleurs armés d'arcs et de gingalls; d'au-
tres se sont logés dans les pagodes et dans les maisons
éparpillées sur le bord. — Pendant que notre infanterie
s'approche, en s'abritanf, elle aussi, derrière les con-
structions qu'elle rencontre, l'artillerie du général Col-
lincau s'est mise en position et prend le pont d'écliarpe ;
de son côté le colonel de Bentzmann, avec la batterie
de 12 elles fuséens, le prend d'enfilade et dirige spécia-
lement son feu sur les pièces de gros calibre qui en pro-
tègent les abords.
L'ennemi, déjà repoussé deux fois, ne s'avoue ce-
pendant pas encore vaincu et s'apprête à disputer réso-
lument le passage.
XLIX. — On ne peut réellement expliquer que i)ar
l'infériorité de l'armement des Chinois les pertes peu
considérables que nous avons subies, malgré la ténacité
de leur résistance (1). On eût dit, en effet, que nos sol-
dats étaient i)rotcgés par une main invisible qui écartait
d'eux les balles et les boulets que Tcnnemi lançait avec
une profusion sans égale. — Le pont semblait en feu et
tremblait dans sa base sous les volées retentissantes des
canons tartares. — Ce n'était plus derrière des remparts
ou abrités par des ouvrages de campagne que combat-
taient les Chinois, c'était à poitrine découverte. — Là
sont réunis, aux portes mêmes de la capitale, les Tar-
tares de la bannière impériale, l'élite des troupes de l'Em-
<\) Rapport (lu génér<'il de Monlautian.
LIVRE II, CHAPITRE III. âSl
pire. A leur tête, au milieu du pont, exi)Osé aux balles
et aux boulets qui pleuvant de toutes part?, un de leurs
chefs à cheval agite, en signe de défi, une bannière
jaune, et pousse des cris gutturaux qui se perdent dans
le bruit de la canonnade. — Autour de ce chef intré-
pide le marbre des parapets vole en éclats, et nos obus
abattent des rangs entiers. — La mort qui frappe sans
relâche n'épouvante pas ces inhabiles mais hardis com-
battants; pas un ne bouge. — Déjà les bords du canal et
le pont lui-même sont couverts de morts mutilés par
d'affreuses blessures.
« En ce moment (écrit le général de Montauban),
le pont de Pa-li-kiao offrait un spectacle qui est certes
un des épisodes les plus saisissants de la journée. Tous
les cavaliers, si ardents le matin, avaient disparu. —
Sur la chaussée du pont, monument grandiose d'une ci-
vilisation vieillie, des fantassins richement vêtus agi-
taient des étendards et répondaient à découvei t par un
feu heureusement impuissant à celui de nos pièces et à
notre mousqueterie. « C'était l'élite de l'armée qui se
dévouait pour couvrir la retraite »
Depuis près d'une demi-heure, le feu ne cessait pas
de part et d'autre. Cependant celui de l'ennemi faiblissait
sensiblement. Nos boulets avaient tué presque tous les
canonniers sur leurs pièces.
Le général Gollineau a formé une colonne d'attaque à
laquelle se joint la compagnie du lOP du capitaine de
Moncets, officier plein de bravoure, qui déjà avait voulu
se jeter en avanl. — Le général n pris la tête de la co-
232 campa(;ne de chine.
lomio et s'élance à cheval vers le pont; derrière lui, gui-
dées par leurs chefs, accourt le reste de ses troupes, aux
cris de : Vive VEmpereur! — Ils envahissent le pont,
qu'encombrent les morts et les blessés, et dont l'entrée
est obstruée par des pièces de canon renversées de leurs
affûts. — L'ennemi n'essaye plus de résister; ces masses
si compactes tout à l'heure, maintenant confuses, désor-
ganisées, privées de leurs chefs, dont le plus grand
nombre a été tué en s'exposant vaillamment à nos coups,
se retirent en désordre dans la direction de Pé-Ring.
— Le général CoUineau culbute avec son avant-garde
quelques groupes de Tartares qui tentent encore un
dernier effort, et s'engage sur la droite de la route à
la poursuite des fuyards, — Mais des maisons qui bor-
dent la rive opposée à l'armée alliée et des berges cou-
vertes, de hautes herbes, part encore un feu assez suivi
de tirailleurs. — Ces derniers défenseurs du pont sont
presque tous tués surplace, et le général en chef marche
avec la colonne Jamin sur les traces du général CoUineau.
L'ennemi avait disparu, laissant le champ de bataille
couvert de ses morts. — Il était midi, et depuis sept
heures du malin le combat durait — Le général de Mon-
tauban fait sonner la halle, et, deux heures après, toutes
les troupes étaient établies dans le camp et sous les
tentes mômes des Tartares.
L. — Mais qu'avaient fait de leur côté nos alliés de-
puis le matin? quelle marche avaient-ils suivie? quels
combats avaient-ils livrés? — Le droit que nous avions
LIVRE II , CHAPITRE 111. 233
eu de choisir notre ordre de marche et notre point d'at-
taque nous avait donné la plus grosse part dans cette
glorieuse journée; car il était évident que c'était sur le
grand pont de Pa-li-kiao que se déciderait le sort de la
bataille.
L'extrême gauche de la cavalerie anglaise devait, tout
en suivant sa direction, balayer ce qu'elle rencontre-
rait, de manière à refouler le flanc droit de l'ennemi vers
son centre, qui se trouverait alors n'avoir plus d'autre
ligne de retraite que le canal ou le petit pont de ba-
teaux contre lesquels marchaient l'artillerie, l'infanterie
et la cavalerie. — Arrêtée ainsi d'un côté par les colonnes
françaises, de l'autre par les colonnes anglaises, l'armée
tartare devait être culbutée et mise dans le plus grand
désordre.
LI. — Le corps expéditionnaire anglais, après avoir
marché un mille environ, aperçut la cavalerie s'étendant
à perte de vue. — Les positions qu'elle occupait indi-
quaient son intention d'envelopper la gauche de la ligne
alliée. — L'infanterie, postée dans les petits bois qui
étaient disséminés dans la plaine, pouvait masquer ses
mouvements. Elle ouvrit aussitôt un feu de gingalls et
de pièces de campagne.
Le généralGrant se préoccupa férieusementdece grand
déploiement de forces sur son extrême gauche. Comme
il entendait une vive cannonade du côté des Français, il
voulut, de sa personne, s'assurer de la position de ses
alliés ; mais il s'égara, et, se trouvant tout à coup en
234 CAMPAGNE Dli CHINE.
lace d'un toil parti lariarc, il dut, avec son étal-major,
rebrousser chemin. L'ennemi s'élança à sa poursuite
avec de grands cris; mais, arrivé à deux cent cinquante
mètres environ de la ligne, il fut reçu par un feu d'ar-
tillerie qui l'arrêta court et le rejeta sur la droite, où
l'on sait que déjà les deux brigades françaises avaient
aussi devant elles des masses considérables de cavalerie
qui voulaient, en les enveloppant, les isoler complète-
ment.— G'estaiors que l'apparition des Anglais, retardée
par la préoccupation sérieuse que leur donnaient ces
masses considérables de cavalerie déployées sur leur
gauche, vint apporter un si utile appui au petit corps
du général Collineau.
LU. — Le général Grant divisa ses troupes en deux
corps. — La droite, sous les ordres du brigadier Sutton, et
la gauche, où il se tenait en personne, sous le commande-
ment de sir John Mitchcll. — La cavalerie se porta aussi-
tôt en avant sur la cavalerie tartare, qui venait de tenter
d'inutiles efforts contre le général Collineau. — En voyant
»es cavaliers anglais s'avancer, IcsTartares se reformèrent
rapidement derrière un fossé large et profond.
Les dragons de la garde du roi et les sieks poussè-
rent aussitôt sur eux avec une grandeur énergique. Par
malheur un grand nombre de chevnux des sicks, gênés
par leurs martingales, ne purent franchir le fossé et
s'abattirent se culbutant en désordre les uns sur les au-
tres et renversant leurs cavaliers, — mais les dragons du
roi arrivèrent si rapidement sur les Tartare?, qu'ils les
LIVRE 11, CHAPITRE 111. 235
rompirent, les débandèrent et les mirent en déroute. —
Une portion des sicksse joignit à eux et compléta la dé-
route de l'ennemi qui se dispersa dans toutes les direc-
tions. — La colonne du général Grant, voyant cette ca-
valerie se répandre confusément sur la gauche, se mita
sa poursuite, pendant que les projectiles des canons
armstrong éclataient dans ses rangs et augmentaient le
désordre en abattant hommes et chevaux.
Lin. — Dans la direction que suivait cette colonne,
les Tartarcs avaient plusieurs camps, les Anglais trou-
vèrent les tentes encore debout et les détruisirent. A
mesure qu'ils approchaient de ces différents camps par
des chemins très-difficiles, ils voyaient l'ennemi les
abandonner à la hâte, sans même tenter de s'y défendre.
— 11 n'essaya de résistance que dans un seul qui était
entouré de terrains boisés dans lesquels l'infanterie re-
tranchée ouvrit un feu assez vif, mais elle en fut rapi-
dement délogée. — Cette colonne, après avoir marché
pendant quelque temps le long du canal, dans la direc-
tion de Pé-king, rejoignit la â-^ brigade qui était déjà
arrivée au pont de bois, en chassant successivement de-
vant elle quelques groupes d'infanterie et de cavalerie
tartare embusqués dans les bois.
Ce pont devant lequel les Anglais se trouvèrent étant
infranchissable pour leur artillerie, ils n'allèrent pas plus
avant. — D'ailleurs la bataille était gagnée, et déjà le gé-
néral CoUineau avait enlevé de son côté le grand potit
de Pa-li-kiao, centre de résistance de l'armée tartare.
■236 CAMPAGNE DE CHINE.
Les deux corps exijéditiunnaires établireiil leurs bi-
vacs dans les positions respectives qu'ils occupaient.
Pendant quelque temps encore on entendit çà et là
quelques coups de fusil isolés, tirés par l'ennemi dans sa
retraite sur les patrouilles envoyées en reconnaissance
dans différentes directions au delà du canal; puis la nuit
\int, et avec elle un silence profond, étrange contraste
avec ce formidable tumulte d'bommes, de chevaux et de
canons, qui quelques heures auparavant retenlissaitdans
cette immense plaine où venaient de s'anéantir les der-
nières espérances et se briser les suprêmes efforts de
l'armée tartare.
LIY. — Le lendemain, le pont de Pa-li-kiao et ses abords
offraient un lugubre spectacle. Sur les côtés du pont sont
entassés pêle-mêle des monceaux de cadavres chinois,
quelques-uns sont presque entièrement consumés par
le feu. En effet, les fantassins tartares portent sur la
poitrine une cartouchière! remplie de poudre et ont une
mèche enroulée autour du bras, c'est avec cette mèche
qu'ils allument l'amorce de leur mousquet. — Les mal-
heureux étaient tombés ayant encore cette mèche al-
luméL' qui avait mis le feu à la poudre des cartouchières.
Ces corps calcinés ont un aspect affreux. — C'est la
mort sous son plus sinistre aspect. D'autres ont la tête
emportée par les boulets et sont couchés sur les che-
vaux éventrés pai' nos [)rojectiles. — Les prisomiiers
tartares sont employés à enterrei" les morts.
La journée du 21 septembre mettait en notre pouvoir
LIVRE II, CHAPITRE 111. -237
vingt-sept canons en bronze, une énorme quantité de
mousquets à mèche, de gingalls, de lances, d'arcs, de
tlèches et d'engins de guerre, — Les étendards de toutes
couleurs jonchaient la terreau milieu des morts, ainsi
qu'une bannière du fameux chef Sang-ko-lin-sin.
D'après tous les renseignements recueillis et en se
fondant surtout sur l'assertion du général Ignatieff, am-
bassadeur de Russie en Chine, qui se trouvait à Pé-king
le jour même de la balaiUe, on peut évaluer les forces
tarlares dans cette journée à 50 ou 60000 hommes, sur
lesquels il faut compter 30 000 cavahers environ.
LV. — Les Chinois perdirent près de 3000 hommes (1),
tandis que les perles des alliés étaient presque nulles:
les Français enrent_ 3 hommes tués et 17 blessés, — les
Anglais eurent 2 tués et 29 blessés. Ainsi l'armée aUiée
comptait en tout 51 hommes hors de combat.
Les pertes si considérables du côté des Chinois seraient
à peine croyables, si l'on ne s'en rendait compte en
examinant les armes primitives dont les Chinois se ser-
vent, jointes à l'inhabilité de leur tir; — pas un de leurs
boulets n'a porté. Leurs canons étaient pour la plupart
du plus gros calibre, et les projectiles qu'ils lançaient
dépassaient presque tous la cime des arbres ou brisaient
en passant les branches les plus élevées. Celte infério-
(1) Ce chiffre est celui que les Chinois accusent eux-mêmes-, et on
le trouva plus tard relaté dans une lettre saisie sur un courrier ex-
pédié de Pé-king et qui fut arrêté le 5 octobre à une des portes de
sortie de la ville.
238 CAMPAGNE DE CHINE.
rilé cl'armciiieiil, telle inliahilelé de manœuvres et de
lir se faisaient bien plus sentir sur un champ de bataille
où le lieu du combat était sans cesse déplacé. Les Chi-
nois n'ont pas étudié la guerre, aussi ils ne savent pas
combattre : car le soldat, le soldat tartare surtout, est
d'une bravoure incontestable, et dans cette guerre comme
dans celle de l'année précédente, on avait vu des chefs se
donner eux-mômes la mort pour ne pas survivre à leur
défaite.
LVI. — Une bataille est surtout grande par ses ré-
sultats; aussi la bataille de Pa-li-kiao avait une inmiense
portée. — C'était le dernier coup de hache qui renverse
et abat le cèdre orgueilleux. C'était l'armée tartare dé-
moralibée, débandée, emportant avec elle dans sa fuite
le dernier espoir de l'Empereur, réduit à s'enfuir en
Tar tarie.
Après la bataille de Pa-li-kiao livrée au cœur même de
l'Empire, après la défaite inattendue des troupes impé-
riale et celle de cette cavalerie tartare réputée invinci-
ble, un traité de paix était l'unique ressource du gou-
vernement chinois, s'il ne voulait voir la ville dePé-king
devenir la proie des armées alliées et le gage de sa
soumission.
C'était enfin le désastre réel, palpable, de toutes ces
illusions de victoires dont le parti de la guerre berçait
dans le grand conseil le souverain aveuglé.
Que restait-il de cette formidable concentration de
forces qui, la veille, couvrait comme un rempart infran-
LIVRE II, CHAPITRE III. 239
chissable les approches de la capitale? — Le souvenir
d'une défaite et la route ouverte jusqu'aux portes mêmes
de la capitale du Céleste-Empire.
LYII. — Le lendemain, une dépêche du prince Kong,
frère puîné de l'Empereur, arriva au camp; elle était
adressée au baron Gros. — Cette dépêche, datée de
21 septembre, semblait, ou plutôt voulait paraître avoir
été écrite avant la bataille : car elle ne faisait aucune
mention des grands événements militaires qui venaient
de se passer et du désastre de l'armée chinoise.
Le prince Kong annonçait que les hauls commissaires
Tsaï et Muh, ayant mal mené les affaires, avaient été des-
titués; comme prince de la famille impériale, il avait
reçu les pouvoirs les plus étendus pour traiter avec les
ambassadeurs et conclure enfin la paix. Il demandait
en conséquence de faire cesser les hostilités.
La nomination du frère de l'Empereur comme négo-
ciateur plénipotentiaire avec les ambassadeurs des puis-
sances alliées avait évidemment une portée sérieuse et
un sens significatif. — Après avoir recouru à la ruse et
à la trahison, après avoir tenté fatalement le sort des
armes, le gouvernement chinois comprenait enfin que la
paix était son seul refuge, et il envoyait comme gage de
sa sincérité le ftère même du Souverain.
Le même jour, le baron Gros et lord Elgin répondi-
rent au prince Kong que des sujets français et anglais,
venus à Tung-chao sous la sauvegarde du drapeau
parlementaire, avaient été traîtreusement arrêtés, qu'en
2'4U CAMl'AGNK DE CHINE.
vain ils avaient ùlé réclamés au prince Tsai , et que les
hostilités ne seraient pas suspendues , tant qu'ils ne
seraient pas revenus à leurs camps respectifs. Alors seu-
lement les négociations de paix pourraient être reprises.
« Le Tao-taï de Tung-chao (.ijoutont les ambassa-
deurs) a été prévenu par les connnandanls en chef des
forces alliées, que si le moindre obstacle était apporté au
retour de ces individus, le gouvernement chinois assu-
merait sur lui la plus grave responsabilité (1). »
Loin d'être satisfaisante et catégorique, la réponse du
prince Kong se traîna encore dans les mêmes voies de
cette diplomatie tortueuse et ambiguë; elle ne disait rien,
ne résolvait rien. — Mais l'heure des attermolenients est
passée; les faits qui se sont accomplis donnent aux am-
bassadeurs le droit de tenir un langage sévère qui pré-
cise la question et la met sur son véritable terrain.
LA'III. — Tl est intéressant de suivre le fil de ces négo-
ciations rompues tant de fois et tant de fois reprises; c'est
un des côtés de la campagne de Chine les plus curieux
à étudier. On a reproché aux plénipotentiaiics anglais et
français d'avoir, malgré des délais interminables, conti-
nué à négocier avec ce semblant de gouvernement per-
fide, dont l'astuce et la mauvaise foi étaient palpables
à tous les yeux, aussi bien dans ses actes que dans ses
communications officielles. Cette élude de l'action diplo-
(1) Dépêche du baron Gros au prince Kong Pa-li-kiao, 22 septembre
1860.
LIVRE II, CHAPITRE III. 241
niatique , mise en regard de l'action militaire, fera
mieux comprendre les faits accomplis et apprécier ceux
qui devaient s'accomplir et atteindre enfin le but depuis
si longtemps poursuivi.
La dépêche que le baron Gros adressa alors au prince
Kong est une pièce diplomatique qu'il est important de
connaître en son entier, car elle joint à la loyauté et à
la fermeté du langage une éloquence pleine de dignité.
25 septembre 1860.
a Le soussigné a reçu la dépêche que S. A. le prince
Kong lui a fait l'honneur de lui écrire le 23 de ce mois,
et qui semble devoir aggraver la position du gouverne-
ment chinois, si celui-ci, mù par un de ces sentiments
d'honneur et d'équité qui se produisent chez les nations
civilisées, eût renvoyé immédiatement dans les camps
des alliés les individus qui, en violation du droit des gens
et des principes de l'honneur, ont été détenus, alors que,
se confiant à la parole des commissaires impériaux , ils
revenaient de Tung-chao, où ils avaient été reçus
comme parlementaires, la paix aurait été signée dans
peu de jours, et le pays n'aurait plus à souffrir des maux
que la guerre entraîne nécessairement avec elle.
« Les commandants alliés ont pris, les armes à la main,
bien des soldats tartares et leur ont rendu la liberté.
Quant aux blessés ennemis relevés sur le champ de ba-
taille , ils sont dans nos hôpitaux , où ils reçoivent les
mêmes soins que nous donnons à nos soldats. Que le
II 16
242 CAMPAGNE DE CHINE.
gouvernement chinois compare sa conduite à la nùlrc ,
peut-être sera-l-il honteux de celle qu'il a tenue.
« Le soussigné croit ne pouvoir mieux faire, pour ré-
pondre à la dépêche du prince Kong, que de lui euvoyer
celle qu'il avait écrite au commissaire impérial, prince
Tsaï , et qu'il allait lui faire parvenir, lorsque le
prince Kong a adressé au soussigné sa conimuuication
du 21 de ce mois. Le soussigné donne aujourd'hui à cette
ancienne dépêche toute la valeur qu'elle avait, et il s'a-
dresse au prince Kong, en le priant seulement de vou-
loir hien substituer son nom à celui du commissaire
impérial Tsaï (1).
(1) Communications aux commissaires impériaux Tsaï et Mv.h,
envoijée au prince Kong, le 25 décembre 1860.
Le soussigné a reçu la lettre que Leurs Excellences lui ont fait re-
melli e par le premier secrétaire de son ambassade qui avait eu l'hon-
neur de les voir à Tung-chao; mais les graves événements qui se sont
passés depuis ce jour-là ont empêché le soussigné d'y répondre.
Lorsque, pour mettre à exécution les arrangements convenus entre
Leurs Excellences et le soussigné, et dont la dépêche en question était
la plein - confirmation de la jarl des commissaires impériaux, les trou-
pes alliées delà France et de l'AngK terre se sont avancées, pleinesde
confiance, vers le terrain sur lequel il avait été convenu qu'elles éla-
biiraienl leur camp, et elles en étaient encore assez éloignées, lorsque
l'armée tartare, violant avec peifidie le droit des gens et les simples
notions de l'honneur, a laissé blesser ou tuer des Européens qui reve-
naient paisiblement de Tung-chao, où ils s'étaient rendus comme
parlementaires, et pour y prendre quelques arrangements relatifs à la
position que la paix allait créer; dans son orgueil, le commandant en
chef lartare a cru pouvoir attaquer l'avant-garde des alliés et a subi
une déroute complète.
Les troupes alliées, par suite de cette conduite, se sont trouvées dé-
liées des engagements qu'elles avaient pris, et qu'elles remplissaient
avec honneur; elles ont, à !eur tour, attaqué le camp de l'a-li-kiao.
LIVRE II, CHAPITRE III. 243
a Le soussigné ne peut croire que Son Altesse approuve
la conduite déloyale tenue par quelques autorités chi-
noises, qui semblent vouloir pousser la dynastie à sa
perle, et il demande à Son Altesse de prévenir les
malheurs qui peuvent encore arriver : qu'il relâche im-
médiatement les Français et les Anglais qui sont détenus
contre l'équité et le droit des gens, et qu'il les renvoie
où s'élait réfugié le chef tartare, après sa première défaite, et l'ont
forcé à fuir une seconde fois, laissant son camp tout entier au pouvoir
des alliés, après avoir inutilement sacrifié, les meilleurs de ses soldats.
Leurs Excellences ont écrit plusieurs fois au soussigné que leur pa-
role était sincère, et qu'ils n'agiraient pas comme Kwei-liang, qui avait
manqué à la sienne, et le soussigné y croit fermement. II ne sera
pas déçu dans son espoir. La paix peut être encore signée à Tung-chao ,
comme il en avait été convenu de part et d'autre, il n'y aura de
changé dans la position que la double défaite des troupes impériales ,
et le campement des forces alliées qui se trouvera auprès de Tung-chao,
au lieu d'être auprès de Tchang-kia-ouang.
Les conférences peuvent donc être tenues à Tung-chao, comme il
en avait été convenu; et après y avoir signé une convention de paix,
le soussigné pourra se rendre à Pé-king, pour y procéder à l'échange
des ratifications du traité de 1858. Les troupes françaises campées
près de la capitale retourneront alors à Tien-tsin , lorsque tout sera
terminé à Pé-king.
Le soussigné attendra pendant deux fois vingt-quatre heures une
réponse à celte importante communication, qui donne encore au gou-
vernement chinois un moyen de conclure la paix.
Le soussigné doit déclarer formellement à Leurs Excellences que
S. M. l'empereur des Français désire sincèrement que l'auguste dynastie
qui règne aujourd'hui sur l'empire chinois se maintienne sur le trône
et s'y raffermisse; or, dans l'esprit du soussigné, la prise et l'occu-
pation de Pé-king par les troupes alliées pourrait lui faire courir de vé-
ritables dangers , et le soussigné veut encore tenter un dernier moyen
de conciliation, avant délaisser cette chance se produire; ainsi donc,
ou la paix encore à Tung-chao, ou la marche des troupes alliées
vers le nord.
Le soussigné profite, etc.
Baron Gros.
244 CAMPAGNE DE CHINE.
aux commandants en chef alliés qui ont rendu à la li-
berté des prisonniers que le sort des armcsa fait tomber
loyalement entre nos mains. Que les conférences s'ou-
vrent à Tung-chao, qu'une convention de paix soit
signée et que l'échange des ratifications des traités de
1858 se fasse à Pé-king, comme tout cela a été convenu
avant la trahison du 18 de ce mois, et les troupes fran-
çaises ne feront plus un pas en avant; elles s'éloigneront
au contraire des abords de la capitale dès que tout sera
terminé à Pé-king.
« Le soussigné croit devoir déclarer formellement à
Son Altesse et aux membres du grand conseil de l'empire,
que le gouvernement français veut le maintien de la dy-
nastie actuelle sur le trône impérial, qu'il verrait avec
chagrin la ruine de la capitale, qu'il veut que la paix se
rétablisse entre les deux empires ; mais que si , par des
refus qu'un fatal aveuglement pourrait seul expliquer ou
que, par un manque de loyauté dont il n'a donné que
trop d'exemples, le gouvernement chinois rejetait les
justes demandes des deux puissances alliées, le sort des
armes en déciderait.
« Le gouvernement chinois doit ne pas oublier que
jusqu'à présent, il lui a été bien contraire, et le soussigné
croit être bienveillant encore envers lui en lui don-
nant l'assurance que la guerre serait encore bien
plus fatale pour le gouvernement chinois qu'elle ne
l'a été jusqu'à présent, si, comme il ne tient qu'à
lui, il ne donnait au soussigné la possibilité de faire
cesser les hostiUlés, aujourd'hui en voie d'exécution.
LIVRE H, CHAPiJHE 111. 245
a Le soussigné attendra, pendant les trois jours qui
suivront la date de cette dépêche, la réponse que Son
Altesse voudra bien lui faire; si le gouvernement chinois
accepte les propositions qu'elle contient, dès que tout
aura été terminé à Tung-chao et à Pé-king, l'armée
française se retirera à Tien-tsin , où elle devra hiverner,
parce que la mauvaise foi du gouvernement chinois et
les retards qu'elle a fait naître, rendent bien difficile
maintenant le départ des troupes alliées avant l'hiver.
Le gouvernement chinois doit subir la peine de ses fautes.
« Si, à l'expiration du délai accordé, une réponse satis-
faisante n'est pas envoyée au soussigné, les commandants
en chef des armées alliées auront à prendre les mesure?
qu'ils jugeront convenables pour s'établir dans la capitale
de l'empire, et pour prouver au gouvernement chinois
que le droit des gens ne peut être impunément violé dans
la personne des sujets de S. M. l'empereur des Français
et des sujets de S. M. la reine de la Grande-Bretagne. »
LIX. — Il n'était certes point possible d'entrer plus net-
tement au cœur de la question, afin d'amener de la part
du nouveau commissaire impérial une réponse catégo-
rique. Mais le prince Kong ne comprend pas ou ne veut
pas comprendre ce qu'on attend de lui. Si le négociateur
est changé, la pensée qui dirige cette politique à double
face est restée la môme; ce sont les mêmes idées repro-
duites sous une autre forme, les mêmes désaveux des
actes accomplis, les mêmes assurances de loyauté et
de sincérité.
246 CAMPAGNE DE CHINE.
« Si précédemment les affaires ont été mal conduites,
(écrit le prince Kong)(I), je ne puis en être responsable,
car je n'avais pas à m'en mêler....
« Votre Excellence me dit, dans sa dépêche, que la
dynastie court quelques périls ; il eût été convenable de
ne pas me tenir un tel langage.
a Votre Excellence fixe un délai de trois jours pour
recevoir une réponse; mais pourquoi les troupes de
votre noble empire s'avancent-elles en colonnes? ce
n'est pas là le moyen de rétablir la paix, et, au mo-
ment de la conclure, ne serait-il pas déplorable de vous
voir rompre toutes les négociations?
« Si vos troupes veulent réellement attaquer la capi-
tale , nos soldats , qui sont dans la ville avec leurs fa-
milles, se défendront jusqu'à la mort, et cette guerre ne
pourra pas être comparée aux précédentes. Nous avons
aussi, hors la ville, des milices nombreuses et redou-
tables, et quand vous attaquerez la ville, non-seule-
ment vos nationaux seront sacrifiés , mais votre armée
coupée dans sa retraite, ne pourra l'effectuer peut-être
que difllcilement.
« Quant aux individus de votre noble empire, qui sont
détenus dans Pé-king,ils ont été arrêtés par les commis-
saires précédents qui ont mal conduit les affaires; mais
j'ai reçu de l'Empereur toute l'autorité nécessaire pour
traiter cette question , et ces individus n'ont pas été mis
(1) Dépêche du prince Knnçi à S. Exe. le baron Gros. 27 septem-
hre 1860.
LIVRE II, CHAPITRE 111. 247
à mort: nous ne pouvons les rendre en ce moment.
Lorsque la convention aura été signée et les ratifications
du traité échangées , ils seront certainement mis en li-
berté; et alors votre noble empire verra par mes actes
que je suis un homme dans lequel on peut avoir tou-
jours une pleine et entière confiance.
« Cette communication est faite à Son Ex. M. le baron
Gros, le 27 septembre 1660. »
LX. — Ces deux pièces diplomatiques disent claire-
ment la situation réciproque dans laquelle se trouvaient
les parties belligérantes.
Il était évident que l'intervention du prince Kong dans
les affaires, intervention succédant à la défaite de Sang-
ko-lin-sin, était la dernière ressource du gouvernement
chinois réduit à toute extrémité.
L'arrivée du prince montrait-elle la question sous
un nouveau jour, et l'élevait-elle à la hauteur de la
haute position du nouveau plénipotentiaire placé par sa
naissance sur les marches du troue? — Non; — elle
continuait la politique suivie jusqu'à ce jour et lui don-
nait ainsi, tout en la condamnant, une tacite approbation.
Il est facile de résumer cette politique et d'en appré-
cier la pensée secrète et constante, en rappelant les pièces
officielles émanées des hauts fontionnaires qui se succé-
daient les uns aux autres, depuis le commencement de
nos différends avec le Céleste-Empire.
LXI. — En 1859, le vice-roi Yéh commence à traiter
248 CAMPAGNE DE CHINE.
avec arrogance et dédain les ouvertures qui lui sont
faites par les puissances alliées et entre de plain-pied
dans cette voie inlcrniinable de dénégations, d'ater-
moiements et de promesses vagues et obscures.
Les jours, les semaines, les mois mômes s'écoulent
en espérances stériles. — La prise de Canton est la
conséquence de cet orgueil aveugle , de ces refus
persistants. — Yeh fait prisonnier par les alliés est
disgracié, ses actes sont désavoués, les termes de l'édit
impérial sont tels que l'on doit espérer un résultat fa-
vorable des négociations entamées de nouveau avec le
Céleste-Empire. Cependant cet espoir s'évanouit bientôt,
et nos navires se dirigent vers le nord dans le golfe de
Pet-cbi-li. — L'entrée du Pei bo est forcée, et ce lleuve,
interdit jusqu'alors aux Européens, est remonté jusqu'à
Tien-tsin par nos canonnières. C'est dans celte ville
même que le vice-roi de deux Rwang signe enfin un
traité de paix dont les ralitlications doivent s'échanger à
Pé-king dans un délai déterminé.
Sous divers prétextes, les difticullés recommencent,
les embarras surgissent et ramènent dans le dédale ol)-
scur de cette politique insaisissable la question que l'on
croyait nettement terminée. On sait ce qui advint de ce
traité de Tien-tsin déchiré par les canons mômes des
forts de Peï ho. — La guerre recommence, mais celte
fois avec des moyens plus puissants; car il faut en finir
avec ces subtilités d'arguments, avec ces biais échappa-
toires qui déplacent sans cesse la question pour se dé-
rober à la réaUté; il faut que la cause du christianisme
LIVRE IJ, CHAPITIŒ 111. 249
et de la civilisation triomphe enfin dans cet extrême
Orient sous la sauvegarde des drapeaux de la France et
de l'Angleterre.
LXII. — Une seconde fois la victoire vient rabaisser
l'orgneil insensé et l'aveup^le obstination du gouverne-
ment chinois. Deux hauts commissaires impériaux,
Kwei-liang et Heng-fou, font savoir qu'ils sont prêts à
ratifier au nom de leur Souverain les clauses du traité
de l'année précédente. Les alliés victorieux arrêtent leur
marche surPé-king; ils agissent de bonne foi, loyalement;
ils s'aperçoivent encore qu'ils sont la dupe de cette di-
plomaUe dont les armes favorites sont le mensonge et
la duphcité. — Ces commissaires ne sont point munis
de pleins pouvoirs et voulaient, en signant un traité
que le gouvernement eût repoussé plus fard, gagner le
temps nécessaire à la concentration de l'armée tartare
sous les ordres directs d'un chef renommé. — La ruse
est découverte : — alors Kwei-liang et son collègue sont
désavoués à leur tour; car le gouvernement chinois suit
sa même tactique et brise un à un les instruments dont
il s'est servi.
Les corps expéditionnaires se mettent en marche sur
la capitale du Céleste-Empire. — Apparaît alors un nou-
veau plénipotentiaire, le prince Tsaï de la famille impé-
riale, qui demande instamment aux ambassadeurs que
les troupes alliées n'aillent pas plus avant : muni de
pleins pouvoirs ainsi que son collègue Muh, ministre de
la guerre, il est prêt à ti'ailer sur les bases déjà couve-
250 CAMPAGNE DE CHINE.
nues. Nous qui différons de Kivei-Hang, dit-il, iious ne
manquerons pas à notre parole. — Ainsi le gouvernement
chinois reconnaissait ouvertement la mauvaise loi des
deux hauts mandarins investis par lui des fonctions les
plus élevées.
Nous avons raconté dans tous leurs détails les négo-
ciations entamées avec le prince Tsaï et les conventions
arrêtées entre lui et les ambassadeurs alliés. — Ces con-
ventions devaient aboutir cependant, elles aussi, à une
trahison, trahison odieuse, en dehors du droit des gens
des peuples civilisés, guet-;ipens perfide dans lequel on
espérait envelopper le petit nombre de trou[)es qui
s'avançait sans défiance vers les points déterminés d'un
commun accord. — Mais la trahison n'atteignit pas son
but, et l'armée tartare deux fois vaincue s'enfuit en dé-
sordre, laissant deux champs de bataille couverts de ses
morts.
LXIII. — Le danger est imminent, la capitale est me-
nacée; c'est alors qu'arrive sur la scène un frère môme
de l'Empereur, — Le prince Tsaï est désavoué, brisé à
son tour, comme ont été désavoués et brisés ses prédé-
cesseurs. « Si précédemment les affaires ont été mal
conduites (écrit le nouveau plénipotentiaire), je ne puis
en être responsable, car je n'avais pas à m'en mêler, »
et il termine en protestant de sa bonne foi, comme
l'avait fait quelques jours auparavant le prince Tsaï.
« A'otre noble empire verra par mes actes que je suis
un homme dans lequel on peut avoir toujours une pleine
LIVRE II, CHAPITRE III. 251
el entière confiance. » Toutefois, il refuse de rendre
avant la ratification du traité les prisonniers traîtreuse-
ment arrêtés à Tung-chao. — Étrange politique d'un
gouvernement qui reconnaît la mauvaise foi de ses
agents, mais veut profiter du résultat des actes honteux
dont il décline toute responsabilité.
Tel est dans son ensemble le résumé rapide des négo-
ciations entamées devant Canton et les phases diverses
qui avaient amené les corps expéditionnaires alliés à
quelques lieues de la capitale du Céleste-Empire.
Tous les faits que nous avons énumérés, appuyés sur
des documents officiels, se jugent eux-mêmes sans qu'il
soit nécessaire d'y apporter son appréciation personnelle.
D'un côté, la loyauté et la modération, signes véritables
de la force et du droit; — de l'autre l'aveuglement,
l'orgueil et la duplicité, signes précurseurs de la dé-
composifion d'un empire miné par la corruption et qui
se débat en vain dans son agonie.
LXIV. — La question des prisonniers de Tung-chao
venait, on l'a vu, aggraver une situation déjà bien ten-
due. Notre honneur nous ordonnait de n'accéder à
aucune proposition de paix avant le renvoi de ces pri-
sonniers arrêtés contre les lois de la guerre; les ambas-
sadeurs s'étaient nettement prononcés à cet égard, et,
malgré les raisonnements spécieux du prince Kong, ses
assurances pacifiques et ses protestations réitérées, le
baron Gros et lord Elgin déclaraient ne rien vouloir
entendre avant le retour des parlementaires.
252 CAMPAGNE DE CHINE.
Ce retard de quelques jours dans la marche des deux
corps expéditionnaires sur Pé-king était du reste néces-
saire aux commandants en chef pour attendre les appro-
visionnements de guerre et les renforts qui avaient reçu
l'ordre d'accourir à marche forcée; il ne devait rester à
Tien-tsin que les troupes strictement nécessaires à sa
garde. — Les démarches du prince Kong, par le retard
qu'elles apportaient, ne changeaint donc rien aux dispo-
sitions arrêtées. Le délai de trois jours accordé à la ré-
ponse du plénipotentiaire chinois, assignait le 1" octohrc
pour le départ des troupes alliées, en cas de refus du
gouvernement chinois.
La position de Pa-li-kiao était très- favorable comme
point défensif, en. cas de surprise, jusqu'au jour où
nous voudrions reprendre l'offensive. Ce village était
très-rapproché de la ville de Tung-chao qui assurait,
par les canaux qui y aboutissent, nos communications
avec Tien-tsin. — \^n marché très-abondamment fourni
y avait été établi. — Un instant les chefs alliés agitèrent
la pensée de détruire parle feu cette ville, théâtre d'une
odieuse trahison ; mais nous eussions souffert les pre-
miers de cette destruction, nous privant de ressources
précieuses, tant pour les approvisionnements de bouche,
que pour les moyens de transport qui abondaient dans
cette ville et dont l'administration avait grand be-
soin.
LXV. — Les trois jours accordés par les ambassa-
deurs s'écoulèrent sans aucune solution favorable ; les
LIVRE II, CHAPITRE III. 253
dépèches se succédaient, plusieurs fois souvent dans
la même journée, mais la question principale n'avan-
çait pas.
Le 30 septembre était le dernier jour fixé, elle baron
Gros attendait sans grande espérance la réponse défini-
tive du prince Kong; elle arriva en effet à 8 heures du
matin; elle portait la date du 29 au soir et se terminait
ainsi :
« Les troupes de votre noble empire sont si près de
la capitale que nous éprouvons quelques craintes sur les
intenfions de Votre Excellence, et qu'il nous est difficile
de signer une convention de paix. Je demande donc à
Votre Excellence de faire retirer vos troupes jusqu'à
Tchang-kia-ouang et dans un délai de trois jours je
ferai transcrire clairement les articles de la conven-
tion. J'enverrai un délégué porter cette copie dans un
lieu intermédiaire entre Tung-cliao et Tchang-kia-
ouang, et dès qu'elle sera signée, nous conviendrons
d'une seconde entrevue pour consolider et perpétuer
la paix.
« Quant aux personnes détenues précédemment, elles
n'ont pas été insultées et sont traitées avec bienveil-
lance. Dès que vos troupes se seront reUrées et que le
traité aura été signé, elles seront reconduites auprès de
vous.
« Pour moi, je vous ai fait connaître franchement
dans ma dernière dépêche quel homme j'étais, je ne
trompe personne et je ne manquerai jamais à ma pa-
254 CAMPAGNE DE CHINE.
rôle ; que Votre Excellence ait donc confiance en moi
et ne conserve aucun sentiment de défiance. »
LXVI.,— En réponse à cette communication, le baron
Gros, d'accord avec lordElgin, prévinrent S. A.l. le prince
Kong , que les captifs anglais et français n'ayant point
été mis en liberté dans la journée du 29, les comman-
daiitsen chef venaient d'être informés de ce fait, afin qu'ils
prissent , en marchant immédiatement sur Pé-king ,
toutes les mesures nécessaires pour obtenir du gouver-
nement chinois par la force, ce qui lui avait été vaine-
ment demandé par voie de conciliation.
Les affaires furent donc remises de nouveau, le 30 sep-
tembre, aux mains des généraux en chef, et un conseil de
54uerre fut tenu en présence des deux plénipotentiaires
au quartier général français pour arrêter le [jlan des
opérations futures. — Marcher sur la capitale du Céleste-
Empire avec un effectif de troupes aussi restreint était
une entreprise hasardeuse, et devait donner aux gé-
néraux de sérieuses préoccupations. Aussi le mérite léel
et indiscutable des chefs de cette expédition lointaine,
c'est d'avoir audacieusement et résolument bravé des
dangers et des difficultés qui pouvaient tout à coup
piendredes proportions formidables.
Nous l'avons dit dans la première partie de ce travail,
ce n'était point la guerre avec ses chances ordinaires,
ses ressources renouvelées ou augmentées au premier
appel, c'était une expédition au milieu d'un empire im-
mense et d'une population de 400 millions d'habitants,
LIVRE II, CHAPITRE III, 255
avec une poignée d'hommes qui ne pouvaient et ne
devaient eonipler que sur eux seuls.
LXVII. — La conduite du nouveau plénipotentiaire
chinois ne devait pas inspirer grande confiance malgré
ses protestations de loyauté et son titre de frère de l'Em-
pereur.— Certes, le prince Kong avait un rôle tout tracé;
— il eût pu, il eût dû par un sentiment d'honneur et de
dignité personnelle montrer, en renvoyant immédiate-
ment les parlementaires arrêtés à Tung-chao, com-
bien il repoussait toute solidarité avec des actes indignes,
et effacer ainsi le souvenir d'une odieuse trahison. Dans
les circonstances difticiles où il se trouvait, une sembla-
ble détermination eût été un acte de bonne politique;
elle eût facilité l'issue des négociations. Mais, loin d'en
avoir la pensée, le prince Kong repoussa au contiaire les
justes demandes qui lui furent adressées à ce sujet. — Il
ne pouvait ignorerles affreux traitementsauxquels avaient
déjà succombé au milieu des plus cruelles îoriures quel-
ques-uns des malheureux prisonniers livrés à la merci
de leurs bourreaux, et il écrivait cependant : « Les per-
sonnes arrêtées par les commissaires précédents qui ont
mal conduit les affaires n'ont pas été mises à mort. »
Et en certifiant dans une de ses dépêches(l), que ces pri-
(1) Le prince Kong au baron Gros.
De 3 octobre 1860.
Dans un autre passage de cette dépèche , il disait eu outre :
a J'ai pensé que le consul Parkes, étant habile à parler et à écrire
256 CAMPAGNE DE CHINE.
somiicrs élaienl Iraités avec égard, il ajoutait : « Il serait
à craindre, si la paix ne se rétablissait pas, que vos na-
tionaux ne courussent des dangers réels dans la capitale. »
— C'était une menace de mort que le nouveau négocia-
teur faisait planer sur les prisonniers, dans le cas
où les relations diplomatiques seraient de nouveau
rompues.
Loin d'accéder à la demande que formulait le prince
Kong de faire éloigner les troupes, les ambassadeurs,
on l'a vu, ont informé les généraux en chef alliés qu'ils
devaient agir militairement. Ceux-ci prirent aussitôt
toutes leurs dispositions, mais durent attendre pour se
mettre en marche l'arrivée des renforts qu'ils avaient
mandés de Tien-tsin.
Œ Mon convoi attendu vient d'arriver (écrit le géné-
ral de Montauban au ministre de la guerre, en date
du 3 octobre), et après-demain, de concert avec le
général Grant, nous nous mettrons en marciie sur la
capitale. »
Par ces nouveaux renforts les forces françaises étaient
le chinois, et que l'un de vos compatriotes, d'Escayrac, le parlant
aussi, je devais nommer des délégués qui, dans Pé-king, pourraient
s'entendre définitivement avec eux sur le traité de 1858 et sur la con-
vention négociée cette année à Tien-tsin. Dès que tout aura été con-
venu, Parkes el d'Escayrac adresseront à Votre Excellence une lettre,
et j'espère que tout pourra s'arranger.
a. Puisque l'on négocie en ce moment sur cet objet, je ne puis pas
vous renvoyer immédiatement les sujets de votre noble empire.
« Quanta nos troupes, je les ai fait retirer provisoirement; celles
de votre noble empire devraient songer à s'éloigner en ce moment. »
LIVRE II, CHAPITRE lli. 257
portées à 3500 baïonnGttes(l) et à trois batteries d'artil-
lerie,— environ 4000 hommes — l'armée anglaise ren-
forcée, présentaitle même effectif; nous emportions avec
nous 600 fusées incendiaires.
(ZiÇ^Q^
17
LIVRE III
LIVRE III.
CHAPITRE PREMIER.
I. — Pendant le temps qui s'était écoulé depuis la
bataille de Pa-li-kiao en stériles négociations, plusieurs
reconnaissances avancées avaient été poussées pour
déterminer autant que possible la nature du pays que
l'on allait avoir à traverser, et reconnaître les positions
de l'ennemi.
La première eullieu le 24 ; — les Anglais l'effectuèrent.
La reconnaissance partie dans la soirée, avança sans
rencontrer d'obstacles sérieux jusqu'à quelques centaines
de mètres de la porte sud-est de Pé-king. — Le mur
d'enceinte était très-élevé et précédé d'un large fossé,
on n'aperçut aucune sentinelle. D'après les renseigne-
ments recueillis, l'armée tartare s'était concentrée vers
Yucn-mun-yuen, palais d'été de l'Empereur, afin décou-
vrir les approches de cette magnifique résidence.
Deux jours après, 26 septembre, une nouvelle recon-
naissance fut ordonnée; elle était composée de troupes
anglaises et françaises. — Les troupes françaises avaient
262 CAMPAGNE DE CHINE.
été mises pour celte opération sous les ordres du com-
mandant Campenon, clief d'escadron d'état-major atta-
ché au quartier général du commandant en chef.
Le détachement allié s'approcha très-près de la ville
et pénétra même dans un des fauhourgs, où la petite
troupe rencontra un détachement de cavaliers lartares.
— Cette reconnaissance ne fit que confirmer celle du 24,
sans apporter d'autres renseignements nouveaux.
II. — L95 octobre, l'armée alliée se mit en mouvement
vers six heures du matin. — Il avait été convenu entre
les commandants en chef, que les deux corps marche-
raient réunis, afin d'être prêts à combattre si l'ennemi,
apparaissait tout à coup. — Car il ne fallait pas oublier
que treize jours s'étaient écoulés déjà depuis la défaite
de l'armée tartare à Pa-li-kiao. Celte année avait donc pu
se remettre, de sa démoralisation, et, sous l'impulsion
de ses chefs, se représenter de nouveau au combat.
Le général dcMontauban pour assurer les communi-
cations avec le Pei ho, avait laissé au camp de Pa-ii kiao,
dans une bonne situation de défense, trois compagnies
avec l'ambulance et une [)arlic de l'administration. — Le
corps expéditionnaire emportait avec lui cinq jours de
vivres.
L'armée alliée, se tenant sur la droite de la grande
route de Taung-Chou à Pé-king, alla asseoir son camp
dans un grand village situé à trois lieues de Pa-li-kiao,
dans la direction de Pé-king dont on n'était plus qu'à six
kiloniùlies environ. — Du camp on découvrait vague-
LIVRE III, CHAPITRE I. 263
ment la ville et ses principoux édifices. Quelques ca-
valiers tartares se montrèrent en vue des avant-postes,
mais ils n'approchèrent pas et ne tentèrent aucune
attaque.
Le pays que les troupes venaient de traverser était très-
couvert, semé d'arbres et de hautes cultures ; il était en
outre coupé dans tous les sens par des routes dont le
plus grand nombre aboutissait à des impasses. Aussi
l'artillerie éprouva-t-elle dans sa marche de grandes
difficultés. — L'ambassadeur et tout le personnel de
l'ambassade s'établirent en arrière de l'armée.
Il est difficile de rendre l'impression profonde que
produisit sur tous les esprits la première vue de cette
ville immense que l'on apercevait se dessiner à l'horizon
avec ses hauts monuments d'une architecture si bizarre,
cité mystérieuse au sein de laquelle bien peu d'Euro-
péens avaient pu pénétrer jusqu'alors, et qui devait voir
quelques jours après flotter sur ses murailles les dra-
peaux réunis de la France^et de l'Angleterre.
D'abord le regard suit la longue ligne des murailles
avec ses corps de garde superposés au-dessus des portes.
Ici c'est la montagne artificielle et ses cinq pagodes gi-
gantesques ; plus loin le palais impérial au centre duquel
s'élève la grande pagode en marbre blanc ; tout autour
viennent se grouper les différents édifices publics, dont
les toits en tuiles jaunes resplendissent aux rayons du
soleil. On distingue la ligne de démarcation qui sépare
la cité chinoise de la cité tartare, c'est-à-dire la ville
militaire, la ville impériale de la ville commerciale.
264 CAMPAGNE Dli CHINE.
Du haut des énormes fours à briques qui abondent
dans le village où sont étrblis les bivacs, les yeux
éblouis ont peine à embrasser cet ensemble prodigieux de
maisons, d'édifices et de murailles qui se déploie à l'ho-
rizon.
111. — Le lendemain, 6 octobre, les troupes alliées se
remettent en marche, foimées chacune sur deux co-
lonnes. Presque toutes les habitations que l'on rencontre
sont abandonnées.
« Après deux heures d'une marche assez pénible
(écrit le général de Montauban), nous arrivâmes à deux
mille mètres de l'angle nord-est de Pé-king ; nous fîmes la
grande halte et nous lançâmes des reconnaissances dans
plusieurs directions autour de la ville : — Ces reconnais-
sances ne signalèrent pas d'une manière certaine la pré-
sence de l'ennemi; mais des Chinois que l'on rencontra
et qui furent interrogés nous apprirent qu'il existait vers
la direction ouest de la ville,.qui a de ce côté un mur de
sept mille mètres, un grand camp tarlare de dix mille
hommes. On apercevait en effet dans cette direction des
parapets en terre. »
Les généraux commandants en chef résolurent aussi-
tôt de marcher sans plus larder sur ce camp el arrêtè-
rent leur plan d'attaque.
Anglais et Français devaient s'avancer parallèlement
formés sur quatre colonnes. Les Anglais tenaientla droite,
les Français la gauche. — Le général Collincau avait
mission de tourner l'extrême gauche du camp, pendant
LIVRE III, CHAPITRE J. 265
qu'une colonne anglaise opérerait le même mouvement
sur l'extrême droite de l'ouvrage, la cavalerie était prête
à couper la retraite à l'ennemi. — Le général de Mon-
tauban prit le commandement de la colonne Jamin qui
devait attaquer de front.
Le mouvement en avant se dessina rapidement et ne
tarda pas à atteindre les retranchements qui étaient en-
tièrement abandonnés. — Le camp avait été évacué
pendant la nuit.
Le général Grant fit alors prévenir le général de Mon-
tauban que, d'après les renseignements les plus proba-
bles recueillis par ses espions, l'armée tartare s'était reti-
rée à la résidence impériale de Yuen-mun-yuen, située
au nord-ouest, à un mille et demi du point où nous
étions. Le général anglais proposait à son collègue de
marcher immédiatement sur ce palais et de le prendre
comme point de rendez-vous des doux armées(l). — La
journée était peu avancée, les troupes pleines d'ardeur;
le commandant en chef français fit répondre au général
Grant qu'il allait se porter sans retard sur le point in-
diqué,
IV. — La marche fut longue et difficile, par suite de
l'ignorance complète où l'on était du pays dans lequel
on s'engageait. Si près de la capitale de l'Empire, sur
les traces de l'armée ennemie avec un effectif de troupes
(1) Rapport du général commandant en chef à S. E. le ministre de
la guerre. (Quartier général devant Pé-king. 12 octobre 1860.)
266 CAMPAGNE DE CHINE.
très-inférieur en nombre, il l'allail s'avancer avec une
extrême prudence, en s'éclairant soigneusement devant
soi et sur ses ailes. — Les routes étaient très-encaissées;
bientôt les deux corps d'armées se perdirent de vue. —
Le général de Montauban fit arrêter quelques paysans
qu'il rencontra; l'un d'eux lui proposa de le conduire
au palais de Yuen-mun-yuen auprès duquel, disait-il, les
Tarlares étaient campés la veille, mais qu'ils avaient dû
évacuer. — Peu de temps après arrivèrent deux régi-
ments de cavalerie anglaise, commandés parle brigadier
Paltle. — Depuis plusieurs beures, ces deux régiments
marcbaient seuls et ne savaient quelle direction avait
prise le général Grant. — Le brigadier anglais demanda
au général de Moniauban la permission de se joindre à
ses troupes , et dès lors les deux régiments firent route
de concert avec la colonne française.
Vers le soir, on aperçut d'immenses murs d'enceinte
derrière lesquels s'élevaient des bâtiments considéra-
bles.— Les coteaux environnants étaient couverts de jar-
dins et de pagodes élégantes dont les tuiles vei'uies en
jaune ne laissaient plus de doute sur le voisinage du
palais impérial.
« Nous suivions (écrit le général), une route en dalles
de granit, et nous traversâmes un pont magnifique qui
conduit au palais impérial, situé à deux cents mètres du
pont et dont l'entrée est en face. La route, entre ce pont
et le palais, est bordée à gauche de grands arbres;
sur la droite s'étend une grande place à laquelle s'ap-
LIVRE III, CHAPITRE I. 267
puie une rangée de belles maisons, habitations des prin-
cipaux mandarins.
« Des chevaux de frise défendaient l'entrée de la place ;
ils furent rapidement détruits, et quelques hommes que
l'on avait aperçus devant la porte du palais armés
d'arcs et de fusils à mèche disparurent aussitôt avec
une grande précipitation. — La nuit commençait à se
faire. Il était à supposer que les Tartares n'avaient pas
abandonné l'intérieur du palais, et tenteraient, avant de
l'évacuer complètement, un dernier effort; aussi, le gé-
néral en chef massa ses troupes, et pendant qu'il éta-
blissait ses bivacs définitifs, il résolut de faire fouiller
l'entrée du palais qui était fermée par une porte très-
solide et par des barrières à droite et à gauche; derrière
ces portes il y avait des cours et de grands jardins. — Le
connnandant Campenon se porta en reconnaissance avec
deux compagnies de marins commandées par le lieute-
nant de vaisseau Kenny, et l'enseigne de vaisseau Yivenot
qui formaient ce jour-là l'avant-garde. Le lieutenant de
vaisseau de Pina, officier d'ordonnance du général de
Montauban, avait reçu l'ordre d'accompagner cette re-
connaissance pour être à même de rendre immédiate-
ment compte au général de ses résultats. »
V. — La petite reconnaissance s'avança vers la poite
principale qui était la plus rapprochée ; à l'endroit où était
située celte porte, le murd'enceinte formailun vaste ren-
dant planté de grands arbres séculaires; près de là s'é-
tendait une belle pièce d'eau, le mur était très- élevé, la
268 CAMPAGNE DE CHINE.
porlc haute et massive: elle était fortenient harrieadée
en dedans, mais plusieurs faisceaux de fusils et de
sabres symétriquement formés en dehors semblaient
indiquer que les gardes du palais avaient renoncé à
toute pensée de résistance; à quelque distance à gauche,
se trouvait fort heureusement une poterne. M. Butte,
aspirant, aidé de quelques matelots, parvint à escalader
la muraille qui, sur ce point, était moins élevée, et ou-
vrit la porte. La même escalade pratiquée sur la droite
doima également accès à une autre portion des marins
qui s'étaient séparés en deux bandes, quelques gardiens
prirent la fuite à notre approche. — La petite troupe
avançait avec prudence, le commandant Campenon sur
la droite, M. de Pina sur la gauche; de tous côtés ré-
gnait un grand silence. Le palais élait-il en effet entiè-
rement abandonné, ou ce silence cachait-il quelque em-
bûche? au milieu de cette magnifique demeure, il avait
quelque chose de grave et de solennel. Excepté les quel-
ques gardiens qui avaient pris la fuite aussitôt que la
tête de nos marins avait apparu au-dessus des deux
petites portes latérales, nul indice ne révélait la vie
dans ces vastes enceintes où les pas des marins réson-
naient un à un sur les dalles sonoies.
Al. — C'est en arrivant dans une petite courconnnuni-
quant par un passage très-étroit avec la grande cour du
palais sur laquelle donnait la porte principale, que le dé-
tachement qui s'avançait sur la gauche aperçut des grou-
pes assez nombreux, ces groupes étaient armés et dans
LIVRE 111, CHAPITRE I. 269
une attitude défensive : le lieutenant de Pina s'avança,
son revolver à la main suivi de M. Butte et de quelques
marins, pensant bien que les Chinois mettraient bas les
armes à son approche. Tout au contraire, les Chinois,
dont on pouvait estimer le nombre à une centaine envi-
ron, s'avancèrent pour barrer le passage. — La nuit ap-
prochait, M. de Pina s'élança aussitôt résolument vers la
grande porte, afin de l'ouvrir et de livrer ainsi passage
au reste de l'avant-garde qui n'avait pas encore pénétré
dans le palais ; mais les Chinois lui disputèrent le che-
min , et à son second coup de revolver, le lieutenant re-
cevait sur la main droite un violent coup de sabre qui
le blessait grièvement. D'instants en instants, le nombre
des Chmois augmentait et menaçait d'envelopper les
quelques marins qui, seuls de ce côté, soutenaient la
lutte. — Fort heureusement, des renforts arrivèrent pres-
que immédiatement, et les Chinois jugeant toute résis-
tance inutile, se retirèrent, laissant deux ou trois morts
sur les dalles de marbre. — Quelques coups de fusil
furent tirés sur les fuyards par les deux détachements
de droite et de gauche, et, comme l'obscurité était en-
tièrement venue, cette fusillade dont la direction n'é-
tait pas très-certaine, jointe à plusieurs coups de feu
ripostés par les Tartares par-dessus les murs, cau-
sèrent un moment d'étonnement et même de désor-
dre parmi le détachement d'avant-garde. Cette émo-
tion gagna les premières troupes qui s'apprêtaient à
camper, et qui crurent à une attaque subite des Tar-
tares; — mais cette émotion passagère s'apaisa près-
270 CAMPAGNE DE CHINE.
(jue aussitôt à la voix des chefs, et tout rentra dans
l'ordre.
Le général de Montauban, qui était accouru au pre-
mier bruit de la fusillade, fit venir le général Collineau
avec sa brigade et fit occuper fortement la première
cour du palais, ne jugeant pas prudent de s'engager
plus avant dans l'intérieur du palais, au milieu de l'obs-
curité. Les diverses issues furent gardées par de forts
détachements, dans la crainte d'une surprise; ils avaient
ordre de ne laisser entrer personne dans l'intérieur du
l)alais, avant que cette consigne fût levée. — Le général
de Montauban remit en effet au lendemain pour parcou-
rir le palais, voulant (ainsi qu'il l'écrit au ministre) que
nos alUés absents fussent au moins représentés dans
cette première visite. On se souvient qu'un régiment de
cavalerie sous les ordres du brigadier Pattle, s'était joint
dans la journée au général en chef français.
VIL — Mais qu'étaient devenus les Anglais que le bri-
gadier avait complètement perdus de vue après une
heure de marche environ ? Au milieu de ce pays traversé
parmi grand nombre de routes et couverts de bois épais
qui interceptaient la vue, ils s'étaient égarés et n'avaient
pu atteindre le rendez-vous convenu.
« Le général Grant et moi, nous étions convenus (écrit
le général de Montauban), de nous rendre à Yuen-mun-
yuen, palais d'été que l'Empereur habite presque tou-
jours. Ce pays est tellement coupé de routes, de bois, etc.,
LIVRE III, CHAPITRE I. 271
que le général Grant s'est égaré avec son armée et que
je suis arrivé seul le soir devant le palais (1). »
VIII.— Voici d'après un écrivain anglais (2) ce qui s'é-
tait passé du côté de l'armée anglaise :
L'avant-garde avait rencontré un poste de cavalerie
ennemie qui paraissait assez nombreux. Les disposi-
tions peu favorables du terrain ne permettaient pas de
se former en bataille sans difficulté, et cette avant-garde
avançait lentement. L'ennemi se retira en échangeant
quelques coups de feu avec les tirailleurs déployés sur
le front de la ligne.
En arrivant sur la grande route qui conduit vers la
porte de Am-ting, les Anglais se trouvèrent en vue d'un
camp considérable de cavalerie et eurent quelques es-
carmouches dans des villages situés près de la roule,
quelques Chinois furent tués ; mais la nature couverte
du pays au milieu duquel on s'avançait commandait
une grande prudence. Se trouvait-on en présence d'une
armée ou d'un simple détachement?
Le corps expéditionnaire anglais était entièrement
séparé du corps français. Comme la nuit approchait, sir
Hope Grant fit faire halte à cet endroit, et le lendemain
matin envoya quelques patrouilles pour s'assurer de la
position de la cavalerie anglaise et de celle des alliés. —
(1) Le général de Montauban à S. Exe. le ministre de la yuerre,
8 octobre 1860. (Correspondance.)
(2) Narration de la guerre de Chine, par le lieutenant-colonel
G. J. Wolseley.
272 CAMPAGNE DE CHINE.
Au lever du jour, il lit tirer une salve de vingt et un
coups de canon afin d'indiquer la direction dans laquelle
il était campé.
La régularité de cette décharge d'arlilk-rie entendue
du camp français, prouva en effet que ce n'était point
un engageaient, mais un signal. — Le brigadier Pattle
envoya aussitôt un détachement en reconnaissance; l'of-
llcier qui la commandait était chargé de prévenir le
général en chef anglais que les Français étaient maîtres
du palais d'été de l'Empereur, et que son arrivée était
impatiemment attendue pour procéder au partage des
richesses que contenait cette magnifique résidence.
IX. — En effet, vers huit heures du matin, le général
de Montauhan, acconqiagné des généraux Jamin et
CoUineau et de son chef d'état-major général, le colonel
Schmitz se rendit au palais. Le brigadier Pattle, le major
Sley des dragons de la Reine et le colonel Folcy, atta-
ché à l'état-major du général en chef français avaient
été conviés à assister à cette première visite, en l'ab-
sence du général Grant. — Une compagnie d'infan-
terie de marine marchait en avant pour éclairer la
route.
En pénétrant dans l'intérieur du palais, les splendeurs
les plus merveilleuses frappèrent les regards éblouis. —
Les pierreries les plus précieuses étaient entassées à pro-
fusion et étincelaient de tous côtés comme des étoiles
tombées du ciel ; on marchait de splendeurs en splen-
deurs et d'éblouissements en éblouissements; chaque
LIVRE IH, CHAPITRE I. 273
pas révélait des richessos nouvelles dont la magnificence
est indescriptible (l).
Nous n'entreprendrons pas ici le récit de toutes ces
magnificences dont le souvenir ne s'effacera jamais de
la pensée de ceux qui ont assisté à celte première vi-
site.— Nous ne rechercherons pas non plus, s'il est vrai
que des soldats et même des officiers ont transgressé
les ordres qu'ils avaient reçus et se soient laissés entraî-
ner sans scrupule par un sentiment de coupable cupi-
(1) Rapport du général de Montauban. — 12 octobre 1860.
« lime serait impossible, monsieur le maréchal, de vous dire la
magnificence des constructions nombreuses qui se succèdent sur une
étendue de quatre lieues, et que l'on appelle le palais d'été de l'em-
pereur; succession de pagodes renfermant toutes des dieux d'or et
d'arj/ent ou de bronze d'une dimension gigantesque. Ainsi un seul
dieu eu bronze, un Bouddha, a une hauteur d'environ soixante-dix
pieds, et tout le reste est à l'avenant: jardins, lacs et objets curieux
entassés depuis des siècles dans des bâtiments en marbre blanc, cou-
verts de tuiles éblouissantes , vernies et de toutes les couleurs : ajoutez
à cela des points de vue d'une campagne admirable, et Votre Excel-
lence n'aura qu'une faible idée de ce que nous avons vu.
« Dans chacune des pagodes il existe, non pas des objets . mais des
magasins d'objets de toute espèce. Pour ne vous parler que d'un seul
fait, il existe tant de soieries du tissu le plus fin , que nous avons fait
emballer avec des pièces de soies tous les objets que je fais expédier
à Sa Majesté.
« Ce qui attriste au milieu de toutes ces splendeurs du passé , c'est
l'incurie et l'abandon du gouvernement actuel et des deux ou trois
gouvernements qui l'ont précédé; rien n'est entretenu, et les plus
belles choses, à l'exception de celles qui garnissent le palais que
l'empereur habite, sont dans un état déplorable de dégradation.
ce Dans l'une des pagodes, celles des voitures, à une demi-lieue du
palais habité, nous avons trouvé deux magnifiques voitures anglaises,
présent de l'ambassade de lord Macarlney; elles étaient, ainsi que
leurs harnais dorés, dans la même place où elles avaient été mises il
y a quarante-quatre ans, sans qu'un grain de la poussière qui les
couvre ait été jamais enlevé. »
TT 18
274 CAMPAGNE DK CHINK.
dite. — C'est un secret entre; eux el leur conscience, et
que pour leur honneur, qu'ils soient Anglais ou Fran-
çais, il ne f.iul pas chercher à approfondir. Il se passe
parfois dans les armées, en temps de guene, de tristes
choses, que les chefs souvent sont impuissants à empê-
cher el qu'il faut s'empresser d'effacer avec de la
gloire.
X. — Le général de Montauban fit placer partout des
sentinelles avec les consignes les plus sévères, et désigna
deux officiers d'artillerie pour veiller à ce que personne
ne pût pénétrer dans l'intérieur du palais jusqu'à l'ar-
rivée du général Grant (1).
Vers le milieu de la journée, le commandant en chef
de l'armée anglaise arriva avec l'ambassadeur lord
Elgin ; une commission fut aussitôt nommée pour pro-
céder au pai tage des objets les plus précieux dignes
d'être offerts aux souverains de la France et de l'Angle-
terre.— Les membres delà commission française étaient
le lieutenant-colonel Dupin, les capitaines Foerster et
de (^ools (2).
(1) Rapport du général de Montauban. — 12 octobre 1860.
(2) Rapport du général de Montauban. — 12 octobre 1860.
a Les chefs anglais arrivés , nouo'nous concertâmes sur ce qu'il con-
venait de faire de tant de richesses, et nous désignâmes pour chaque
nation trois commissaires, chargés de faire mettre à part les objets
les plus précieux comme curiosités, afin qu'un partage égal en fût
fait; il eût été impossible de songer à emporter la totalité de ce qui
existait, nos moyens de transports étant très-bornés.
a Un peu plus tard, de nouvelles fouilles amenèrent la découverte
LIVRE III, CHAPITRE I. 275
Une somme de 800 000 francs environ en lingots d'or
et d'argent fut partagée enlre les soldats des deux ar-
mées.
XI. — Mais au milieu de toutes ces splendeurs, de
toutes ces richesses, de toutes ces magniticences, un triste
spectacle nous était réservé ; dans une des maisons qui
avoisinent l'habitation même de l'Empereur on trouva
es vêtements ensanglantés de plusieurs des malheureux
prisonniers. Ces vêlements étaient déchirés en lam-
beaux, souillés de fange et de boue; la mort de ces in-
fortunés était tracée en caractères sanglants sur ces dé-
bris abandonnés. — Tous avaient-ils péri, quelques-uns
avaient-ils pu échapper à la mort ?
d'une somme d'environ 800000 francs en petits lingots d'or et d'ar-
gent; la même commission procéda également au partage égal entre
les deux armées; ce qui constitua une part de prise d'environ 80 fr.
pour chacun de nos soldats; la répartition en a été faite par une
commission composée de tous les chefs de corps et de service , pré-
sidée par M. le général Jamin; la même commission, réunie et con-
sultée au nom de l'armée, déclara que celle-ci desirait faire un cadeau
à titre de souvenir à S. M. l'Impératrice de la totalité des objets
curieux enlevés dans le palais, ainsi qu'à S. M. l'Empereur et au
Prince impérial.
a L'aimée a été unanime pour cette offrande au chef de l'État, qui
la considérera comme un souvenir de reconnaissance de ses soldats
pour l'expédition la plus lointaine qui aifjamais été entreprise.
a Au moment du partage entre les deux armées, j'ai tenu, au nom
(le l'Empereur, à ce que lord Elgin fît le premier choix pour S. M.
la reine d'Angleterre.
a Lord Elgin a choisi un bâton de commandement de l'empereur
de Chine, en jade vert du plus grand prix et monté en or. Un second
bâton, semblable en tout a celui-ci, ayant été trouvé, lord Elgm à
son tour a voulu qu'il fût pour S. M. l'Empereur; il y a donc eu pa-
rité parfaite dans ce premier choix. »
:>7G CAMPAGNE DE CHINE.
« Parmi ces effets (écrit le général de Montauhan, dans
sa dépêche au iniiiislre), figuraient ceux du colonial
Foullon-Grandchamps, de l'artillerie, un carnet et des
effets de sellerie à M. Ader, comptable des hôpitaux, et
enfin quinze selles complètes de Sicks et diverses autres
choses reconnues par des officiers anglais, comme ap-
partenant à leurs compatriotes pris le 18 septembre. »
Il n'était malheureusement plus possible de douter du
sort cruel réservé aux victimes de l'odieuse trahison du
18 septembre. — C'était en vain que le prince Kong
avait écrit en date du 3 octobre qu'ils étaient traités
avec égards. Cette détermination , en admettant qu'elle
fût vraie, avait été bien tardive, et plusieurs de ces mal-
bcureux avaient déjà succombé dans d'horribles tor-
tures.
Le général de Montauhan, après avoir passé quarante-
huit heures dans la résidence impériale se prépara à
aller rejoindre l'armée anglaise qui, on le sait, s'était
égarée dans sa route et était campée devant Pé-king.
XII. — Le 9 octobre fut lixé pour le jour du départ.
Les bivacs offraient l'aspect le plus étrange et le plus
curieux; les étoffes lamées d'or, les soies les plus somp-
tueuses, les objets d'art, les bronzes, les coffres les plus
merveilleux étaient entassés devant les tentes, les uns
déchirés, les autres à demi brisés. Devant ces merveil-
les, fruit du butin et du partage général, les soldats
accroupis promenaient leurs regards étonnés sur ces
richesses inconnues; çà et là des groupes nombreux de
LIVRE 111, CHAPITRE 1. 277
Chinois que la misère ou la cupidité attiraient près de
nous, venaient offrir leurs services pour transporter,
comme de véritables bêtes de somme , ce surcroît de
bagages. — Tout autour du palais rôdaient les bandes de
pillards qui depuis Tien-tsin marchaient sur nos traces,
et après le départ des troupes se répandaient affamées
de vols et de destruction sur les villages que traversaient
nos colonnes. Quelques exemples sévères faits sur ces
misérables déguenillés, qui joignaient souvent au vol le
meurtre et l'incendie, ne les empêchaient pas de piller
hideusement toutes les habitations qu'ils rencontraient,
semblables à ces nuées sinistres de corbeaux que l'odeur
du sang et que l'aspect de la mort attirent sur les
champs de bataille.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre, un incendie consuma
en entier un grand village situé entre notre camp et
Pé-king ; le feu y avait été allumé par les Chinois eux-
mêmes.
La nuit suivante, qui précéda le départ, quelques in-
cendies partiels se déclarèrent dans différents endroits
du palais. Sans nul doute, ces incendies étaient l'œuvre
de misérables qui espéraient à la faveur du désordre se
livrer plus impunément à leurs rapines.
Le 9 on leva le camp.
A peine nos colonnes s'étaient-elies remises en mar-
che, qu'un officier anglais vint de la part du général
Grant annoncer au général de Montauban que M. d'Es-
cayrac de Lauture et quatre soldats français venaient
d'arriver au camp anglais où étaient également parve-
278 CAMPAGNE DE CHINE.
nus MM. P;irkes et Loch, — les quatre soldats français
étaient les ordonnances du capitaine Chanoine et du
sous -intendant Dubut (1).
XIII. — Le général de Montauban espérait enlin, par
ceux qui venaient de nous êlre rendus, recevoir des nou-
velles de ses malheureux compatriotes, mais son espoir
fut trompé; les prisonniers avaient été, dès le début,
séparés les uns des autres et emmenés dans différentes
directions. — Ce qu'il apprit, c'est que garottés avec
une barbarie sans exemple, ils avaient été jetés dans des
chariettes remplies de clous et conduits d'abord au
palais d'été de l'Empereur, puis dans les prisons de Pé-
king. — Sur leur passage, les populations ameutées les
accablaient d'injures et leur crachaient au visage. — Des
jnenaces de mort couraient de bouche en bouche, au
milieu des vociférations, et bien des fois le glaive des
l)ourreaux fut levé sur leurs tètes. — Si les mandarins
suspendirent leur arrêt de mort, ce fut pour promener
dans les cours du palais impérial ces sanglants trophées
respirant encore, et, en prolongeant la vie des con-
damnés , prolonger leur supplice. Cependant le prince
Kong écrivait, en date du 29 septembre, à notre ambas-
sadeur : « Quant aux ])ersonnes détenues elles n'ont
point été insultées et sont traitées avec bienveillance. »
M. d'Escayrac de Lauturc, dont avait parlé le prince
Kong, comme ayant été l'objet plus spécial d'une allen-
(1) Celaient les nommés Roset . Bachet. Ginestet el Petit.
LIVRE ill, CHAPITRE 1. 279
lion bienveillante (1) était défiguré par la souffrance, ses
poignets profondément déchirés portaient les traces des
plus affreuses mutilations. — Le récit émouvant qu'il a
fait de sa captivité est un de ces drames terribles aux-
quels on se refuserait d'ajouter foi, si le supplicié ne
portait pas encore les traces sanglantes de celte sauvage
barbarie.
XIV. — M. de Norman, premier attaché de l'ambas-
sade de lord Elgin , avait reçu un coup de sabre sur la
tête; hé par les pieds et les mains, il a eu le cerveau
mangé par les vers. — Il en a été de même du cor-
respondant du Times, M. Bowlby, dont le corps a
été jeté devant les autres prisonniers dans une cour,
pour être dévoré par des pourceaux. Lorsque ces mal-
heureux privés de nourriture pendant quatre jours
demandaient à manger, on les frappait à coups de
lance et on leur mettait des excréments humains dans la
bouche.
Le témoignage suivant donné par un des prisonniers
anglais sur la mort du lieutenant Anderson est horrible.
a Quand nous eûmes été tous liés ainsi, on versa de
(1) LE PRINCE KONG AU BARON GROS. — 12 OCtobrC.
oc J'ai l'honneur de faire savoir à Votre Excellence que j'avais donné
des ordres pour que l'interpr&te de votre noble empire, d'Escayrac,
fut traité avec égard et que mon intention, après avoir réglé à l'a-
miable avec lui tout ce qui est relatif à la sij^nature de la convention ,
était de renvoyer de suite et d'une façon convenable vos compatriotes
détenus. »
280 CAMPAGNE DE CHINE.
l'eau sur nos cordes, afin de les resserrer, les Chinois
nous emportèrent et nous mirent dans une cour où
nous restâmes trois jours exposés au froid cl à la cha-
leur du soleil.
« Le second jour, M. Anderson eut le délire par suite
du soleil et du manque de nourriture ; nous n'avions rien
eu à manger, à la fin on nous donna deux pouces carrés
de pain et un peu d'eau. Pendant la journée, la cour res-
tait ouverte, et des centaines de personnes accouraient
pour nous regarder.
« Le soir un soldat était mis de faction pour surveiller
chacun de nous. Si nous disions un mot, ou si nous de-
mandions de l'eau, ils nous foulaient aux pieds et nous
frappaient à coups de pieds sur la tète ; et si nous
demandions quelque chose à manger, ils nous remplis-
saient la bouche d'ordures.
Œ A la fin du troisième jour, on nous mit des fers au
cou, aux poignets et aux pieds.
« Le délire ne quitta pas M. Anderson jusqu'à sa mort,
qui eut lieu le neuvième jour de son emprisonnement. —
Deux jours avant, ses ongles et ses doigts percèrent à la
suite de la tension des cordes. La gangrène s'y mil et
les os de ses poignets furent à découvert. Pendant qu'il
vivait encore, les vers se mirent à ses blessures, y péné-
trèrent et coururent sur tout son corps.
<c On laissa le cadavre trois jours après la mort, {)uis
on l'emporta. »
XV. — De tels tableaux soulèvent le cœur d'indignation
LIVRE 111, CHAPITRE I. 281
et nous les eussions repoussés avec horreur , s'ils ne
montraient à quelle sauvage barbarie appartiennent
encore ce peuple et les chefs indignes qu'un pouvoir
dégradé et corrompu meta sa tête.
Les communications avaient continué avec le Gouver-
nement chinois pendant la marche des deux armées.
La reddition des prisonniers était toujours restée la
condition première, et, le 7, Hang-ki un des délégués du
haut commissaire impérial avait en outre été prévenu
que la conduite déloyale des autorités chinoises empê-
chant que l'on put avoir en elles aucune confiance, une
des portes de la ville serait occupée par une fraction des
deux armées, avant que les ambassadeurs ne fissent leur
entrée à Pé-king. — Les commandants en chef auraient
à décider quelle porte devrait ainsi leur être remise.
Il était évident que le prince Kong, malgré ses pro-
testations, suivant les mêmes errements de cette poli-
tique évasive, ne céderait qu'au dernier jour et réduit
à toute extrémité. — Cependant les armées alliées sont
devant Pé-king et campent à quatre kilomètres environ
de la capitale.
Cette position était difficile et pouvait être compro-
mise par bien des événements, et surtout par l'hiver qui
avançait à grands pas avec ses désastres redoutables.
Il fallait plus que janlais arrivera une solution prompte,
et [)ar une attitude menaçante forcer le prince Kong
dans ses derniers retranchements. — Aussi le général
de Montauban, après s'être préalablement entendu avec
son collègue' anglais le général Grant, adressa la note
282 CAMPAGNE DE CHINE.
suivante au plénipotentiaire chiuuis. Elle porte la tiale
du 10 octobre 1860 :
XVI. — a Son Altesse Impériale est informée par la
présente note que d'après la communication déjà faite (1),
les commandants en chef se décident à demander l'oc-
cupation de la porte de Am-ting, vers laquelle seront
envoyées deux colonnes détachées respectivement des
deux armées. Cette occupation aura lieu à midi, le 12
du courant.
« Si la porte est rendue sans opposition, il ne sera
permis à aucun soldat d'entrer dans la ville, ni d'in-
quiéter les habitants. L'escorte d'honneur qui accom-
pagnera toujours les ambassadeurs pénétrera seule dans
la ville.
a Si, au contraire, la porte n'est pas rendue, on fera
brèche à la muraille. On va dresser immédiatement des
épaulements pour y mettre les canons, dans le cas où un
refus rendrait l'attaque nécessaire.
a Le soussigné ayant appris parHang-ki que le prince
Kong craignait que son retour à Pé-king ne fût inter-
cepté par les forces alliées, déclare à Son Altesse
Impériale que de pareils attentats contre ceux qui ne
portent pas les armes sont contraires aux usages des
(1) Le 7 ilu même mois M. Wade, secrétaire chinois de Sa Majesté
Britannique, avait eu une conférence avec le mandarin Hang-ki, dé-
légué du prince Kong, et l'avait informé dans une note officielle,
ainsi que nous l'avons dit plus haut, des intentions des commandants
en chef, relativement à l'occupation d'une des portes de Pé-king.
LIVRE III, CHAPITRE 1. 2H3
nations occidentales, et que les niouvements de Son
Altesse Impériale ne seront nullement gênés par les
forces qu'il commande en chef. »
Les termes fermes et précis de cette lettre ne purent
manquer de peser puissamment dans les décisions du
frère de l'Empereur.
XVII. — Les deux généraux en chef, accompagnés des
chefs de l'artillerie et du génie, vinrent en effet le jour
même reconnaître l'emplacement des batteries de brè-
che, et les travaux commencèrent immédiatement sous
les yeux mêmes des Chinois à soixante mètres des mu-
railles, afin de bien prouver au prince Kong que ce n'était
point une vaine menace, mais une résolution définiti-
vement arrêtée. — Les Français mettaient en batterie
quatre pièces de douze et les Anglais quatre pièces de
siège. Le tracé des batteries est en avant du temple de
Lhama, un des grands temples qui s'élèvent aux environs
de Pé-king. L'ennemi n'essaya pas de troubler un seul
instant ces travaux, dont il semblait au contraire du haut
des remparts suivre le développement avec curiosité.
Le prince Kong dans une dépêche adressée au baron
Gros et entourée comme toujours de raisonnements
évasifs, consentit en principe à l'occupation d'une porte
de Pé-king par l'armée alliée.
« Les portes de la capitale (disait-il) sont sous la garde
d'un fonctionnaire, si aujourd'hui je les faisais ouvrir,
il serait à craindj'e que les bandits ne profitassent de
cette circonstance pour causer des désordres; il y a donc
284 CAMPAGNE DE CHINE.
des mesures à prendre, les troupes françaises doivent
occuper la porte Am-Ting, est-il dit dans une dépêche
de votre noble empire. J'y consens, puisque les deux
empires sont en paix. — Seulctncnt, il faut me faire
connaître les conditions de cette occupation. »
Le prince terminait sa lettre ainsi : « J'ai, il (,'st vrai,
reçu une dépêche de voire ^^énéral en chef, mais comme
la paix est conclue, c'est à Votre Excellence que j'a-
dresse nécessairement cette coimnunication. »
XVIII. — Une conférence eut lieu dans la mati-
née du 13, entre le mandarin Hang-Ki, envoyé par le
prince Kong, les commandants Campenon, Stevenson et
M. Parkes. Cette conférence se tint dans un yamoun du
faubourg ouest de la ville, et il y fut décidé que la porte
Am-ting serait ouverte aux alliés le même jour à midi.
Quatre cents honnnes, dont deux cents pris dans cha-
cun des deux corps expéditionnaires devaient former
les détachements destinés à occuper celte position. — Les
commandants Ciunpenon et Stevenson, après être con-
venus entre eux que le rendez-vous serait devant la porte
Am-ting et que là, les deux détachements alliés réunis
feraient simultanément leur entrée dans la capitale, se
rendirent en toute hâte à leur cauip respectif. Les bi-
vacs français étaient plus éloignés de ce point, que
ceux des Anglais et il restait fort peu de temps avant
l'heure indiquée.
I>e général de Montauban désigna toiit aussitôt son
(;hef d'état-major général, le colonel Schmilz, pour se
LIVRE llf, CHAPITRE I. 285
rendre au rendez-vous ;ivec ini bataillon du 101% com-
mandé par le colonel Pougef et prendre possession de la
partie des remparts que devaient occuper les Français.
Mais malgré toute la promptitude que put mettre ce dé-
tachement, riieuie était passée de quelques minutes lors-
qu'il arriva devant la porte Am-ting. Les Anglais qui
avaient une distance moins grande à parcourir, nous y
avaient précédés et avaient déjà pris possession de cette
porte.
Quelques récits publiés sur cette campagne ont donné
à ce petit incident une importance sérieuse qui n'existe
que dans leur appréciation, car le général de Montau-
ban, gardien sévère de toutes les prérogatives de l'ar-
mée qu'il avait l'honneur de commander, n'a pas cru
devoir en faire mention, même dans sa correspondance
particulière avec le ministre.
Il est vrai pourtant que les Anglais si susceptibles sur
les questions d'étiquette et de droit eussent pu attendre
l'arrivée du détachement français pour cette opération
toute pacifique. — Le canon ne grondait pas et il ne s'a-
gissait point de combattre.
XIX. — Les alliés prirent donc sur les remparts les
positions convenues; elles comprenaient l'espace d'un
kilomètre à droite et à gauche de la porte Am-ting.
Les postes alliés s'établirent sur une grande place en
avant de la porte. Une corde fut tendue pour empêcher
la population chinoise d'approcher les factionnaires, et
pendant toute la journée les agents de la police chinoise
-liHi CAMPAGNE DE CHINE.
furent grand'peinc à maintenir la foule qui se pressait
avec curiosité aux abords de l'espace qui nous était dé-
volu. Toutes les mesures de guerre nécessaires furent
prises contre les éventualités d'une trahison, et des bou-
ches de canon braquées contre la ville étaient prêtes à
jeter l'incendie et la mort dans la capitale au moindre
signe de mauvaise foi.
Dans la journée, le général de Montanban se rendit
sur les remparts. Ces murailles formidables, armées de
pièces d'un très-fort calibre, ont quatorze mètres qua-
rante de hauteur du côté de la campagne, et treize
mètres cinquante du côté de la ville. Le ferre-plein a
treize mètres de hauteur et dix-neuf mètres vmgt de
largeur entre les deux revêtements. Leur épaisseur to-
tale, en y comprenant ces revêtements est donc de vingt
mètres cinquante au sommet, et de vingt-six à la base. '
Les deux généraux en chef durent s'applaudir gran-
dement de l'occupation pacitique de cette porte, car il
eut été bien difiicile de faire brèche dans de semblables
murailles avec les faibles moyens de siège et les muni-
tions limitées dont ils disposaient; mais les fusées et les
bombes incendiaires eussent du moins ravagé les quar-
tiers populeux de cette capitale et détruit sans aucun
doute le palais impérial de Pé-king.
XX. — Le lendemain de l'occupation de la i)orie Ani-
ting, le prince Kong exprimait au baron Oros toute sa
saiisfaction de l'attitude prise par les troujies du com-
mandant en chef français. — Ces diverses correspon-
LIVHE III, CHAPITRE I. 287
liances, dont nous lenons à citer le texte pour donner à
ce travail un caractère indiscutable de vérité historique,
n'ont peut-être pas aujourd'iiui une grande importance,
mais peuvent en acquérir dans l'avenir, si des apprécia-
tions erronées se produisaient. — Pendant toute la cam-
pagne de Chine, les négociations diplomatiques furent
la base sur laquelle s'appuyait l'action militaire ; il est
donc utile, selon nous, d'en suivre les détails multiples
pour bien en apprécier la portée et les résultats.
« Je viens d'apprendre (écrivait le prince Kong, le
14 octobre), que les soldats de l'escorte de Votre Excel-
lence sont entrés dans la ville. La sage discipline qu'ils
ont soin d'observer a ramené la tranquillité parmi la
population et dissipé son inquiétude et ses craintes. Il
est démontré que les intentions pacifiques de Votre
Excellence sont sincères; je suis heureux de le savoir,
et de mon côté, je dois agir avec la même sincérité. J'ai
donc donné l'ordre à Heng-hi, directeur de l'arsenal, de
s'entendre avec le délégué que Votre Excellence dési-
gnera, pour régler tout ce qui est relatif à la signature de
la convention préparée à Tien-lsin et pour fixer le jour
de l'échange des ratifications du traité de 1858, afin que
je puisse tout faire préparer en conséquence. »
XXI. — L'armée française a quitté les bivacs qu'elle
occiqiait pour camper dans le faubourg qui précède la
porte Am-fing; des détachements ont été envoyés dans
les casernes abandonnées parles Tartares. — La situation
militaire, on le voit, avait fait un grand pas, et il était
28S CAMPAGNE DE CHINE.
impérieux que la queslion politique eût uue solution
prompte et radicale, car les signes précurseurs de l'hi-
ver se faisaient déjà sentir. — Los montagnes qui avoi-
sincnt Pé-king étaient déjà couvertes de neige et le vent
du nord soufflait parfoisavec une grande violence.
Aussi le général de Montauban, par une lettre adressée
au général Grant, le 15 octobre, lui faisait part de la
résolution qu'il avait prise de partir le 1"" novembre [)Our
Tien-tsin, si les alîaires traînaient encore en longueur,
sans amener de résultats définitifs.
« Après avoir réfléchi à la position actuelle de mes
troupes (disait le général à son collègue), j'ai dû conférer
avec le baron Gros sur la nécessité dans laquelle je me
trouverais de faire rentrer mon armée à Tien-lsin, dans
le cas où les négociations diplomatiques n'auraient
amené aucune solution pacifique avant le 1" novembre.
— Il uk; paraît évident que si, avant cette époque, le
gouvernement chinois n'a pas signé le traité dont il a
accepté toutes les conditions, c'est qu'il y aura de sa part
un nouvel acte de mauvaise foi ayant pour but d'obtenir
un délai, jusqu'à ce que le mauvais temps et les froids,
si intenses dans ce pays, viennent compromettre le salut
des armées alliées. Nous aurions à nous entendre sur ce
qui resterait à faire. Dans tous les cas, ma détermination
bien arrêtée est de partir pour Tien-tsin le 1" novembre
procb.iin. b
XXII. — Ainsi c'était un point très-arrêté dans la pen-
sée du général en chef, auquel étaient confiées les des-
LIVRE III, CHAPITRE I. 289
tinées de la petite armée française, de ne pas s'exposer
aux désastres que pouvait apporter l'hiver dans ce pays
lointain et inconnu, sans communication possible, par
suite des glaces, avec Tien-tsin, sa seule base d'opéra-
tions. Cette sage détermination n'était pas, en ce mo-
ment, entièrement conforme à la pensée de nos alliés
qui avaient agité la question d'hiverner dans ces parages.
Il était donc impérieux de fixer un dernier délai
après lequel l'ariTiée alliée, avant de se retirer, lais-
serait, par la destruction du palais impérial, un de ces
souvenirs terribles qui saignent longtemps au cœur
d'une capitale.
Mais la dépêche du prince Kong que nous avons citée,
et par laquelle il consentait à la reddition d'une des
portes de la ville, contenait des reproches amers sur la
continuation des hostilités et sur les faits qui s'étaient
passés au palais d'été de l'Empereur.
a Pourquoi (écrivait-il) les soldats français ont-ils
pillé le palais d'été de l'Empereur? La France est un
empire civilisé; les soldats sont soumis à la discipline,
comment donc ont-ils de leur propre autorité brûlé le
palais impérial? — Les généraux et Votre Excellence
paraissent l'ignorer. Il est nécessaire que Votre Excel-
lence m'informe en me répondant, comment elle entend
vider le différend actuel.
XXIII. — Cette dépèche coïncidant avec le retour de
M. d'Escayrac de Lauture, brisé par d'odieux traite-
ments, et avec la découverte des vêtements ensanglan-
n 19
29U CAMPAGNE DE CHINE.
tés appartenant à plusieurs des malheureux prisonniers,
irrita au plus haut degré le haron Gros qui avait jus-
que-là montré beaucoup plus de modération que son
collègue d'Angleterre; et en envoyant le projet de la
note qu'il adressait à ce sujet au prince Kong dans les
termes les plus nets et les plus justement indignés, il
écrivait à lord Elgin :
Mon cher lord,
a II me semble impossible de laisser sans réponse la
singulière dépêche du prince Kong dont je vous envoie
traduction. Voici également le projet de note que je me
propose de lui faire parvenir et que je vous soumets.
Cette note rétablit la vérité dénaturée par le prince et
fait des réserves pour obtenir satisfaction du meurtre de
quelques-uns de nos malheureux compatriotes, dont
malheureusement i! ne nous est plus permis de douter.
En outre la force des armes ayant mis entre nos mains
des propriétés françaises confisquées dans Pé-ldng, c'est-
à-dire des églises et des cimetières que l'empereur Tao
Kouang avait promis par un édil impérial de rendre
aux chrétiens, je voudrais régulariser pour l'avenir une
conquête que la force des armes me donne aujourd'hui.
Vous avez repris à Ta-kou les canons que les Chinois
vous avait enlevés en 1859, je reprends dans Pé-king les
propriétés françaises que les gouvernements précédents
nous avaient confisquées, et la dernière fois en 1830.
Le rétablissement du culte chrétien dans la capitale et
la permanence des légations européennes auprès de
LIVRE m, CHAPITRE I. 291
l'Empereur me semblent être les deux battants de la
porte à ouvrir, pour que la civilisation moderne puisse
entrer dans l'empire.
a Si vous avez quelques observations à me faire, vous
savez que mon désir le plus vif est de marcher autant
que possible toujours parallèlement à vous.»
Cette communication de notre ambassadeur au pléni-
potentiaire chinois reçut l'entière approbation de son
collègue qui envoyait, de son côté, une dépêche qui
contenait les mêmes protestations.
XXIV. — Il était bien difficile d'échapper plus long-
temps à la logique implacable des faits.
Le baron Gros après avoir résumé tous les événe-
ments qui s'étaient passés depuis la prise des forts de
Ta-kou et rectifié les appréciations erronées du prince
Kong, ajoutait:
ï Le prince en refusant de rendre les détenus a forcé
les alliés à marcher sur la capitale.
« C'est pendant cette marche et par conséquent pendant
la guerre, que les troupes alliées ont pris le palais d'été
de l'Empereur ; elles ne l'ont point pillé comme le dit Son
Altesse Impériale, elles n'ont fait que partager entre elles,
conformément au droit de la guerre, une conquête que le
sort des armes avait fait tomber entre leurs mains, et le
prince doit savoir que si le palais a été ensuite saccagé
et incendié, c'est par les bandes de brigands chinois qui
se trouvent partout, et sur lesquelles, à Kho-seyou, par
29-2 CAMPAGNE DE CHINE.
exemple, les alliés ont été obligés de tirer, lorsqu'elles
sont venues pour piller et ravager dans ce village les
habitations de leurs propres compatriotes.
a Ceci étant bien établi, et Son Altesse Impériale étant
un prince trop éclairé pour en méconnaître la justesse,
le soussigné consent encore à saisir l'occasion qui se pré-
sente de conclure la paix, si le gouvernement chinois,
abandonnant le système de fourberie et de déloyauté qui
lui a si mal réussi jusqu'à présent, veut enfin traiter les
affaires avec droiture et ne pas oublier que chaque fois
qu'il a manqué à sa parole, il a délié le soussigné des en-
gagements contractés par lui, et lui a rendu tous les droits
que lui donnent les victoires successives remportées sur
les armées de l'empire.
« Il serait bien difficile au soussigné d'avoir maintenant
confiance dans un gouvernement qui ne se fait aucun
scrupule de manquer à sa parole, et qui pousse l'oubli
des lois de l'honneur et de sa propre dignité jusqu'à
faire arrêter et sacrifier de la manière la plus barbare
des gens sans armes, qui, sous la protection du drapeau
parlementaire, étaient venus se confier à lui. Le sous-
signé ne peut plus entrer dans Pé-king avec une simple
escorte d'honneur, il lui faut une garde qui puisse le
préserver de quelque trahison, et lorsqu'il se trouvera
dans l'une des habitations de la ville que l'on aura fait
disposer pour lui et pour sa garde, des conférences pour-
ront s'ouvrir.
« La persistance que le prince Kong a mise à ne jamais
vouloir rendre, avant la signature de la paix, les Infor-
LIVRE 111, OHAPITIŒ 1. 29H
turiés sujets de la France et de l'Aiigleterre que le gou-
vernement chinois a fait arrêter et retenir contre toutes
les lois de l'honneur, n'avait que trop fait craindre au
soussigné que les autorités chinoises, coupables de ce
crime, n'eussent poussé leur sauvage brutalité jusqu'à
faire périr quelques-uns de ces individus, qui n'avaient
pas disparu dans un combat, comme semble le croire le
prince Kong, mais qui avaient été victimes d'un abomi-
nable guet-apens. La lettre si embarrassée du prince
Kong, et les rapports trop malheureusement vraisem-
blables que le soussigné a reçus au sujet de la conduite
de quelques autorités chinoises envers les détenus, qui,
à la honîe éternelle du gouvernement chinois, ont été
sacrifiés dans le palais même d'Yuen-mun-yuen, con-
firment les appréhensions du soussigné, et il exige au-
jourd'hui, au nom de son gouvernement, une indemnité
de 200 000 laéls, qui sera répartie par le gouvernement
français entre ses sujets victimes de l'attentat du 18 sep-
tembre dernier et les familles de ceux dont on a si lâ-
chement causé la mort.
« Le soussigné demande à Son Altesse de vouloir bien
faire préparer l'habitation dite Sou-ang-fou, pour qu'il
puisse s'y établir avec'la garde préposée à sa sûreté.
«La convention projetée à Tien-tsin pourra alors être
rédigée pai- les secrétaires respectifs, en y ajoutant doux
clauses que la conduite du gouvernement chinois auto-
rise le soussigné à cxigei'. Par la première, le gouverne-
ment chinois s'engagera à payer une indemnité de
200 000 tacls aux victimes IVancaises de l'attentat du
294 CAMPAGNE DE CHINE.
18 septembre dernier, et à verser immédiateineiil cette
somme entre les mains du trésorier de l'armée française
en Chine.
a Par la seconde, le gouvernement chinois s'en^jagera à
faire rendre au ministre de France en Chine les églises,
les cimetières elles autres propriétés qui en dépendaient
et dont parle le décret de l'empereur Tao-ouang. »
Les ambassadeurs donnaient pour dernier délai, jus-
qu'au 23 à midi.
CHAPITRE II.
XXV. — Tel était l'état des choses, lorsque des événe-
ments nouveaux vinrent encore compliquer la situation.
Après le retour des premiers prisonniers dont nous
avons pailé plus baut, les alliés espéraient toujours que
les autres, sur le sort desquels on était sans nouvelle,
auraient eu au moins la vie sauve. — Il est facile de com-
prendre combien fut grande l'indignation qui s'empara
de tous les cœurs, lorsque des cadavres mutilés furent
seuls rapportés aux camps alliés; funèbres retours qui
ajoutaient chaque jour de nouveaux noms aux Aictimes.
Au lieu de prisonniers, des cercueils nous étaient ren-
LIVRE 111, CHAPITRE I, 295
dus. On ouvrait ces cercueils, et c'est ainsi que l'on
constatait l'identité des cadavres que les Chinois nous
renvoyaient (1).
Sur treize prisonniers français, sept étaient morts et
six avaient été rendus vivants. — Les Anglais sur vingt-
six prisonniers comptaient treize morts.
Voilà donc le résultat des assurances du prince Kong.
— Ce n'était plus seulement d'un acte de déloyauté dont
on avait à demander compte, mais de la plus sauvage
barbarie. L'exaspération des Anglais surtout ne con-
naissait point de bornes.
XXVL — Lord Elgin, sous la pression de l'indigna-
tion publique qui ne pouvait manquer de se manifester
en Angleterre avec une extrême violence, voulait une
vengeance éclatante que ne pouvait satisfaire l'indemnité
de 200 000 taëls déjà demandée, et il communiqua, le
15 octobre, un projet de note au prince Kong, dans la-
quelle il exigeait que des officiers chinois fussent en-
voyés de Pé-king pour accompagner à Tien-tsin les restes
des victimes de cette odieuse trahison, et que l'on élevât
dans cette ville, aux frais du gouvernement chinois, un
monument expiatoire ; il voulait en outre que l'on s'em-
parât du palais impérial à Pé-king, avant l'époque fixée
(1) Ces morts étaient, pour les Français, le colonel Foullon Grand-
champs, le sous-intendant Dubut, le comptable Ader, les soldats Ga-
dichot, Blanquet et le chasseur à pied Ousouf. Quant à l'abbé Duluc,
dont on ne retrouvait aucune trace, il paraît certain qu'il avait été
décapité avec un Anglais, le jour même de la bataille de Pa-li-kiao;
leurs corps avaient été jetés dans le canal.
296 CAMPAGNK bli CHINE.
par la communication au prince Kong et que l'on dé-
truisît de fond en comble le palais de Yuen-mun-yuen
où avait péri le plus grand nombre de victimes.
a Mon cber lord (lui répondit le baron Gros, en lui
accusant réception de cette dépêche), votre lettre ex-
prime assurément dans les termes les plus nobles la
plus vive indignation, mais elle exige du gouvernement
chinois, ce que dans mon intime conviction il ne pourra
ni ne voudra jamais donner; il aimera mieux mille fois
tout abandonner, tout perdre que de consacrer par un
monument expiatoire sa félonie, sa honte et sa faiblesse.
Quant à la destruction du palais d'été, site de campagne
sans défense, elle aurait, à mon avis du moins, un tel
caractère de vengeance inutile, puisque malheureuse-
ment elle ne pourrait remédier à aucune dos cruelles
infortunes que nous déplorons, que nous devrions ne pas
y songer. Il me semble qu'aux yeux de l'Europe comme
pour les peuples de la Chine, la destruction du palais de
Pé-king, après en avoir enlevé les archives, palais qui,
dans la capitale, est le siège de la puissance souveraine,
serait un acte expiatoire plus saisissant que l'incendie
d'une maison de plaisance. Ce serait là ce que je con-
seillerais aux commandants en chef de faire immédiate-
ment si j'étais consulté par eux, et si contre toute pro-
babilité maintenant nous devions quitter Pé-king sans
atteindre le but qui nous a été signalé par nos gouver-
nements. Je suis convaincu que nous pouvons finir en
peu de jours. Si vous ne parlez pas dans votre lettre à
LIVHE III, CHAPITRE Jl. ^97
Kong de la deslriicliou de Yuen-mun-yiien et d'actes
expiatoires, toutes les autres conditions, les vôtres
comme les miennes, seront acceptées.
« Je ne vois pas de meilleure solution que celle que je
vous propose, les moyens dont nous pouvons disposer,
la saison avancée qui, d'un instant à l'autre, peut rendre
les routes impraticables, la manière dont les comman-
dants en chef parlent de la situation, et la crainte surtout
que nous devons avoir de faire fuir le prince Kong, notre
seule planche de salut, me confirment dans mon opi-
nion. »
XXVII. — Celte lettre pleine de dignité et de sens
modifia dans certaines limites les intentions de lord El-
gin, mais ne le fit pas renoncer entièrement à son projet
de vengeance qu'il regardait au contraire, dans ces con-
trées lointaines, comme un sévère et jusle enseignement
pour un peuple en dehors de la civilisation européenne.
Il répondit donc au baron Gros le lendemain.
« Je consens à omettre la clause relative à l'accompa-
gnement par des officiers chinois des restes des malheu-
reuses victimes jusqu'à Tien-tsin et à l'érection d'un
momiment expiatoire aux frais du gouvernement chi-
nois dans celte ville, mais je n'abandonne pas la clause
relaUve à la destruction de Yuen-mun-yuen.
«Je demandeiai 300 000 laëls pour indemniser les
Anglais qui ont soufTert et les familles de ceux qui ont
été sacrifiés. — Je dirai à Kong que si je ne reçois pas,
le 20 avant midi, une lettre de lui (|ui m'assure que cette
298 CAMPAGNE DE CHINE.
somme sera payée le 22, et qu'il sera prêt à sigiici" l;i
convention et à échanger les ratifications de Tien-tsin,
le 23, je demanderai au général en chef de détruire le
palais impérial de Pé-king.
« Sans doute ces mesures peuvent, vous paraître bar-
bares, mais nous avons à traiter avec un misérable des-
pote et nous devons lui faire sentir que la responsabilité
des actes qu'il a commis ou qu'il a sanctionnés doit re-
tomber sur lui. »
Ces deux lettres que nous avons cru utiles de repro-
duire en leur entier, dessinaient nettement la position
que voulait prendre en cette ch'constance chacun des
ambassadeurs.
XXVIII. — Le baron Gros ne fit pas attendre sa ré-
ponse et il répondit immédiatement à son collègue an-
glais, « que la destruction du palais de Pé-king, dans le
cas où rien n'aurait été terminé dans le délai fixé, ren-
trait entièrement dans ses idées, ainsi qu'il l'avait dit,
mais que la démolition de Yuen-mun-yuen lui répu-
gnait. » Il ajoutait : « Toutefois si le général de Montau-
ban veut y prendre part, je n'aurai aucune observation
à lui faire. » — Et en même temps il envoyait copie au
général de Montauban de sa correspondance avec lord
Elgin.
Le commandant en chef français fut plus explicite
peut-être encore que notre ambassadeur:
« Je partage complètement votre manière de voir, lui
LIVRE III, CHAPITRE H. 299
lépondit-il, sur toutes les questions que vous traitez avec
le prince Kong ou avec l'ambassadeur d'Angleterre ; je
refuse nettement de participer à une nouvelle attaque
contre Yuen-mun-yuen pour deux raisons.
« La première, parce que j'ai le cœur soulevé de voir
la destruction inutile des plus belles cboses et que cet
acte ne pourrait être attribué qu'à une vengeance très-
insignifiante, puisqu'elle ne s'exercerait que sur des murs
déjà à moitié détruits. — La seconde, c'est qu'une sem-
blable action tendrait à détruire les rapports nouveaux
qui viennent de s'établir entre le prince Kong et les am-
bassadeurs. »
Cette destruction était cependant une idée arrêtée chez
lord Elgin et rien ne put l'en dissuader, pas même la
pensée de se trouver séparé de ses alliés pour l'accom-
plissement d'un acte de cette nature que l'avenir pour-
rait juger sévèrement. — L'assentiment complet qu'il
avait trouvé pour ses projets chez le général Grant qui
subissait entièrement son influence, lui fit ne pas dés-
espérer d'amener le général de Montauban à concourir
à cette destruction, sachant surtout que le baron Gros
laissait toute liberté d'acfionau commandant en chef des
forces militaires.
Le 17, dans la matinée, le général Grant vint en per-
sonne sonder le général en chef français et lui de-
mander sa participation à ce qu'il regardait comme un
acte de justes représailles. — Le général de Montauban
refusa et le général Grant se retira en lui disant ; « J'es-
père qu'après avoir réfléchi, vous comprendrez les rai-
300 CAMI'AG.NK bli CHINI-:.
sons majeures qui motivent cette détermination et ne
me refuserez pas, en cette occasion, un concours que j'ai
toujours trouvé jusqu'alors si eiupressé.
XXIX. — Il s'engagea alors, à la suite de cette visite,
une correspondance officielle entre les deux eonunan-
dants en chef, semblable à celle échangée, deux jours
auparavant, entre les aiubassadeut's.
Tout ce qui concerne cet épisode dont on s'est si gran-
dement préoccupé est important à constater, plus encore
pour l'avenir que pour le présent. Nous qui nous som-
jues donnés pour cette expédition lointaine, comme
pour colles de Crimée et d'Italie, la tâche de chroni-
queur, nous racontons ces faits sans vouloir les ap-
précier.
Deux politiques bien ditTérentes étaient représentées
en Chine, la politique de la France et celle de l'Angle-
terre. — Le refus du baron Gros et celui du général de
Montauban, la volonté |)ei'sistanle de lord Elgiu et du
générai Giant caractérisent bien ces deux politiques qui
marchant côte à côte, s'inspiraient cependant de senti-
ments si divers.
Le soir du même jour où le général anglais élait
venu proposer au général de Montauban la destruction
du palais d'été de l'Empereur, le commandant en chef
français lui réi)ondil par écrit :
«J'ai mûrement réfléchi depuis ce nuitin à la propo-
sition (|ue vous m'avez faite d'aller, de concert avec vous,
LIVRE m, CHAPITRE II. 301
incendier le paliis impérial de Yuen-imin-yiien,aux trois
quarts détruit dans les journées des 7 et 8 octobre cou-
rant, tant par mes troupes que par les Chinois, — Je
crois devoir, pour satisfaire aux instructions que j'ai
reçues, vous expliquer les motifs de mon refus à coo-
pérer à une semblable expédition. — Elle me paraît
d'abord dirigée par un esprit de vengeance de l'acte de
barbare pertidie commis sur nos malheureux compa-
triotes, sans que celte vengeance atteigne le but que l'on
se propose.
«c D'un autre côté, n'est-il pas probable que l'incendie
allumé de nouveau dans le palais impérial jettera la ter-
reur dans l'esprit déjà peu rassuré du prince de Kong
et lui fera abandonner les négociations entamées? Dans
ce cas, l'attaque du palais impérial de Pé-king devien-
dra une nécessité, et la perte de la dynastie actuelle la
conséquence, ce qui serait diamétralement opposé aux
instructions que nous avons reçues.
« Par tous ces motifs, je crois devoir, monsieur le gé-
néral en chef, ne m'associer en aucune façon à l'œuvre
que vous allez accomplir, la considérant comme nuisible
aux intérêts du gouvernement français. »
« De Montauban. »
XXX.— Le lendemain 18, le général Grant lui exposait
catégoriquement les raisons qui lui faisaient, disait-il,
persister dans sa volonté de détruire complètement le
palais de Yuen-mun-yuen.
« 1" C'est dans ce palais que les prisonuiers ont été
302 CAMPAGNE DE CHINE.
traités avec une barbarie atroce, c'est là qu'ils sont restés
pieds et poings liés pendant trois jours, privés entière-
ment de nourriture.
« 2° La nation anglaise ne sera pas satisfaite, si nous
n'infligeons pas au gouvernement chinois un châtiment
sévère, martiue du ressentiment que nous avons éprouvé
de la manière barbare avec laquelle ils ont violé le droit
des gens.
« Si nous nous bornions à faire la paix, à signer le
traité et à nous retirer, le gouvernement chinois croirait
qu'il peut impunément saisir et assassiner nos com[)a-
triotcs, il est nécessaire de le détromper sur ce point.
« Il est vrai que le palais d'été de l'Empereur a été
pillé ; mais le dommage infligé peut être réparé en un
mois. Le jour même oîi l'armée française a quitté Yueur
mun-yuen, le palais a été réoccupé par les autorités
chinoises et cinq Ghmois qui ont été pris pillant ont été
exécutés par les ordres de ces autorités.
a Mes patrouilles ont trouvé depuis ce jour l'enceinte
constamment fermée et les habitations non détruites.
ot II nous a été bien démontré que le palais de Yuen-
muii-yiien est considéré connue une place fort impor-
tante, sa destruction est un coup dirigé entièrement non
contre le peuple, mais contre le gouvernement chinois
qui est le seul auteur des atrocités conHHises(l). C'est un
coup qui sera parfaitement senti par ce gouvernement
(1) Lettre du ;-,'énéral Hope Grant, commandant en chef les forces
anglaises en Chine, au général de Montauban. commandant en chef
les forces françai.sej. Quartier général de Pé-king, 18 octobre 1860.
LIVRE 111, CHAPITRE II. 303
el, d'autre pari, on ne peut arguer contre cette opéra-
tion d'aucune raison fondée sur des sentiments d'hu-
manité. »
XXXI. — On le voit par cette lettre, la crainte de l'opi-
nion publique en Angleterre, entraînait, poussait, pour
ainsi dire, les deux. chefs anglais à agir, ainsi qu'ils le
faisaient ; c'était là la base premièrCj la base fondamen-
tale sur laquelle ils échafaudaient les autres considé-
rations.
a La nation anglaise ne sera pas satisfaite si nous
n'infligeons pas au gouvernement chinois un châtiment
sévère, marque durable de notre ressentiment. »
En effet, le 18 dans la matinée, un détachement an-
glais se dirigea vers le palais d'été avec ordre de l'incen-
dier dans toutes ses parties. Bientôt les magnifiques
pagodes, ces merveilles d'élégance et de richesse, devin-
rent la proie des flammes. On vit s'élever à l'horizon une
grande lueur rougeàtre, et monter vers le ciel des nuages
d'une épaisse fumée; c'était le palais de Yuen-mun-yuen
que l'incendie dévorait, et le soir ce ne fut plus qu'un
amas calciné de débris fumants, autour desquels rôdaient
des bandes de pillards.
Les Anglais avaient accompli leur vengeance et infligé
ce qu'ils appelaient un châtiuient sévère, marque durable
de leur ressentiment. — Il ne restait plus rien de celte
magnifique et merveilleuse habitation que plusieurs siè-
cles avaient respectée.
Le général de Monlauban en fut douloureusement im-
304 CAMPAGNE DE CHINE.
pressionnô, el il écrivait le jour iiiùiiie au conimandanl
en cliclanglnis :
«Je n'ai pas l'intention d'élever une polémique au
sujet de l'acte qui vient d'être commis, contrain^ment à
l'opinion de l'ambassadeur de France et à la mienne.
a Nos gouvernements respectifs sont seuls appelés à
juger nos actions, et j'ai l'espoir que le gouvernement
français donnera une entière approbation à ma conduite
en cette circonstance, quels que soient les regrets qu'il
éprouvera comme moi de l'acte déloyal qui nous a enlevé
nos malheureux compatriotes. »
XXXII. — Bien que ledei'uier délai accordé au prince
Kong soit de quelques jours seulement, les chefs anglais
poursuivis par la pensée qu'ils peuvent encore ajouter
une page terrible au drame de leur vengeance, rêvent
une attaque contre Pé-king même. Ils ne cachent pas le
but politique qui les pousse. — Entraîner la chute de la
dynastie tartare. — Ce but n'était pas le nôtre, — le ren-
versement de la dynastie régnante amènerait avec lui
les plus sanglants désordres et livrerait l'empire à une
anarchie complète. — Les instructions données à notre
ambassadeur sont dans un sens contraire, et le baron
Gros l'avait clairement exposé au prince Kong, dans s;i
dépêche du 25 septembre (1).
« Le soussigné, disait-il, croit devoir déclarer formel-
lement à Son Altesse Impériale et aux membres du con-
(1) Voir même volume, page 241.
LIVRE m, CHAPITRE II. 305
scil de l'Empire, que le gouvenienicnt français veut le
mainlien de la dynastie actuelle sur le trône impérial, et
qu'il verrait avec chagrin la ruine de la capitale. »
La situation semblait donc se compliquer chaque jour
davantage. — Il est évident que le prince Kong, acculé
dans ses derniers retranchements, ne peut se refuser plus
longtemps aux conditions de paix propo.sées : — nous
sommes sous les murs de la capitale abandonnée par
l'Empereur qui s'est enfui en Tarlarie; les chefs de
l'armée sont vaincus, démoralisés et incapables de com-
prendre quels dangers ils pourraient encore nous faire
courir aux approches de l'hiver, s'ils réunissaient les
tronçons épars de leur armée et, en les répandant entre
Pé-king, Tien-lsin et la mer, nous coupaient ainsi notre
principale base d'opération. — La paix si probléma-
tique, il y a quelques jours, est évidente aujourd'hui.
Le parti de la guerre, dans le grand conseil, n'a enre-
gistré que des trahisons ou des défaites.
XXXIIL — Le 19, le général Grant venait de nouveau
chez le général en chef français pour lui proposer d'at-
taquer le lendemain même la ville, malgré le délai ac-
cordé par le baron Gros jusqu'au 23. Le commandant
en chef français refusa formellement. En outre, il dé-
clara à son collègue que jusqu'au 23, il s'opposera à
toute attaque. On attendra donc jusqu'au 23.
Mais déjà dès le 20 octobre, il n'est plus possible de
conserver aucun doute sur la conclusion de la paix. — Le
prince Kong fait savoir aux ambassadeurs que l'indem-
II 20
306 CAMPAGNE DE CHINE.
nilé réclamée pour les victimes du 18 septcmi)i"e, sera
prèle à être payée le 22, à une lieure de l'après-midi (1).
Le 22, M. de Bastard premier secrétaire d'ambassade,
part, accompagné de M. de Kcroulée attaché à l'ambas-
sade, afin de procéder à la discussion définitive de la
convention et de régler tous les détails relatifs à la signa-
ture du traité et à l'échange des ratifications. — Il doit
aussi recevoir au nom de l'ambassadeur, les 200 000 taëls
d'indemnité.
Le comte de Bastard se rend dans l'intérieur de la
ville, avec une escorte de cavalerie et d'infanterie, et se
dirige vers le yamoun du mandarin Hang-ki, chargé par
le prince Kong des pouvoirs nécessaires.
Dans les rues, la foule est immense, elle afflue de tous
côtés sur le passage des envoyés étrangers avec une telle
intensité, qu'il semble que bientôt il deviendra impos-
sible de marcher au milieu de ces flots humains tu-
multueusement agités. — Le drame si récent de Tung-
chao, donne un caractère solennel à cette entrée dans
Pé-king. La trahison d'hier ne pouvait-elle pas se re-
nouveler aujourd'hui.
(1) Le baron Gros au général de Montauhan.
22 octobre, 8 b. du matin,
a Les engagements pris par le prince Kong, frère de l'Empereur et
commissaire imj érial, reçoivent aujourd'hui un commencement d'exé-
cution, une somme de 200 000 laëls, représentant à peu près 1 million
500 000 francs, sera prête à m'être remise aujourd'hui, 22 octobre, à
une heure après midi, dans Pé-king, comme indemnité allouée par le
gouvernement chinois aux sujets fraiiçais arrêtés le 18 septembre,
comme aussi à la famille de ceux qui ont succombé pendant leur
captivité, s
LIVRE IH, CHAPITRE II. 3U7
Des agentsdeia police chinoise, armés do longs l'ouets
frappent sans aucun ménagement sur cette multitude
plus curieuse qu'hostile, et permettent ainsi aux chevaux
d'avancer. Les envoyés français pénètrent dans le ya-
moun; des sentinelles sont aussitôt placées à toutes les
portes, ainsi que devant la salle où le comte de Bastard
entre aussitôt en conférence avec le mandarin Hang-ki.
Cette conférence devait enfin être la dernière.
XXXIV. — Après une assez longue discussion dans la-
quelle l'astucieux diplomate chinois, que nous avons déjà
vu plusieurs fois à l'œuvre, discuta longuement les moin-
dres détails, moins dans l'espérance d'obtenir quelque
concession que par habitude, tout fut définitivement
réglé et convenu. — Les pouvoirs concédés au prince
Kong furent exhibés ; ils étaient de la nature la plus
étendue, l'Empereur avait, par avance, envoyé ses ratifi-
cations.
♦ Le prince Kong n'est pas sans inquiétude ; il craint
que les alliés n'usant de représailles ne veuillent en le
chargeant de chaînes, venger sur lui la trahison du
18 septembre et offrir le frère de l'Empereur en holau-
causte aux victimes, dont les corps mutilés ont été ren-
voyés dans de funèbres cercueils. — Un certain nombre
de hauts mandarins lui conseillaient même de ne pas
s'exposer à notre vengeance, et le confirmaient dans une
appréhension que lui dictait sa propre conscience. — Fort
heureusement, le général Ignatieff, ambassadeur de
Russie, fit comprendre au prince Kong que les nations
308 CAMPAGNE DE CHINE,
européennes, quels que fussent leurs i^ricls, n'agissaient
jamais par trahison et (pie, elie/ elles, la loi jurée élail
chose sacrée et inviolahle.
Il fut arrêté: que le 24, le haron Gros viendrait prendre
possession du palais qui est destiné à lui et aux membres
de son ambassade. — Le môme jour, lordElgin signera le
traité de rAnglelerre avec le prince Kong. — Le lendemain
26, ce sera le baron Gros pour l'Empereur des Français.
Les deux aml)assadeurs sont d'accord avec les com-
mandants en chef pour donner le plus grand éclat mili-
taire aux cérémonies relatives à la signature du ti'aité.
Les Chinois attachent un grand prix à tout ce qui frappe
leurs yeux; la pompe et l'éclat leur représentent la puis-
sance.
XXXV. — Le 24, à neuf heures du matin, l'ambassa-
deur de France, accompagné de tout le personnel de
son ambassade, fit son entrée dans la capitale du Cé-
leste-Empire.
L'ambassadeur et le premier secrétaire sont en chaises
portées chacune par huit coolies revêtus de costumes
brillants avec la cocarde française, — les autres mem-
bres de l'ambassade sont à cheval, et se tiennent près
des portières des deux chaises.
Un bataillon du 101% que commande en personne le
colonel ouvj-e le cortège, et la musique de ce régiment
joue des marches guerrières, dont les sons éclatants pro-
duisent une impression profonde sur la multitude qui
est accourue de toutes parts.
LIVRE III, CHAPITRE 11. 309
Des deux côtés des palanquins, s'avancent trente spahis,
leurs manteaux rouges flottent au vent; après les spahis,
c'est un peloton de marins. — Le deuxième bataillon
du lOl"' ferme la marche.
A la porte Am-ting par laquelle notre ambassadeur
doit pénétrer dans la capitale, les deux détachements
anglais et français préposés à la garde de cette porte,
sont sous les armes et rendent au haut plénipotentiaire
de la France les honneurs militaires. — Dans le même
moment l'artillerie alliée, placée sur les remparts, salue
son arrivée d'une salve de dix-neuf coups de canon.
A peine l'ambassadeur a-t-il franchi la porte, qu'un
cortège de mandarins, en tête duquel marche Hang-ki,
le délégué du prince Kong, vient complimenter le baron
Gros. — Tous ces dignitaires chinois de différents degrés
ont revêtu leur costume de cérémonie; sur la longue
robe de satin violet qu'ils portent sont brodées des pla-
ques, insignes de leur rang; sur ces plaques, un oiseau
indique les mandarins civils, un tigre ou un lion, les
mandarins militaires, le globule ou bouton qui sur-
monte leur toque indique à quelle classe ils appar-
tiennent (1).
(1) Les mandarins se divisent en quatre classes :
Le l)OUton rouge est affecté à la première, qui comprend trois caté-
gories : la plus élevée a la nuance du corail, celle qui vient ensuite le
vermillon, la dernière le ponceau.
La deuxième classe a les globules bleus qui, eux aussi, se parta-
gent en deuK catégories : la première porte le bouton bleu opaque
(lapis lazuli); la seconde, bleu transparent (cristal bleu).
A la troisième classe appartiennent les boutons blancs, distingués
31U CAMPAGNE DE CHINE.
Les agents de lu i)olice chinoise oui peine à contenir
la foule qui se glisse au milieu des chevaux et des sol-
dais de l'escorte, avide de contempler ce spectacle si
nouveau pour elle. — A l'entrée du palais que doit habiter
l'anihassadeur, attendent les niandai'ins que le prince
Kong a attachés à sa personne ; le pavillon national est
aussitôt planté à la porte principale devant laquelle
veillent des sentinelles l'arme au bras.
XXXYI. -^ Le même jour, lord Elgin, accompagné
du général Grant , signait solennellement au Li-Pou
(tribunal des rites) le traité de paix de l'Angleterre
avec le Céleste-Empire.
Les troupes (|ui formaient le cortège anglais étaient
fort belles, les dragons de la reine et les sicks attiraient
principalement les regards par leur brillante tenue.
L'infanterie se composait de 2 régiments anglais, la
chaise de lord Elgin était entourée de seize coolies
fort élégamment vêtus et portant les couleurs de l'An-
gleterre.
Quelques difticultés d'étiquette se sont élevées pour le
cérémonial à observer au moment où l'ambassadeur,
en grande tenue de pair d'Angleterre est entré dans la
salle où devait se signer le traité. — Lord Elgin a exigé
(jue le prince Kong vînt au-devant de lui, ce que celui-
ci a fait avec une certaine répugnance.
eux aussi par le blanc porcelaine pour la première catcgone: lu blanc
transparent pour la seconde.
La quairième classe porte le bouton de cuivre doré.
LIVRE III, CHAPITRE 11. 311
Le frère de l'Empereur de la Chine et l'ambassadeur
se sont salués très-froidement. — Les mêmes difficultés
se renouvelèrent, quelques instants après, pour savoir
lequel s'assiérait le premier, du prince ou du haut plé-
nipotentiaire de Sa Majesté Britannique. Après d'assez
longs pourparlers pour le règlement de ce nouveau
cérémonial, il fut convenu que le prince et l'ambas-
sadeur s'assiéraient en même temps.
XXXVIL — Le traité fut signé et les ratifications
échangées, sans que la glace se rompit un seul instant
entre ces deux hommes. Dans la plume qui signait le
traité de paix, lord Elgin avait voulu faire peser de
tout son poids l'épée du vainqueur. On a beaucoup cri-
tiqué le diplomate anglais de sa dureté visible à un mo-
ment où devaient être oubliés les anciens dissentiments
et effacés les plus douloureux souvenirs. — Les Anglais
sont trop positifs pour rien faire au hasard et se livrer
à leurs impressions, sans en avoir auparavant calculé la
portée et les résultats. Dans la manière d'agir de lord
Elgin envers le prince Kong, il y avait toute une pensée
politique : faire sentir à la Chine que l'Angleterre ne si-
gnait pas un traité de paix, mais un traité de conquête.
— En 1860, le représentant de la Grande-Bretagne se
rappelait les démarches infructueuses et si orgueilleuse-
ment repoussées de lord Macartney, en 1790, ainsi que
l'ambassade avortée de lord Amlierst, en 1816 (1).
1 1) Voir le premier volume des Expétiitions de Chine et de Cochin-
chine, page ].i et suiv.
312 CAMPAGNE DE CHINE.
XXXVIII. -— L'cntrcvuc du baron Gros el du prince
Kong eut un tout autre caractère, la France n'avait ni
les mêmes griefs anciens, ni les mêmes vues d'avenir :
elle avait demandé sans arrière-pensée ce qu'elle vou-
lait obtenir; elle désirait franchement le maintien de
la dynastie régnante, et voyait avec une réelle satis-
faction l'ère de la paix remplacer les hostilités, après
de rapides et brillants succès qui avaient établi incon-
testablement aux yeux des Chinois la puissance de ses
armes.
Il faut aussi ajouter à toutes ces considérations puisées
au cœur même de la question l'individualité propre des
deux nations que représentait chacun des ambassadeurs ,
et l'on comprendra la différence d'attitude des denx plé-
nipotentiaires dans cette cérémonie importante el solen-
nelle.
Le 25, à huit heures du matin, le baron Gros, suivi
de toute son ambassade en grand uniforme, quittait le
palais de l'ambassade dans le même ordre et avec le
même cérémonial que la veille, et sortait de la ville par
la porte du Nord pour se rendre au quartier général du
commandant en chef français,
A onze heures, les troupes qui doivent composer le
cortège, quittent leur cantonnement pour se former,
selon l'ordre indiqué sur la route de Tarlarie en avant
de la porte du Nord.
La cavalerie forme l'avant-garde , suivie par une nui-
sique et un peloton de chacune des différentes armes
composant le corps expéditionnaire: — génie, malelots,
LIVRE m, CHAPITRE II. 313
chasseurs à pied, infiinlerie de ligne, infanterie de ma-
rine et fuséens.
Viennent ensuite le bataillon de i.'liasseurs à pied
avec sa fanfare, deux pelotons d'artillerie à cheval, les
officiers sans troupes à cheval, le chef d'état-major gé-
néral, les officiers de l'état-major général et les officiers
d'état-major de l'artillerie.
Puis le général en chef en grand uniforme, accom-
pagné de ses deux généraux de brigade que suivent les
chefs de service et les chefs du corps, l'état-major par-
ticulier du général en chef, les spahis et les chasseurs
d'Afrique,
La musique du 101^ termine le cortège militaire, pré-
cédant les trois drapeaux déployés dn 101% du 102" et
de l'infanterie de marine.
Immédiatement après, et comme sous la garde invio-
lable de ces trois drapeaux réunis, quatre sous-oftîciers
décorés de l'armée de terre portent dans un coffre aux
armes de l'Empereur des Français, le traité de 1858,
muni du sceau impérial.
Vient ensuite le cortège de l'ambassadeur, derrière
lequel marchent deux pelotons d'artillerie à cheval et
deux bataillons du 101'.
Depuis la porte du Nord jusqu'au tribunal des rites
où doit être signé le traité de paix, la haie est formée
par le 102'- de ligne et par le régiment d'infanterie de
marine.
XXXIX. — Certes, ces trou|)es en campagne, à cinq
3U CAMPAGNE DE CHINE.
mille lieues de la France, n'ont pas l'éclat resplendissauL
des troupes [lassées en revue au Champ-de-Mars, mais
elles portent sur leur visage bronzé par le soleil le noble
cachet du soldat qui a bravé les rudes épreuves et les
fatigues incessantes de la vie des camps; leur allure a
cet air martial qui sent la poudre et respire le combat,
et le soleil reluit en rayons étincelants sur les canons
des fusils et sur les bayonnettes. Ce sont bien des sol-
dats, tels (|u'ils doivent entrer dans une ville, dont les
portes fermées depuis des siècles aux nations euro-
péennes, se sont ouvertes sous la pression de leurs
canons et au bruit retentissant de leurs armes victo-
rieuses.
Au moment où l'ambassadeur franchit la porte Am-
ting, une salve d'artillerie salue son arrivée, et la voix
guerrière annonce à la population de la capitale du Cé-
leste-Empire, que la France pénètre dans ses murs, dra-
peaux au vent.
Devant la porte, se tient le haut mandarin Hang-ki
à la tète d'une véritable cohorte de mandarins de tous
grades. Les harangues et les félicitations commencent
et la haie des soldais ne coiilieiit ((u'à grand'peine la
foule qui se presse de tous les côtés. Nous avons déjà
eu l'occasion de le dire et d'en citer des preuves, le
|)alriolisme est nul chez le peuple cliinois, et pas un
seul des nobles sentiments qui font battre le cœur des
nations européennes, ne vibre dans ces existences atro-
pliiées, où vit seuleincni la cupiclilé des intérêts ma-
tériels.
LIVRE JII, CHAPITRE II. 315
XL. — Après un long parcours sous un soleil acca-
blant, le cortège atteint enfin le tribunal des rites. Devant
la porte principale de ce palais, l'ambassadeur, le com-
mandant en chef et les principaux officiers de l'armée
mettent pied à terre, puis le baron Gros ayant à ses
côtés le général en chef de MontaubaU; s'avance dans
la cour qui précède l'entrée de la salle destinée à la
signature des traités ; — derrière eux sont groupés les
membres de l'ambassade et les états-majors militaires.
Cette cour est encombrée de prétoriens chinois, garde
personnelle des mandarins et exécuteurs de leur jus-
tice ; ils sont revêtus d'une sorte de casaque en coton-
nade bleue à bordure rouge ou verte et portent sur
la tête une toque à laquelle pend une queue de re-
nard (1).
Sur le seuil de la salle se présente le prince Kong,
entouré des, plus illustres mandarins de la Chine; mais
aucun d'eux n'appartient à la noblesse militaire, et sur
leurs plastrons aux couleurs étincelantes,on ne voit que
des cigognes, des faisans, des paons et autres oiseaux,
signes dislinclifs des mandarins civils.
Le prince porte une robe semblable à celle des autres
mandarins, à cette exception, toutefois qu'au lieu des
plastrons brodés, comme membre de la famille impé-
riale, il a sur les épaules, sur le dos et sur la poitrine
quatre blasons où se trouve le dragon aux cinq griffes,
(1) Nous empruntons quelques-uns des détails de celte cérémonie à
rintéi*essant récit de M. G. de Keroulée, attaché à l'ambassade ex-
traordinaire de France en Chine.
316 campa{;ne de chine.
armoiries de la dynastie régnante ; sa toque garnie de
velours est surmontée d'une grosse éméraude, pierre
dislinctivc de prince du sang. (L'empereur seul porte
l'œil de chat et l'impéralrice une perle). Son collier,
composé de corail et d'ambre gris descend jusque la
ceinture, c'est l'ornement des jours de grande cérémo-
nie, tous les mandarins le portent. Les grains de ces
colliers varient depuis l'ambre, le corail, le lapis lazuli
et la laque rouge jusqu'au verre de couleur. — En ajou-
tant à la description que nous venons de faire, le pan-
talon de soie écruc et les bottes de salin noir montant
jusqu'au genou, on aura une idée exacte du costume
du prince Kong.
XLI. — C'est sur ce personnage important que se con-
centrent tous les regards.
Le prince est jeune, il semble avoir vingt-quatre ans
au plus, s'il est vrai que l'on puisse donner un âge à
ce visage sur lequel la fatigue des jouissances de la
vie a déjà laissé sa visible empreinte; l'œil noir et
profond s'abrite sous d'épais sourcils , le regard a par-
fois des éclairs passagers qui révèlent une énergie épui-
sée par l'oisiveté de la vie chinoise, le teint d'une pâ-
leur mate donne un cachet de grande distinction, à son
nez légèrement bus(|ué, appartenant à la race tartarc et
à ses lèvres dont la forme et le coloris respirent la sen-
su dite; mais cet aspect de lassitude qui forinc! un si
étrange contraste avec la jeunesse excessive du priiice,
n'a point altéré en lui l'air souverainement aristocra-
LIVRE m, CHAPITRE 11. 317
tique cl le cachet de nol)le race qui se lit sur sa personne
et surtout sur ses mains d'un dessin élégant et pur;
leur blancheur est si exagérée que le sang ne semble
pas y circuler. « On sent à le regarder (écrivait un té-
moin oculaire), que c'est le rejeton d'une haute race
dans laquelle le luxe, la vie oisive et l'excès des jouis-
sances sont héréditaires. y>
XLII. — Après les félicitations échangées par l'am-
bassadeur de France et le commandant en chefducorps
expéditionnaire avec le haut plénipotentiaire chinois,
M. de Méritens, interprète de l'ambassade, dit au prince
que S. Exe. le baron Gros, ministre plénipotentiaire de
S. M. l'Empereur des Français le prie d'agréer ses sen-
timents de respect pour l'Empereur, son auguste frère
et pour lui-même, ainsi que l'assurance des sentiments
de paix et de conciliation qui animent son Souverain.
— Le prince Kong, sourit fort gracieusement, et, per-
dant l'expression de contrainte pénible qui par moment
contractait son visage, il ne cherche pas à cacher com-
bien il est sensible aux paroles qu'il vient d'entendre.
Son Altesse répond : « que ce désir de bon accord que
le traité de paix va sceller aujourd'hui, est au fond de
son cœur et de sa pensée la plus intime. »
Le baron Gros, entouré de ses secrétaires, est allé
ainsi que le général de Montauban, prendre place sur
une estrade réservée. Devant de longues tables dressées
pour la cérémonie, sont assis d'un côté dix à douze
mandarins à boutons de corail, personnages élevés du
318 CAMPAGNE DE CHINE.
gouvernement chinois, de l'autre, les deux généraux de
brigade, Jamin et Collineau, et les chefs de service du
corps expéditionnaire. Le thé est servi aux deux plénipo-
tentiaires et aux grands personnages de chaque nation,
puis commencent les l'ornialilés diplomatiques.
Les exemplaires du traité de paix sont échangés pour
la vérification des sceaux. — Le traité français est transcrit
sur très-beau parchemin, le traité chinois sur des ta-
blettes de bois doré, puis, le prince Kong et le baron
Gros, apposent tous deux leur signature et leur seing.
XLIIL — A ce moment, un coup de canon tiré près
le tribunal des rites, donne le signal à la batterie placée
sur les remparts de la i)ortc du Nord , et une salve de
vingt et un coups de canons salue ce solennel événe-
ment. Le prince Kong, après avoir reçu les félicitations
du baron Gros et les portraits de TEmpereur et de l'Iin-
péralrice, ainsi qu'une série des monnaies françaises,
remercie l'ambassadeur, et adresse au général de Mon-
lauban les paroles les plus flatteuses sur les hauts talents
miUtaires qu'il a déployés ; il annonce ensuite au baron
Gros qu'il ira très-prochainement lui rendre \isite, non
en prince, mais en ami. Les mandarins élevés qui en-
touienl le haut plénipotentiaire chinois, graves et pré-
occupés pendant toute la cérémonie, ne cachent pas la
satisfaction qu'ils éprouvent.
Les journées du 24 et du 25 octobre terminaient réel-
lement tous les différends entre les nations alliées et le
LIVRE III, CHAPITRE II. 319
Célesle-Empirc; elles établissaient la paix sur des bases
plus solides qu'elles ne l'eussent été l'année précédente.
A cette époque, il serait resté dans Kesprit du gouverne-
ment chinois, aveugle et insensé dans son orgueilleux
mépris pour les nations européennes, la pensée qu'il
pouvait nous opposer en rase campagne des forces in-
vincibles. — Le traité signé en 1858 se serait toujours
ressenti de cette conviction intime, et les populations de
ce vaste empire l'auraient regardé comme une faveur
inespérée du Fils du ciel envers les Barbares.
Aujourd'hui il ne peut plus en être ainsi ; ces popula-
tions sont convaincues malgré elles de noire force et de
notre supériorité. La prise des forts de Ta-kou si puis-
samment armés, le combat de Tchang-kia-ouang et la
bataille de Pa-li-kiao ont démontré au gouvernement
chinois son impuissance et grandi le prestige de nos
armes; ils ouvraient à jamais les portes de Pé-king et
jetaient la lumière sur les mystérieuses obscurités du
Céleste-Empire.
CHAPITRE IIL
XLIV. — L'expédition de Chine si glorieusement ac-
complie et si heureusement terminée, ne doit point être
320 CAMPAGNE DE CHINE.
appréciée sous le iiirme point de vue que les aiilrcs
campagnes (jui ont illustré eu fiiiniée et en Italie le règii(>
de Napoléon III.
C'est, pour nous servir de l'expression môme de l'Em-
pereur « une entreprise sans exemple. » Une poignée de
combattants perdus pour ainsi dire dans les contrées
lointaines de l'extrême Orient s'est audacieusement
lancée jusqu'au cœur même de la Chine, bravant tous
les dangers qui naissaient sous chacun de ses pas; —
livrée à elle-même, elle affronte les hasards si re-
doutables de l'inconnu, fantôme insaisissable qui peut
grandir tout à coup etl'envelopper comme dans un lin-
ceul. Une nombreuse armée et une cavalerie réputée
formidable couvrent les approches de la capitale; — les
têtes des ambassadeurs et des commandants en chef
sont mises à prix dans cette contrée sauvage où la
barbarie et la trahison dressaient chaque jour de sourdes
et lâches embûches. Rien n'arrête ces quelques milliers
d'hommes, jusqu'à ce qu'Usaient victorieusement planté
le drapeau national sur les remparts même de Pé-king.
Ce n'est pas par le nombre des morts laissés sur les
champs de bataille que peut et doit se juger une pareille
entreprise; c'est par les périls affrontés, c'est par l'éner-
gie déployée, c'est par les résultats obtenus. — Le sang
versé n'est pas souvent le dernier mot des batailles; les
plus sanglantes sont les plus douloureuses, mais ne sont
pas souvent les plus mémorables.
Un grand acte a été accompli qui restera comme un
des faits les plus surprenants de ce siècle si fécond en
LIVRE III, CHAPITRE III. 321
grandes choses. Les barrières de la Chine ont été brisées
et les drapeaux de la France et de l'Angleterre ont flotté
sur ces murailles mystérieuses qui abritaient les ennemis
les plus implacables des nations européennes ; — la civi-
lisation venait se grefïér sur la barbarie, et la croix du
Christ reparaissait sur les églises relevées. — Ces deux
grands buts poursuivis avec une noble persévérance
avaient été atteints; les ambassadeurs rapportaient des
traités de paix, les généraux en chef rapportaient des
victoires.
XLV. — Avant que l'armée française quitiât la capitale
du Céleste-Empire pour aller prendre ses quartiers d'hi-
ver à Tien-tsin il restait encore deux devoirs sacrés à
accomplir : — rendre dans le cimetière catholique de
Pé-king les derniers devoirs aux victimes de la trahison
du 18 septembre, — restaurer et consacrer l'Église ca-
tholique au sein même de la capitale, où la religion
chrétienne avait été outragée et persécutée dans ses
ministres.
Déjà le général de Montauban connaissant le profond
respect des Chinois pour les morts avait, même avant la
signature du traité de paix, fait savoir au prince Kong
qu'il demandait que les restes mortels de ses compa-
triotes morts pendant leur captivité à Pé-king, fussent
enterrés dans l'ancien cimetière français qu'un empe-
reur de la Chine avait autrefois concédé aux mission-
naires catholiques, et qui était dans l'intérieur de la ville.
Sa demande avait été aussitôt accueillie.
Il 21
322 CAMPAGNE DE CHINE.
Le 28 octobre fui le jour lixé pour celte triste cvvè-
monie à laquelle assistaient tous les prêtres catholiques
français, anglais et chinois et les généraux et officiers
des armées alliées en très-grand nombre. — Douloureux
spectacle qui raviva dans tous les cœurs la douleur pro-
fonde de ce cruel souvenir.
Les six cercueils étaient portés, chacun sur un chariot
d'artillerie recouvert d'une longue draperie noire avec
une croix blanche ; — des détachements de tous les corps,
les armes renversées, suivaient les cercueils. — Ce triste
cortège bien différent de celui qui trois jours auparavant
avait traversé Pé-king entra dans la ville par la porte
Teou-tching-men, et suivant le vaste faubourg qui s'étend
vers la droite arriva au cimetière, oti s'étaient déjà ren-
dus de leur côté le baron Gros et toute son ambassade,
ainsi que le général Ignatieff et le personnel de l'am-
bassade russe en grande tenue. Mgr Mouly, évêque de
Pé-king, officia assisté par les aumôniers français; puis
la terre recouvrit ces restes mortels auxquels le général
en chef adressa d'une voix émue un dernier adieu, en
flétrissant avec une amère indignation les traîtres qui
s'étaient rendus coupables d'un si odieux forfait. — Ce
cimetière, préservé delà dévastation, contient les tombes
des premiers évèques catholiques de Pé-king.
XLYI. — Le lendemain 29 devait avoir lieu la l'éou-
verture de l'Église catholique et la cérémonie de sa
nouvelle consécration.
Depuis plusieurs jours des soldats de l'infanterie et du
LIVRE III, CHAPITRE III. 323
génie travaillaient sous les ordres du capitaine de génie
Beziat à restaurer cette église interdite depuis trente-
cinq ans au culte catholique ; les plantes parasites, ces
hôtes inséparables de l'oubli, avaient enlacé leurs puis-
santes racines dans les pierres disjointes et couvraient
presque entièrement les murs dégradés, cachant, pour
ainsi dire, la dévastation du lieu saint sous leur épais
manteau de verdure.
Lorsque la pioche et la liache eurent déblayé l'entrée, et
que l'on put pénétrer dans l'intérieur de l'église, un triste
spectacle s'offrit aux regards. Le long des murs qui pen-
daient eux-mêmes en lambeaux dans plusieurs parties,
étaient accrochés des débris de cadres dorés dont les Chi-
nois avaient arraché les peintures saintes. — Les vitraux
brisés laissaient entrer la pluie et le vent par les fenêtres
ogivales. Quoique le dôme fût en partie effondré, on y
voyait encore des restes de peintures à fresques. L'herbe
croissait à l'intérieur comme dans un champ désert ; mais
la parole de Dieu allait de nouveau retentir dans la nef
sainte, et la religion du Christ délivrée de ses bourreaux
y retrouvait un asile inviolable. — La croix de fer qui sur-
montait autrefois le portique de l'église, et que les Chi-
nois avaient abattue, a repris la place qu'elle occupait,
pour dire à tous que le temps des persécutions est passé.
Des tentures ont été dressées le long des murailles,
afin d'en cacher la nudité et les dégradations. Ce fut une
imposante cérémonie que cette réédification du temple
saint au milieu de la terre païenne ; elle était le prix des
rudes épreuves supportées par une poignée de soldats
324 CAMPAGNE DE CHINE.
héroïques auxquels la France avait donné celle noble et
glorieuse mission.
XLYII. — Une pluie glaciale nièléc de neige qui tomlta
pendant toute la journée, indiquait que le moment était
venu pour les troupes d'aller prendre leur quartier d'hi-
ver à Tien-tsin, et le général de Montauban se prépara
à quitter Pé-king sans retard, car il craignait que les
mauvais temps ne rendissent le retour très-pénible.
OCliciellement informé par l'ambassadeur de France
de la cessation complète des hostintés(l) conformément
aux ordres de l'Empereur, le commandant en chef fran-
çais ne jugea pas à propos de prolonger plus longtemps
son séjour dans la capitale de l'empire chinois et, ainsi
qu'il l'avait annoncé déjà pendant le cours des négocia-
(1) Le baron Gros au général de Montauban.
26 octobre 1860.
Un prccès-verbal constate l'échange des ratifications. La paix étant
ainsi heureusement rétablie entre la France et la Chine, je dois, pour
me conformei aux cnrdres de l'Empereur, vous demander, au nom du
gouvernement, de faire cesser immédiatement tout acte d'hostilité
contre la Chine qui n'aurait pas un caractère essentiellement définitif.
La convention de paix, identique quant au fond, à celle que S. Exe.
l'ambassadeur d'Angleterre a signé le 24 de ce mois avec le prince de
Kong, vous fera connaître, général, les engagements qui sont obli-
gatoires pour les deux puissances contractantes et je réclamerais votre
concours pour en assurer loyalement l'exécution, si, contre toute
probabilité, il y avait lieu de le faire.
Permettez-moi, général, de me féliciter des rapports de confiance
qui ont existé entre nous et de vous complimenter de la part active
et brillante qui vous revient à si juste litre dans le succès de notre
mission commune. Baron Gros.
LIVRE 111, CHAPITRE lil. M-25
lions, il quittait le l"'" novembre son quartier général de
Pé-king avec toutes les troupes sous son commande-
ment, et se dirigeait vers Tien-tsin, Oti il arrivait après
cinq jours d'une marche très-fatigante. Il avait traversé
un pays dévasté par les pillards chinois dont les bandes
hideuses avaient suivi pas à pas les armées alliées, ra-
vageant les campagnes et les villages derrière elles.
XLVIII. — Lord Elgin avait voulu rester quelques jours
encore, malgré l'opinion du général Grant, qui appréhen-
dait aussi avec raison d'être pris par les mauvais temps
avant l'arrivée de ses troupes aux points fixés pour leur
hivernage ; mais le haut plénipotentiaire de S. M.Britan-
nique tenait à prolonger son séjour jusqu'au moment
où la paix serait promulguée par l'empereur de la Chine.
Selon lui rien jusque-là n'était réellement terminé, et le
traité signé à Pé-king pouvait devenir illusoire comme
celui de Tien-tsin. — Était-ce bien là le véritable motif
de son séjour? le baron Gros ne pensait pas qu'il fût né-
cessaire d'attendre cette promulgation; mais il crut ne
pas devoir quitter un terrain que n'abandonnait i)as en-
core son collègue; il resta donc, et en informant le
général en chef français de ce retard imprévu, il le piia
de lui laisser un bataillon, ce que s'empressa de faire
le général de Montauban, qui joignit à ce bataillon deux
pièces d'artillerie.
XLIX. — Quelques jours après l'arrivée du corps ex-
péditionnaire français à Tien-tsin, deux ofticicrs et un
326 CAMPAGNE DE CHINE.
sous-officier s'embarquaient pour la France, cliargés de
porter à l'Empereur, au nom de la petite armée de
Chine, les objets d'art trouvés dans le palais impérial de
Yuen-mun-yuen et qui étaient destinés à Sa Majesté.
Ces trois délégués étaient le chef d'escadron d'élat-major
Campcnon, le lieutenant d'infanterie Bourcart, du 101% et
le maréchal des logis de Braux d'Anglure, du 8« chas-
seurs. Le général de Monta uban, dans la lettre qu'il adres-
sait à ce sujet au ministre de la guerre, priait Son Excel-
lence de vouloir bien présenter à Sa Majesté les trois
personnes qui avaient été l'objet d'un choix si honorable.
Le même jour, le lieutenant de vaisseau de Pina, offi-
cier d'ordonnance du général en cbef, s'embarquait
aussi sur le môme bâtiment , chargé de remettre au
ministre de la guerre une cassette trouvée également
au palais d'Été, et qui contenait les différents traités
conclus avec l'empereur de Chine, papiers qui pouvaient
être pour la diplomatie européenne du plus haut inté-
rêt, car ils établissaient nettement quels étaient les rap-
ports commerciaux et politiques de la Chine avec les
autres nations.
M. de Pina, que le commandant en chef avait désigné
pour celte mission, avait été gravement blessé en fran-
chissant, le premier, les murs du palais impérial.
L. — Le 22 novembre , le général de Montauban
quittait Tien-tsin, laissant le commandement supérieur
des troupes dans celte ville au général Collineau, officier
ilu plus haut iiiéiite, (|iii joignait à une bravoure écla-
LIVRE III, CHAPITRE III. 327
tante une haute intelligence militaire. — Hélas ! l'armée
devait bientôt perdre ce brillant et énergique soldat
si miraculeusement échappé aux boulets de Sébasto-
pol. — Et ce n'était pas sur un cbamp de bataille qu'il
devait mourir en combattant les ennemis de la France!
Envoyé, quelques mois plus tard, en Cochinchine, il
succombait frappé par ce climat si fatal à nous autres
Européens. — Grande perte pour l'armée qui avait su si
justement apprécier les nobles qualités du chef qu'elle
perdait (1).
Le général de Montauban se rendit à Tché-ou, et vi-
sita le petit camp qu'il y avait laissé, lorsque le corps
expéditionnaire s'était dirigé vers le nord. Toutes les
montagnes étaient déjà couvertes de neige et le froid
très-intense. Mais le général de Montauban regardait
Tché-ou comme une station trop importante pour l'a-
bandonner entièrement; il y maintint donc 250 liommes,
formant ainsi un poste intermédiaire suffisant entre
Shang-hai et Tien-tsin, avec lequel, sous peu, la congé-
lation des eaux du Peï ho ne permettrait plus de com-
munication que par la voie de terre.
LI. — Avant de se rendre à Shang-hai, le général en
chef français se trouvant à quarante-huit heures de
(t) Le général Collineau restait à Tien-tsin avec le 101'' régiment
de ligne, un bataillon du 102"; deux batteries d'arlillerie et une com-
pagnie du génie , près de trois mille bommes.
Le reste des troupes s'embarqua pour Shang-hai qu'elles atlei-
Koaient le 12 décembre.
328 CAMPAGNE «E CHINE.
Nankasaki, résolut d'aller visiter ce port japonais, où
il entra sur le Forbin, après avoir traversé un bosphorc
aussi splendide que celui de Constantinople.
Ne pouvant se rendre à Yeddo, le général de Mon-
tauban tenta d'aller à Ozakia , dnns la mer intérieure.
« On navigue (écrivait-il à celte époque), dans une suc-
cession de cinq à six lacs bordés de montagnes du plus
riant aspect et couvertes d'arbustes auxquels le temps a
donné une grandeur et une grosseur prodigieuses, por-
tant, ceux-ci un feuillage vert , ceux-là des fleurs de
toute sorte. — Au pied de ces montagnes, des villes et
des villages se succèdent sans interruption; dans les
ports se pressent des jonques de toutes formes et de
toutes couleurs; la mer intérieure est, du reste, remplie
de jonques de commerce et de bateaux de pêcbeurs,
le poisson étant la principale nourriture des habitants.
— Les maisons sont entourées de jardins; ces jardins
regorgent d'orangers chargés de fruits, de bananiers et
présentent celte végétation luxuriante qui appartient à
ces riches et fertiles contrées. »
Après trois jours de marche à travers ces bassins suc-
cessifs, le Forbin arriva devant Ozakia, niais seulement
en grande rade , les bâtiments d'un fort tirant d'eau ne
pouvant approcher de terre.
Vainement le général, qui tenait à conserver son in-
cognito, demanda l'autorisation de visiter la ville. Après
vingt-quatre heures d'attente et de réponses ambiguës,
comprenant que cette autorisation ne lui serait pas
accordée, il donna l'ordre de retourner àNangasaki,
LIVRE III, CHAPITRE 111. 329
après avoir, à l'aide de la longue-vue, jeté un regard
attentif sur cette ville d'un très-grand développement et
qu'aucun Européen n'a pu encore visiter jusqu'à ce jour.
LU. — A Nangazaki, le g'énéral de Montauban trouva
l'amiral Page.
L'amiral se rendait à Yeddo avec deux bâtiments de
guerre, sur la demande du consul de France, M. de Bel-
lecourt, qui n'avait pu obtenir du gouvernement japo-
nais satisfaction d'un attentat commis contre un de ses
agents, à la porte même du consulat. — Le lendemain,
le contre-amiral anglais Jones arrivait, de son côté, avec
trois bâtiments de guerre, pour montrer aussi dans les
mers du Japon le drapeau de l'Angleterre. — Bientôt
l'amiral Protêt vint les rejoindre avec deux autres bâti-
ments, ce qui portait, y compris le Forbin, au nombre
de cinq, les bâtiments de guerre français qui se trou-
vaient ainsi réunis dans le port de Nangasaki.
Le 16, au soir, le général de Montauban était de re-
tour à Sliang-bai. — Les troupes qui devaient hiverner
dans cette ville étaient arrivées du Pcï ho le 12 du même
mois, mais le débarquement, contrarié par l'état de la
mer, n'était pas terminé.
Le retour du corps expéditionnaire à Shang-hai n'é-
tait pas sans importance, car les rebelles, rendus chaque
jour plus audacieux par la crainte qu'ils inspiraient au
gouvernement chinois et par son impuissance à les
combattre, menaçaient toujours d'envahir les établisse-
ments euiopécns.
330 CAMPAGNE DE CHINE.
LUI. — A tort on à raison, car il ne nous appartient
pas de discuter cette question, on croyait généralement
à Shang-hai que les Anglais eussent vu sans regret le
renversement de la dynastie actuelle et, par suite peut-
être, le partage de l'empire et la création d'un royaume
du Sud sous leur patronage. On donnait pour preuve
de cette assertion la résistance que les chefs anglais
avaient toujours opposée lorsqu'il s'était agi de marcher
sérieusement contre ces handes dévastatrices, toutes les
fois qu'il en avait été question, pour la sécurité des in-
térêts européens à Shang-hai; et cependant, les Anglais
étaient les plus intéressés à la reprise des affaires et du
commerce entièrement ruiné dans le Yang-tse-kiang
par la juste terreur que la réhellion croissante inspire
aux populations paisihles.
Si nous enregistrons ces hruits, qu'avait accrédités
l'attitude de lord Elgin en diverses circonstances, nous
ne voulons pas entrer dans le vif de cette question, qui
nous entraînerait sur un terrain d'appréciation politique
en dehors du cadre de ce travail. — L'Angleterre, la
nation la plus avide de. l'extension de son commerce
extérieur, comprenait bien ce qu'elle pourrait gagner
à une révolution dont les résultats immédiats pour elle
seraient d'importantes concessions. La pohiique des
nations a des profondeurs secrètes qu'il ne faut pas
fouiller; elle sème dans le présent pour récolter dans
l'avenir, et marche vers un but que l'on peut pressen-
tir; ce but est placé, pour les uns, dans les régions éle-
vées d'un grand iiitéièt généi'al, poia- les autres dans
LIVRE III, CHAPITRE III. 331
le domaine étroit mais plus lucratif de l'intérêt per-
sonnel.
LIV. — « Aujourd'hui (écrivait le général de Montauban
au ministre de la guerre), la question me paraît complè-
tement vidée pour nous, mais malheureusement eUe
ne l'est pas pour le gouvernement chinois, et je crains
bien que nous ayons traité avec l'ombre d'un pouvoir
qui se débat sous les étreintes de l'agonie. — Plus on
voit de près les rouages qui dirigent cette triste admi-
nistration , plus on est convaincu qu'il faut une grande
secousse pour faire sortir de son sommeil léthargique
cet immense corps que l'on appelle l'empire chinois.
La cupidité des mandarins , la vénalité des emplois,
l'extrême misère du peuple, dont plusieurs petits rois
tartares s'arrachent les dépouilles , sont autant de
causes de la dissolution qui marche à grands pas vers
la ruine entière de la domination tartare; mais, d'un
autre côté, l'ignorance dans laquelle reste plongé ce
peuple, son amour du travail et son respect profond de
l'autorité souveraine, qu'il considère comme la puis-
sance paternelle, sont autant de causes qui pourront
retarder pendant quelque temps encore la catastrophe. »
Du reste, le gouvernement chinois comprenait bien
que, de toutes les nations qui avaient traité avec lui , la
|)lus désintéressée étart la France. — Avant le départ du
général de Montauban, Mgr Mouly, évêquedePé-king,
avait reçu du prince Kong diverses ouvertures tendant
à savoir si le général consentirait à lui prêter le secours
332 CAMPAGNE DE CHINE.
de ses troupes pour reprendre aux rebelles Younfi-
Cheou et Nan-kin. — Le général avait répondu que cette
décision était du ressort de la politique, et que le baron
Gros, chargé des instructions de l'Empereur, pouvait
seul se prononcer sur la possibilité d'une semblable
intervention.
L'avenir dira ce qui doit advenir de cet immense em-
pire livré au désordre et à l'anarchie, et que cherche à
relever de ses ruines par des mesures énergiques le
nouveau souverain qui vient de monter sur le trône de
la Chine.
Oj^^C
GOCHINGHINE
LIVRE IV.
COCHINCHINE.
I. — Si nos différends avec Iti Chine étaient enfin ter-
minés, il n'en était pas de même pour le royaume
annamite avec lequel toutes les tentatives de conciliation
étaient restées infructueuses.
Il était difficile d'assigner un terme à l'action mili-
taire dirigée dans ces parages lointains , cet état de
choses préoccupait vivement le gouvernement de l'Em-
pereur; le général de Montauban , à peine arrivé à
Shang-hai avait reçu à ce sujet deux lettres confiden-
tielles du ministre de la guerre.
La question pendante avec le gouvernement annamite
regardant spécialement la marine, S. Exe. le ministre
engageait le général de Montauban à s'entendre avec le
vice-amiral Charner pour seconder ses projets d'expé-
dition, autant qu'il lui serait possible.
Le général s'empressa de demander à l'amiral Char-
ner quels seraient les renforts que l'armée de terre
pourrait être appelée à lui fournir pour les opérations,
336 CAMPAGNE DE COCIIINCHINE.
que sans nul doute , il nu'-clitait contre les Cochinchi-
nois. Déjà le 3' régiment de marine placé momonlané-
menl sous les ordres du général de Montauban pendant
l'expédition de Chine, était rentré sous les ordres de
l'amiral.
Sur sa demande, mille hommes d'infanterie, 4 pièces
de 12, une 1/2 batterie de 4, ainsi qu'une 1/2 batterie
de montagne , 1 section du génie , 1 section d'ambu-
lance et quelques carabiniers furent mis à sa disposi-
tion. Le ])ut de l'amiral était de consolider nos points
d'occupation en Cochinchine en faisant attaquer vigou-
reusement les bandes anamites, chaque fois qu'elles se
présentaient à portée de ses campements ou même dans
les pays environnants.
Le général de Montauban , d'un autre côté, organisait
ses campements d'hiver à Shang-hai, i! prenait des me-
sures pour garantir contre toutes les éventualités les pos-
sessions européennes dans cette province.
En Chine , l'hiver s'écoula tranquillement , et les
troupes hivernées à Shang-hai n'eurent à repousser au-
cune tentative sérieuse des rebelles. Quelques coups de
fusil étaient seulement échangés de temps à autre avec
les rôdeurs et les pillards de profession.
Il n'en était pas de môme en Cochinchine, — et si le
petit corps expéditionnaire n'avait pas d'engagement
sérieux avec les Annamites, les influences fatales du cli-
mat faisaient de nombreuses victimes. Chaque mois
enregistrait des pertes sensibles rendues plus doulou-
reuses encore par la difficulté de combler les vides pro-
LIVRE IV. 337
duits dans les effectifs. Parmi les pins cruelles, il fuut
placer celle du général Gollineau.
Le 21 avril 1861, le général de Mautauban se dirigeait
sur Saigon, oi^i il devait s'entendre avec l'amiral Ghar-
ner pour l'occupation définitive de la Gochinchine. Avant
de partir , il remettait au général Jamin le commande-
ment des troupes ; ce général devait en recevoir le com-
mandement en chef, si l'état de guerre qui subsistait
toujours avec le royaume annamite permettait au géné-
ral de Montauban de retourner en France. — Gelui-ci
pensait, ainsi que l'amiral Gharner, que les succès par-
tiels de nos armes en Gochinchine ne pourraient pas
amener de résultats réels tant que nous ne serions pas
maîtres de la capitale ; et il était impossible, avec les
moyens restreints dont on disposait, de tenter une ex-
pédition sérieuse contre Hué.
Déjà, dans la première partie de ce travail, nous nous
sommes étendus sur les difficultés qu'avait rencontrées
l'amiral R. de Genouilly dans sa première expédition
en Gochinchine en 1858. Nous avons suivi pas à pas
nos navires do Ganton à Tourane , et de Tourane à
Saigon où notre flotte, après s'être emparée de tous les
forts qui défendaient la rivière détruisait cette citadelle
importante. — La position était encore à peu près la
même. — Seulement, à Saigon, l'amiral Gharner av;iit
élargi le cercle de notre occupation; mais sous la pres-
sion desagents secrets des hautes autorités annamites, le
vide se faisait toujours autour de nous, et partout où
nous paraissions, les populations s'enfuyaient, nous lais-
II 22
338 CAMPAGNE DE COGHINCHINE.
sanl des habitations aliandonnôes et des villages déserts.
— A|>rès cliaquc revers nouveau, l'arinJc ennemie, évi-
tant tout combat sérieux, se montrait par bandes sé-
parées qui laliguaient nos troupes par des courses per-
pétuelles et disparaissaient ensuite comme des fantômes,
à l'heure du combat. — Cet état de choses devait durer
longtemps encore.
Le général de Montauban s'embarqua pour retourner
en France.— Une partie des troupes qui avaient été pla-
cées sous son commandement avaient reçu l'ordre de
rappel.
Nous n'entreprendrons pas ici de raconter les faits
d'armes éclatants qui illustrèrent notre marine de Co-
chinchine , sous le commandement du vice -amiral
Charner et ensuite sous celui du contre-amiral Bonnard,
que l'Empereur, juste appréciateur des services rendus
au pays vient d'élever au grade de vice-amiral.
Faire un résumé rapide et succinct de ces opérations
importantes, ce serait en méconnaître la haute portée.
Les sanglantes affaires de Ki-hou et de Mitlio méritent
d'être retracées dans tous leurs détails et de prendre rang
parmi les faits glorieux qui enrichissent nos annales
maritimes. — Les résultats en ont été grands et riches.
Aujourd'hui , l'armée régulière annamite du nord est
détruite, — les forces de ce pays sont dispersées. La
France continue et organise sa conquête, et elle fera
sentir aux Gochinchinois le poids de ses armes jusqu'au
jour où ce gouvernement aveugle et insensé comme le
LIVRE IV. 339
fut celui de la Chine, ne se reCasera plus aux justes
demandes qui lui sont adressées et au traité de paix qui
lui est offert.
Nous marchons vers une solution prochaine. Cette
longue expédition si vigoureusement et si victorieuse-
ment poursuivie, est digne par la pensée qui l'a inspirée
et par les résultats obtenus d'une histoire séparée : cette
histoire, nous allons l'écrire, heureux d'enregistrer une
fois de plus la part brillante que la marine conquiert si
noblement chaque jour dans nos fastes militaires.
FIN DE LA DEUXIEME ET DERNIERE PARTIE.
PIEGES JUSTIFICATIVES
PIÈGES JUSTIFICATIVES.
Composition du Corps Expéditionnaire français
en Chine.
1° ARMËE DE TERRE.
Commandant en chef/
les forcesde terre et cousin de Montauban, général dedivision.
de mer de 1 expedi- j
tion V
, . , , . rc / Deschiens, chef d'escadron d'état-maior.
Aides de camp et oifi- l r, „ •,,- -. • ,, , . •
,, V \ De Bouille, capilame d elat-maior.
ciers d ordonnanceur^ lieutenant de vaisseau.
du gênerai comman-K^^^j^ ^^ Montauban, capitaine de ca-
^^"tenchef ^^,^^.g_
ETAT-MAJOR GENERAL.
Chef d'état-major gén. Schmitz, lieutenant-colonel d'état-major.
Command. de l'artill.. De Bentzmann, colonel d'artillerie.
.. j ' • 1 Dupré-Deroulède, lieutenant-colonel du
Id. du génie.. . , ■
° génie.
344 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Chef des services adm.!^"^"^', so"S-i"le"dant militaire de
I l""* classe.
Prévôt Janisset, capitaine de gendarmerie.
/'Dupin, lieutenant-colonel chef du service
topographique.
Camponon, chef d'escadron adjoint au
chef d'état-major général.
I Foerstcr, capilain? adjoint au lieutenant-
Officiers attachés à l'é-J colonel Dupin.
tal-major général.. . jDe Cools, capitaine attaché à l'étal-ma-
i jor général.
I Chanoine, Ciipitaine attaché à l'état-ma-
f jor général.
\ Dabry, capitaine d'infanterie attaché à
l'état-major général.
/Foullon-Grandchamp?, lieulonant-colonel
commandant les batleiies montées.
Gary, chef d'escadron, chofd'élat-major.
Pelitpied, chef d'escadron,- commandant
la 2' batterie.
[Crouzat, chef d'escadron, commandant
la 2*= batterie.
Ollicieis d'artillerie at- ]Dorn,chef d'escadron, directeur du parc,
lâchés à rétal-major<^""«^''^- ^'''(''^"'"^'"^^'"^^^^'''^'^''■"'^J^''-
général Dcsmarquais, - -
jDe Brives, — —
iTardifdeMoidrey, — —
'Charon, — —
Cattoir, — —
Schœlcher, — —
Caillant, — —
Marlimor, — —
.Gusman, — —
Officiers du génie atta-, Dupouet, chef de bataillon,
chés à l'étal -major Allizé de Matignicourt, capitaine,
général \ Béziat, —
Blondeau , sous-inlondant militaire de
i 2' classe.
, . , .,., . 'Rodet, adjoint à l'intendance militaire
Intendance mnitaire.. . , ' ,'
i de 2' classe.
'Bonnamy, adjoint à l'intendance mili-
^ taire de 2« classe.
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 345
„ . ... \ L abbe Iresaro, aumônier supérieur.
Service relieieu.x i^, ,. , , g - . . a- ■ ,
* j L abbe de Serre, aumônier adjoint.
, , , .,, (Faure, lieutenant, attaché à la force nu-
Service de la prevote. J Ki-nip
pe BRIGADE D'INFANTERIE.
,, , . \ Jamin, général de bria;ade, commandant
Commandant { , ■ - i-.-
( en second le corps expéditionnaire.
Aide de camp Laveuve, capitaine d'état-major.
, . j ^'iGuillotde la Poterie, chef de bataillon,
seurs a pied ( '
,-. , . . , ,■ \ Poueet, colonel.
101<= régiment de ligne. •^ ^, ,■ , , i i
° * I Olurer, lieutenant-colonel.
7*^ compagnie du l^ba-/
taillon du 1" régi- 1 Thomas, capitaine en 1«''.
ment du génie V
'i'^ compagnie du 1" ba-(
taillon du 3* régi- < Bovet, capitaine en 1«''.
ment du eénie (
2« BRIGADE D'INFANTERIE.
Commandant CoUineau, général de brigade.
Aide de camp D'Hendecourt, capitaine d'état-major.
102" régiment d'infan-( „,., ,. , ,
, ■ -, y OMalley, colonel,
terie de ligne (. •"
Régiment d'infanterie \ r> ,r ■ i .
, . {De Vassoigne, colonel.
de marine j ^ '
' Schnéegans, capitaine à la lie compagnie
du 6" régiment.
iBernadet, capitaine à la lO^conipagniedu
I 7e régiment.
Détachement d'artil-i Dispot, capitaine à la 1" compagnie du
lerie \ 8"^ régiment.
Marie, capitaine à la P^ compagnie du
9° régiment.
Maugère, capitaine à la 3* compagnie du
10* réiiiment.
346 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
ARTILLERIE.
Commandant De Bentzmann, colonel.
ySchnéegans, chef d'escadron, chef d'é-
/ tat- major.
1 Lagardène, chef d'escadron.
l De Brives, capitaine en 1^'.
iCattoir, capitaine en 2^,
jSchœlder, —
Adjoints à l'état-major. \ Gusman, —
jFuzier, médecin.
Schreiner, —
'Raveret, vétérinaire.
Chaumont, —
Kittstein, garde d'artillerie.
\Pichat, —
9' comp. du 14«rég.. . Dispot, capitaine commandant.
, ,, , \ Âmandrie du Chauffant, capitaine com-
lOecomp. duUereg.j ^,,^^^^^^
Q^comp. du 16' rég.. . Bernardet, capitaine commandant.
lOe comp. du 15e rég. Koalpont le Bescond, capitaine comman-
I u3.ni.
PARC d'artillerie.
Directeur du parc Dorn, lieutenant-colonel.
Chef d'état-major Desmarquais, chef d'escadron.
Sous-directeur Gaillar de Blairville, —
/Guérin, capitaine en 2«.
Morvan, —
Donop, —
De Geoffre de Chabrignac.
Mathieu, sous-lieutenant.
ICerf, —
JArnold, garde d'artillerie.
JGrau.xprin, —
..... y Hameaux, gardien de batterie.
Adjoints au parc <Vonaux, chef actif.
Marcadé, —
jFrançois, chef ouvrier d'État,
fSchauf, ouvrier d'État.
Souplet, —
Chrétien, —
Ringeisen, —
Tardif de Moidrey, capitaine en 1'^'
vChorin. lieutenant en 1er.
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 347
Détachements de pon- ( .
tonniers j^Clairac, lieutenant en l""-, commandant.
Armuriers Ganier, capitaine en 2^, commandant.
Ouvriers Vien, lieutenant en 2% commandant.
12e comp. du 6« pon-i^'^^^"' dit Berton, capitaine en 2e, com-
t«;,„,-«-o \ mandant,
tonniers 1 ,-• i. i-
i Michaux, sous-Iieutenant, commandant.
ge batterie du 2e régi- ( Delaroze, capitaine en 2^, commandant.
ment fuséens ( Carrier, sous-lieutenant, commandant.
Adjoint au parc Pouget, ouvrier d'État.
CAVALERIE.
Reboul, chef d'escadron hors cadres, attaché à l'état-major de
l'armée anglaise en Chine ;
Cousin de Montauban, capitaine au 5^ de lanciers, officier d'or-
donnance du général en chef;
Mocquard, capitaine au 3^ de spahis, commandant la cavalerie ;
De Damas, lieutenant au 2e de chasseurs d'Afrique ;
Destremont, sous-lieutenant au 7e de chasseurs;
De Néverlée, sous-lieutenant au l^r de cuirassiers ;
Mohamed-Ould-Caïd-Osman, sous-lieutenant au 2e de spahis.
INTENDANCE ET SERVICES ADMINISTRATIFS.
Dubut, intendant militaire de l'e classe ;
Blondeau, sous-intendant de 1'^ classe, chef des services admi-
nistratifs ;
Rodet, sous-intendant de 2e classe ;
Bonnamy, adjoint de !''« classe;
Perrier, — —
Galler, sous-intendant de 2^ classe, attaché au dépôt de con-
valescents à l'île de la Réunion.
BUREAUX DE l'iNTENDANCE.
Lejeune, officier d'administration de 2e classe;
Pascot de Lalouche, officier d'administration de 2e classe ;
Policard, adjudant d'administration de l'e classe;
Michelin, — —
Bovier, — 2*
Vacherie, — —
Tutrice, — —
Bielle, — —
348
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
DEPOT DE CONVALESCENTS A LA REUNION.
Scheube, adjudant d'administration de l''^ classe ;
Topart, — 2e
SERVICE DES SUBSISTANCES MILITAIRES.
Gagey, officier d'administra-
tion, principal ;
Mongenot, ofticier comptable ;
Robert, — —
Caren, — —
Lapeyre, — —
Huguet, — —
Daurelle, — —
Laussu, adjudant d'adminis.;
Guerriéri, — —
Bréart, — —
Marcilèse, — —
Bré, - -
Landcau, — —
Grosbonnet, —
Bain, — —
SERVICE D HABILLEMENT.
Démange, oftic. d'adm. en V^ ;
Montait!, — —
la Crampe. —
Kliiber, — —
Barate, — -2'
Michel, — —
Richard, offic. d'adm. en 2* ;
Laillault, — —
Masson, — —
HoUer, - —
Mégès, sous-officier stagiaire;
Gérard, — —
SERVICE DU CAMPEMENT.
Ader, officier comptable de
l""" classe.
Rousselot, officier comptable
de 2" classe.
Malaret, officier comptable de
2" classe.
Laforest de Minotty, adju-
dant en P"';
Marguet, adjudant en l^'- ;
Clément, — —
Barthélémy, — —
SERVICE MEDICAL DE L ARMEE.
Guiliano dit Castano, méde-
cin en chef du corps expé-
ditionnaire;
Guerrier, médecin i.riiicipal
'le 2" classe ;
Didiot, méd. princ. de 2' cl.;
Strauss, méd. major l""®
Larivière, — —
France, — —
.Armand. — —
PIÈCES JUSTIFICATIVES,
349
Champenois, —
—
Libermann, ~
Béchade, —
—
Girard, — 2^
Labouysse, —
—
Matliis, — —
Dufour, -
2"
Bourot, - —
Dexpers dit Faudoas,
—
Tardy, — —
Mouret, —
—
Fée, — —
LespiaU; —
—
Jean, — —
Grounier. —
—
Lapeyre, pharmacien en chef
Dezon, —
—
du corps expéditionnaire.
Viscaro, —
—
Ollivier, pharmacien major
Hattule, —
—
de 2' classe ;
Lasnier, —
—
Felsch,phar. aide-maj. l'ecl.;
Alezais, —
—
Debeaux, — —
Fouquet, méd. aide-maj
.1-cl.
Strohi, — —
Azaïs, —
—
Berquier, — —
Maître —
—
Judicis, — 2*
Frilley, -
—
Tête-Doux, - -
SERVICE DE LA TRESORERIE ET DES POSTES.
Lelibon,inspect. desfinances.
Laffage, payeur en chef.
Carré, payeur principal.
Dudillot, payeur particulier.
Pochon, —
Béchu, payeur-adjoint.
Bruzard, —
Maignan-Champromain,
Goubeaux,
Saillard, —
De Vaissière, payeur-adjoint.
Brincourt, ■ —
Camproger, —
Laporte, —
Etienne. —
Vallette Lagavinie, —
Jannet, —
De Courcy, —
Vallin, -
2» MARINE.
ETAT-MAJOR GENERAL.
Commandant en chef.. Charner, vice-amiral.
Chef d'état-major Laffon-Ladébat, capitaine de vaisseau.
.... l Duquilio, capitaine de vaisseau.
Aides de camp j jg^^.^^^ lieutenant de vaisseau.
Officier d'ordonnance.. Danyean, lieutenant de vaisseau.
Chirurgien principal. . Laure.
350
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Aumônier supérieur de), , ... t.- j
l'escadre. JLabbe Riccardy.
Secrétaire de l'amiral. Legrix, aide-commissaire.
iGarnier, aspirant de l""» classe.
Piquet, aspirant de 2' classe.
Frostin, —
Secrétaire du chef d'é-f Duchesne deBellecourt, commis de ma-
tat-major [ rine.
/De Lapelin, capitaine de vaisseau, com-
; mandant.
y De Surville, capitaine de vaisseau, se-
^ cond.
Impératrice-Eugénie.. . , Harel, lieutenant de vaisseau deU^classe.
J Senez, lieutenant de vaisseau de 2' classe.
f De Geoffroy du Rouret, lieutenant de
vaisseau de 2'' classe.
Fallu, lieutenant de vaisseau de 2^ classe.
/Page, contre-amiral.
Favin-Lévèque, capitaine de vaisseau,
commandant.
Regreny , lieutenant de vaisseau, second .
Ducrest de Villeneuve , lieutenant de
Renommée ' vaisseau.
Lebrelon de Rauregat, lieutenant de
vaisseau.
Faton, lieutenant de vaisseau.
\ Dehan de Staplaade, lieutenant de vais-
^ ssau.
/Protêt, contre-amiral.
/ Bouchct-Rivière, lieutenant de vaisseau,
l aide de camp.
1 AUain Dupré. enseigne de vaisseau, aide
Drijade ^ de camp.
I Béval de Sédaignes, capitaine de frégate,
commandant.
Panon du Haziès, lieutenant de vaisseau.
\ second.
I Faucon, capitaine de vaisseau, com-
mandant.
Peirei, lieutenant de vaisseau, second.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 351
ITricaut, capitaine de vaisseau, comman-
dant.
Amet, lieutenant devaisseau de Reclasse,
' ' "^ \ second.
iClavecie, lieutenant de vaisseau de
[ 2«^ classe.
'De Ksanson, capitaine de frégate, com-
mandant.
.Coutelleng, lieutenant de vaisseau, se-
Duperré / cond.
D'André, —
Carrade, —
O'Neill, -
' Coupvent-Desbois, capitaine de vaisseau,
commandant.
Durance .^De Tanouarn, capitaine de frégate.
Roquebert, lieutenant de vaisseau.
Bouvier, —
/ Thoyon, capitaine de vaisseau, comman-
Gironde L/f^',- . ■
j Nielly, lieutenant de vaisseau, second.
^Olivier, —
/Bourgeois, capitaine de vaisseau, com-
Kien-chan mandant.
\ Neveu d'Aiguebelle, lieutenant de vais-
( seau, second.
iJauréguiberry, capitaine de vaisseau,
commandant.
Keraval, lieutenant de vaisseau, second.
i Riche, capitaine defrégate, commandant.
Boyer-Resses, lieutenant de vaisseau,
second.
iDevaux, capitaine de frégate, comman -
dant.
Vergne, lieutenant de vaisseau, second.
(Lefrapper, capitaine de frégate com-
European < mandant.
iLejeune, lieutenant de vaisseau.
IMorier, capitaine de frégate, comman-
dant.
Baron, lieutenant de vaisseau, second.
352 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Î Piolet, capitaine, de frégate, comman-
dant,
Delassaux, lieutenant de vaisseau, se-
cond.
Galache,lieutenanldevaisseaux, second.
ILibandière, capitaine do frégate, com-
mandant.
Reveillièrc, lieutenant de vaisseau.
, ( Leps, capitaine de frégate, commandanl.
I Begrand, lieutenant de vaisseau, second.
IDe Jouslard, capitaine de frégate, com-
mandant.
Bernard, lieutenant de vaisseau, second.
' De Freycinet, capitaine de frégate, com-
Alarne mandant.
(Lefort, lieutenant de vaisseau, second.
, . ( Barry, capitaine de frégate commandant.
Neniests > Villers, lieutenant de vaisseau second.
1 Durand, capitaine de frégate, comman-
dant.
Rebel, lieutenant de vaisseau, second.
/-Comte d'IIarcourt, capitaine de frégate,
Persévérante | commandant.
(jonnard, lieutenant de vaisseau, second.
i Picard, capitaine de frégate, comman-
dant.
X..., lieutenant de vaisseau, second.
iAiguier, capitaine de frégate, comman-
dant.
Guys, lieutenant de vaisseau, second.
i Picard (Esp.), capitaine de frégate, com-
mandant.
Prouhet, lieutenant de vaisseau, second.
Massillon, capitaine do frégate, comman-
l dant.
1 Fournier-Lerov, lieutenant de vaisseau.
Vengeance ^^^^^^^ -
f Lamothe-Tenet, —
Sanglier. —
Y Cleret-Langavant, capitaine de frégate.
^^^ [Roux, lieutenant de vaisseau, second.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. . 353
ILiscoat, capitaine de frégate, comman-
dant.
Fournier, lieutenant de vaisseau, second.
ISauze, lieutenant de vaisseau, comman-
dant.
Tourneur, enseigne de vaisseau, second.
, , \ Garagnoii, lieutenant de vaisseau, com-
Andromaqae j j^g^dant.
, , , (Ilulot d'Ozery, lieutenant de vaisseau,
^^^^«^«"^''^ i commandant.
^ ( Galey, lieutenant de vai;seau, coniman-
I>r<^9onne | ^^^j
/'Butel, lieutenant de vaisseau, comman-
Forte ' ^'^^"''
j Mac-Dermolt, lieutenant de vaisseau.
'vObry. -
_, , \ Bailly, lieutenant de vaisseau, comman-
P"'"' 1 dant.
(Duval, lieutenant de vaisseau, comman-
Milraille | ^^^^
„ , j Aubaret, lieutenant de vaisseau, corn-
^'"'■9^"* ) mandant.
P , l De Vautré, lieutenant de vaisseau, com-
( mandant.
CANONNIÈRF. 12 De Saisset, lieut. de vaisseau, comm.
— 13 Des Varannes — —
— 15 Kenny, — —
— 16.... Béhie, — -
— 18 Peron, — —
— 22 Salmon, — —
— 26 Turin, — —
— 27 Dol, — -
— 31 Monduit-Duplessis, — —
,, ( Lespès, lieutenant de vaisseau, corn-
Norzagaraye | ^^^^^^^^^
J .. j Franquet, lieutenant de vaisseau, com-
" j mandant.
„ .. , ( Riennier, lieutenant de vaisseau, com-
Pei-no { 1 .
( mandant.
e •■ i De Vautré, lieutenant de vaisseau, com-
Saïqon { , '
I mandant.
II 23
354 PIÈCES JUSTIFIGATIVPS.
^. , \ Nielly, lieutenant de vaisseau, comman-
^*^"-^''«" j riant.
Alloiii-I'rah. Noël, enseignede vaisseau, commandant.
,,, iBaux, lieutenant de vaisseau, comman-
Deroulede { -, .
[ dant.
_ ,. k De la Motte-Rou2;e, enseigne de vais-
'' I seau, commandant.
j De la Motle-Rouge, enseigne de vais-
^^ ^^^^ ( seau, commandant.
„. , .. iCarvès, enseigne de vaisseau, comman-
Shang-hat j ^^^^
Contest X..., enseignede vaisseau, commandant.
aisseau,
_ ., (De Montebello, enseigne de v
P'^fon... j commandant.
Hong-Kong . . . , <
De Montpézat, enseigne de vaisseau,
commandant.
Il
Rapport du {général ilc Illontaiiban. <-oi)iniandaiit en
chef les troupes fran^'aises en Chine, à S. l'.xc. le
ministre fie la guerre.
Quartier général de Sin-ho, 18 noût ISfiO.
Monsieur le maréclial,
J'ai riionneur de vous adresser le compte rendu suivant
des opérations de la journée du 14 août :
L'armée alliée, sortie de Peh-tang le 12, après avoir
repoussé devant elle la cavalerie de l'ennemi et chassé
son infanterie des positions retranchées qu'elle occupait
autour de Sin-ho, s'était installée le même soir autour de
cevillane situé en amont de toutes les défenses de la rive
gauche du Peï-ho.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 355
Le même jour, une reconnaissance faite sur une chaus-
sée qui partait de Sin-ho, m'avait appris l'existence, à
environ 5 kilomètres en aval, d'un camp retranché consi-
dérable, situé autour du village de Tang-kou, et défendu
d'une façon sérieuse tant par des obstacles naturels que
par des forces d'infanterie et d'artillerie.
Ce camp, qui s'appuyait au Peï-ho, n'était accessible
pour nous que par deux débouchés : l'un d'eux était cette
chaussée suivie le 12, et dont les deux côtés, noyés par
des lagunes, ne permettaient aucun déploiement d'artil-
lerie ou d'infanterie ; l'autre débouché, qui fut adopté par
le général en chef anglais et par moi pour notre ligne
principale et commune d'opérations, était la rive gauche
même du Peï-ho. Ce terrain était coupé par de nombreux
canaux présentant à notre marche des difficultés qui fu-
rent vaincues, grâce au concours toujours zélé et intel-
ligent du génie, de l'artillerie et des pontonniers.
Il devenait ainsi possible de se rapprocher assez des
retranchements pour développer les batteries des deux
armées, ouvrir un feu efficace, détruire en grande partie
les défenses de l'ennemi et lancer ensuite des colonnes
d'assaut qui, soutenues par le gros de nos forces, devaient
enlever les ouvrages.
Tel fut le plan adopté, et, le 14 au matin, les deux ar-
mées s'ébranlaient dans l'ordre suivant :
L'armée anglaise, appuyant sa droite au Peï-ho, descen-
dait parallèlement au fleuve, tandis que les deux brigades
Jamin et CuUineau, en colonnes serrées à demi-distance
de déploiement, marchaient à sa gauche et à la même
hauteur. Toute la ligne d'infanterie était précédée par
l'artillerie, qui avait dans cette journée à entrer la pre-
mière en acfion ; celle-rci était elle-même couverte et ap-
puyée, surtout à gauche, par une avantrgarde d'infanterie
ainsi composée ; une compagnie de génie, 200 homrnes
des marins de débarquement, deu^ conipagnies de chas-
seurs à pied.
Lp terrain que ^û^^ avions à parcourir était moins
35G PIÈCES JUSTIFICATIVES.
ferme que celui qui étail assigné h nos ;Uli(%; la marche
(le l'armée n'eu éprouva néanmoins aucun relard. Vers
huit heures, les deux batteries de 4 et la section de fu-
séens, se déployant à la gauche des pièces anglaises,
ouvrirent le feu avec elles, à environ 1500 mètres des
retranchements. La précision de leur tir, malgré la riposte
très-vive mais heureusement mal dirigée de l'ennemi,
eut bientôt pour effet de permettre au colonel Bentzman
de rapprocher sa ligne par un mouvement de feu en avant
par demi-batteries. La batterie d'obusiers de montagne
entra en ligne dès que la distance diminuée rendit son feu
efficace.
Pendant ce temps, nos masses d'infanterie étaient te-
nues à distance, et je faisais exécuter à notre extrême
gauche, sur la chaussée indiquée plus haut, une diversion
par deux pièces de 4, soutenues par le 2^ bataillon d'in-
fanterie de marine. Ces deux pièces devaient se maintenir
à hauteur de la gauche de l'armée et détruire les défenses
situées à l'extrémité de la chau-sée qu'elle suivait, ce point
ayant été reconnu comme celui sur lequej devait se diriger
la colonne d'assaut.
L'artillerie se rapprocha jusqu'à 400 mètres, sous un
feu qui diminuait par degrés. La plupart des projectiles
ennemis passaient au-dessus d'elle et tombaient dans
l'espace vide, en avant de notre infanterie déployée alors
par bataillons en masse.
Vers neuf heures, le feu des Chinois était presque éteint,
sauf celui de quelques embrasures à leur extrême droite,
qui tiraient sur notre gauche.
Le moment était venu; après m'élre entendu avec le gé-
néral Grant, rapprochant toute mon infanterie par un
mouvement en avant, je donnai l'ordre au lieutenant-colo-
nel Schmilz, mon chef d'état-major général, de former les
troupes d'dvant-garde en colonnes d'asîaut et d'enlever à
leur tête les retrancheuienls ennemis.
Cet officier supérieur, quoiqu'il fîit alors assez grave-
ment malade, s'acquitta de sa mission avec une rare éner-
PIÈCES JUSTIFICATIVES. ?,bl
gie. La compagnie du génie, suivie de coulis portant les
échelles, les deux compagnies de débarquement, comman-
dant Jauréguiberry, les V et 8* compagnies du 2'' bataillon
de chasseurs, commandant de la Poterie, arrivèrent h la
suite sur les bords de la contrescarpe, après avoir subi un
feu de mousquelerie assez vif.
Le lieutenant-colonel Schmitz se précipita dans le fossé
plein d'eau, suivi par les capitaines Chanoine et Guerrier,
de l'état-major général, et les capitaines Paillot et Etienne,
du 2'" bataillon de chasseurs à pied. Il arriva le premier
sur le haut du parapet et y planta le drapeau national à la
vue de toute l'armée. Il appela à lui les troupes; elles s'é-
lancèrent de là dans l'intérieur de l'ouvrage h la poursuite
des défenseurs qui s'enfuyaient en désordre.
Au même moment, une colonne anglaise avait pénétré
sur un autre point; le camp retranché était à mais. Un
pont établi sur le fossé permit bientôt au reste de nos
troupes d'en achever l'occupation, et la poursuite, quoi-
que ralentie par les nombreux canaux qui coupent dans
tous les sens l'intérieur du camp retranché , continua
jusqu'au delà de la face opposée. A ce moment, et à la
suite d'une conférence que je lins avec le général Grant,
nous résolûmes de nous arrêter.
Bon nombre de cadavres abandonnés sur le point où
ils avaient été atteints, environ cent autres trouvés dans
les maisons abandonnées du village, les corps de quel-
ques mandarins d'un rang élevé qui s'étaient ouvert la
gorge au moment de la fuite de leurs troupes, attestaient
que les pertes de l'ennemi avaient été sensibles, et témoi-
gnaient des ravages produits par notre artillerie rayée.
Quant aux nôtres, l'état joint à ce rapport fera voir à Votre
Excellence que, grâce à la supériorité de notre feu et à l'é-
lan de nos troupes, re succès important n'a pas été acheté
trop cher.
Quinze pièces en bronze, sans compter un assez grand
nombre de bouches à feu d'un très-petit calibre, sont tom-
bées entre nos mains. L'ennemi, dans sa fuite, a aban-
358 PIÈCES JUSTIFICATIVKS.
donné aussi un nombre êi considérable de drapeaux, que
je me suis contenté de les faire abattre sans croire devoir
les rapporter a mon camp. J'ai l'honneur de vous adresser
par ce courrier une copie de l'ordre général n" 85. Votre
Excellence y verra le nom des officiers et soldats qui se sont
distingués sous mes yeux dans ci tte action brillante, et
que j'ai cru devoir citer à l'ordre de l'armée. Le colonel de
Bentzman, commandant l'artillerie, secondé par le colonel
Fiiullon-Granchamp, a dirigé ses batteries avec une vi-
gueur et une précision au-dessus de tout éloge.
Veuillez agréer, monsieur le maréchal, etc.
Le général commandûnl en chef l'txpèditidn
de Chine,
G. DE MôNTAUBAN.
11
Rapport du vice-amiral Cliârncr, coiuinahdaut en
chef les forces navales françaises en Cliine. î\
M. le Ministre de la marine.
A ))ord de l'Alarme, dans le Peï-ho, ■,>:} août 18ti0.
Monsieur le ministre,
Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire connaître à Votre
Excellence, dans un rapport précédent, la marche de l'expé-
dition partie le 12 des bords du Pétang n'a été qu'une suite
de succès. Après avoir repoussé partout l'ennemi, elle ar-
rivait le 18 sous les murs des forts établis sur la rive nord
du Pei-ho; je reçus alors l'avis que les armées alliées atta-
quefaiefit, dans la matinée du 21 août, ces positions for-
PIÈCES JUvSTlFIGATlVÈS. 359
inidables, où les Chinois avaient depuis longtemps réuni
tous les moyens de défense.
Certain que la marine, au moment décisif, pourrait con-
courir efficacement à cette attaque, j'avais depuis plusieurs
jours recherché sur les lieux la meilleure position à don-
ner à nos canonnières pour battre les forts, sans inquiéter
dans leurs mouvements les colonnes assaillantes. Le point
qui me parut le mieux satisfaire à ces conditions se trou-
vait situé sur la rive gauche du Peï-ho; mais il n'était
accessible qu'aux bâtiments d'un faible tirant d'eau, tel
que nos petites canonnières en fer.
J'avais alors quatre de ces bâtiments à ma disposition ;
et, le 20 août, à deux heures de l'après-midi, je leur don-
nai l'ordre d'aller mouiller sur les bancs de vase molle si-
tués au point que j'avais été reconnaître les jours précé-
dents et que j'avais fait baliser. Le contre-amiral Page
prit le commandement de ce groupe. Je fis route à la
même heure vers l'embouchure du Peï-ho avec les grandes
canonnières qui mouillèrent à six heures du soir en de-
dans de la barre du fleuve, à environ 1 mille des forts du
sud.
Nous n'avons point été inquiétés dans tes divers mouve-
mérits par les batteries des forts; mais dans la soirée, vers
neuf heures et demie, les Chinois lancèrent sur nos bâti-
ments des machines incendiaires qui tirent explosion à
une petite distance sans les atteindre.
Le lendemain, 21 aoiàt, à cinq heures du matin, les at^
mées alliées commentant leur mouvement vers le fort inté-
rieur du nord, les canonnières sous les ordres de l'amiral
Page ouvrirent leur feu contre le fort du littoral et le diri-
gèrent avec succès pendant toute l'action, qui dura près
de six heures ; au moment de la marée basse, elles furent
complètement à set, et leur tir, loin d'être désavantageux,
gagna alors beaucoup en précision. Le feu de leur artillerie
contribua au succès de la journée, non-seulement par une
attaque directe des forts, mais en rendant libres plusieurs
points de la plaine dans laquelle s'avançaient les armées.
Leurs pièces rayées causaient de terribles ravages dans
360 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
les ouvrages de fortifications des Chinois. Quatre canon-
nières anglaises, de leur côté, joignaient leur feu au nôtre.
A sept heures, une forte explosion se fit entendre, el
l'épaisse fumée qui la suivit indiqua qu'un des principaux
forts du côté de la plaine venait de sauter. Cette explosion
fut suivie d'une autre, qui eut lieu vers neuf heures et qui
amena la destruction d'un des points fortifiés de la côte;
elle était causée par un des boulets rayés partis de nos
canonnières.
Epouvanté par ces deux explosions successives, pressé
du côté de la terre par les armées alliées qui entouraient
toutes les positions, placé enfin sous le feu incessant de l'ar-
tillerie des canonnières, l'ennemi ne chercha pas plus long-
temps h. prolonger sa défense. Le pavillon parlementaire
fut arboré vers onze heures sur tous les forts, où quelques
instants auparavant flottaient de nombreux étendards, et
les Chinois demandaient à capituler, offrant de remettre
leurs positions entre les mains des commandants en chef.
Dans celte journée, nos troupes et nos équipages ont été
pleins d'ardeur el d'entrain; celles de nos dignes alliés et
leur marine ont rivalisé avec les nôtres, et l'accord le plus
parfait n'a cessé de régner entre les forces de deux nations
unies pour la même cause.
Dans la soirée du même jour, on a commencé à détruire
les estacades el tous les obstacles qui s'opposaient à la na-
vigation, elle lendemain, 22 aoiit, à neuf heures du ma-
tin, une passe assez large était pratiquée pour permettre
aux petits bâtiments de le remonter. La canonnière n° 27,
commandée par M. Dol, y entra la première, et alla se
mettre en communication avec le quartier général de Sin-
Kho.
Les estacades construites par les Chinois à l'embou-
chure du Peï-ho méritent d'être décrites. On en comp-
tait six : c'était d'abord une rangée de forts pieux en bois
alignés à l'extérieur des forts, puis un double barrage de
piquets en fer, dont chaque pièce d'un poids énorme, pro-
fondément enfoncée dans le sol, ne laissait paraître que
PIÈCKS JUSTIFICATIVES, 361
sa pointe aiguë au moment de la basse mer; quelques-
unes de ces pièces, de la grosseur d'une forte tige d'ancre,
sont estimées être d'un poids de 15 à 20 tonneaux; une
troisième estacade était formée de cylindres flottants reliés
entre eux et fixés aux rives par de fortes chaînes; la qua-
trième était en tous points semblable, pour la forme, à la
seconde, mais composée de pièces moins fortes; enfin,
les deux dernières étaient composées d'un assemblage de
bateaux ou de madriers rattachés par des chaînes ou des
câbles aboutissant aux deux bords du fleuve, où les extré-
mités étaient solidement établies.
Veuillez agréer, etc.
Le vice-amiral commandant en chef les forces navales
françaises da7is les mers de Chine,
Charner.
IV
Rapport du général de montauban au ministre
de la guerre.
Camp de Sia-ho, le 24 août 1860.
Monsieur le maréchal,
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence ie rapi)ort
sur l'occupation de la rive droite du Peï-ho, effectuée le
18 aotàt par les troupes de la 1" brigade (2'' bataillon de
chasseurs K pied et 1'"' bataillon du 101" de ligne).
Le 20, le général Jamin fit, par mes ordres, une recon-
naissance destinée à éclairer les débouchés en avant de son
front. Il rencontra bientôt des ouvrages occupés fortement
362 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
el dut s'arrêter devant un feu d'artillerie de gros calibre.
11 me fut alors démontré que, sur cette rive comme sur la
rive {iauclie, il était impossible d'aborder les forts sans
avoir enlevé un grand camp retranché semblable à celui
de Tang-kou, pris par nous le 14.
Dès ce moment, la disposition de l'ensemble des ou-
vrages chinois m'était clairement connue.
Sur chaque rive à l'embouchure du Peï-ho, un fort
énorme battant la mer et les approches des estacades, en
amont, un autre fort couvrant de feux les premiers et en-
filant le fleuve; enfin, pour protéger tout le système du
côté de la terre, un vaste camp retranché situé à la limite
de la terre ferme et des lagunes.
La position de la brigade Jamin couvrait mon point de
passage et avait pour effet de menacer la seUle ligne qui
restât à l'ennemi.
D'accord avec le général en chef sir Hope Grant j'ordon-
nai de pousser aussi rapidement que possible les travaux
du pont que nous reconstruisions en commun. Mais, en
raison de la largeur du fleuve qui est en ce point de 260 mè-
* très, quelques jours étaient nécessaires k l'achèvement
du pont, et il fut décidé qu'on profiterait de ce délai pour
attaquer le fort le plus rapproché de ïang-kou sur la rive
gauche.
Les canonnières des deux flottes devaient en même temps
couvrir de feux, avec leurs pièces à longue portée, le fort de
la rive gauche situé en aval de celui que nous attaquions.
La brigade anglaise de sir Robert Napier et la brigade
du général Coliineau furent désignées pour celte opération
qui fut fixée au 21.
Le général Coliineau alla bivaquer au camp de Tang-
kou, le 20 au soir, avec une compagnie du génie, le 1" ba-
taillon du 102* de lighe et deux bataillons d'infanterie de
marine. Une batterie de 12 rayée, un détachement de
pontonniers sous le commandement du colonel Grand-
champ et une section d'ambulance devaient le rejoindre
au point du jour.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 363
Cet officier général se mil immédiatement en rapport
avec le général Nàpief qui avait pris position en avant do
Tang'kou, et avait abrité derrière un épaulement son ma-
tériel de siège.
Il fut décidé entre eux quOj dans l'attaque du lendemain^
les troupes françaises occuperaient la droite des troupes
anglaises.
Le 21 au matin, la brigade Gollineau déboucha sur le
terrain des opérations par deux chaussées qui traversent les
terrainsnoyés s'étendant en avant de Tang-kou. La compa-
gnie de génie avait préparé celte marche en comblant pen-
dant la nuit une coupure située sur la chaussée de droite.
Dès le point du jour, les forts ennemis avaient ouvert le
feu contre l'artillerie anglaise.
Le général Gollineau prit les dispositions suivantes ;
2 pièces, joignant leur feu à celui des pièces de siège an-
glaiseSi furent dirigées contre le fort attaqué; les 4 autres
pièces, placées sur la rive même du fleuve, commencèrent
à contre-battre les batteries du fort de la rive droite dont les
feux nous prenaient d'écharpe.
Le 1" bataillon du 102" (colonel O'Malley), le 1" batail-
lon d'infanterie de marine (colonel de Vassoigne) étaient
déployés en arrière et abrités par un pli de terrain; Le
2* bataillon d'infanterie de marine (commandant Dome-
nech-Diégo) était resté en réserve à Tang-kou.
Vers sept heures, une explosion formidable se produisit
dans le fort que nous attaquions; le général Gollineau fit
avancer immédiatement trois compagnies du 102% qui
prirent position derrière un petit épaulement à environ
300 mètres de la conirescarpe. Le feu de notre artillerie re-
doubla de force.
Vers sept heures et demie, une explosion plus terrible
que la première bouleversa le deuxième fort de la rive gau-
che. Cependant le feu des forts de droite nous gênait beau-
coup; deux pièces de 12 et deux obusiers anglais furent
amenés sur l'alignement des troupes les plus avancées et
dirigées contre eux.
364 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Le niomenl décisif approchait. Le capitaine Lesergeant
(l'Hendecourt, aide de camp du irénéral CoUineau, fut en-
voyé par lui pour reconnaître les obstacles : ils consistaient
en trois fossi's pleins d'eau traversant un terrain fanizeux,
et abordables par deux chaussées glissantes ayant à peine
2 mètres de largeur. L'intervalle entre les deux derniers
fossés et le pied des remparis où le feu de notre arlilleric
n'avait pu parvenir à faire brèche était couvert de dé-
fenses accessoires de toute nature
D'un commun accord, les généraux Collineau et Napier
lancèrent leurs colonnes d'assaut.
T^a compagnie de voltigeurs du 102* fut jetée en avant,
tandis que les coulis porteurs d'échelles, sous la direction
d'une section du génie commandée par le cajdiaine Bovel,
marchaient vers la contrescarpe.
La 4* compagnie du 1'' bataillon du 102'' suivit de près
les voltigeurs, et le colonel O'Malley prit le commandement
de celte colonne. Cependant le feu de la mousqueterie nous
faisait éprouver des pertes sensibles : les coulis, dont
plusieurs avaient été frappés, hésitaient, et une nouvelle
section du génie dut jjoiter en avant les échelles abandon-
nées.
Grâce à l'intelligence et à l'activité du génie, grâce à
l'intrépidité de nos soldats, les obstacks furent enfin fran-
chis, quelques échelles s'appliquèrent au rempart. Aussitôt
le général Collineau lança une colonne de soutien compo-
sée de trois compagnies d'infanterie de marine. Alors s'en-
gagea une de ces luttes mémorables qu'il est bien difficile
de décrire. D'un côté, quelques hommes du 102'' et de l'in-
fanterie de marine montant, un par un, sur les échelles,
la baïonnette en avant; de l'autre, un ennemi acharné lut-
tant avec la mousqueterie, les piques, les flèches, et rou-
lant des boulets du rempart.
Le drapeau français est planté sur la crête par le tam-
bour Fachard, de la 4* compagnie du 1" bataillon du 102'",
arrivé l'un des premiers et qui soutient une lutte héroï-
que. Le colonel O'iMalley, le chef de bataillon Testard, de
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 365
l'infanterie de marine, le chef d'escadron Campenon,
envoyé par le général CoUineau, peu après le début de
l'aciion, pour activer le mouvement, le lieutenant de vais-
seau Rouvier, cummandant les coulis, le lieutenant-colo-
nel d'élat-major Dupin, qui avait revendiqué l'honneur de
marcher avec la colonne d'assaut, entraînent nos soldats
à leur suile. L'énergie de nos troupes l'emporte, elles pé-
nètrent dans l'ouvrage, et là un nouveau combat recom-
mence sur ce terrain que l'ennemi défend pied à pied avec
un acharnement indicible.
Enfin le fort est conquis, les Anglais y pénètrent égale-
ment de leur côté ; l'ennemi se précipite par toutes les
issues, se jetant par les embrasures dans les fossés, et fuil
dans la direclion du deuxième fort, sous une grêle de
balles qui jonche le terrain de ses morts et de ses blessés.
Mais nos pertes étaient sérieuses et cruelles. Le lieute-
nant Grandperrier, des voltigeurs du 102% le maréchal
des logis Blanquet du Chayla, attaché au corps des cou-
lis, ont été frappés mortellement; les lieutenants Balme
et Porte, l'adjudant sous-officier Lunet, du 102% sont
grièvement blessés. Sur 8 officiers des deux compagnies
du 102*, 2 seulement ont été épargnés par le feu; la seule
compagnie de voltigeurs compte 62 hommes tués ou bles-
sés. Le commandant Testard n'est parvenu à entrer dans
le fort que couvert de coups de lance et de contusions, et
après avoir été renversé par un boulet qui lui a été jeté
sur la tête.
Tout en laissant au général Collineau le commande-
ment que je lui avais confié, j'avais assisté à l'affaire et
j'avais pu en suivre tous les détails.
La seule prise de ce premier fort était une victoire com-
plète, mais il était à peine neuf heures du matin, et je dus
me préoccuper de savoir s'il n'y aurait pas de grandes
conséquences à tirer du succès que nous avions obtenu.
J'entrai donc dans le fort pour me concerter avec le gé-
néral Grant. En ce moment, le feu de la rive droite qui
nous avait tant inquiétés dans la matinée avait cessé com-
366 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
plétement, el des pavillons blancs étaient arborés sur tous
les ouvrages ennemis.
Des parlementaires se présentèrent, demandèrent à com-
muniquer avec les ambassadeurs. Le général Grant et moi
leur répondîmes qu'à deux heures précises, à moins d'une
soumission complète, les hostilités recommenceraient. Je
profitai de ce délai pour donner du repos à nos troupes.
J'avais donné l'ordre au colonel de Bentzman de faire
venir de suite les deux batteries de 4, la seconde batterie
de 12 et la section de fuséens.
Le 4 devait être dirigé sur le second fort de la rive gau-
che qui devenait le nouveau but de nos attaques; le 12 et
les fuséens déployés sur les bords du Pei-ho, de façon à
contre-battre le grand fort de la rive droite, dont les bat-
teries pouvaient prendre en flanc nos colonnes.
A deux reprises, le général Collineau se dirigea sur le
second fort, laissant en réserve les troupes engagées le
matin, pendant que l'artillerie déployée se tenait prête à
ouvrir son feu. Il arriva avec sa troupe jusque sur le bord
du fossé, sans recevoir un seul coup de feu; les obstacles
sont franchis sur des échelles, le rempart escaladé; l'in-^
fanterie de marine pénètre par une poterne située sur la
rive même du fleuve, et nos deux colonnes se rencontrent
dans l'intérieur du fort, enserrant entre elles une garni-
son de 3000 hommes, qui avait jeté ses armes et sem-
blait frappée de stupeur.
Ce second fort, comme le premier, était armé d'une ar-
tillerie formidable, et avait sur ses cavaliers des pièces
d'un calibre énorme.
Ce nouveau succès donna la mesure de la démoralisai
tion de l'ennemi.
Le chef d'escadron Campenon et le capitaine de Cools
étaient en ce moment occupés à réunir les moyens de pas^
sage, et s'étaient emparés d'une jonque. Je leur donnai
l'ordre de passer sur la rive droite avec des officiers an-
glais, chargés d'une mission semblable par le général
sir Hope Grant, et d'aller sommer le vice-roi du Pe-tchi-li
PltÇ^S JUSTIFICATIVES. 367
d'abandonner immédiatement ioutes les défenses du
Peï-ho.
Arrivés sur l'autre rive, ces officiers tentèrent de péné-
trer dans le premier fort; mais ils en furent écartés par
un mandarin militaire qui fit lever devant eux le pont-
levis. En ce moment, un autre mandarin, porteur de dépê-
ches pour les généraux alliés, se présentait à eux. Ces dé-
pêches, ouvertes sur-le-champ et traduites par M. Parkes,
de l'armée anglaise, offraient l'abandon aux alliés des forts
conquis le matin, et l'ouverture du Peï-ho aux escadres,
mais réservant aux Chinois les forts et les ouvrages de la
rive droite.
Ces propositions furent repoussées, et les officiers fran-
çais et anglais résolurent d'aller trouver le vice-roi dans
son yamoun de Takou.
Ils furent bien accueillis par lui, et une conférence très-
longue s'engagea avec le vice-roi, qui se montra d'abord
inébranlable.
Vers huit heures du soir seulement, le vice-roi céda
et remit entpe les mains des officiers une pièce adressée
par lui aux commandants en chef de terre et de mer des
armées alliées, dans laquelle il leur faisait l'abandon de
tous les forts et camps retranchés situés sur les deux rives
du Peï-ho avec tout leur matériel de guerre, et laissait
libre l'accès du fleuve. Le lendemain, au point du jour, ce
document était remis entre mes mains; mais, dès la veille
au soir, des compagnies d'infanterie de marine et des
compagnies anglaises avaient pris pied sur la rive droite,
dont les ouvrages venaient d'être évacués dans le plus
grand désordre par les troupes tartares.
En résumé, la journée du 21 nous a valu la prise de
cinq forts, deux immenses camps retranchés, une quantité
énorme d'armes de toute sorte, de munitions de guerre
et de 518 pièces de canon de gros calibre.
En terminant ce rapport, je crois devoir signaler d'une
façon toute spéciale à Votre Excellence le général CoUi-
neau, qui, dans la lutte sanglante du 21 août, a déployé
368 PIÊCliS JUSTIFICATIVES.
la bravoure et l'énergie que vous lui connaissez. Je" ne
saurais trop rendre hommage au calme et h l'intelligenre
de la guerre avec lesquels il a dirigé l'opération. Celolïi-
cier général a eu, pendant l'assaut, son épaulette druite
traversée par une balle.
Du reste, depuis le commencement de cette campagne et
au milieu de difficultés qui n'ont guère d'analogue en Eu-
rope, les troupes ont toujours rivalisé de constance et
d'entrain. L'artillerie, dont le rôle était si important, a été
ce qu'elle s'est montrée partout. Le génie a accompli, avec
son zèle habituel, la tâche difficile qui lui était imposée.
Le service des ambulances a été au-dessus de tout éloge,
tant pour les soins donnés aux malades dans nos hôpi-
taux, que pour les premiers secours apportés aux blessés
sur le champ de bataille.
Je joins à ce rapport les états des tués et des blessés,
l'état des pièces de canon prises dans les forts, l'ordre gé-
néral n" 91 relatif à l'affaire du 21, et j'adresse en même
temps à Votre Excellence des mémoires de propositions sur
lesquels je la prie de vouloir bien appeler toute la bien-
veillance de S. M. l'Empereur.
Veuillez agréer, monsieur le maréchal, etc.
Le général de division, commandant en clivf
Vexpédition de Chine,
DE MONTAUBAN.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 369
Rapport tie l'amiral Chariicr au Itlinîstrc
de la marine.
A bord de l'Alarme, Tien-tsin, 25 août.
I.e 23 août, vers dix heures du matin, au moment où la
marée était favorable, j'entrai dans le Peï-ho avec les canon-
nières V Alarme, sur laquelle j'avais placé mon pavillon, la
Mitraille et les petites canonnières en fer n"' 12 et 27, pré-
cédé de quelques heures par l'amiral Hope, parti égale-
ment avec quatre ou cinq de ses bâtiments légers.
Le fleuve, très-étroit en beaucoup d'endroits, ses sinuo-
sités brusques et d'un passage difficile pour les bâtiments
d'une certaine force et du tirant d'eau de nos grandes ca-
nonnières, retardèrent ma marche par des échouages fré-
quents, et, malgré mes efforts, je ne parvins à mouiller
que le lendemain matin de mon dépari dans les eaux qui
coulent au pied de Tien-tsin.
Les mandarins et les notables de la ville, à l'approche des
premiers bâtiments, vinrent au-devant d'eux, déclarant
que la population faisait son entière soumission, et de-
mandèrent en même temps que les habitants et les pro-
priétés fussent placés sous la protection des alliés, qui
prirent possession de la ville au nom de la France et de
l'Angleterre, et arborèrent leur pavillon sur son principal
édifice.
Une proclamation de chacun des amiraux fut de plus
affichée sur les murs de la ville, engageant la population
I 24
370 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
à la Iranquillilé, et lui assurant le respect des personnes et
(le leurs biens.
D'après les renseignements que j'ai pu obtenir, l'esprit
de la population de Tien-tsin ne paraît pas nous être
hostile.
Un corps de 1800 hommes, composé mi-partie de trou-
pes françaises et anglaises, suffit pour assurer sa sécurité
et mettre notre position à l'abri de toute tentative inquié-
tante, dans le cas où le gouvernement chinois en viendrait
de nouveau aux hostilités.
Veuillez agréer, etc.
Le vice-amiral commandant en chef les forces navales
françaises dans les mers de Chine,
Charner.
VI
Rapport du général de Hloiifauban au lliuistre
de la y,uerre.
Bivac de Ko-at-sun, 19 septembre.
Monsieur le maréchal,
J'ai fait part à Voire Excellence des singulières circon-
stances politiques qui avaient déterminé la marche d'une
partie de l'armée alliée sur IV-king. Le 10 septembre, je me
mis en route avec la brigade Jamin et deux batteries d'ar-
tillerie pour appuyer les ambassadeurs, qui avaient résolu
de ne plus traiter qu'à Tung-Ghaou, à quatre lieues de la
capitale. A peine avions-nous fait une marche en avant,
que le prince Tsaï, membre de la lamide impériale, et le
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 371
ministre de la guerre de l'empire Mou, écrivirent aux
ambassadeurs qu'ils avaient les pleins pouvoirs de l'em-
pereur pour traiter suivant les bases arrêtées à Tien-tsin,
et qu'ils se rendaient au-devant des armées alliées pour
conclure la paix définitivement.
Malgré ces nouvelles protestations, les ambassadeurs et
les alliés s'avancèrent jusqu'à Ho-se-\vou, ville située à
environ trente kilomètres de Tung-Chaou.
Des communications diplomatiques ayant été de nouveau
échangées, les ambassadeurs firent savoir aux comman-
dants en chef alliés que tout était terminé; que, par suite
d'une convention définitive, les forces militaires s'arrête-
raient à environ deux lieues de Tung-Chaou; que les en-
trevues avec les commissaires impériaux auraient lieu
dans cette ville; et qu'enfin une escorte d'honneur accom-
pagnerait les ambassadeurs à Pé-king, pour y échanger
les ratifications.
La conduite du gouvernement chinois à Tien-tsin ne
m'avait pas donné lieu de croire, d'une manière absolue,
àces nouvelles protestations. Cependant, après les assuran-
ces qui m'avaient été données de toutes parts, je me déci-
dai à envoyer à Tung-Chaou le sous-intendant Dubut, le
colonel de Grandchamp, le capitaine Chanoine et les offi-
ciers d'administration Âder etGagey; ils étaient accompa-
gnés par le missionnaire Duluc et avaient pour mission de
rassembler les approvisionnements nécessaires aux besoins
de l'armée pendant le séjour qu'elle allait faire à Tung-
Chaou. Ces officiers se mirent en route avec l'interprète
anglais M. Parkes et d'autres officiers anglais chargés par
le général sir Hope Grant de la même mission.
Le même jour, 17 septembre, je partis.de Ho-se-wou
avec 600 chasseurs à pied du 2* bataillon, une compagnie
du génie, une compagnie d'élite du 101^ et du 102% une
batterie de quatre, en tout 1100 hommes; et j'avais appelé
de Tien-tsin le général Collineau, qui devait me rejoindre,
avec les troupes choisies dans sa brigade, pour aller en
députation d'honneur k Pé-king. Je laissai à Ho-se-wou le
372 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
reste de la brigade Jamin, avec une batterie de douze, pour
y garder les approvisionnements que j'attendais de Tien-
tsin.
Depuis quelques jours, au milieu de ce pays si fertile
que nous traversions, le vide se faisait autour de nous, et
toutes les habitations étaient fermées dans les villes et vil-
lages. J'espérais qu'après Ho-se-wou il en serait autre-
ment, puisque les chefs du gouvernement chinois nous
attendaient pour conclure la paix. Mon attente a été trom-
pée : le 17 septembre, je bivaquais en dehors du village
de Ma-tùu, abandonné comme les autres. Le 18 au matin,
la colonne anglaise, prenant son tour de marche, nous
précéda; nous nous rendions au bivac définitif arrêté par
les conventions, où devait nous avoir précédés une partie
des officiers envoyés à Tung-Chaou.
Nous avions à peine fait huit kilomètres, que le générai
en chef, sir Hope Grant, me fit connaître qu'il avait devant
lui une grande force tartare; je me rendis immédiatement
auprès de lui. Un mandarin de haut rang arriva au [loint
où s'était arrêtée la colonne anglaise, nous assura que
c'était un malentendu, et nous pria de nous arrêter.
M, Parkes retourna à Tung-Chaou pour demander des
explications au prince Tsaï, et l'éloignement des troupes
chinoises.
Pendant ce temps, j'étais rejoint par le capitaine d'état-
major Chanoine, qui me donna l'assurance qu'il venait de
traverser toute l'armée tartare établie entre nous et Tung-
Chaou. Les troupes avaient voulu s'opposer à son passage,
mais il fil comprendre aux mandarins militaires qu'il avait
été la veille en ville pour une mission toute pacifique et
qu'il rentrait dans les mêmes conditions.
Quelques instants après, l'officier d'administration Ga-
gey arrivait auprès de moi et m'annonçait que nous avions
devant nous plus de 15 000 cavaliers et une grande quan-
tité de fantassins dont la mèche du mousquet était allu-
mée. De tous côtés on apercevait la poussière soulevée par
les pieds des chevaux ; nous étions évidemment en présence
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 373
d'une situation des plus sérieuses avec des forces minimes ;
nous convînmes avec le général Grant qu'on attendrait le
retour de M. Parkes avant de se mettre en marche pour se
frayer un passage. Je pris immédiatement des dispositions
militaires; je plaçai le petit corps que j'avais à ma dispo-
sition en potence, à la droite des forces anglaises ; les
troupes étaient déployées, couvertes par des tirailleurs,
séparées entre elles par la batterie de quatre faisant face
au village boisé de Yatson, occupé par l'extrême gauche de
l'armée tartare. Nos chasseurs et spahis étaient à quelques
pas de l'ennemi. Le général sir Hope Grant avait mis à
ma disposition un escadron de cavaliers sicks.
J'attendais les événements dans cette situation. Vers
dix heures, ayant entendu trois coups de canon vers le
centre de la colonne anglaise, je commençai à exécuter le
mouvement dont j'étais convenu avec le général Grant ; il
consistait à m'emparer de ce premier village, en le tour-
nant par ma droite en même temps qu'il serait attaqué de
front, et à ramener, une fois ce village dépassé, toute l'ar-
mée tartare vers le centre de la ligne anglaise.
Ce mouvement s'exécuta sans la moindre hésitation; le
village fut enlevé et tourné avec une vigueur remarquable :
chacun comprenait qu'il n'y avait pas un pas à faire en ar-
rière en présence de forces si nombreuses. Pendant que je
dirigeais avec le général Jamin le mouvement tournant,
mon chef d'état-major, le colonel Schmitz, traversait le
village par la gauche et plaçait l'artillerie sur une position
dominante, d'où le colonel de Bentzmann, appuyé par les
chasseurs à pied, ouvrit immédiatement un feu des plus
vifs contre les masses ennemies, que je continuais à tour-
ner par la droite et dont une partie occupait un second
village, boisé comme le premier (Le-Ossou).
Je lançai, à ce moment, l'escadron de sicks et le déta-
chement de chasseurs et de spahis; j'avais donné le com-
mandement de cette cavalerie au colonel Foley, commis-
saire anglais. Ces cavaliers furent accueillis au détour de
ce second village par un feu très-violent. Le lieutenant de
374 PIÈCES JUSTIFICATIVES
Damas tomba frappé mortellement d'une balle; le sous-
lieutenaYit d'Estremont fut blessé au même instant; mais
les sicks et noire cavalerie n'en conlinuèrent pas moins
leur charge, et jonciièrent le terrain de cadavres.
Le détachement de cavalerie française s'empara, dans
ce mouvement, de cinq pièces d'artillerie. La compagnie
de grenadiers du 101% celle du 102*= et celle du génie,
conduites sur la trace de la cavalerie, enlevaient le village ;
le colonel Pouget les entraînait avec une vigueur que je suis
heureux de vous signaler. Dix-huit drapeaux, deux pièces
de canon, une grande quantité de gingoles restèrent au
pouvoir de celte troupe. L'artillerie suivait le mouvement
au centre, toujours appuyée à gauche par les chasseurs à
pied. Ce deuxième village fut franchi, et, à partir de ce
moment, je dirigeai mes troupes de manière à refouler
l'ennemi sous le canon des Anglais.
Les masses que nous poussions devant nous étaient
énormes. L'artillerie, les chasseurs et les autres troupes
d'infanterie rivalisaient d'ardeur et les écrasaient de leurs
feux. Je suivis, pendant plus de trois kilomètres, une di-
gue sur le bord d'un canal, sur laquelle nous pûmes comp-
ter environ soixante pièces de bronze mises en position
derrière la digue et que notre artillerie enfdait successive-
ment; enfin, je rejoignis, de cette manière, le centre des
forces anglaises, et les Tartares disparurent de la plaine.
L'infanterie était en route depuis cinq heures du matin,
avec six jours de vivres dans le sac, sous un soleil ardent;
il était près de deux heures; je la fis arrêter et je pris po-
sition à Ko-al-sun, à sept kilomètres de Tung-Chaou.
Les pertes de l'ennemi ont été considérables ; les nôtres
seraient de peu d'importance sans la mort du brave lieu-
tenant de Damas. Le colonel Foley, commissaire anglais
auprès de ma personne, a eu son cheval percé de trois
balles. Il a été d'une bravoure éclatante dans la charge
fournie par les sicks.
Je ne veux pas terminer ce rapport sans vous dire, mon-
sieur le maréchal, toute la glorieuse satisfaction que j'ai éprou-
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 375
vée à diriger cette poignée de braves contre ces hordes
conduites au combat par des chefs perfides. Un immense suc-
cès pour nos armes a été la conséquence de la trahison et
de la félonie du gouvernement chinois, qui nous avait atti-
rés, avec des assurances de paix, auprès de sa capitale
avec des forces qu'il croyait insignifiantes.
J'adresse à Votre Excellence l'ordre général de l'armée
que j'ai donné aux troupes à la suite de l'affaire du 18. Le
général Jamin m'a secondé avec l'énergie que vous lui
connaissez.
Nous avons pris quatre-vingts pièces de canon, dont
une partie en fonte et une partie on bronze; nous avons
aussi enlevé quantité de bannières des différents corps des
troupes impériales.
Le courrier anglais part, et je suis tellement pressé, mon-
sieur le maréchal, que je n'ai que le temps de vous adresser
ce rapport; par le prochain courrier français, j'aurai
l'honneur de vous envoyer un état de propositions et un
rapport particulier.
Recevez, etc.
Le général commandant en chef le corps cxpédUion-
naire en Cliine,
DE MONTAUBAN.
376 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
VU
Rapport du £;éncral de llontaiiban au llinistre
de la sucrre.
Bivac dePa-li-kiao, 12 kilomètres de Pé-king,
21 septembre 1860.
Monsieur le maréchal,
La victoire du Ghang-Kia nous avait vengés de la félo-
nie du gouvernement chinois. Je devais donc m'attendra à
recevoir à mon bivac des explications sur les causes qui
avaient pu amener la lutte du 18. Aucune communication
n'eut lieu cependant, et des renseignements recueillis pen-
dant les journées du 19 et du 20 m'apprirent que l'armée
tartare occupait des camps préparés de longue main et si-
tués à cheval sur la grande route de Pé-king, à deux lieues
seulement en avant de nous. Ces dispositions nouvelles ré-
vélaient une direction énergique et habile. Elle était due
au prince San-Koli-Tsin, qui défendit l'année dernière les
forts du Peï-ho, et qui, sous le titre de sen-wang commande
les forces de l'empire. Pendant la première phase de nos
opérations, à l'embouchure du Peï-ho, nous n'avions pas
acquis de preuves certaines de sa présence. Mais la résis-
tance inattendue qui s'était produite et les rapports des es-
pions ne permettaient plus de douter que le sen-wang,.
chef du parti de la guerre, ne voulût couvrir en personne,
jusqu'à la fin, les approches de la capitale.
Dans la journée du 20, nous résolûmes, le général en
chef anglais et moi, d'attaquer l'ennemi le lendemain. Je
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 377
lis étudier par le capitaine d'état-major de Cools, de con-
cert avec les officiers d'état-major anglais, les positions
qu'occupait l'armée tartare.
En avant de nos bivacs de Ghang-Kia-Wang, nous
avions, à cinq kilomètres environ, la grande ville de Tung-
Tchou (400 000 âmes), qui est reliée à Pé-king par une voie
de granit de 12 kilomètres, ouvrage des anciennes dynas-
ties. Cette route traverse, au village de Pa-li-kiao et sur un
grand pont de pierre, le canal qui joint le Peï-ho a Pé-king.
Nous résolûmes de négliger Tung-Tchou, où il n'y avait
plus un seul soldat, pour nous porter sur ce pont, que nous
savions occupé, en avant et en arrière, par les camps du
sen-wang. L'armée française devait marcher directement
au pont, tandis que l'armée anglaise, déployée à sa gau-
che, chercherait un point de passage plus près de Pé-king.
Le 21, à cinq heures et demie du matin, je passai en
avant de l'armée anglaise, où mon tour de marche m'ap-
pelait, et je laissai mes bagages, sous la protection de deux
compagnies d'infanterie, dans un village situé à une lieue
en avant de Chang-Kia-Wang. Je m'avançai ensuite jus-
qu'à environ 3 kilomètres de Pa-li-kiao, et nous rencon-
trâmes en ce point les premières vedettes lartares. Je pris
alors les dispositions suivantes :
Une petite colonne d'avant-garde, composée d'une com-
pagnie du génie, de deux compagnies de chasseurs à pied,
d'un détachement de pontonniers, d'une batterie de quatre
et de deux pelotons d'artillerie à cheval, reçut l'ordre de
se porter en avant sous le commandement du général Col-
lineau. Le général Jamin, avec le reste du bataillon de
chasseurs à pied, des fuséens, la batterie de douze et le
101* de ligne, suivit le mouvement. L'avant-garde se trouva
bientôt arrêtée devant de fortes masses de cavalerie qui
débordaient sa gauche, à la hauteur de laquelle l'arm.ée
anglaise n'était pas encore arrivée. Le général Collineau
s'arrêta et mit ses pièces en batterie. Je m'apprêtais à le
soutenir avec le reste de mes troupes, lorsqu'un feu d'ar-
tillerie assez nourri s'ouvrit tout à coup sur ma droite.
378 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Mon chef d'état-major général, le colonel Schmitz, se porta
de lui-même en avant, dans la direction du canon de
l'ennemi, et vint me rendre compte que le point d'où par-
tait la canonnade semblait être le centre de sa première
ligne de défense. Cet officier supérieur n'hésita pas à dési-
gner ce point comme indiquant la véritable position du
pont qui devait nous être cache longtemps encore par des
groupes de maisons entourées d'arbres et par les masses
profondes qui entouraient ses abords. J'ordonnai au géné-
ral Jamin de faire déployer à droite, face au canon, le ba-
taillon de chasseurs, les fuséens, la batterie de douze, et de
faire avancer le plus promptement possible, pour former
notre droite, les bataillons du lOP,
Ce mouvement laissait entre le petit corps du général
Collineau et moi un intervalle qu'il était urgent de remplir.
J'envoyai le chef d'escadron Campenon, de l'état-major
général, porter l'ordre à ces troupes de se rabattre sur
nous ; mais cet ordre ne put s'exécuter avant l'entrée en
ligne de l'armée anglaise; car, en ce moment, la cavalerie
ennemie débordait nos deux ailes.
Le sen-wang profita habilement de ces circonstances
pour charger en masse, en nous enveloppant de toutes
parts. Au centre, la charge répétée plusieurs fois avec des
cris sauvages, fut repoussée par les fuséens, la batterie de
douze et les chasseurs à pied. A la gauche, elle vint se
briser contre la petite poignée d'hommes du général Colli-
neau, devant la précision du tir de la batterie Jamont, et
devant la cavalerie anglaise qui débouchait sur le champ
de bataille. Les cavaliers tartares échouèrent également à
notre droite, où ils furent reçus par le 101'^ de ligne, dis-
posé avec habileté et sang-froid par son chef, le colonel
Pouget.
Comme le 18, nos troupes étaient sorties victorieuses de
ce cercle de cavaliers. Ces charges repoussées, la position
de ma gauche, où l'armée anglaise venait de se déployer,
ne me laissait plus d'inquiétude. Je pouvais rapprocher de
moi le petit corps du général Collineau, et je lui ordonnai,
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 379
par un mouvement de conversion a droite, de tourner le
village de Pa-li-kiao, en gagnant le bord du canal, tandis
que le général Jamin attaquerait de front en marchant droit
au pont; le village, abordé avec la plus grande vigueur,
fut défendu pied à pied par l'infanterie chinoise. On ne
peut réellement expliquer que par l'infériorité de son arme-
ment les pertes peu considérables qu'un ennemi aussi
nombreux et aussi tenace nous a fait subir. Mais la prise
du village ne devait pas terminer la lutte. Pendant que le
général Collineau, arrivé sur le bord du canal, apercevait
le pont de Pa-li-kiao et le prenait d'écharpe avec son artil-
lerie, j'ordonnai au colonel de Bentzmann de faire avancer
les fuséens et la batterie de douze pour battre le pont
d'enfilade et pour tirer sur les pièces qui le défendaient.
Notre infanterie, marchant de maison en maison, était
parvenue à s'emparer de celles qui sont sur les bords du
canal, et couvrait de son feu tous les abords.
En ce moment, le pont de Pa-li-kiao offrit un spectacle
qui, certainement, est un des épisodes les plus remarqua-
bles de la journée.
Tous les cavaliers, si ardents le matin, avaient disparu.
Sur la chaussée du pont, monument grandiose d'une civili-
sation vieillie, des fantassins richement vêtus agitaient des
étendards et répondaient à découvert, par un feu heureuse-
ment impuissant, à celui de nos pièces et à notre mous-
queterie. C'était l'élite de l'armée qui se dévouait pour cou-
vrir une retraite précipitée.
Au bout d'une demi-heure, le feu concentré de nos
batteries fit taire le canon de l'ennemi. Le général Colli-
neau, joignant à son avant-garde la compagnie du 101^ du
capitaine de Moncets, passa le pont. Il s'engagea sur la
droite de la route de Pé-king, dans la direction prise par la
masse des fuyards, et je le suivis avec le reste de mes trou-
pes. Il était midi, et depuis sept heures du matin nous
n'avions pas cessé de combattre ; l'ennemi avait disparu
dans un état de désorganisation complète, couvrant de ses
morts le champ de bataille. J'ordonnai de faire halte, et,
380 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
après deux heures de repos, mes troupes étaient établies
dans les camps et sous les tentes des soldats du sen-wang,
à 12 kilomètres de Pé-kinp.
Les journées du 18 et du 21 ont valu aux armées alliées
cent pièces de canon.
En terminant ce rapport, je sens bien, monsieur le ma-
réchal, que la plume est impuissante h donner une idée
vraie de ce qui se passe autour de nous.
L'ennemi nous entourait h perte de vue, les rapports des
prisonniers et des espions, reçus après ma première dépê-
che, pour ne pas parler des plus exagérés, varient, dans
l'évaluation des forces chinoises, de 40 à 60 000 hommes.
Tout cela est si étrange que, pour se rendre compte de
nos succès, il faut remonter bien haut dans le passé, et se
rappeler les victoires constantes de quelques poignées de
soldats romains sur les hordes barbares.
Je ne peux pas décerner de nouveaux éloges aux troupes
que je commande. Je prie Votre Excellence d'appeler sur
tous la bienveillance de l'Empereur et l'intérêt du pays.
Ci-joint l'ordre général n" 95 et l'état des tués et blessés.
Agréez, monsieur le maréchal, etc.
, Le général commandant en chef VexpnUt'wn de Chine,
DE MONTAUBAN.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 381
Vlll
Rapport «lu généi'al de Moiitaubaii au Ministre
de la guerre.
Quartier général sous Pé-king, le 8 octobre 1860.
Monsieur le maréchal,
Nous étions convenus, le général Grant et moi, de nous
rendre à Yuen-Nincg-Yuen, maison d'été que l'empereur
occupe presque toujours, à quatre lieues au nord de Pé-
king.
Ce pays est tellement coupé de routes, de bois, etc., que
le général Grant s'est égaré avec son armée, et que je suis
arrivé seul, le soir, devant le palais, gardé par une garde
lartare.
Malgré une marche longue et pénible, j'ai fait occuper le
palais à sept heures du soir, et, en y entrant de vive force,
j'ai eu deux officiers et quelques soldats blessés. Les Tar-
tares ont évacué le palais confié à leur garde et ont perdu
quelques hommes, dont un petit mandarin tué dans la
cour même. J'ai fait occuper le palais, et, le lendemain au
jour, je m'y suis rendu. Il m'est impossible, monsieur le
maréchal, de vous dire ici toutes les merveilles de cette
habitaiion impériale; rien dans notre Europe ne peut don-
ner l'idée d'un luxe pareil; je n'essayerai pas d'en décrire
les splendeurs dans ces lignes si rapides. J'aurai l'honneur
d'écrire longuement à Votre Excellence, par le prochain
courrier, pour vous faire une description complète.
J'ai fait garder par des postes assez farts les diverses
382 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
issues du palais, afin que rien ne fût dérangé avant l'arri-
vée de nos alliés, que j'ai fait prévenir de suite. Quelques
heures après, ils sont arrivés, et comme une partie de leur
cavalerie avait rallié ma colonne, j'ai fait désigner deux
officiers anglais et deux officiers français pour que rien ne
fût touché et que les deux armées exerçassent conjointement
une surveillance sévère.
Le général Grant et lord Elgin étant arrivés, nous avons
nommé trois commissaires de chaque nation pour procéder
au partage des objets les plus précieux. Dans ce partage,
j'ai recommandé a nos commissaires de ne s'attacher
qu'aux objets ayant de la valeur au point de vue de l'art
ou par leur antiquité; j'espère envoyer à Votre Excellence,
pour S. M. l'Empereur et pour les grandes collections du
gouvernement, ou pour le Musée d'artillerie, des curio-
sités assez rares en France.
En ce moment j'attends l'arrivée du baron Gros, qui doit
me rejoindre ici, où se trouve aussi lord Elgin. Une sorte
de convention a eu lieu entre le prince Kong, régent de
l'empire, et le général anglais, au nom des deux généraux
en chef. J'avais consenti à un armistice, afin que le prince
vînt à Pé-king pour traiter. Il s'est retiré à huit lieues, et
l'empereur est en Tarlarie.
Veuillez excuser, monsieur le maréchal, l'incorrection
de cette lettre que je vous écris à la hâte; je resterai ici
demain et même jusqu'à ce que Pé-king soit occupé de
gré ou par la force, et j'aurai l'honneur de vous rendre
officiellement un compte détaillé.
Recevez, monsieur le maréchal, etc.
Le général commandant en chef reûcpéclition de Chine,
C. DE MONTAUBAN.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 383
IX
Rapport du général de Montauban au Ministre
de la guerre.
Quartier général devant Pé-king, 12 octobre 186U.
Monsieur le maréchal,
J'ai l'honneur de vous adresser aujourd'hui, à tête re-
posée et d'une manière plus complète, le récit des derniers
événements que je vous ai fait connaître très-succinctement
par ma lettre du 8 octobre courant.
Ainsi que je l'annonçais à Votre Excellence par ma let-
tre (cabinet n° 119) datée du 3, de Pa-li-kiao, l'armée a
quitté cette position le 5 pour se porter sur Pé-king. J'avais
laissé à Pa-li-kiao, pour assurer mes communications
avec le Peï-ho, trois compagnies dans une bonne position
de défense, avec l'ambulance et une partie de l'adminis-
tration, et je m'étais mis en route avec le surplus de l'ex-
pédition et une ambulance légère, et cinq jours de vivres.
Je suis allé asseoir mon camp, le même jour, dans un
grand village, à trois lieues en avant de Pa-li-kiao, di-
rection de Pé-king, dont je n'étais plus qu'à 6000 mètres
environ ; de mon camp, on découvrait parfaitement la ville,
ainsi que je l'avais déjà su par une grande reconnaissance
que j'avais fait faire la veille. Quelques cavaliers tartares
étaient en vue de mes avant-postes, mais ils n'approchèrent
pas.
Le 6 au matin, nous reprîmes, le général anglais et moi,
notre marche sur Pé-king, après nous être formés sur deux
384 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
colonnes chacun, car le pays est irès-couvert et traversé
dans tous les sens par des roules dont quelques-unes sont
carrossables et d'autres aboutissent à des impasses; je n'ai
jamais vu de pays plus difficile pour des colonnes mar-
chant avec de grosse artillerie.
Après deux heures d'une marche assez pénible, nous
arrivâmes à 2000 mètres de l'angle nord-est de Pé-king ;
nous fîmes la grande halte et nous lançâmes des recon-
naissances dans plusieurs directions autour de la ville.
Des Chinois interrogés nous dirent qu'il existait vers l.i
direction ouest de la ville, qui a un mur de 7000 mètres de
ce côlé, un grand camp tartare de 10 OUO hommes.
Nous nous mîmes en marche immédiatement sur ce camp
dont nous apercevions le parapet en terre; nous marchions
à la même hauteur avec le général anglais; il devait atta-
quer la druile et moi la gauche. La colonne CoUineau de-
vait tourner la gauche du camp, les Anglais tourner la
droite, et le général Jamin attaquer le front; le camp aélé
évacué dans la nuit.
Le général Grant me fit alors prévenir que ses espions
l'informaient que l'armée tartare s'était retirée à Yuen-
Ming-Yuen, magnifique résidence impériale, à un mille et
demi du point où nous étions, et il me proposait de mar-
cher contre elle : l'heure était peu avancée, les troupes
n'étaient pas fatiguées, elles étaient pleines d'ardeur; un
mille et demi dans ces conditions devait être promptement
franchi.
Après une marche as^ez longue et difficile, nous arrivâ-
mes à sept heures au village de Yuen-Ming-Yuen; nous
suivions une route en dalles de granit et nous traversâmes
un pont magnifique qui conduit au château impérial, situé
à 200 mètres du pont et dont l'entrée est en face; la route,
entre le pont et le palais, est bordée à gauche, d'arbres
épais et d'une belle venue; à droite, une grande place à
laquelle s'appuie une rangée de belles maisons, habitations
des principaux mandarins.
Avant de m'établir au bivac, je voulus faire fouiller
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 385
l'entrée du palais, qui était fermée par une petite porte très-
solide et par des barrières à droite et à gauche; on préten-
dait que les Tartares étaient dans les cours et dans les jar-
dins derrière ces portes.
J'envoyai de suite deux compagnies d'infanterie de ma-
rine pour fouiller l'entrée du palais et le bois en arrière,
ainsi que mon officier d'ordonnance, le lieutenant devais-
seau de Pina.
Cet officier, entendant du bruit dans l'intérieur, fit som-
mer d'ouvrir les portes, et voyant que personne ne répon-
dait, il fit apporter une échelle et escalada le mur, suivi par
M. Vivenon, enseigne de vaisseau. A peine étaient-ils sur
la crête qu'ils reconnurent les Tartares armés de piques,
de flèches et de fusils, qui paraissaient vouloir défendre la
porte,
A l'aspect des officiers, ces hommes se retirèrent, et
M. de Pina franchit le mur afin d'ouvrir la porte à la
troupe.
En ce moment les Tartares revinrent sur M. de Pina, et
une lutte s'engagea entre lui et les hommes qui accouraient.
Il soutint bravement celte attaque, tira quelques coups de
revolver, ot fut blessé à la main gauche et au poignet droit.
Les soldats d'infanterie de marine vinrent à son secours et
à celui de leur officier, M. Vivenon, qui avait reçu une
balle dans le côté, et les Tartares, après une résistance
inutile, prirent la fuite en désordre, laissant derrière eux
trois des leurs tués, et emmenant plusieurs blessés.
Le bruit de la fusillade m'ayant attiré, je fis venir le gé-
néral Collineau avec sa brigade, et je fis occuper fortement
la première cour du palais, ne voulant pas pénétrer plus
avant pendant la nuit dans un lieu inconnu; 7 ou 800
Tartares qui se trouvaient derrière les palais successifs
aboutissant aux bois auraient pu tenter d'inquiéter nos
hommes. La nuit se passa sans événements, et le lende-
main, de grand matin, je me rendis au palais, accompagné
des généraux Jamin et Collineau, de mon chef d'état-ma-
jor et du brigadier anglais Fattle, avec lequel était le major
II 25
386 PIÈGES JUSTIFICATIVES.
Sley des dragons de la reine et le colonel Fowley; une
compagnie d'infanterie nous précédait pour assurer notre
marche; mais les palais étaient complètement évacués par
les Tartares.
Je tenais à ce que nos alliés fussent représentés dans
cette première visite au palais, que je soupçonnais devoir
renfermer de grandes richesses. Après avoir visité des ap-
partements dont la splendeur est indescriptible, je fis placer
partout des sentinelles et je désignai deux officiers d'artille-
rie pour veiller à ce que personne ne pût pénétrer dans le
palais, et pour que tout fût conservé intact jusqu'à l'arrivée
du général Grant, que le brigadier Faltle fit prévenir de
suite.
Les chefs anglais arrivés, nous nous concertâmes sur ce
qu'il convenait de faire de tant de richesses, et nous dési-
gnâmes pour chaque nation trois commissaires chargés de
faire mettre à part les objets les plus jirécieux comme cu-
riosités, afin qu'un partage égal en fût fait; il eût été im-
possible de songer à emporter la totalité de ce qui existait,
nos moyens de transport étant très-bornés.
Un peu plus tard, de nouvelles fouilles amenèrent la dé-
couverte d'une somme d'environ 800 000 francs en petits
lingots d'or et d'argent; la même commission procéda éga-
lement au partage égal entre les deux armées, ce qui con-
stitua une part de prise d'environ 80 francs pour chacun
de nos soldats; la répartition en a été faite par une com-
mission composée de tous les chefs de corps et de service
présidée par M. le général Jamin; la même commission,
réunie et consultée au nom de l'armée, déclara que celle-ci
désirait faire un cadeau à titre de souvenir à S. M. l'Em-
pereur de la totalité des objets curieux enlevés dans le pa-
lais, ainsi qu'à S. M. l'Impératrice et au Prince impérial.
L'armée a été unanime pour cette offrande au chef de
l'État, qui la considérera comme un souvenir de reconnais-
sance de ses soldats pour l'expédition la plus lointaine qui
ait jamais été entreprise.
Au moment du partage entre les deux armées, j'ai tenu,
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 387
au nom de l'Empereur, à ce que lord Elgin fit le premier
choix pour S. M. la reine d'Angleterre.
Lord Elgin a choisi un bâton de commandement de
l'empereur de Chine, en jade vert du plus grand prix et
monté en or. Un second bâlon, semblable en tout a celui-ci,
ayant été trouvé, lord Elgin, à son tour, a voulu qu'il fût
pour S. M. l'Empereur. Il y a donc eu parité parfaite dans
ce premier choix.
Il me serait impossible, monsieur le maréchal, de vous
dire la magnificence des constructions nombreuses qui se
succèdent sur une étendue de quatre lieues et que l'on ap-
pelle le palais d'été de l'empereur : succession de pagodes
renfermant toutes des dieux d'or et d'argent ou de bronze
d'une dimension gigantesque. Ainsi un seul dieu en bronze,
un Bouddha, a une hauteur d'environ 70 pieds, et tout le
reste est à l'avenant : jardins, lacs et objets curieux entas-
sés depuis des siècles dans des bâtiments en marbre blanc,
couverts de tuiles éblouissantes, vernies et de toutes cou-
leurs; ajoutez à cela des points de vue d'une campagne ad-
mirable, et Votre Excellence n'aura qu'une faible idée de
ce que nous avons vu.
Dans chacune de ces pagodes il existe, non pas des ob-
jets, mais des magasins d'objets de toute espèce. Pour ne
vous parler que d'un seul fait, il existe tant de soieries du
tissu le plus fin, que nous avons fait emballer avec des
pièces de soie tous les objets que je fais expédier à Sa
Majesté.
Ce qui attriste au milieu de toutes ces splendeurs du
passé, c'est l'incurie et l'abandon du gouvernement actuel
et des deux ou trois gouvernements qui l'ont précédé; rien
n'est entretenu, et les plus belles choses, à l'exception de
celles qui garnissent le palais que l'empereur habite, sont
dans un état déplorable de dégradation.
Dans l'une des pagodes, celle des voitures, à une demi-
lieue du palais habité, nous avons trouvé deux voitures
magnifiques anglaises, présent de l'ambassade de lord Ma-
cartney; elles étaient, ainsi que leurs harnais dorés, dans
388 PIËCES JUSTIFICATIVES.
la même place où elles avaient du être mises, il y a qua-
rante-quatre ans, sans qu'un grain de la poussièi'e qui les
couvre ait jamais été enlevé.
Il faudrait un volume pour dépeindre tout ce que j'ai vu;
mon plus grand regret, c'est de n'avoir pas, dans l'expédi-
tion, un photographe pour reproduire aux yeux de l'Empe-
reur ce que la parole est impuissante à exprimer.
Après quarante-huit heures de séjour à Yuen-Ming-
Yuen, je songeai à rejoindre l'armée anglaise devant Pé-
king; mais, avant de quitter le palais impérial, je consta-
tai que les eftets de plusieurs de nos malheureux prison-
niers, par suite de la trahison du 18 septembre, étaient
placés dans une chambre de Tune des maisons qui avoisi-
nent l'habitation de l'empereur.
Parmi ces effets figuraient ceux du colonel Foullon-Grand-
champ, de l'artillerie, un carnet et des effets de sellerie à
M. Ader, comptable des hôpitaux, et enfin quinze selles
complètes de sikhs, et diverses autres choses ayant été re-
connues par des officiers anglais comme appartenant h ceux
des leurs pris le même jour 18 septembre.
Je suis donc revenu le 9 devant Pé-king, espérant rece-
voir des nouvelles de nos malheureux nationaux, car j'a-
vais appris déjà que M. d'Escayrac de Lauture et quatre
soldats avaient été renvoyés pendant ma séparation du
camp anglais au général en chef.
Mais les prisonniers ayant été séparés les uns des autres,
ceux-ci ne purent nous donner aucun renseignement; seu-
lement, je pus préjuger, par les traitements horribles in-
fligés par un ennemi barbare, quel devait être le sort de
ceux restés entre les mains du gouvernement tartare.
Aujourd'hui 15 octobre, que je continue cette lettre com-
mencée le 12, il ne m'est plus permis d'avoir des doutes :
MM. le colonel Foullon-Grandchamp; Dubut, sous-inten-
dant militaire; Ader, comptable, ainsi que quatre de nos
soldats, sont morts : trop heureux s'ils ont été tués de suite,
car il est impossible de se faire une idée des tortures bar-
bares que quelques prisonniers ont subies avant de mourir.
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 389
Tout cela se passait pendant que je faisais recueillir et
soigner dans nos ambulances les prisonniers larlares aussi
bien que nos blessés.
Devant Pé-king, 17 octobre 1860.
Après avoir campé à 4 kilomètres environ de Pé-king,
j'ai adressé, de concert avec le général anglais, au prince
Kong, une note concluant à l'occupation d'une des portes
de la ville par nos troupes. Nous avions fait établir des
batteries de siège à 60 mètres des murailles; le prince a
immédiatement donné l'ordre d'ouvrir la porte vis-à-vis le
camp français. Celte porte a été occupée par un bataillon
de chacune des deux armées.
Je me suis rendu sur le rempart, qui a une largeur de
17 mètres; il était armé de pièces d'un très-fort calibre et
d'un très-beau bronze ; toutes les mesures de précaution
ont été prises pour assurer notre position; mais la po-
pulation paraît beaucoup plus curieuse qu'hostile.
J'ai fait rapprocher mon camp et placé des hommes dans
les casernes abandonnées par les Tartares. Les montagnes
qui nous avoisinent sont couvertes de neige et le vent du
nord souftle avec une grande violence; ces signes précur-
seurs du plus mauvais temps m'ont fait prendre la ferme
résolution de ne pas prolonger mon séjour ici au delà des
premiers jours de novembre.
18 octobre 186U.
Au moment où j'allais reprendre ce rapide récit, bien
souvent interrompu, j'ai reçu trois nouveaux cercueils con-
tenant les corps de M. l'intendant Dubut et de deux de nos
soldats; il ne reste plus que l'abbé Duluc, mais il ne m'est
plus possible de douter de sa mort.
En résumé, sur 26 prisonniers anglais, 13 sont morts et
13 sont rentrés; sur 13 prisonniers français, 7 sont moris
el 6 nous sont rendus.
390 1>1ÈCES JUSTIFICATIVES.
Hier 17 octobre a eu lieu dans le cimetière russe l'in-
humation des Anglais victimes du guet-apens du 18 sep-
tembre; nous avons assisté k cette triste cérémonie. Au-
jourd'hui, j'ai profité de l'occasion de l'enterrement de nos
cûm)iatriotcs pour faire venir de Pé-king chez moi deux
mandarins d'un grade élevr-, pour leur dire que je savais
leur respect pour les morts, et que je désirais faire enter-
rer les restes de nos prisonniers dans l'ancien cimetière
français que l'empereur Kang-Hi avait autrefois accordé
aux missionnaires catholiques; ils m'ont affirmé que rien
n'était plus convenable, et qu'ils allaient immédiatement
prendre des dispositions en conséquence.
Recevez, etc.
Le général coimaandanL en chef l'expédition de Chine,
C. DE MONTAUBAN.
X
Proclamation du sénéral de Montaubaii.
18 octobre 1860.
Le général de Montauban, commandant en chef de l'ar-
mée française en Chine, adresse la proclamation suivante
aux habitants de la capitale el des campagnes environ-
nantes.
Le général en chef fait savoir aux populations paisibles
de la capitale et des campagnes environnantes que jïlusieurs
officiers appartenant aux armées de la France et de l'An-
jiïleterie, qui, avec le caractère sacré de parlementaires, que
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 391
les nations civilisées respectent comme inviolable, et du
consenlen)ent des commissaires impériaux Tsaï et Mouh,
avaient été envoyés à Tong-tcheou afin d'y préparer les ar-
rangements que les ambassadeurs avaient à prendre pour
conclure la paix, dont les clauses avaient été déjà conve^
nues entre eux et les commissaires impériaux, ont été ar-
rêtés, le 18 septembre dernier, par San-ko-li-lsin et d'au-
tres chefs qui, ayant voulu aussi attaquer les alliés le même
jour, ont été mis dans la déroute la plus complète.
Les troupes françaises et anglaises se trouvent aujour-
d'hui devant Pé-king, leur drapeau flotte sur les murs de
la ville; elle est en leur pouvoir, et c'est par bienveillance
pour les habitants inoffensifs qu'elle renferme que les alliés
n'ont pas voulu en occuper l'intérieur.
Depuis cette époque, les ambassadeurs et les comman-
dants alliés ont appris avec une douloureuse indigna-
tion que les personnes ainsi arrêtées contre toutes les lois
de l'honneur avaient été traitées avec une barbarie sans
exemple dans l'histoire et que la moitié d'entre elles avait
succombé dans les tortures.
Un tel acte de perfidie et de cruaulé doit être expié par
le gouvernement chinois, responsable du crime commis par
ses agents ; et il faut qu'en flétrissant comme elle le mérite la
conduite de ceux d'entre eux qui se sont rendus coupables
d'un tel forfait, il donne une indemnité convenable aux
malheureuses victimes de leur cruauté et à la famille de
celles dont ils ont causé la mort.
De nouvelles conditions de paix sont off"ertes parles am-
bassadeurs de France et d'Angleterre au prince Kong. Si
elles sont acceptées dans le délai iixé, les autorités et les
habitants de la ville seront respectés dans leur personne et
dans leurs propriétés, dans le cas, bien entendu, où elles
ne commettraient aucun acte d'hostilité contre les alliés;
mais si le gouvernement impérial rejetait ces propositions
ou s'il les laissait sans réponse, le commandant en chef ne
serait pas responsable des malheurs que les autorité? chi-
noises auraient attirés sur la ville.
392 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Cette proclamation est adressée aux habitants de Pé-
king et des campagnes environnantes par bienveillance
pour eux.
Fait au quartier général français, sur les remparts de la
ville, à la porte Nganting.
Le 18 octobre 1860.
XI
Convention de paix additionnelle au traité entre la
France et la Chine, du 27 juin 1858, <*ont*lue à
Pc-kin^ le 35 octobre 1860.
S. M. l'empereur des Français et S. M. l'empereur de
la Chine, voulant mettre un terme au différend qui s'est
élevé entre les deux empires et rétablir et assurer à jamais
les relations de paix et d'amitié qui existaient entre eux el
que de regrettables événements ont interrompues, ont
nommé pour leurs plénipotentiaires respectifs, savoir :
S. M. l'empereur des Français, le sieur Jean-Baptiste-
Louis baron Gros, sénateur de l'Empire, ambassadeur et
haut commissaire de France en Chine, grand officier de
l'ordre impérial de la Légion d'honneur, chevalier grand-
croix de plusieurs ordres, etc., etc., etc.;
Et S. M. l'empereur de la Chine, le prince Kong, mem-
bre de la famille impériale et haut commissaire ;
Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs,
trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles
suivants :
Art. 1". S. M. l'empereur de la Chine a vu avec peine la
conduite (jue les autorités militaires chinoises ont tenue à
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 393
l'embouchure de la rivière de Tien-lsin, dans le mois de
juin de l'année dernière, au moment où les ministres plé-
nipotentiaires de France et d'Angleterre s'y présentaient
pour se rendre à Pé-king, afin d'y procéder à l'échange
des ratifications des traités de Tien-tsin.
Art. 2. Lorsque l'ambassadeur, haut commissaire de
S. M. l'empereur des Français se trouvera dans Pé-king
pour y procéder à l'échange des ratifications des traités de
Tien-tsin, il sera traité pendant son séjour dans la capi-
tale avec les honneurs dus à son rang, et toutes les faci-
lités possibles lui seront données par les autorités chinoi-
ses pour qu'il puisse remplir sans obstacle la haute mission
qui lui est confiée.
Art. 3. Le traité signé à" Tien-tsin le 27 juin 1858
sera fidèlement mis à exécution dans toutes ses clauses
immédiatement après l'échange des ratifications dont il
est parlé dans l'article précédent, sauf, bien entendu, les
modifications que peut y apporter la présente convention.
Art. 4. L'arlicle 4 du traité de Tien-tsin, par lequel
S. M. l'empereur de la Chine s'engage à faire payer au
gouvernement français une indemnité de 2 millions de
taèls, est annulé et remplacé par le présent article, qui
élève à la somme de 8 millious de laèls le montant de cetle
indemnité.
Il est convenu que les sommes déjà payées par la douane
de Canton à compte sur la somme de 2 millions de laëls
stipulée par le traité de Tien-tsin, seront considérées
comme ayant été payées d'avance et à compte sur les
8 millions de taëls dont il est question dans cet article.
Les dispositions prises dans l'article 4 du traité de Tien-
tsin sur le mode de payement établi au sujet des 2 mil-
lions de laëls sont annulées. Le montant de la somme qui
reste à payer par le gouvernement chinois sur les 8 mil-
lions de taëls stipulés par la présente convention le sera
en y affectant le cinquième des revenus bruts des douanes
des ports ouverts au commerce étranger, et de trois mois
en trois mois, le premier terme commençant au 1*^' octobre
394 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
de celte année et finissant au 31 décembre suivant. Cette
somme, spécialement réservée pour le payement de l'in-
demnité due à la France, sera comptée en piastres mexi-
caines ou en argent au cours du jour du payement, entre
les mains du ministre de France ou de ses délégués.
Une somme de 500 000 laëls sera payée cependant à
compte, d'avance, en une seule fois, et à Tien-tsin, le
20 novembre prochain, ou plus tôt si le gouvernement chi-
nois le juge convenable.
Une commission mixte, nommée par le ministre de
France et par les autorités chinoises, déterminera les
règles à suivre pour effectuer les payements de toute l'in-
demnité, en vérifier le montant, en donner quittance, et
remplir enfin toutes les formalités que la comptabilité
exige en pareil cas.
Art. 5. La somme de 8 millions de taëls est allouée au
gouvernement français pour l'indemniser des dépenses
que ses armements contre la Chine l'ont obligé de faire ,
comme aussi pour dédommager les Français et les proté-
gés de la France qui ont été spoliés lors de l'incendie des
factoreries de Canton, et indemniser aussi les mission-
naires catholiques qui ont souffert dans leurs personnes ou
leurs propriétés. Le gouvernejnent français répartira cette
somme entre les parties intéressées dont les droits ont été
légalement établis devant lui, et en raison de ces mêmes
droits; il est convenu entre les parties contractantes que
1 million de taëls sera destiné à indemniser les sujets
français ou protégés par la France, des pertes qu'ils ont
éprouvées ou des traitements qu'ils ont subis, et que les
7 millions de taëls restants seront affectés aux dépenses
occasionnées par la guerre.
Art. 6. Conformément à l'édit impérial rendu le 20
mars 1846, par l'auguste empereur Fao-Kouang, les éta-
blissements religieux et de bienfaisance qui ont été confis-
qués aux chrétiens, pendant les persécutions dont ils ont
été les victimes, seront rendus à leurs propriétaires par
l'entremise de S. E. le ministre de France en (jhine, au-
PIÈGES JUSTIFICATIVES. 395
quel le gouvernement impérial les fera délivrer avec les
cimetières et les autres édifices qui en dépendaient.
Art. 7. La ville et le port de Tien-lsin, dans la province
du Petchel, seront ouverts au commerce étranger, aux
mêmes conditions que le sont les autres villes et ports de
l'empire où ce commerce est déjà permis, et cela, à dater
du jour de la signature de la présente convention qui sera
obligatoire pour les deux naiions, sans qu'il soit néces-
saire d'en échanger les ratifications, et qui aura la même
force et valeur que si elle était insérée mot à mot dans le
traité de Tien-tsin,
Les troupes françaises qui occupent cette ville pourront,
après le payement des 500 000 taëls dont il est question
dans l'article 4 de la présente convention, l'évacuer pour
aller s'établir à Takou et sur la côte nord du Ghangton,
d'où elles se retireront ensuite dans les mêmes conditions
qui présideront à l'évacuation des autres points qu'elles
occupent sur le littoral de l'empire. Les commandants en
chef des forces françaises auront cependant le droit de
faire hiverner leurs troupes de toutes armes à Tien-tsin,
s'ils le jugent convenable, et de ne les en retirer qu'au mo-
ment où les indemnités dues par le gouvernement chinois
auraient été entièrement 'payées, à moins cependant qu'il
ne convienne aux commandants en chef de les en faire
partir avant cette époque.
Art. 8. Il est également convenu que, dès que la pré-
sente convention aura été signée et que les ratifications du
traité de Tien-lsin auront été échangées, les troupes fran-
çaises qui occupent Chusan évacueront cette île, et que
celles qui se trouvent devant Pé-king se retireront à Tien-
tsin, à Takou sur la côte nord de Ghangton, ou dans la
ville de Canton, et que, dans tous ces lieux, ou dans cha-
cun d'eux, le gouvernement français pourra, s'il le juge
convenable, y laisser des troupes jusqu'au moment où l;i ■
somme totale de 8 millions de taëls sera payée en
entier.
Art, 9. 11 est convenu enlre les hautes parties contrac-
396 l'IÈCtS JUSTIFICATIVKS.
tantes que, dès que les ratificalioiis du traité de Tien-tsin
auront été échanjjjées, un édit impérial ordonnera aux
autorités supérieures de toutes les provinces de l'empire de
permettre à tout Chinois qui voudrait aller dans les pays
situés au delà des mers pour s'y établir ou y chercher
fortune, de s'embarquer, lui et sa famille, s'il le veut, sur
les bâtiments français qui se trouveront dans les ports de
l'empire ouverts au commerce étranger.
Il est convenu aussi que, dans l'intérêt de ces émigrés,
pour assurer leur entière liberté d'action et sauvegarder
leurs intérêts, les autorités chinoises compétentes s'enten-
dront avec le ministre de France en Chine pour faire les
règlements qui devront assurer à ces engagements, tou-
jours volontaires, les garanties de moralité et de sûreté qui
doivent y présider.
Art. 10 et dernier. Il est bien entendu entre les parties
contractantes que le dioit de tonnage qui, par erreur, a
été fixé, dans le traité iVançais de Tien-tsin, à 5 maces par
tonneau sur les bâtiments qui jaugent 150 tonneaux et
au-dessus, et qui, dans les traités signés avec l'Angle-
terre et les États-Unis en 1858, n'est porté qu'à la somme
de 4 maces, ne s'élèvera qu'à celte somme de 4 maces,
sans avoir à invoquer le dernier paragraphe de l'article 27
du traité de ïien-tsin, qui donne à la France le droit formel
de réclamer le traiiemenl de la nation la plus favorisée.
La présente convention de paix a été faite à Pé-king, en
quatre expéditions, le 25 octobre 1860, et y a été signée
})ar les plénipotentiaires respectifs qui y ont apposé le
sceau de leurs armes.
(A. S.) Signé : Baron Gros.
{S. S.) Signé : Prince de Kong.
PlfcCES JUSTIFICATIVES. 397
xir
Convention supplémentaire nu traité du S6 juin
1858, entre la Cliîne et la (Grande-Bretagne, signée
a Pé-kins le 2 1 octobre ISGO.
S. M. la reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande et
S. M. I. l'empereur de la Chine, désirant rnetire fin à la
mésintelligence actuellement existante entre leurs gouver-
nements respectifs et garantir leurs relations contre des in-
terruptions futures : c'est-à-dire pour S. M. la reine de la
Grande-Bretagne et d'Irlande, le comte d'Elgin et de Kin-
cardine, et pour S. M. l'empereur de Chine, S. A. I. le
prince de Kong, s'étant réunis et s'étant communiqué leurs
pleins pouvoirs, après les avoir trouvés en bonne forme,
sont tombés d'accord sur la convention suivante en neuf
articles.
Art. 1". Une rupture des relations amicales ayant été
occasionnée par le fait de la garnison de Taku, qui mit
obstacle à la marche du représentant de S. M. britannique
se rendant k Pé-king pour échanger les ratifications du
traité de paix conclu à Tient-tsin au mois de juin 1858, S. M.
l'empereur de Chine exprime son profond regret de la
mésintelligence qui a été ainsi occasionnée.
Art. 2. Il est de plus expressément déclaré que l'arran-
gement convenu à Shang-haï, au mois d'octobre 1858,
entre l'ambassadeur de S. M. britannique, le comte d'El-
gin et de Kincardine, et les commissaires de S. M. I. Koueï-
Liying et Hoâ-Shà-Nâ, relativement à la résidence du re-
présentant de S. M. britannique en Chine, est par les
398 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
présentes annulé, et que, conformément à l'article 3 du
traité de 1858, le représentant de S. M. britannique rési-
dera désormais d'une manière permanente ou par inter-
valles à Pé-king, ainsi qu'il plaira à S. M. britannique de
le décider.
Art. 3. Il est convenu que l'article séparé du traité de
1858 est par les présentes annulé, et qu'au lieu de l'in-
demnité qui y est spéciliée, S. M. I. l'empereur de la Chine
payera la somme de 8 millions de taëls aux échéances et
aux lieux ci-après, savoir : à Tien-tsin, le 30 novembre ou
avant, la somme de 500 000 taëls; à Canton, le 1" décem-
bre 1860 ou avant, la somme de 333 333 taëls, moins la
somme qui aura été avancée par les autorités de Canton
pour l'achèvement de la factorerie anglaise située à Sha-
meen ; et le surplus, dans les ports ouverts au commerce
étranger, en payements trimestriels qui consisteront en un
cinquième du revenu brut des douanes perçu dans ces
ports : le premier desdits payements étant dû le 1" décem-
bre 1860 pour le trimestre qui se termine ce jour- là.
Il est, en outre, convenu que ces sommes seront payées
entre les mains d'un officier que le représentant de
S. M. britannique désignera spécialement pour les rece-
voir, et que l'exactitude des versements sera, avant paye-
ment, dûment vérifiée par les officiers anglais et chinois
nommés à cet effet.
Afin de prévenir toute discussion à venir, il est de plus
déclaré que des 8 millions de taëls ici garantis, 2 mil-
lions seront consacrés à indemniser les commerçants an-
glais à Canton des perles qu'ils ont éprouvées, et que les
6 millions restant serviront à la liquidation des frais de
guerre.
Art. 4. Il est convenu que le jour où cette convention
sera signée, S. M. I. l'empereur de la Chine ouvrira le
port de Tien-tsin au commerce, et qu'il sera désormais
permis aux sujets britanniques d'y résider et d'y faire le
commerce, aux mêmes conditions que dans tout autre port
de Chine ouvert au commerce.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 399
Art. 5. Aussitôt que les ratifications du traité de 1858
auront été échangées, S. M. I. l'empereur de la Chine de-
vra, par décret, ordonner aux autorités supérieures de
chaque province de proclamer dans sa juridiction que les
Chinois qui voudront prendre du service dans les colonies
anglaises ou autres pays au delà des mers ont une entière
liberté de prendre des engagements à cet effet, avec des su-
jets britanniques, et de s'embarquer, eux et leurs familles,
à bord des bâtiments anglais dans tous les ports ouverts
de la Chine; de plus, les autorités supérieures susdites
devront, de concert avec le représentant de S. M. britanni-
que en Chine, faire des règlements pour protéger les émi-
grants chinois, suivant que, dans les différents ports ou-
verts, les circonstances l'exigeront.
Art. 6. Dans le but de maintenir l'ordre et la loi dans le
port et les environs de Hong-kong, S. M. I. l'empereur de
la Chine consent à céder à S. M. la reine de la Grande-
Bretagne et d'Irlande, et à ses héritiers et successeurs, le
droit d'avoir et de conserver, comme une dépendance de la
colonie de S. M. britannique à Hong-kong, celte partie du
territoire de Cowloon, dans la province de Kwang-tung,
qui avait été donnée à bail à perpétuité à Harry-Smith
Parkes, esq., chevalier du Bain, membre de la commission
des alliés à Canton, en faveur du gouvernement de S. M. bri-
tannique, par Lan-Isung-Kwang, gouverneur général des
deux Kwangs.
Il est de plus déclaré que le bail en question est par les
présentes annulé; que les prétentions de tout Chinois à un
droit de propriété dans le territoire de Gowloon seront dii-
ment vérifiées par une commission mixte d'officiers anglais
et chinois, et qu'une indemnité sera payée par ie gouver-
nement anglais à tout Chinois dont le droit aura été re-
connu par ladite commission, dans le cas où le gouverne-
ment anglais jugerait nécessaire de l'exproprier.
Art. 7. Il est convenu que les dispositions du traité de
1858, excepté en tant qu'elles sont modifiées par la pré-
sente convention , seront sans délai mises à exécution
400 PiftCES JUSTIFICATIVES.
nussitut que les rnlifications du traité susdit auront étt'
échangées.
Il est encore convenu qu'une ratification séparée de la
présente convention ne sera pas nécessaire, mais que celle
convention aura effet de la date de sa signature, et sera
obligatoire, ainsi que le traité mentionné, pour les liantes
parties contractantes.
Art. 8. 11 est convenu qu'aussitôt que la ratificalion du
traité de 1858 aura été échangée, S. M. l'empereur de la
Chine devra, par décret, ordonner aux autorités supérieu-
res de la capitale et des provinces d'imprimer et de publier
le traité susdil et la présente convention, pour les porler h
la connaissance du public.
Art. 9. Il est convenu qu'aussitôt que la convention aura
été signée, et que les ratifications du traité de l'année 1858
auront été échangées et qu'un décret impérial relatif a la
publication de ladite convention et du traité aura été pro-
mulgué conformément à l'article 8 de cette convention,
Chusan sera évacué par les troupes de S. M. britannique
qui y sont stationnées, et que les forces de S. M. britanni-
que maintenant devant Pé-king commenceront h se diriger
vers la ville de Tien-tsin, les forts de Taku, la côte nord
de Shang-tung et la ville de Canton ; que S. M. la reine de
la Grande-Bretagne pourra conserver dans un ou dans tous
les points ci-dessus mentionnés des forces jusqu'à ce que
l'indemnité de 8 millions de laéls stipulée par l'article 3
ait été payée.
Fait à Pé-king, à la cour du conseil des cérémonies,
24 octobre, en l'année deNotre-Seigneur 1860.
Sioné : Elgin et de Kincardine.
(Signatures des plénipotentiaires chinois.)
TABLE DES MAÏIÈRES
DE LA DEUXIEME PARTIE.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
Déclaration du gouvernement français à l'ouverture de la session légis-
lative de 1861. — Notre influence ébranlée en Chine peut compro-
mettre le succès de notre expédition en Cochinchine. — Une nou-
velle expédition en Chine est décidée par la France d'accord avec
l'Angleterre. — Détails rétrospectifs sur les événements du Peï-ho.
— Les ratifications du dernier traité avec la Chine doivent selon les
conventions être signées à Pé-king. — Les envoyés chinois assurent
que les clauses du traité seront exécutées. — Le capitaine de frégate
Tricault amène à Shang-haï le ministre de France. — M. Bruce, mi-
nistre plénipotentiaire anglais, quitte Woo-sungle 16 juin 1859 pour
aller dans le Nord. — Il arrive aux îles de Sha-luy-teen , le 20 juin ,
où l'amiral Hope était déjà arrivé le 16. — L'amiral Hope a quitté,
le 16 juin, les mêmes îles pour annoncer aux autorités chinoises
l'arrivée des deux ministres français et anglais. — Le capitaine
Commerell , après avoir passé la barre du Peï-ho, demande une en-
trevue avec les autorités. — Il n'obtient que des réponses évasives.
— L'amiral Hope enjoint au capitaine Commerell de sommer les
autorités chinoises d'ouvrir un passage , dans les trois jours , pour
permettre aux représentants alliés de remonter la rivière jusqu'à
Tien-tsin. — On répond au capitaine que le passage sera ouvert dans
le délai fixé. — L'amiral Hope retourne à Sha-luy-teen. — L'escadre
part le .18 juin pour le Peï-ho. — Le 20, l'amiral //ope remet une
lettre pour l'intendant de Tien-tsin. — La populace s'oppose au dé-
barquement des troupes envoyées à terre. — Les obstacles qui inter-
II 26
^02 TABLE DES MATIÈRES.
ceptaienl le passage du Peï-ho ont été augmentés. — Arrivée du
DuchayJa à l'emliouchure du fleuve. — Les autorités chinoises font
savoir aux ministres alliés qu'ils doivent quitter le Peï-ho pour se
rendre à Peh-tang. — Les ministres notifient à l'amiral //ope qu'il
ait à ouvrir les portes du Peï-ho , même par la force , pour les mettre
à même de se rendre à Pé-king. — 11 est décidé en conséquence que
l'entrée du fleuve sera forcée. — Composition de la flotte alliée. —
Le 21 juin l'amiral Uope, accompagné du commandant Tricault ,
va reconnaître les abords du fleuve. — Les défenses à l'entrée du
Peï-ho ont été augmentées. — Le 23 juin, deux canonnières an-
glaises et le Sorzagaray franchissent la barre. — Le 24 juin est
consacré aux dernières dispositions de détail. — Tentative dans la
nuit de frayer le passage aux bâtiments qui doivent le lendemain
entrer en action. — Le 25 juin au matin, les canonnières prennent
leur position. — Le commandant Tricault est sur le Plorer avec l'a-
miral Hope. — La ligne d'embossage est formée. — L'amiral anglais
veut frayer lui-même le chemin. — La première estacade est forcée
par le Plover et V Opossum qui arrivent devant la deuxième estacade
sans être inquiétés par l'ennemi. — L'amiral ne doute plus du succès.
— Mais tout à coup les forts chinois ouvrent un feu terrible sur les
deux canonnières. — L'amiral Hope reste impassible sur l'endroit
le plus élevé du Plover. — Le commandant Tricault est à ses côtés.
— L'amiral est blessé. — Le combat n'est pas possible, la lutte étant
trop inégale. — L'amiral 7/ope reste impassible. — Le commandant
du Plover est tué. — L'amiral anglais passe , avec le commandant
Tricault, du Plover sur l'Opossum. — L'amiral est de nouveau
blessé, mais il repousse tous les soins et reste sur le pont. — L'a-
miral Hope parcourt la ligne des bâtiments sur le Sorzagaray. —
Il hisse son pavillon sur le Cormoran, où il consent enfin à laisser
panser ses Ijlessures. — Un assaut est décidé. — Le Commodore
américain Tatlnall vient oUrir le concours de ses soldats de marine.
— L'amiral Uope refuse cette offre tardive de coopération. — Le
commandant Tricault quitte l'amiral Hope pour la première fois de
la journée et passe sur le Duchayla. — Tout est prêt pour le débar-
quement. — Il est sept heures et demie. — Les chefs donnent
l'exemple et s'élancent les premiers. — Les forts lancent des volées
de mitraille qui jalonnent la roule de morts et de blessés. — Le
commandant Tricault, avec soixante-quatre hommes, fait d'héroï-
ques eilorts pour traverser la nappe fangeuse qui se dérobe sous les
pieds. — La mitraille tombe sans cesse du h lUt des remparts. —
On arrive auprès du premier fossé qui est tout aussitôt franchi. —
Enfin, après avoir traversé un deuxième fossé plus large, quelques
hommes arrivent au pied des remparts. — Le commandant Tricault
cherche à rallier autour de lui ses marins. — Il est rejoint par le
lieutenant Claveric avec quelques marins du Duchayla. — Une cin-
quantaine d'hommes composent la force totale des alliés réunis au
pied (les remparts. — A chaque instant la position devient plus
critique. — L'aspirant Bnry est tué. — En vain les commandants
Tricault et Heath veulent conserver la position; ils sont obligés
TABLE DES MATIÈRES. 403
d'ordonner la retraite. — Le commandant TncttM^i est blessé. — Le
rembarquement dure une partie de la nuit, au milieu des plus sé-
rieuses diflicultés. — Le Plover, le Lee et le Cormoran périssent.
— La journée du 25 juin est un désastre , mais l'honneur des armées
est sauf. — Le nouvel acte d'hostilité du gouvernement chinois re-
met tout en question. — Les ministres de France et d'Angleterre , en
présence de l'insuffisance des forces à leur disposition , renoncent à
forcer l'entrée de la rivière, et se retirent à Shang-ha'i., . Pages 3 à 35.
CHAPITRE IL
Une seconde campagne est résolue par la France de concert avec l'An-
gleterre. — Le général Cousin de Montauban est nommé comman -
dant en chef de l'expédition. — Composition du cadre d'état-major
du corps expéditionnaire. — Le contre-amiral Page a remplacé le
vice-amiral Rigault de Genouilly dans le commandement des mers
de Chine. — -Le général de Montauban charge l'amiral Page d'étu-
dier le point le plus favorable pour l'installation des troupes. —
Ordre du jour du général de Montauban à l'armée. — Départ du
général de Montaulian , le 12 janvier 1860. — Le commandant en
chef arrive à Hong-Kong le 26 février. — Entrevue du général
de Montauban avec l'amiral Page, qui arrive de la Cochincliine où
il a eu de sérieux engagements avec les Annamites. — L'amiral Page
annonce au générai que l'occupation de Chusan a été décidée de
concert avec l'amiral Ilope. — Le général de Montauban ajourne
celte occupation. — Le général quitte Macao et se dirige vers la
rivière de Canton. — Retour du général à Hong-Kong, le 3 mars. —
Conférence avec les amiraux Hope et Grant. — Départ du général
de Montauban pour Shang-ha'i. — Achat de cinq cents chevaux au
Japon. — Dernier ultimatum des puissances alliées. — Progrès des
rebelles chinois. — Ils s'emparent de Hang-tcheou. — Épouvante
des habitants de Shang-ha'i. — Reconnaissance de l'île de Chusan
par l'amiral Protêt. — Lettre du général de Montauban à l'amiral
Protêt, lui donnant ordre d'explorer le golfe de Pe-tchi-liet la côte
de Chang-toung. — Le contre-amiral Page est chargé d'occuper
Chusan. — Prévision d'une forte résistance des Chinois àXa-kou. —
Réponse du cabinet dePé-king à l'ultimatum des puissances alliées.
— Mémorandum des ministres français et anglais. — Lettre de M. de
Bourboulon au gouverneur général des Deux-Kiang. — Il ne reste
plus qu'à faire appel à l'action militaire. — Entente sur les instruc-
tions données aux commandants supérieurs des forces britanniques
et à M. Bruce. — Dépêche du minisire des affaires étrangères de
France définissant les intentions du gouvernement français en cas
de guerre, — Un vice-amiral est désigné au commandement en chef
des forces navales françaises dans les mers de Chine. — Le général
de Montauban prend le titre de commandant en chef de l'expédition
de Chine. — Le 10 avril , arrivée du vice-amiral Charner à Shang-hai.
404 TABLR DES MATIÈRES.
— Arrivage des troupes françaises. — Occupation de l'île de Chusan.
— Retour de l'amiral Protêt de sa reconnaissance dans le nord de
la Chine. — Arrivée du général Jamiti. — Le général de Montauban
songe à occuper Tché-fou. — Entrevues avec l'amiral Ilope et le
général Grant relativement à cette occupation. — Le transport
l'Isère échoue dans le port d'Amoy. — Le baron Gros est envoyé en
Chine comme ministre plénipotentiaire. — Dépèche de M. Thnuvenel
au baron Gros Pages 33 à 76.
CHAPITRE in.
Le général Jamin est installé à Tché-fou. — Les autorités chinoises
demandent secours aux alliés pour les protéger contre les rebelles.
— Démarches du lao-taï de vShang-haï auprès du général de Mon-
tauhan. — Lettre du général sur la position des choses. — Pillage
de Sou-tcheou par les rebelles. — Six cents hommes de troupes
alliées occupent le village de Shan-hoo. — Le vice-roi vient cher-
cher refuge à Shang-haï. — Le général de Montauban lui refuse
une entrevue. — Les préparatifs de l'expédition dans le Nord se
continuent avec activité. — La Reine des Clippers échoue aux abords
de Macao. — Le 14 juin, le général de Montauban expédie cent qua-
torze chevaux à Tché-fou. — 16 juin, conférence entre le général
de Montauban. les amiraux Charner et Ilope et le général Grant.
— Le 18, conseil de guerre chez le général de Montauban. — Déci-
sion arrêtée. — Le 2 juillet, le général de Montauban part pour
Tché-fou. — Visite du général Grant au quartier général français.
— Dernière reconnaissance pour déterminer le point de débarque-
ment au sud des forts de Ta-kou. — 19 juillet, nouvelle conférence
entre les généraux en chef et les amiraux. — Arrivée de lord Elgin
et du baron Gros. — Ils déclarent que c'est à Tien-tsin seul qu'ils
consentiront à traiter avec le gouvernement chinois. — Ravages de
la rébellion dans l'intérieur de l'empire. — Placet du vice-roi à
l'empereur de Chine. — 25 juillet . départ de l'expédition . — Le gé-
néral de Montauban monte k bord du Corbin. — Reconnaissance
dans la rivière de Peh-tang par le colonel Dupin , le lieutenant
de Lamarck et le capitaine Forster. — Les canonnières anglaises
rejoignent l'escadre le 29 au soir. — Dernier entretien entre les
généraux et les amiraux. — Le général de Montauban procède au
débarquement à Peh-tang. — Le colonel Dupin fait une reconnais-
sance de l'autre côté de Peh-tang. — Il trouve les traces récentes
d'un campement abandonné. — Le général de Montauban, soup-
çonn:int une embûche, envoie le commandant du génie Diipouët,
qui découvre que le fort est miné. — Les troupes prennent posses-
sion du fort. — La flotte reste à l'ancre. — Reconnaissances faites par
les deux corps expéditionnaires. — Un camp est signalé. — Legénéral
Collineau va le reconnaître. — Départ de l'armée alliée le 12 août.
— Engagement de Sin-ko. — Les troupes chinoises se réfugient
TABLli DES MATIÈUES, 405
dans le village fortifié de Tang-kou. — Reconnaissance des forts
par le général de Montmiban. — L'attaque est décidée pour le len-
demain. — L'assaut est donné. — Les portes sont brisées à coups de
hache, et les remparts sont bientôt couronnés de nos troupes. —
— Le colonel Sc/imi<;î plante le premier sur le sommet des remparts
le drapeau de la France Pages 76 à 134.
CHAPITRE IV.
Les troupes alliées s'établissent dans la position conquise. — Le général
de Montauban propose, au général Grant, qui l'accepte, de négliger
les défenses de la rive gauche pour attaquer celles de la rive droite.
— Construction d'un pont sur le Peïho. — Approvisionnement du
camp deSin-ko. — Envoi d'un parlementaire chinois, le 14août. —
Les ambassadeurs refusent toute proposition de paix avant la prise
des forts du Peï-lio. — Mise à prix par le gouvernement chinois des
plénipotentiaires et des chefs des armées alliées. — Reconnaissance
du colonel de Livet sur la rive droite. — Engagement avec l'ennemi.
— Le commandant de la Poterie apporte des renforts au colonel
de Livet. — Prise du village de Sia-o-léantz. — L'ennemi évacue ses
positions après avoir brûlé ses approvisionnements et fait sauter ses
poudrières. — Le 19 août le g.^néral Jamin traverse le Pe'i-ho avec
sabrigade et campe dans Sia-o-léantz. — Le général Grant demande la
continuation de l'attaque des forts de la rive gauche. — Deux plans en
présence. — L'attaque , sur la rive gauche appuyée par lord Elgin , l'a-
miral //ope et le général Grant, est adoptée en conseil. — Le 20 août,
reconnaissance du général Jamin. — Il rencontre des ouvrages for-
tement occupés. — L'attaque du fort le plus rapproché de Tang-ko ,
sur la rive gauche, est décidée pour le 21. — Le général ColUneau
et le général Napier sont désignés pour cette opération. — L'amiral
Charner reçoit à l'entrée du Pe-tchi-li la nouvelle de l'attaque ré-
solue. — Le général ColUneau bivaque au camp de Tang-ko. —
Il est convenu que les Français prendront la droite et les Anglais la
gauche de l'attaque. — Le général ColUneau attaque la droite du
fort le 21 août. — De nombreux obstacles défendent les approches
de l'ouvrage ennemi. — Résistance des Chinois. — Lutte corps à
corps. — Le diapeau de la France flotte au sommet des murailles.
— Attaque des Anglais qui plant-nt leur drapeau sur les créneaux
conquis. — Les assiégés cherchent leur salut dans la fuite. ^ L'at-
taque du second fort est décidée pour le lendemain. — Reconnais-
sance du colonel Dupin. — Les Chinois arborent un drapeau blanc.
— Refus des propositions chinoises. — Sommation de rendre les
forts dans deux heures. — Le général de Montauban fait venir le
restant de son artillerie. — Les forts n'étant pas rendus au bout de
deux heures, les alliés se remettent en marche. — Les forts restent
silencieux. — Crainte d'une nouvelle trahison. — Les troupes s'em-
parent des foris qui ont été abandonnés par l'ennemi. — Quatre offi-
406 TABLE DES MATIÈRES.
ciers. dont deux français et deux anglais, vont demander au vice-
roi la remise des défenses du sud. — M. Parker les accompagne. —
Le vice-roi consent à la reddition des forts. — Déconraf,'ement des
troupes chinoises. — Rôle joué par la marine. — Les alliés s'empa-
rent d'un formidable matériel il'artillerie. — Perles d-^s armées
alliées. — L'embouchure du Peï-ho oflVe un libre passage aux flottes
alliées. — Dépèche de l'amiral Chanter déciivant les olist.icles accu-
mulés par les Chinois. — L'amiral //ope remorite la rivière sans
prévenir les commandants en chef alliés. — L'amiral Chômer,
instr.iil de ce départ, remonte rapidement le Peï-ho. — Le 25 août,
départ de deux mille hommes s'embarquant sur le Peï-ho pour
gagner Tien-tsin. — Les deux généraux en chef les accompagnent.
— Arrivée à Tien-tsin le 26. — Les troupes campent à l'inté-
rieur de la ville. — Fin de la première période des opérations
militaires Pages 134 à 1G6.
LIVRE II.
CHAPITRE PREMIER.
Le général de Montauban retourne au camp de Sin-ko. — Il revient
avec le restant de ses troupes à Tien-tsin par terre. — Discipline
sévère maintenue parmi les troupes. — Description du pays. —
— Arrivée du général de Montauban à Tien-tsin. — Le général
de Montauban envoie des renforts aux troupes qui gardent Shang-haï.
— Description de Tien-tsin. — Arrivée de deux hauts commissaires
impériaux chinois. — Communication écrite des commissaires aux
plénipotentiaires alliés. — Pourparlers. — Fourberie des commissaires
chinois qui n'ont aucun plein pouvoir pour conclure. — Les pléni-
potentiaires français retirent les propositions qu'ils ont faites. — La
véritable campagne commence. — L'hésitation n'est plus permise.
— Le 9 septemlire , la première colonne se met en marche. — Arrivée
à Pou-kao. — Violent orage. — Les conducteurs chinois prennent
la fuite. — Le général de Montauban charge les approvisionnements
sur cent jonques chinoises. — Le 12 septembre, l'armée alliée se
met en marche sur Yang-hun. — Nouvelle communication du gou-
vernement chinois, qui cherche à renouer le fil des négociations. —
Marche en avant. — Le 13 septembre, arrivée des troupes à Kho-
seyou. — Nouvelle démarche des commissaires chinois. — Note du
prince Tsai et de Muh. — Perfidie du gouvernement chinois pour
gagner du temps. — Manifeste de l'empereur de Chine à propos de
la journée du 25 juin 1859. — Le général Co/KneflM rejoint le général
de Montauban. — Les populations abandonnent leurs villages devant
les armées alliées. — L'armée continue sa marche sur Tung-chao.
TABLE DES MATIÈRES. 407
— Des parlementaires sont envoyés auprès des commissaires chinois
pour fixer les bivacs des deux armées Pages 169 à 192 .
CHAPITRE II.
Le colonel Foullon- Grmidchamp , le capitaine d'état-major Chanoine,
le caïd Osman, MM. Dubut, Ader et Gagey , et l'abbé Duluc, du
côté des Français, partent le 17 septembre, accompagnés de
MM. de Bastard , de Méritens et d'Escayrac de Lauture. — Du côté des
Anglais, les parlementaires sont : le colonel Walker, le lieutenant
Anderson, M. Boirlby , M. de Xormann, M. Loch et M. Parker. —
Le 17, le général de Montauban\è\e le camp et se dirige sur Matao. —
Les plénipotentiaires arrivés à l'entrée de Tung-chao sont accueillis
avec empressement par des mandarins.— Entrevue de M. de Bastard
avec le prince Tsai. — Le projet de convention apporté par M. de
Bastard est accepté par le prince Tsai. — Le 18, M. de Bastard
quitte la ville avec M. de Méritens, le caïd Osman et le capitaine
Chanoine. — Leur escorte se compose de deux spahis. — Le colonel
de Grandchamp, Vahhé Dnluc, MM. Dubut, Ader, Gagey et d'Es-
cayrac de Lauture restent, du côté des Français, seuls dans la ville.
— Les deux armées ont dû quitter, le 18, leur campement de
Matao pour se rendre au bivac arrêté par les conventions. — Le
capitaine Chanoine prend les devants pour aller rejoindre le général
de Montaiiban et lui donner les indications nécessaires. — M. Parker
se rend également auprès du général Grant, accompagné de 3/. ioc/i
et du iolonel Walker. — MM. de Normann, BouJby et le lieutenant
Anderson restent à Tung-chao , où M. Parker doit venir les rejoindre
après avoir terminé sa mission auprès du général Grant. — L'aspect
du pays est changé. — Une armée chinoise tout entière occupe la cam-
pagne dans un but évidemment hostile. — M. Parker voyant l'indice
d'une trahison retourne vers Tung-chao pour protéger ceux de ses com-
patriotes qu'il a laissés dans cette ville. — M. Loch continue sa route
vers le général Grant. — Le colonel Walker, avec six hommes d'es-
corte , s'arrête pour attendre le retour de M. Parker. — Le matin , les
troupes alliées ont quitté leur camp. — Après deux heures de marche,
les généraux s'arrêtent en voyant les positions occupées par l'armée
tartare. — Lemandarini/a?)g'-fci vient demander à parler aux ambas-
sadeurs, sous le prétexte de s'entendre avec eux sur leur réception
à Pé-king. — Il déclare que la présence des troupes tarlares est le
résultat d'un malentendu. — Les généraux alliés prennent des dis-
positions pour parer à tout événement. — Les Tartares continuent
leur mouvement. — Disposition du terrain. — Position des armées
alliées. — Arrivée du capitaine Chanoine au camp. — Il a traversé
toute l'armée tartare qui est fortement établie. — Arrivée de M. de
Bastard et de M. de Méritens. — L'officier d'administration Gagey
vient bientôt après confirmer leur rapport. — Inquiétudes sur les
parlementaires. — Le général de Montauban propose pour les sauver
408 TABLE DES MATIÈRES.
(le fondre tout à coup sur les Tartares. — Le général anglais veut
attendre le retour de M. Parker. — Arrivée au camp du colonel
Walker au milieu d'une décharge de mousquelerie. — Sa luite
contre les soldats qui veulent empêcher son retour au camp. — Le
général de Montauban se met à la tête de ses troupes et marche sur
■ Leost. — Prise de Leost et de Khouat-tsun. — Combat de Tchang-
kia-ouang. — L'armée chinoise est mise en pleine déroute — Part
prise par l'armée anfrlaise. — Ordre général sur la journéi du 18 sep-
tembre. — Les parlementaires envoyés à Tung-chao ne sont pas
revenus au camp. — Inquiétudes sur leur sort. — Un prisonnier
annonce la nouvelle qu'ils ont été emmenés à Pé-king. — Il ne reste
plus qu'à marclier résolument en avant. — Un nombre considérable
de Tartares est réuni au-dessus de Tung-chao. — C'est à cet endroit
que le général Sang-ko-lin-isin a réuni toutes ses forces. — Une
grande bataille est imminente. — Arrivée du général Collineau avec
toutes ses forces di-])onibles. — Les dispositions du combat sont
arrêtées d'un commun accord avec le général Grant. — La journée
du 21 septembre doit être décisive Pages 193 à 221 .
CHAPITRE III.
Le 21 septembre, au matin, l'armée se met en marche. — A trois kilo-
mètres de Pa-li-kiao. elle aperçoit les premières vedettes tartares.
— Les forces ennemies, au nombre de vingt à vingt-cinq mille
hommes, sont en ligne. — Elles ont pour centre le village de Oua-
koua-yé. — Le général de Nontauban prend les preraièi^s disposi-
tions du combat. — Le général ColUmau se porte en avant sur la
gauche. — Le général de Montauban suit le mouvement sur la droite
avec le généralJanrm. — La cavalerie tartare s'avance résolument,
malgré des pertes considérables, et chercheà écraser le petitcorpsdu
général Collineau. — La situation est grave. — Le canon gronde. —
Les Tartares tentent de tourner la gauche du général Collineauvevs le
vide qui existe entre son corps et les Anglais. — Le général menace
d'être écrasé. — Le feu s'ouvre sur notre droite où se trouve le gé-
néral de Montauban. — Il lance en avant le général Jamin. — Posi-
tion de plus en plus critique du général Collineau. — Irruption de
la cavalerie tartare sur toute la ligne. — Le général, à la tête de sa
poignée d'hommes, arrête l'ennemi par un feu meurtrier. — L'ar-
rivée des Anglais dégage la position. — Le général de Montauban .,
rassuré sur sa gauche, continue son mouvement sur le pont de
Pa-li-kiao. — Nos troupes électrisées se lancent au pas lie course et
enlèvent le village de Oua-koua-yé. — Le général Collineau appuie
le mouvement de conversion. — Les deu.x brigades marchent à la
même hauteur et arrivent devant le pont de Pa-li-kiao. — Des tirail-
leurs armés sont embusqués tout le long du canal. — L'ennemi
s'apprête à disputer résolument le passage. — Feu terrible des Chi-
nois. — Nos obus abattent des rangs entiers. — La mort n'épouvante
TABLE DES MATIERES. 409
pas l'ennemi. — Presque tous ses canonniers sont tués sur leurs
pièces. — Son feu s'affaiblit. — Le général ColUneaii forme une
colonne d'attaque. — Le capitaine du Moncets , du 101°, se joint
avec sa compagnie à cette colonne. — Le pont est envahi. — L'en-
nemi, privé de ses chefs, se retire en désordre vers Pé-king. — Il
est midi. — Le combat a duré cinq heures. — Les troupes françaises
s'établissent sous les tentes des Tartares. — Marche suivie par les
Anglais depuis le matin. — Après une marche d'un mille , le général
Grant se trouve en présence d'une masse considérable de cavalerie
qui menace !a gauche de la ligne alliée. — Préoccupation du général
anglais. — Retard dans sa marche. — Concours utile qu'il apporte
au petit corps du général ColliiKaii. — La cavalerie anglaise se
porte sur la cavalerie tarlare qui est bientôt mise en déroute. — Le
corps expéditionnaire anglais prend ses bivacs. — Aspect du pont
de Pa-li-kiao le lendemain de la bataille. — Dépèche du prince Kong
au baron Gros, 21 septembre. — Le prince À'o?igf est chargé des né-
gociations.— Le baron Gros et lord Elgin se refusent à entamer les
négociations avant le retour des prisonniers. — Note du baron Gros
au prince Kong. 25 septembre 1860. — Réponse du prince Kong,
27 septembre. — Résumé de la politique chinoise depuis 1859. —
Le prince Kong ne rend pas les prisonniers. — Échange successif
de dépêches entre le prince Kong et les plénipotentiaires alliés. —
Réponse définitive du prince A'ongf, 30 septembre. — Les espérances
de paix sont déçues. — Les opérations militaires vont recom-
mencer Pages 221 à 257 .
LIVRE m.
CHAPITRE PREMIER.
Reconnaissances du 24 et du 26 septembre. — Le 5 octobre, l'armée al-
liée se met en marche. — Arrivée devant Pé-king. — 6 octobre , con-
tinuation de la marche de l'armée. — Reconnaissance autour de Pé-
kin?. — Marche du général de Montauban sur la résiilence impériale
de Yuen-munyuen. — Deux régiments de cavalerie anglaise s'étant
égarés se joignent à la colonne française. — Arrivée devant le palais
de Yuen-raun-yuen. — Reconnaissance du commandant Compenon.
— L'aspirant Butte escalade une muraille. — Lutte du lieutenant
de Pina avec les Chinois. — Le général de Montauban fait occuper
la première cour du palais par la brigade CoUineau. — Les Anglais
partis en même temps que les Français s'étaient égarés en route. —
Après quelques escarmouches, ils arrivent sur les routes qui tendent
à la porte d'Am-ting , et passent la nuit dans ct t endroit. — Au lever
du jour une salve de vingt et un coups de canon fait connaître au
410 TABLE DES MATIÈRES.
général de Montauban la position de l'armée anglaise. — Le brigadier
Pattle commandait les deux ngiments an;;lais qui s'étaient réunis.
— La colonne française envoie prévenir le général CranI que les
Français sont maîtres d u Palais d'Été de l'empereur et attendent son
arrivée pour procéder au partage. — Première visite du général
de Montauhnn au Palais d'Eté. — Splendeurs et richesses de la rési-
dence impériale. — Rapport du général de Montauban, 12 octobre.
— Des sentinelles sont placées pour fermer l'entrée du palais jusqu'à
l'arrivée du général Grant. — Arrivée du général Grant avec lord
FAgin. — Une commission est nommée pour procéder au partage.
— Huit cent mille francs sont partagés entre les soldats des deux
armées. — Dans une maison qui avoisine le palais, on retrouve les
vêtements ensanglantés de plusieurs des prisonniers nlliés. — Le
général de Montauban va rejoindre l'armée anglaise campée devant
Pé-king, 9 octobre. — Retour de M. d'Excatjrac de Lauture au camp
axecMM. Parker, Loch et quatre soldats français. — Souffrances des
prisonniers. — Barbares traitements qu'ils ont subis. — M. de Nor-
mann , premier attaché de l'ambassade de lord EUjin . M. lioiclby ,
correspondant du Times , le lieutenant Anderson ont succombé. —
Le 7, les commandants des années alliées font savoir aux aitorités
chinoises qu'ils comptent occuper une des portes de Pé-king. —
Position difficile en présence de l'arrivée de l'hiver. — Il est impor-
tant d'arriver promptement ii une solution définitive. — Lettre du
général de Montauban au prince Konr/ . 10 octobre. — Le prince
Kon(j consent à l'occupation d'une des portes de Pé-king . par l'armée
alliée. — Visite du général de Montauban sur les remparts de la
capitale. — Le prince Kong exprime au baron Gros sa satisfaction
de l'attitude prise par les troupes françaises. — L'armée française
campe dans le faubourg qui précède la porte Am-ting. — Les signes
précurseurs de l'hiver se font sentir. — Le général de Montauban
est résolu à partir le 1" novembre pour Tien-tsin. — Lettre du baron
Gros à lord FAgin. — Correspondance du baron Gros avec le prince
Kong. — Le dernier délai est fixé pour le 23 à mid i . Pages 259 à 294.
CHAPITRE II.
Des événements nouveaux viennent compliquer la situation. — Les
cadavres mutilés des pris'mniers sont rapportés au camp. — Exas-
pération des Anglais. — Lord FAgin veut que des officiers chinois
accompagnent, de Pé-king à Tien-tsin, les restes des victimes d'une
odieuse trahison, et qu'un monument expiatoire soit élevé diins
cette ville aux frais du gouvernement chinois. — Lord Flgin veut
.•lussi qu'on s'empare du palais impérial de Pé-king, et qu'on dé-
truise de fond en comble le palais de Yuenmun-yuen. — Objection
du baron Gros. — Lord FAgin ne veut pas renoncer à son projet. —
Sa réponse au baron Gros. — Le baron Gros persiste dans ses objec-
tions, tout en observant qu'il laisse le général de Montauban libre
TABLE DES MATIERES. 411
d'agir à cet égard à sa guise. — Le général de Montauhan refuse
formellement de s'associer aux projets de lord Elgin contre Yuen-
mun-yuen. — Ra'sons qu'il donne de son refus. — Correspondance
entre le général Grant el le général de Montauhan. — Différence
des politiques française et anglaise. — Le 18, les Anglais incen-
dient le Palais d'Été, dont il ne reste bientôt plus que des bois
fumants. — Douloureuse impression du général de Montauhan. —
Sa lettre au général Grant. — Les chefs anglais rêvent une attaque
contre Pé-king. — Leur but politique est le renversement de la dy-
nastie régnante. — But opposé de la politique française. — Dépêche
du baron Gros au prince^orîg, 2.5 septembre. — 11 n'est plus pos-
sible au gouvernement français de se refuser plus longtemps aux
conditions de paix proposées. — La paix est évidente aujourd'hui.
— Le 19, le général Grant propose au général de Montauhan d'atta-
quer Pé-king avant le délai fixé par le baron Gros. — Le général
français s'y refuse en déclarant qu'il s'oppose à toute attaque. —
Le 20, le prince Kong annonce que l'indemnité réclamée pour les
victimes sera payée le 22. — Le 22, M. de Bastard., premier secré-
taire de l'ambassade française, et M. de Kéroulée , attaché, se rend
à Pé-king pour régler tous les détails relatifs à la signature du
traité. — Inquiétudes du prince Kong sur sa propre sûreté. — Le 24,
le baron Gros fait son entrée dans Pé-king. — Description du cor-
tège. — Le 24, lord Elgin signe le traité de la Grande-Bretagne
avec la Chine. — Difficultés d'étiquette. — Dureté du diplomate
anglais. — Entrevue du baron Gros et du prince Kong. — Différence
d'attitude. — Le traité avec la France est signé. . . Pages 294 à 319.
CHAPITRE III.
Appréciation de cette expédition. — Sa différence avec les campagnes
de Crimée et d'Italie. — Ses résultats. — Les barrières de la Chine
sont brisées, la croix du Christ reparaît sur les églises relevées. —
Les victimes du 18 septembre reçoivent les derniers devoirs. —
Le 29, ouverture de l'église catholique et cérémonies de sa nou-
velle consécration. — L'hiver approchant, le général de Montauhan
quitte le quartier général de Pé-king avec ses troupes et se dirige
vers Tien-tsin , où il arrive après cinq jours de marche. — Lord
Elgin a voulu prolonger son séjour à Pé-king jusqu'à la promulgation
du traité par l'empereur. — Le baron Gros se décide à rester égale-
ment dans la capitale jusqu'au départ de son collègue. — Trois dé-
légués de l'armée partent pour la France pour porter à l'Empereur
les objets trouvés dans le Palais d'Été. — Le lieutenant de Pina
part en même temps porteur d'une cassette également trouvée dans
le Palais d'Été et contenant les divers traités conclus par la Chine.
— Le 22 novembre, le général de Montauhan remet le commande-
ment au général Collineau et quitte Tien-tsin. — Le général se
412 TABLE DES MATIÈUES.
rend à Tché-fou. — De là il va visiter Nanko-saki , port japonais. —
Le 16, retour du général de .tfon^auta» à Shang-haï. Pages 319à 332.
LIVRE IV.
COCHmCHIXE.
Les tentatives de conciliation sont restées infructueuses du côté du
royaume annamite. — Le général de Montniibnn reçoit une lettre du
ministre de la marine qui l'engage à s'entendre avec l'amiral Chnrner
au sujet des projets d'expédition qu'il pourrait méditer contre les
Cocliincliinois. — Renforts donnés par le général à l'amiral. — Le
général de Montauhan organise ses quartiers d'hiver à Shang-haï.
— L'hiver s'écoule tranquillement. — Situation du petit corps expé-
ditionnaire en Cocliinchine. — Le climat fatal fait de nombreuses
victimes. — Mort du général Collineau. — Le général Jamit} reçoit
le commandement des troupes. — Le général de Montauhan s'em-
barque pour la France. — Le contre-amiral Bonnard a pris le com-
mandement de l'expé^lition de Clochincliine. — Les opérations exé-
cutées dans cette dernière campagne méritent autre chose qu'un
résumé rapide. — Elles feront l'objet d'une histoire séparée.
Pages 335 â 339.
PIECES JUSTIFICATIVES.
L Composition du corps expéditionnaire français en Chine... . 343
11. Rapport du général de Montiuban au ministre de la guerre,
18 a ût 1860 364
IIJ. Rapport de l'amiral Charner au ministre de la marine,
23 août 1860 358
IV. Rapport du général de Montauhan au mini.stre de la guerre,
24 août 1860 361
V. Rapport de l'amiral Charner au ministre de la marine,
2b août 1800 369
VI. Rapport du général de Montauhan au ministre de la guerre,
19 septemhre 1860 370
VIL Rapport du général de Montauhan au ministre delà guerre,
24 septembre 18G0 376
TABLE DES MATIÈRES. 413
VIII. Rapport du général de Montauban au ministre delà guerre,
8octobrel860 381
IX. Rapport du général de Montauban au ministre de la guerre,
12, 17, 18 octobre 1860 383
X. Proclamation du général de Montauban, 18 octobre 1860... 390
XI. Traité de paix additionnel au traité entre la France et la
Chine, du 27 juin 1858, conclu à Pé-king le 25 octo-
bre 1860 392
XII. Traité de paix additionnel au traité du 26 juin 1858, entre
la Grande-Bretagne et la Chine , conclu à Pé-king le 24 oc-
tobre 1860 397
FIN DE LA TABLE
DE LA DEUXIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.
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UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARV
Los Angeles
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